Le très bon père

Papa avait un cancer du foie, et moi un nouveau portable.

Les deux événements avaient eu lieu dans un laps de temps si court que j'avais laissé le plus important des deux prendre le dessus sur mes émotions. De fait, j'étais absolument extatique. Mon ancien téléphone était un modèle antique, pas d'appareil photo ni de lecteur mp3 intégré, et pour taper un message, il me fallait appuyer sur chaque touche de toute la force de mon pouce jusqu'à ce qu'elle fonctionne. Je tannais les auteurs de mes jours pour qu'ils m'achètent un mobile un tantinet plus récent, mais ils n'avaient jusque là jamais été d'accord. Et puis exceptionnellement, en apprenant que Papa allait mourir, ils m'en avaient acheté un.

Je ne comprenais pas bien leur logique, mais elle m'enchantait. J'estimai que je devais absolument les en remercier, et me montrer gentille avec eux. J'allai d'abord voir mon père : honneur aux cadavres, ou à ceux qui en sont déjà presque.

« - Tu n'as pas à me remercier chérie, me répondit-il aussitôt, c'est plutôt Dieu que tu devrais remercier de m'avoir donné ce cancer, et à toi ce portable.
- Sauf que c'est toi, et non Dieu qui me l'a offert.
- Je ne l'aurai jamais fait si je n'avais pas eu cette maladie. Donc, c'est Lui que tu dois remercier.
- Tu crois vraiment que c'est Dieu qui t'a rendu malade ?
- Qui d'autre ?
- Si c'est lui, c'est un connard.
- Il a fait l'homme à son image. A quoi t'attendais-tu ? »

Il se plia en deux, et me vomit un peu dessus, je jouai la carte de la sécurité, et m'éclipsai discrètement pour ne pas qu'il risque d'éclabousser mon nouveau téléphone. Puis, j'allai d'un bon pas remercier ma deuxième génitrice.

« - Merci, Maman, pour le portable.
- Remercie plutôt ton père !
- Il ne veut pas, il veut que je remercie Dieu.
- Tu crois vraiment que c'est Dieu qui l'a rendu malade ?
- Moi ? Non. Il avait une cirrhose non ?
- Parce qu'il boit comme un trou.
- Ce n'est pas grâce à Dieu alors, s'il est malade, c'est grâce à lui !
- C'est bien pour ça que tu dois le remercier. »

Je n'eus pas le courage d'aller refaire le chemin en sens inverse pour convaincre Papa que c'était lui que je devais gratifier de mes "merci". A la place, je m'enfermai dans ma chambre avec mon nouveau jouet. Affichées sur mes murs, les radios du foie de papa rayonnaient à la lumière, et je les photographiai. Il faut dire qu'elles étaient vraiment jolies, tout en noir et blanc, j'aimais beaucoup les photos en noir et blanc, je les trouvais plus belles que les photos couleurs. D'ailleurs, une photo couleur du foie de papa ne serait vraiment pas jolie, ce serait tout rouge et sombre, ça ressemblerait à du vieux vomi, et je ne l'aurai jamais de ma vie affichée dans ma chambre.

C'est à ce moment là que Papa entra dans mon lieu de vie, une bouteille à la main, et m'intima de ne pas faire de bruit. Il s'installa sur mon lit, but le whisky en quelques lampées seulement, et s'endormit aussitôt.

« - Tu as vu ton père ? appela ma mère d'en bas des escaliers.
- Je lui dis merci ! répondis-je en l'installant un peu plus confortablement. »

Le visage rougi par l'alcool, ronflant aussi fort qu'il pouvait, Papa alimentait son cancer, s'avançait un peu plus vers la mort, et me laissait entrevoir la possibilité de bientôt peut-être avoir en ma possession un nouvel ordinateur portable, ou une nouvelle chaîne hi-fi.

Un petit bijou de cynisme ! J'ai beaucoup, beaucoup aimé.
- Si c'est lui, c'est un connard.
- Il a fait l'homme à son image. A quoi t'attendais-tu ?
Excellent !

Mes remarques :
« ils n'avaient jusque-là (trait d’union) jamais été d'accord »
« - Tu n'as pas à me remercier chérie : les guillemets ouvrant et le tiret fiont double emploi, c’est l’un ou les autres ; par ailleurs, pour introduire une réplique de dialogue le trait d’union « - » ne suffit pas, il faut prévoir le tiret demi cadratin « – » ou le format au-dessus, « — »
« Je ne l'aurais jamais fait si je n'avais pas eu cette maladie »
« je ne l'aurais jamais de ma vie affichée dans ma chambre »
« C'est à ce moment-là (trait d’union) que Papa entra »

Extra comme d'hab.

Ce qui m'a fait tiquer : "remercier ma deuxième génitrice"
non non, son père n'est pas sa première génitrice...."remercier ma génitrice" pour parler de la mère eut suffi!

rôôô, M-arjolaine ! tu pousses un peu
mais j'ai pas pu m'empêcher de rigoler
et pourtant y a pas lieu
rôôô

(j'ajouterai, et c'est un compliment : on dirait du Mure)

Je dirais , c'est du M-arjolaine , c'est sans surprise et toujours sur ce meme ton ...mais que j'adore lire du M-arjolaine sans surprise et toujours sur ce meme ton

un délice ...

J'adore et j'adhère ! Une très grande réussite ! Bravo, tu as réussi à me surprendre !

Agréable lecture, ici le cynisme est pas lourd du tout et presque délicieux.

Et pourquoi pas ? Pourquoi ne pas aller jusqu'au bout ? Bien joué.
Et en plus je trouve que ton écriture s'allège, se défait d'un certain formalisme, sans perdre de sa personnalité.

Ah oui, moi aussi j'ai buté sur la "seconde génitrice". Rebecca a raison, une seule et unique génitrice.

La veine me parait trop rouge, trop offerte.

Sympathique.

Je vais de ce pas faire lire ça à mes parents car il me faut une nouvelle voiture. Ah ben non, je suis con, il est déjà mort, mon père. C'est ballot !

Rondement mené, mais âpre tout de même. Très plaisant à lire, comme d'habitude : ça coule et ça entraîne dans le flot sombre.

Sourire aux lèvres dès la première ligne... qui ne m'a pas quitté jusqu'à la fin! Le ton léger associé à un sujet qui ne l'est pas souvent fonctionne ici remarquablement bien.

Ça, c'est du rock ! J'ai adoré le ton caustique, décalé et absurde (à quand la chronique ou le recueil dans ce goût-là, d'ailleurs ? tu sembles presque professionnelle dans ton domaine, à présent !). Néanmoins, je pense que la narration pourrait être plus subtile et l'oppression plus forte, plus tenace.

Les impertinences sont un peu trop explicitées, attention, le lecteur est parfaitement capable de comprendre l'ironie tout seul. D'ailleurs, c'est ce qui ressort du texte: le ton volontairement enfantin et dégagé, en plus du style très oral, donnent à l'ensemble un air pas simple mais simplet, qui rebute. Sans discuter ce choix, qui reste compréhensible, une histoire plus élaborée aurait suffi à donner de l'intérêt au texte.
Attention à ta conjugaison.

Excellent cet humour noir.

J'ai commencé à avoir les yeux ronds dès le début de votre texte. J'hésitais entre la consternation ou la surprise de rire face à un sujet aussi triste et sérieux que le deuil... J'ai succombé face à votre style et c'est tant mieux ! Le rire étant bon pour la santé ! :-)

Excellent !
Juste une remarque car s'il on veut être critiqué il faut critiquer!
Je ne saurais dire pourquoi mais j'étais persuadé que le père était à l'hospital, donc j'ai été surpris de le voir arriver dans la chambre!!!

Une vision caustique et réaliste du consumérisme galopant dans lequel se vautrent beaucoup de nos chères têtes blondes. Bravo. Quelle tranche de vie !... Bien saignante...

Ubik.

La première phrase donne le la, et toute la danse suit allègrement.
Pourtant, il me semble qur tu forces un peu le trait, M-arjolaine. Ou peut-être je m'habitue et remarque donc davantage certains petits travers ? Il me semble toutefois que tu peux faire preuve du même cynisme avec une touche plus subtile.
Mais c'est que tu nous as habitués à un tel niveau qu'on devient exigeants !

Papa avait un cancer du foie, et moi un nouveau portable.

et

- Tu crois vraiment que c'est Dieu qui t'a rendu malade ?
- Qui d'autre ?
- Si c'est lui, c'est un connard.
- Il a fait l'homme à son image. A quoi t'attendais-tu ? »

-> Rien que pour ça, un grand grand immense bravo.

Le texte est rondement mené.

Le seul hic: on aurait aimé en lire plus.

Lu aussi, un bon cru. Style resserré, efficace. Où s'achemine-t-on avec ta galerie de portraits ?

Me gênent : la deuxième génitrice et le "pour ne pas qu'il risque d'éclabousser", assez inélégant comparé au reste.
M'emballent : l'incipit et les radios au mur.

Sinon, je découvre ta plume avec bonheur, je ne vais pas m'amuser à remonter tous tes textes mais je suis bien parti pour les lire tous.
L'absurde et le cynisme siéent parfaitement à ton style précis et assez classe.

Cette écriture de fille est décidément délicieuse, elle profère des énormités avec un sourire mutin de petite carnassière, et c'est bien bon. On peut chipoter, comme on le lit plus haut, sur un trait parfois un peu appuyé ; et alors ? Vous emballez votre affaire en un tournemain, ça ne s'emberlificote pas dans de filandreuses considérations, et, après tout, c'est une fable, ou plutôt un apologue. Pour mon goût, c'est délectable, et fichtrement bien troussé. Je retrouve une verve iconoclaste qui s'était un peu affadie. Igitur nunc est bibendum.

J'aime bien, même si un tout petit peu moins convaincue que d'habitude, peut-être le cancer qui ramène à des choses trop réelles alors que les malformations monstrueuses, par exemple, amènent plus loin dans l'absurde et sont peut-être un peu moins "dérangeantes"...
Cela dit les dialogues sont très bons, c'est vif, et dans l'ensemble ça fonctionne!
Première phrase bien fichue!

Je lui dis merci ! répondis-je en l'installant un peu plus confortablement.

Et bien, moi, j'aurais bien vu la fin juste après ceci, laissant entrevoir d'autres horreurs encore plus terribles et cruelles. Parce que les lignes qui suivent, je les trouve totalement plates et inutiles, désolée, emplie d'une bonne morale qui est en trop grand contraste avec le reste du texte. Reste du texte que je trouve excellent et délicieux, je me suis régalée. C'est caustique, concis, efficace et j'ai beaucoup aimé.

Je ne t'avais jamais lue et je suis agréablement surprise. Les dialogues sont extras. Maie je ne puis m'empêcher de penser que le sujet est un peu facile, tout comme la dernière phrase.
Cela dit, j'ai ri et c'est le but non ?

Tout a fait le style que j'aime ! Je trouvais le premier dialogue sans grand intérêt, mais en fait quand le deuxième arrive au final le premier était bien utile =)

Triste, drôle et touchant, tout cela mélangé avec finesse, bravo