Madame Fourrier
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Madame Fourrier
Dès l'ouverture de la porte, une bouffée d'odeur étrange vous assaillait, amplifiée par la chaleur qui régnait à l'intérieur. Madame Fourrier était frileuse.
Ses mains fragiles suivaient un chemin d'obstacles soigneusement disposés, qu'elles cherchaient d'instinct à la bonne hauteur.
−Bonjour, Anna. Bonjour, ma petite amie !
J'étais fascinée par cette faculté surprenante qu'elle avait de reconnaître ses visiteurs avant même qu'ils aient prononcé le moindre mot, et je me prenais à douter : était-elle vraiment aveugle ? Partagée entre l'envie de vérifier mon soupçon et la crainte d'être surprise à cette vérification, je faisais de petits gestes incongrus, à demi avortés.
Les infirmités m'inspiraient un complexe mélange de curiosité, de peur, de pitié et de réprobation. J'avais six ans.
Madame Fourrier m'offrait un bonbon. Elle savait toujours se tourner vers moi, mais son geste avait une imprécision qui m'intimidait, et j'avais du mal à m'identifier comme destinataire.
Tandis que ma mère conversait avec elle, je me faisais oublier afin de poursuivre mes investigations secrètes. L'odeur m'intriguait. J'essayais de démêler ses composantes et d'identifier les provenances. Le chat. L'eau de Javel. La pile de vieux journaux menacée d'écroulement sur un coin de table. Naphtaline et lainages sales. Indéfinissable odeur de cuisine pauvre. Et une lourde senteur exotique, dont l'opulence s'accordait mal au cadre de cet obscur deux pièces sur cour.
− Tu travailles bien à l'école ?
L'intrusion de ces banalités obligées dans mon enquête m'agaçait.
Ma mère répondait pour moi, fière d'étaler mes succès, et j'avais droit à un autre bonbon. Puis Maman regardait sa montre et disait " Eh, il va falloir nous préparer si nous ne voulons pas rater le début de la séance !"
Madame Fourrier disait " Je vous laisse deux minutes, resservez-vous du café si vous voulez, ma petite Anna", elle disparaissait dans la pièce à côté et l'odeur exotique s'intensifiait.
Nous marchions lentement vers le cinéma de quartier (maintenant démoli), nous faisions la queue dans le brouhaha du dimanche après-midi, nous pénétrions dans l'obscurité d'une salle à l'air raréfié par l'haleine des précédents spectateurs. Je m'interrogeais sur la faculté qu'avait l'ouvreuse de se repérer alors que sa lampe éclairait nos pieds à six pas derrière elle, le fauteuil trop grand m'engloutissais et ma mère commençait à voix basse son commentaire, qui allait accompagner les actualités, le documentaire et le film, avec parfois des interruptions, dans les moments les plus palpitants, vite relancée par madame Fourrier qui demandait avec avidité " et là, qu'est-ce qui se passe ?"
Je ressortais abasourdie de trouver le crépuscule alors que nous venions de pénétrer par grand soleil dans la nuit profonde du cinéma. J'avais faim et envie de retrouver la maison, l'odeur exotique m'écœurait un peu, j'effleurais des lèvres la joue poudrée en évitant la bizarre tache brune. Madame Fourrier remerciait Maman " Vous êtes si gentille ma petite Anna" et nous rentrions en passant par les quais où la Saône déroulait ses lumières du soir.
Plus tard, un jour, dans le métro, j'ai retrouvé cette odeur capiteuse, j'ai interrogé la femme qui portait ce parfum : "Habanita". Une fragrance très démodée.
L'espace d'un instant, j'ai revu ma mère, "Prince Vaillant" et cette vieille aveugle qui aimait tant le cinéma…
jaon doe- Nombre de messages : 169
Age : 113
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Date d'inscription : 05/02/2010
Re: Madame Fourrier
Bien écrit, je trouve ; l'histoire ne m'a pas pour autant passionnée, mais la qualité d'écriture n'est certes pas en cause.
Mes remarques :
−Bonjour, Anna : typographie, après le tiret introduisant la réplique il faut une espace
" Eh, il va falloir nous préparer
" Je vous laisse deux minutes
" et là
" Vous êtes si gentille : typographie, pas d’espace après un guillemet anglais ouvrant
« le fauteuil trop grand m'engloutissait »
Mes remarques :
−Bonjour, Anna : typographie, après le tiret introduisant la réplique il faut une espace
" Eh, il va falloir nous préparer
" Je vous laisse deux minutes
" et là
" Vous êtes si gentille : typographie, pas d’espace après un guillemet anglais ouvrant
« le fauteuil trop grand m'engloutissait »
Invité- Invité
Re: Madame Fourrier
Je ne sais pas si la mémoire me joue des tours mais j'ai l'impression d'avoir déjà lu ce texte... Peu importe... Si les retours sur l'enfance ne me titillent jamais l'imagination, j'aime ici cette évocation blanche, distante mais aussi un peu mélancolique, que donne le recul. Et qui réussit à nous plonger dans l'ambiance, on l'entend cette vieille dame, on sent l'odeur de l'appartement.
Remarque, à l'oreille :
Tandis que ma mère conversait avec elle, je me faisais oublier afin de poursuivre mes investigations secrètes. L'odeur m'intriguait.
Remarque, à l'oreille :
Tandis que ma mère conversait avec elle, je me faisais oublier afin de poursuivre mes investigations secrètes. L'odeur m'intriguait.
Invité- Invité
Re: Madame Fourrier
Tiens, cette espèce d'observation distante me rappellerait un peu l'Enfance de N. Sarraute. Contente d'avoir mis le doigt sur l'impression qui se dégageait en cours de lecture.
Invité- Invité
Re: Madame Fourrier
Un texte très bien écrit, sans aucun doute. Des détails qui font "vrai", une narration bien maîtrisée. Par contre, je n'ai pas très bien compris la démarche, le but de cette histoire. Vous me direz, il n'y en a pas, mais je suis resté tout de même sur ma faim
Invité- Invité
Re: Madame Fourrier
J'ai, moi aussi, l'impression d'avoir déjà lu ce texte que je retrouve néanmoins avec plaisir.
L'anecdote est suffisamment originale pour se suffire à elle-même : ce n'est pas tous les jours qu'on emmène une aveugle au cinéma !
L'écriture en est limpide et l'importance accordée aux odeurs, de même que la gêne éprouvée par la narratrice devant le handicap me paraissent très justement exprimés.
La mention de "Prince Vaillant" à la fin me semble arriver là un peu comme un cheveu sur la soupe, je comprends bien qu'elle fait partie de la bouffée de souvenirs qui remontent mais c'est apparamment sans lien avec le reste de la scène décrite (à moins qu'il ne s'agisse d'un des films vus en compagnie de madame Fourrier ?)
L'anecdote est suffisamment originale pour se suffire à elle-même : ce n'est pas tous les jours qu'on emmène une aveugle au cinéma !
L'écriture en est limpide et l'importance accordée aux odeurs, de même que la gêne éprouvée par la narratrice devant le handicap me paraissent très justement exprimés.
La mention de "Prince Vaillant" à la fin me semble arriver là un peu comme un cheveu sur la soupe, je comprends bien qu'elle fait partie de la bouffée de souvenirs qui remontent mais c'est apparamment sans lien avec le reste de la scène décrite (à moins qu'il ne s'agisse d'un des films vus en compagnie de madame Fourrier ?)
Re: Madame Fourrier
Cela m’évoque un joli texte d’Elea que je viens de lire. Et c’est un compliment, à toutes fins utiles. C’est la saison des madeleines apparemment… J’en redemande !
Des remarques ? Ben oui :
« Partagée entre l'envie de vérifier mon soupçon et la crainte d'être surprise à cette vérification »
« Les infirmités m'inspiraient un complexe mélange de curiosité » l’inversion m’a stoppée, car elle rend possible la confusion avec le complexe (substantif).
« L'intrusion * de ces banalités obligées dans mon enquête m'agaçait. » idem.
Des remarques ? Ben oui :
« Partagée entre l'envie de vérifier mon soupçon et la crainte d'être surprise à cette vérification »
« Les infirmités m'inspiraient un complexe mélange de curiosité » l’inversion m’a stoppée, car elle rend possible la confusion avec le complexe (substantif).
« L'intrusion * de ces banalités obligées dans mon enquête m'agaçait. » idem.
Re: Madame Fourrier
Quant à moi, j'ai " revu " certains dimanches à la poudre de riz. Quelque chose de poignant.
Ba- Nombre de messages : 4855
Age : 71
Localisation : Promenade bleue, blanc, rouge
Date d'inscription : 08/02/2009
Re: Madame Fourrier
Mélancolique et doux.
La dernière phrase est de trop pour moi mais en dehors de ça j'ai aimé entrer dans ce souvenir bien évoqué.
La dernière phrase est de trop pour moi mais en dehors de ça j'ai aimé entrer dans ce souvenir bien évoqué.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: Madame Fourrier
Merci à mes commentateurs.
J'ai hésité pour la dernière phrase ; et je conviens volontiers que cette histoire sent fort la naphtaline : c'est un souvenir authentique, estampillé années cinquante, typiquement le genre de choses que je lis souvent sans déplaisir, mais dont je me demande toujours pourquoi les gens écrivent ça !
J'ai hésité pour la dernière phrase ; et je conviens volontiers que cette histoire sent fort la naphtaline : c'est un souvenir authentique, estampillé années cinquante, typiquement le genre de choses que je lis souvent sans déplaisir, mais dont je me demande toujours pourquoi les gens écrivent ça !
Invité- Invité
Re: Madame Fourrier
Hé, hé, je ne t'avais pas reconnue !
Et ce n'est pas l'odeur de la naphtaline que je sentais mais celle de ton blog, bien sûr, où j'ai retrouvé ce confetti parmi tant d'autres aussi savoureux !
Et ce n'est pas l'odeur de la naphtaline que je sentais mais celle de ton blog, bien sûr, où j'ai retrouvé ce confetti parmi tant d'autres aussi savoureux !
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