Vos écrits
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le Deal du moment : -48%
Philips Hue Pack Decouverte 2024 : lightstrip 3M + ...
Voir le deal
119 €

Manon est une révolution

4 participants

Aller en bas

Manon est une révolution Empty Manon est une révolution

Message  lamainmorte Lun 25 Oct 2010 - 18:12

Manon est une révolution


Chapitre 1 : L'Assemblée Générale


7h30, Lundi 24 octobre, 243 Rue Saint-Denis, Paris



Achille s'endort toujours après sa copine. Elle a ce don qu'il n'a pas, de presque pouvoir télécommander son sommeil, de demander à son cerveau de s'éteindre, ses synapses de couper les connections et son corps de se laisser tomber dans les courbes que forment la couette épaisse, les draps du lit et le corps de son amoureux. Aussi, le matin c'est à elle que revient la tâche de réveiller l'autre. C'est toujours le rôle de quelqu'un. Le réveil sonne, une fois. Elle laisse la sonnerie la sortir de sa torpeur. Il grogne. Elle la remet à dans cinq minutes. Elle retentit une deuxième fois comme si seulement quelques secondes était passées. Elle se lève. Il la retient. Elle le repousse. Tout comme la sonnerie, une deuxième fois, il grogne.


Manon, originaire de Biarritz est montée sur Paris pour faire ses études et loue un studio d'une vingtaine de mètres carrés près de la station de métro Strasbourg Saint-Denis. Une pièce rassemble un canapé lit, un bureau, une table pour manger et un plan seul constitue la kitchenette. Un petit couloir mène à une petite salle de bain avec baignoire. Sachant qu'elle s'apprête à allumer la lumière du bureau, Achille glisse au milieu du lit et se cale la tête entre deux coussins, fait passer la couette au dessus de son visage grogne pour la énième fois ce matin et retombe dans une torpeur brûlante. Il entend l'eau de la salle de bain couler à l'instar d'un lointain torrent, les bruits des produits de beauté qu'elle prend et repose, presque le pchitt du parfum qu'elle applique sur ses petits poignets et son cou de reine africaine, long, très long. Il a les yeux fermés, les idées endormies et sent l'odeur qui lentement l'enivre, glisse à l'intérieur de ses narines sans toucher les parois, remonte dans sa tête,... Elle est là, assise à ses côtés et déjà habillée, légèrement maquillée, venue lui dire qu'il faut se lever pour ne pas être en retard. Cette situation l'amène à se poser toujours la même question, suis-je une loque, suis-je destiné à ne rien faire de ma vie si je ne me lève pas ? Et si j'en trouve le courage, est-ce la preuve que mon destin est plein de grandes promesses ? Achille est plein de rationalité, vide de croyance, et pourtant ses matins baignent dans la superstition.


Manon est mauvaise poète à ses heures. Elle est petite, elle est folle, petite et folle, sous un rocher trop lourd, elle regarde trop haut, blottît sous un rocher, ses idées sont mornes et écrasées :


« Glissant avec fièvre sur le rebord,
Des fenêtres comme des rails,
Ce sont ses minces perles d’or
Jouant des tricots de maille.
Et les regards, plus verts,
Et la chanson, plus lente,
Sous les soleils des soirs d’hiver
Que le métro courbe, enfante.
Les voix s’unissent à Odéon,
Pour se défaire a Alésia,
La seine irrigue notre plafond,
Les artères lactescentes, ici et la.
Tous unis ainsi sous terre
Inconnu pour chacun
Seul image des lumières,
Un sourire qui annonce la fin.
Les portes posent les regards,
Et offrent un marchand de romance.
Accordéon des journaux hagards,
Sur les Unes les journées commencent »



9h10, Lundi 24 octobre, Nanterre université

Quarante ans que Nanterre existe, quarante an que Nanterre est soumis à des blocus d'étudiants en colère barricadant l'entrée des bâtiments avec des barrières et des poubelles. Les poubelles de Nanterre mènent une double vie, servent deux fois la société, nettoient les allées et sont un outil de l'expression de la liberté démocratique. Achille aussi est à double fonction, il est en double cursus à Nanterre, il suit une troisième année de Licence d'Économie et une première année de Lettres Modernes. On pourrait croire à un paradoxe entre les libertaires et les libéraux, mais il ne fait partie ni des uns, ni des autres. Disons qu'il ne parvient pas encore à rassembler assez de lui-même éparpillé dans son entourage pour se fixer quelque part à quelque chose. Pour l'instant, sa famille se résume à sa mère, son meilleur ami, Manon, les parents de Manon et depuis seulement quelque mois à un vieil homme à la fois aigri et sage à ses heures.

Pour les grandes velléités, se dit-il, pas d'empressement, on verra plus tard. La grande famille succèdera d'elle même à la petite famille, elle l'absorbera, ou pas, alors il devra choisir entre les grands idéaux et les petits attachements. Ce sera difficile se dit-il. Ce dont il ne doute pas encore est que ce choix se fait en conscience partielle et en volonté totale. On fuit un clan pour rejoindre l'autre avec tant de vigueur qu'il nous semble que le premier nous pousse vers le deuxième, que la femme que l'on aime plus, ce qu'elle constitue, et ce qui maintenant nous afflige et nous dégoûte, nous force à grands coups en direction du nouvel amour.

En arrivant à neuf heure à Nanterre ce matin et en trouvant les portes du bâtiments de Lettres bloquées par cinq révolutionnaires la rage démocratique au ventre, fumant cigarettes et buvant café au bout des lèvres, il s'est dit, au moins je suis fixé, c'est pas aujourd'hui que je vais rencontrer l'amour, le grand. Lui aussi avait la rage au ventre, en les voyant de loin il a commencé à s'insurger. Deux filles qui marchaient au devant de lui furent les victimes de son pathétique courroux, il monta sur ses grands chevaux, les interpella d'un « bonjour vous bloquez ou pas ? » et leur dit « moi, je vais déplacer les poubelles ». Cette phrase était pour lui d'un sens si profond qu'il ne remarqua même pas qu'elle pût être interprétée d'une autre manière que sur le postulat d'un geste au service de la communauté étudiante. Les deux filles le regardèrent un instant, le regarde plein d'incompréhension mêlée à beaucoup de compassion. Et c'est mieux ainsi parce que finalement il s'est totalement dégonflé. Arrivé devant les bloqueurs, il s'est laissé embrouiller par leur discours sur le droit d'expression et que si il avait envie de protester il fallait qu'il aille à l'Assemblée Générale à 11h. D'un coup il s'est sentis, un, tout petit, deux, engagé dans une réunion bordélique d'étudiants ou l'expression de la liberté démocratique ressemble vaguement à un concert de Korn.




13h05, Lundi 24 octobre, Nanterre université


L'assemblée Générale pour la reconduction du blocus fût comme il l'avait prévu un capharnaüm sans nom. Une trentaine d'intervenants, tous plus ou moins illettrés se succédèrent pour parler avec redondance de l'importance du rassemblement et de la nécessité de continuer la lutte. Ils mélangeaient tout, certains en profitaient pour dénoncer le racisme et l'exclusion de minorités pratiqué par le gouvernement, quand d'autres établissaient des liens que leur franc parlé tenait à faire passer pour ténus entre la numérisation des ouvrages de la bibliothèque universitaire et la déstructuration totale du système démocratique français. Bref, c'était le bordel.

Achille observe et écoute avec intérêt et excitation, c'est une première pour lui. Assis dans les derniers rangs, les pieds sur un banc et assis sur un plan de travail il peut voir toute la masse étudiante agglutinée devant lui. Certains s'engueulent, d'autres se menacent quand un groupe un peu plus loin rit d'une blague ou de la situation. Des intervenants gueulent dans le micro des slogans révolutionnaires, se satisfont de l'ampleur du mouvement et le compare volontiers à Mai 68. Un garçon rejoint ses amis assis au milieu de l'amphithéâtre en marchant avec un naturel certain sur les tables (peut-être une aisance acquise après plusieurs assemblées générales se dit-il). À côté de lui, une fille avec un bonnet bordeaux et des bas en dentelle vert foncé est entrain de rouler un joint. Il ne juge pas, au contraire, il apprend l'expression de la liberté démocratique et espère en même temps qu'il pourra un peu tirer dessus. Après plusieurs années de pratiques auprès de sa mère officiellement catholique mais officieusement juive, Achille a appris que malgré les conseils attentionnés des parents, il faut pour apprendre de la vie, y goûter aussi soi-même. Le joint roulé, elle sort un paquet de cigarettes et le glisse dedans. Sa mère aussi fait ça, le tanne et le questionne sur sa consommation potentielle de drogue, quand une fois dans sa chambre, elle s'en allume un. Il l'a surprise à plusieurs reprises. C'est une mère nom de dieu, elle le protège, toutes les mères fument de l'encens, tous les pères boivent du vin parce que c'est le sang du christ et goûtent un pouce de whisky parce que c'est un spiritueux. L'enfant est alors élevé dans un cadre sain et sécurisé, bercé par des saveurs indiennes, des pensées spirituelles et des conseils nutritionnels !

À l'habitude, Achille était plutôt enthousiaste de voir que s'organisait, ironie, l'anarchie autour de lui, mais cette fois il prit peur. Beaucoup des étudiants debout et nécessairement gueulant les bras en l'air sur les bancs de l'amphithéâtre adhéraient aux conneries déblatérées par ce groupuscule de déjantés en quête d'une famille. Et ça, ça le faisait flipper. Personne n'aborda véritablement et sérieusement le fond du sujet: pourquoi faut-il arrêter la commercialisation de la pilule de survie distribuée depuis déjà six mois ? Personne ne proposa de solutions, encore moins prirent la peine de soulever les conséquences au long-terme voir au moyen terme de ce médicament miracle mais pernicieux. Après deux heures de faux débat puisque seul les protagonistes se prononcèrent, les autres sachant le sort qui leur serait réservé à la sortie en cas d'intervention, fût votée à la majorité la remise en circulation de la pilule miracle sous le dictat de jeunes mais grands orateurs et reportée le blocus de l'université jusque là.

L'invention de ce médicament devant être pris avant l'anniversaire des vingt ans et permettant une production auto-entretenue de cellules souches par le corps assurant l'arrêt complet et parfait du vieillissement, était apparue pendant la crise des retraites comme une bénédiction. Alors qu'à ce moment les étudiants se révoltaient contre le caractère anti-démocratique de cette réforme abhorrée par soixante dix pour cent de la population française, leurs velléités universalistes de protection de la liberté d'expression et des acquis sociaux éclatèrent brusquement lorsque le groupe pharmaceutique Eureka annonça que la pilule miracle était enfin opérationnelle et prête à être mise en vente. Pour les moins de vingt ans, le problème des retraites était résolu, ayant l'éternité tout entière devant eux, l'idée même de l'âge s'effaçait. Pour ceux qui avaient passé l'âge limite de prise de la pilule, l'injustice de la réforme devînt aussi secondaire que la lutte pour la suppression de la niche fiscale des chevaux (exonération d'impôt pendant trois ans à l'achat de deux chevaux) et sur elle prit le pas de l'injustice devant la vie. Dorénavant, le paysage se dessinerait et se diviserait en deux parties bien distinctes, les immortels et les condamnés à mort.
lamainmorte
lamainmorte

Nombre de messages : 72
Age : 35
Localisation : au paradis, et mes pêchés sont à Venir.
Date d'inscription : 08/12/2009

Revenir en haut Aller en bas

Manon est une révolution Empty Re: Manon est une révolution

Message  Procuste Lun 25 Oct 2010 - 19:11

Bonne idée ! J'attends la suite, j'aime bien. Une chose que je ne comprends pas : pourquoi Achille se dit-il "Tiens, je ne rencontrerai pas l'amour aujourd'hui" en arrivant à la fac bloquée ? J'avais compris qu'il était satisfait en amour...

Quelques erreurs de langue et de typographie, que je vous précises ci-dessous :
« ses synapses de couper les connexions (« connections », c’est de l’anglais) »
« Elle la remet à dans cinq minutes. Elle retentit une deuxième fois » : je trouve gênant que, sur deux phrases de suite, le pronom « Elle » corresponde à deux entités différentes
« comme si seulement quelques secondes étaient passées »
« Une pièce rassemble un canapé-lit (trait d’union, je crois bien) »
« se cale la tête entre deux coussins, fait passer la couette au dessus de son visage (je pense qu’une virgule ici serait intéressante) grogne pour la énième fois ce matin »
« sans toucher les parois, remonte dans sa tête,... » : pourquoi cette virgule avant les points de suspension ?
« elle regarde trop haut, blottie sous un rocher »
« La Seine irrigue notre plafond »
« Seule image des lumières »
« quarante ans que Nanterre est soumis à des blocus »
« La grande famille succèdera d'elle-même (trait d’union) à la petite famille »
« Ce dont il ne doute pas encore est que ce choix se fait en conscience partielle et en volonté totale » : est-ce qu’il n’en doute pas, auquel cas il en est sûr, ou est-ce qu’il ne s’en doute pas, c'est-à-dire qu’il n’en est pas conscient ? J’ai l’impression que c’est ce que vous avez voulu dire (la deuxième solution)
« En arrivant à neuf heures à Nanterre ce matin »
« les portes du bâtiment (et non « bâtiments ») de Lettres bloquées »
« Les deux filles le regardèrent un instant, le regard (et non « regarde ») plein d'incompréhension »
« D'un coup il s'est senti (et non « sentis »), un, tout petit »
« une réunion bordélique d'étudiants où l'expression de la liberté »
« L'assemblée Générale pour la reconduction du blocus fut (et non « fût » qui est la forme du subjonctif imparfait) comme il l'avait prévu »
« que leur franc-parler tenait à faire passer pour ténus »
« Des intervenants gueulent dans le micro des slogans révolutionnaires, se satisfont de l'ampleur du mouvement et le comparent volontiers à Mai 68 »
« sérieusement le fond du sujet: » : les conventions typographiques françaises veulent une espace avant les deux points
« les conséquences au (on dit plutôt « sur le ») long terme (pas de trait d’union) voire au (sur le) moyen terme »
« puisque seuls les protagonistes se prononcèrent »
« fut (et non « fût » qui est la forme du subjonctif imparfait) votée à la majorité la remise en circulation »
« le blocus de l'université jusque-(trait d’union) »
« L'invention de ce médicament devant être pris avant l'anniversaire des vingt ans et permettant une production auto-entretenue de cellules souches par le corps assurant l'arrêt complet et parfait du vieillissement » : je trouve que ce bout de phrase abuse des participes présents
« cette réforme abhorrée par soixante-dix (trait d’union) pour cent de la population française »
« l'injustice de la réforme devint (et non « devînt » qui est la forme du subjonctif imparfait) aussi secondaire que la lutte pour la suppression »
Procuste
Procuste

Nombre de messages : 482
Age : 62
Localisation : œ Œ ç Ç à À é É è È æ Æ ù Ù â  ê Ê î Î ô Ô û Û ä Ä ë Ë ï Ï ö Ö ü Ü – —
Date d'inscription : 16/10/2010

Revenir en haut Aller en bas

Manon est une révolution Empty Re: Manon est une révolution

Message  elea Lun 25 Oct 2010 - 20:23

Très chouette ! j'en reprendrais bien une petite tranche, d'autant que la fin en forme de bascule donne envie d'une suite, c'est malin !
Beaucoup aimé aussi le début qui prend le temps sans être long, l'écriture rythmée et le ton/personnage désabusé.

elea

Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010

Revenir en haut Aller en bas

Manon est une révolution Empty Re: Manon est une révolution

Message  Invité Mar 26 Oct 2010 - 10:39

J'aime bien comment le texte évolue : du quotidien banal du début à la provocation de la fin. L'écriture me plaît aussi, dans l'ensemble concise, claire sans être neutre ou ennuyeuse.

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Manon est une révolution Empty Fautes corrigées (par procuste) et essai de suite

Message  lamainmorte Jeu 28 Oct 2010 - 9:29

Manon est une révolution



7h30, Lundi 25 octobre 2010, 243 Rue Saint-Denis, Paris



Achille s'endort toujours après sa copine. Elle a ce don qu'il n'a pas, de presque pouvoir télécommander son sommeil, de demander à son cerveau de s'éteindre, ses synapses de couper les connexions et son corps de se laisser tomber dans les courbes que forment la couette épaisse, les draps du lit et le corps de son amoureux. Aussi, le matin c'est à elle que revient la tâche de réveiller l'autre. C'est toujours le rôle de quelqu'un. Le réveil sonne, une fois. Elle laisse la sonnerie la sortir de sa torpeur. Il grogne. Elle la remet à dans cinq minutes. Le réveil retentit une deuxième fois comme si seulement quelques secondes étaient passées. Elle se lève. Il la retient. Elle le repousse. Tout comme la sonnerie, une deuxième fois, il grogne.


Manon, originaire de Biarritz est montée sur Paris pour faire ses études et loue un studio d'une vingtaine de mètres carrés près de la station de métro Strasbourg Saint-Denis. Une pièce rassemble un canapé-lit, un bureau, une table pour manger et un plan seul constitue la kitchenette. Un petit couloir mène à une petite salle de bain avec baignoire. Sachant qu'elle s'apprête à allumer la lumière du bureau, Achille glisse au milieu du lit et se cale la tête entre deux coussins, fait passer la couette au dessus de son visage, grogne pour la énième fois ce matin et retombe dans une torpeur brûlante. Il entend l'eau de la salle de bain couler à l'instar d'un lointain torrent, les bruits des produits de beauté qu'elle prend et repose, presque le pchitt du parfum qu'elle applique sur ses petits poignets et son cou de reine africaine, long, très long. Il a les yeux fermés, les idées endormies et sent l'odeur qui lentement l'enivre, glisse à l'intérieur de ses narines sans toucher les parois, remonte dans sa tête ... Elle est là, assise à ses côtés et déjà habillée, légèrement maquillée, venue lui dire qu'il faut se lever pour ne pas être en retard. Cette situation l'amène à se poser toujours la même question, suis-je une loque, suis-je destiné à ne rien faire de ma vie si je ne me lève pas ? Et si j'en trouve le courage, est-ce la preuve que mon destin est plein de grandes promesses ? Achille est plein de rationalité, vide de croyance, et pourtant ses matins baignent dans la superstition.


Manon est mauvaise poète à ses heures. Elle est petite, elle est folle, petite et folle, sous un rocher trop lourd, elle regarde trop haut, blottie sous un rocher, ses idées sont mornes et écrasées :


« Glissant avec fièvre sur le rebord,
Des fenêtres comme des rails,
Ce sont ses minces perles d’or
Jouant des tricots de maille.
Et les regards, plus verts,
Et la chanson, plus lente,
Sous les soleils des soirs d’hiver
Que le métro courbe, enfante.
Les voix s’unissent à Odéon,
Pour se défaire a Alésia,
La Seine irrigue notre plafond,
Les artères lactescentes, ici et la.
Tous unis ainsi sous terre
Inconnu pour chacun
Seule image des lumières,
Un sourire qui annonce la fin.
Les portes posent les regards,
Et offrent un marchand de romance.
Accordéon des journaux hagards,
Sur les Unes les journées commencent »


9h10, Lundi 25 octobre 2010, Nanterre université

Quarante ans que Nanterre existe, quarante ans que Nanterre est soumis à des blocus d'étudiants en colère barricadant l'entrée des bâtiments avec des barrières et des poubelles. Les poubelles de Nanterre mènent une double vie, servent deux fois la société, nettoient les allées et sont un outil de l'expression de la liberté démocratique. Achille aussi est à double fonction, il est en double cursus à Nanterre, il suit une troisième année de Licence d'Économie et une première année de Lettres Modernes. On pourrait croire à un paradoxe entre les libertaires et les libéraux, mais il ne fait partie ni des uns, ni des autres. Disons qu'il ne parvient pas encore à rassembler assez de lui-même éparpillé dans son entourage pour se fixer quelque part à quelque chose. Pour l'instant, sa famille se résume à sa mère, son meilleur ami, Manon, les parents de Manon et depuis seulement quelque mois à un vieil homme à la fois aigri et sage à ses heures.

Pour les grandes velléités, se dit-il, pas d'empressement, on verra plus tard. La grande famille succèdera d'elle-même à la petite famille, elle l'absorbera, ou pas, alors il devra choisir entre les grands idéaux et les petits attachements. Ce sera difficile se dit-il. Ce qu'il n'est pas encore en capable de concevoir est que ce choix se fait en conscience partielle et en volonté totale. On fuit un clan pour rejoindre l'autre avec tant de vigueur qu'il nous semble que le premier nous pousse vers le deuxième, que la femme que l'on aime plus, ce qu'elle constitue, et ce qui maintenant nous afflige et nous dégoûte, nous force à grands coups en direction du nouvel amour.

En arrivant à neuf heures ce matin à Nanterre et en trouvant les portes du bâtiment de Lettres bloquées par cinq révolutionnaires la rage démocratique au ventre, fumant cigarettes et buvant café au bout des lèvres, il s'est dit, au moins je suis fixé, c'est pas aujourd'hui que ma famille va se faire absorber par cette bande d'idéalistes sans idéaux. Aucun risque, face à ces suicidaires, je suis en béton. Lui aussi avait la rage au ventre, en les voyant de loin il a commencé à s'insurger. Deux filles qui marchaient au devant de lui furent les victimes de son pathétique courroux, il monta sur ses grands chevaux, les interpella d'un « bonjour vous bloquez ou pas ? » et leur dit « moi, je vais déplacer les poubelles ». Cette phrase était pour lui d'un sens si profond qu'il ne remarqua même pas qu'elle pût être interprétée d'une autre manière que sur le postulat d'un geste au service de la communauté étudiante. Les deux filles le regardèrent un instant, plein d'incompréhension mêlée à beaucoup de compassion. Et c'est mieux ainsi parce que finalement il s'est totalement dégonflé. Arrivé devant les bloqueurs, il s'est laissé embrouiller par leur discours sur le droit d'expression et que si il avait envie de protester il fallait qu'il aille à l'Assemblée Générale à 11h. D'un coup il s'est senti, un, tout petit, deux, engagé dans une réunion bordélique d'étudiants où l'expression de la liberté démocratique ressemble vaguement à un concert de Korn.




13h05, Lundi 25 octobre 2010, Nanterre université


L'assemblée Générale pour la reconduction du blocus fut comme il l'avait prévu un capharnaüm sans nom. Une trentaine d'intervenants, tous plus ou moins illettrés se succédèrent pour parler avec redondance de l'importance du rassemblement et de la nécessité de continuer la lutte. Ils mélangeaient tout, certains en profitaient pour dénoncer le racisme et l'exclusion de minorités pratiqué par le gouvernement, quand d'autres établissaient des liens que leur franc-parler tenait à faire passer pour ténus entre la numérisation des ouvrages de la bibliothèque universitaire et la déstructuration totale du système démocratique français. Bref, c'était le bordel.

Achille observe et écoute avec intérêt et excitation, c'est une première pour lui. Assis dans les derniers rangs, les pieds sur un banc et assis sur un plan de travail il peut voir toute la masse étudiante agglutinée devant lui. Certains s'engueulent, d'autres se menacent quand un groupe un peu plus loin rit d'une blague ou de la situation. Des intervenants gueulent dans le micro des slogans révolutionnaires, se satisfont de l'ampleur du mouvement et le comparent volontiers à Mai 68. Un garçon rejoint ses amis assis au milieu de l'amphithéâtre en marchant avec un naturel certain sur les tables (peut-être une aisance acquise après plusieurs assemblées générales se dit-il). À côté de lui, une fille avec un bonnet bordeaux et des bas en dentelle vert foncé est entrain de rouler un joint. Il ne juge pas, au contraire, il apprend l'expression de la liberté démocratique et espère en même temps qu'il pourra un peu tirer dessus. Après plusieurs années de pratiques auprès de sa mère officiellement catholique mais officieusement juive, Achille a appris que malgré les conseils attentionnés des parents, il faut pour apprendre de la vie, y goûter aussi soi-même. Le joint roulé, elle sort un paquet de cigarettes et le glisse dedans. Sa mère aussi fait ça, le tanne et le questionne sur sa consommation potentielle de drogue, quand une fois dans sa chambre, elle s'en allume un. Il l'a surprise à plusieurs reprises. C'est une mère nom de dieu, elle le protège, toutes les mères fument de l'encens, tous les pères boivent du vin parce que c'est le sang du christ et goûtent un pouce de whisky parce que c'est un spiritueux. L'enfant est alors élevé dans un cadre sain et sécurisé, bercé par des saveurs indiennes, des pensées spirituelles et des conseils nutritionnels !

À l'habitude, Achille était plutôt enthousiaste de voir que s'organisait, ironie, l'anarchie autour de lui, mais cette fois il prit peur. Beaucoup des étudiants debout et nécessairement gueulant les bras en l'air sur les bancs de l'amphithéâtre adhéraient aux conneries déblatérées par ce groupuscule de déjantés en quête d'une famille. Et ça, ça le faisait flipper. Personne n'aborda véritablement et sérieusement le fond du sujet : pourquoi faut-il arrêter la commercialisation de la pilule de survie distribuée depuis déjà six mois ? Personne ne proposa de solutions, encore moins prirent la peine de soulever les conséquences sur le long terme voire sur le moyen terme de ce médicament miracle mais pernicieux. Après deux heures de faux débat puisque seuls les protagonistes se prononcèrent, les autres sachant le sort qui leur serait réservé à la sortie en cas d'intervention, fut votée à la majorité la remise en circulation de la pilule miracle sous le dictat de jeunes mais grands orateurs et reportée le blocus de l'université jusque-là.

Ce médicament devant être pris avant l'anniversaire des vingt ans permet une production auto-entretenue de cellules souches par le corps et assure l'arrêt complet et parfait du vieillissement. Elle est apparue comme une bénédiction pendant la crise de la réforme des retraites. Alors qu'à ce moment là les étudiants se révoltaient contre le caractère anti-démocratique de cette réforme abhorrée par soixante-dix pour cent de la population française, leurs velléités universalistes de protection de la liberté d'expression et des acquis sociaux éclatèrent brusquement lorsque le groupe pharmaceutique Eureka annonça que la pilule miracle était enfin opérationnelle et prête à être mise en vente. Pour les moins de vingt ans, le problème des retraites était résolu, ayant l'éternité tout entière devant eux, l'idée même de l'âge s'effaçait. Pour ceux qui avaient passé l'âge limite de prise de la pilule, l'injustice de la réforme devint aussi secondaire que la lutte pour la suppression de la niche fiscale des chevaux (exonération d'impôt pendant trois ans à l'achat de deux chevaux) et sur elle prit le pas de l'injustice devant la vie. Dorénavant, le paysage se dessinerait et se diviserait en deux parties bien distinctes, les immortels et les condamnés à mort.


13h10, Samedi 13 Janvier 2010, Paris, 13 Rue de la Santé

La météo de la veille ne s'était pas trompée, lorsqu'Achille se réveilla ce matin là avec une gueule de bois formidable et la vague impression d'avoir fait de sa bouche un tombeau nuptial pour un fennec en putréfaction, son balcon, et tous les toits à l'horizon étaient recouverts de neige. Il habite dans l'appartement de Danielle, une amie de sa mère qui lui loue à un loyer dérisoire, six cent euros par moi pour quatre-vingt dix mètres carrés au 7 ème étage avec ascenseur, vue transversale gauche sur la tour Eiffel, vue frontale sur le Panthéon au premier plan et sur la Bute Montmartre à l'horizon. Le balcon fait le tour de cette maisonnette, dite « La Maison Verte », perchée sur le toit d'un immeuble début XX ème. Chance. Il descend de la mezzanine en caleçon et enfile un gros pull en laine noire à col roulé puis se dirige vers la cuisine. Le soleil de midi tombe perpendiculairement sur la toiture en verre. Semblable à une pluie tropicale, chaque rayon explose, se reflète sur les murs blanc, le frigidaire, dans l'évier, et le réchauffe. Il fait couler de l'eau dans une casserole en aluminium et la pause sur le feu.

Le père d'Achille arrivera précisément à 14h00. Comme il le dit si bien « la ponctualité est la politesse des rois ». Il n'a jamais vraiment compris à quels rois son père voulait-il se référer ni même à quel principe royal en disant cela, mais il a toujours acquiescé pour ne pas le vexer. Et puis si son père voulait se prendre pour un roi, libre à lui de le faire, ce n'est pas Achille qui irait lui couper la tête, aussi légère soit-elle, elle risquerait de s'envoler comme un ballon gonflé à l'hélium. Achille pensa immédiatement à une peinture originale : son père devant lui en costume de flanelle gris, chemise blanche, ceinture et Weston noirs avec une bulle au dessus de lui disant « la ponctualité est la politesse des rois », et lui une épée ensanglantée à la main, quelques gouttes que l'on verrait tomber dessinées à mi chemin entre la pointe de l'arme et le sol, puis la touche finale, la tête de son père à l'envers déjà trop loin dans les airs pour que l'on puisse distinguer sa grimace. Les fils sont en général plutôt fiers de leur père, que ceux-là soient des individus exceptionnels ou d'une banalité affligeante. Achille, sans le haïr, ne lui porte aucune considération. C'est son père, et puis c'est tout. Il ne se sent ni l'envie ni l'obligation de l'adorer, il le respecte et ne le tue seulement dans ses idées et encore pour plaisanter. Il aurait beaucoup de choses à lui reprocher, notamment son comportement vis à vis de sa mère alors qu'ils n'étaient pas encore divorcés, ou vis à vis de lui lorsqu'il était plus jeune. Il a maintenant vingt ans et il n'est pas rancunier. Il dessine sa propre vie, se bouge, aide ses amis dans la mesure du possible et se laisse critiquer et supporter par ceux-là quand il en a le besoin. Sa mère subvient largement à ses besoins et à ses loisirs. Sans conduire un bolide ostentatoire à vingt ans, il reçoit suffisamment d'argent de poche pour faire le plein d'essence de son scooter une fois par semaine, aller au cinéma et au restaurant avec ses amis, acheter des dvd et payer son abonnement internet pour pirater de la musique, s'acheter des fringues, faire des cadeaux à sa copine, partir en week-end. Il n'a jamais travaillé pour gagner de l'argent et ne se le reproche pas. En échange de se privilège il s'oblige à devenir quelqu'un.

L'eau a commencé à bouillir, il enlève la casserole du feu et la vide dans un récipient pour la mélanger au café moulu, il attend quelques minutes. Ses enceintes envoient Little Bug de Nôze, ils chantonne. Il appuie sur le filtre, et se sert en café dans un mug ramené par une copine de Madrid, il y a un bâtiment apparemment connu imprimé dessus. Il se dit, c'est la pire chose que l'on puisse faire à un mug, rien de plus blessant pour un monument d'être collé sur un machin qui sert à boire du café. Et toutes ces lèvres qui se sont posées sur la choucroute phénoménale de la Reine d'Angleterre. Il sourit.

Maintenant sur le balcon il prend la chaise rouge adossée au mur, la déplie, s'y assied et pause les pieds sur la rambarde en fer forgée. Il se balance, le café chaud coule en légers filets sur les bords et lui glisse sur les doigts. Il bloque la tasse entre ses jambes, lèche de grands coups de langues les taches de café, la tasse tombe au sol, la poignée se casse, et poursuit sa course en roulant. L'immeuble a une court intérieure, à l'étage d'en dessous des voisins déjeunent en famille.

- Bonjour Achille, on se réveille !
- Merde. Euh, oui bonjour madame, j'ai mon père qui vient me chercher dans peu de temps ! Salut Stéph !
- Salut.

Le père et la mère se tournent vers Stéphanie et lui lancent un regard entre l'interrogation et le reproche.

- Bon, bein j'y vais moi faut que je me prenne ma douche là ! Bonne ap !
- Viens dîner à la maison dimanche si tu veux !
- Je vous dis ça, merci en tout cas !
lamainmorte
lamainmorte

Nombre de messages : 72
Age : 35
Localisation : au paradis, et mes pêchés sont à Venir.
Date d'inscription : 08/12/2009

Revenir en haut Aller en bas

Manon est une révolution Empty Re: Manon est une révolution

Message  Procuste Jeu 28 Oct 2010 - 9:52

J'ai lu la partie que je n'avais pas encore lue, et je dois vous dire que je la trouve moins intéressante que le début, à part le fantasme d'Achille sur son père. Le caractère du garçon est envoyé comme ça au lecteur, boum, sans qu'il puisse le découvrir au fur et à mesure des interactions du personnage avec le monde extérieur... Et la description de son rituel du matin, léchage du café qui s'est fait la malle, etc., franchement, la lectrice que je suis s'en fiche.

Mes remarques :
« lorsqu'Achille se réveilla ce matin-(trait d’union) »
« quatre-vingt-dix (deuxième trait d’union) mètres carrés »
« sur la Butte Montmartre à l'horizon »
« se reflète sur les murs blancs »
« Il fait couler de l'eau dans une casserole en aluminium et la pose sur le feu »
« Il n'a jamais vraiment compris à quels rois son père voulait (et non « voulait-il » ; la question étant posée en style indirect, l’inversion sujet verbe disparaît. « Où sont passées mes chaussettes ? » vs. Dugland se demande où sont passées ses chaussettes) se référer »
« dessinées à mi-chemin (trait d’union) entre la pointe de l'arme »
« et ne le tue seulement dans ses idées » : « et le tue seulement », ou « et ne le tue que »
« En échange de ce privilège »
« Ses enceintes envoient Little Bug de Nôze, il (et non « ils ») chantonne »
« s'y assied et pose les pieds »
« L'immeuble a une cour (et non « court ») intérieure »
- Bonjour Achille, on se réveille !
- Merde.
- Salut.
- Bon, ben (et non « bein ») j'y vais moi faut que je me prenne ma douche là ! Bonne ap !
- Viens dîner à la maison dimanche si tu veux !
- Je vous dis ça, merci en tout cas !
(typographie, le trait d’union « - » ne suffit pas à introduire une réplique de dialogue, il faut prévoir le tiret demi cadratin « – » ou le format au-dessus, « — »)
Procuste
Procuste

Nombre de messages : 482
Age : 62
Localisation : œ Œ ç Ç à À é É è È æ Æ ù Ù â  ê Ê î Î ô Ô û Û ä Ä ë Ë ï Ï ö Ö ü Ü – —
Date d'inscription : 16/10/2010

Revenir en haut Aller en bas

Manon est une révolution Empty Re: Manon est une révolution

Message  Sahkti Mer 3 Nov 2010 - 10:26

Une écriture fluide et un récit qui se tient bien, avec une progression lente mais efficace. Attention toutefois dans la dernière partie que ça s'accélère par moments et que ça s'essouffle aussi sous certains détails; cela crée un déséquilibre.
J'ai apprécié l'histoire et le traitement lui appliqué, c'est narré de l'extérieur tout en conservant une bonne proximité au sujet, ça fonctionne pas mal du tout.
Sahkti
Sahkti

Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005

Revenir en haut Aller en bas

Manon est une révolution Empty Re: Manon est une révolution

Message  Contenu sponsorisé


Contenu sponsorisé


Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut


 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum