Exo cinéma : Rien compris
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Exo cinéma : Rien compris
Le choc des tasses ramenées vivement sur les tables découpe l’odeur d’œuf dur et de croissants chauds.
Dans trente minutes j’embarque à bord du 6114, direction Marseille puis Nice entre Ariane et Negresco, mes patrouilles dans l’arrière pays, mes siestes sur les chaises en fer, terre plein de la gare Provence, les joints sur Coco Beach à emmerder les gays qui ne comprennent pas que Nice est tranquille à partir du vieux port, notre dame du perpétuel secours…
Le train bleu s’agite à l’annonce du rêve de voyage.
Derrière ses vitres tendues et son brouhaha matinal, il s’imagine TGV, traçant entre deux rails un mouvement efficace, empilant vallons, bâtisses, églises et pâturages au gré de ses humeurs.
Et la brasserie ne bouge pas.
Tout juste arrive-t-elle chaque matin à donner le change. Elle secoue son bronze dix-neuvième, peigne ses rideaux. Alors elle se venge bourgeoisement et kidnappe les songes de ses hôtes, ceux d’ici et d’ailleurs, en transit ou à la dérive.
J’occupe la seize, très étroite, une serveuse effarante me tend un chocolat que je n’ai pas commandé.
Je suis troublé.
Elle m’explique que l’homme à la six cent soixante six, queue de cheval, cheveux noirs plaqués, m’invite à l’accepter, sourire courtois, appuyé d’un léger mouvement de tête.
Elle est sulfureuse.
Je la congédie par une formule de circonstance, remerciant son professionnalisme et les ancêtres qui ont su lui donner ce corps. Elle dévoile des crocs de panthère.
Durant ce court laps de temps, le bonhomme ne m’a pas quitté des yeux, il dévore chaque mimique, chaque murmure de mon âme. Il semble se délecter.
Je lui dédie la première gorgée dans un haussement de sourcils.
Rassuré par cette amorce de connivence, il se lève, s’époussette et se dirige vers moi.
Peut-être les chaises s’écartent-elles, ou la correction de mes lunettes n’est-elle plus adaptée. Ses yeux sombres ne décrochent pas des miens, le décor se dilate. Son corps colle impeccablement au costume noir. Sa chemise d’un blanc virginal souligne la droite qui part de son cou, prolongeant la simplicité de ses traits en une cravate tapis d’ombres :
« Puis-je ?
-Vous puijez. »
Il s’assoit.
Je n’avais pas remarqué l’œuf dans sa main. Le pli accentué de ses commissures semble dire que nous nous connaissons. Il commence à tapoter l’œuf sur le plat de la table, le faisant rouler quelques fois. Je reste muet, avale la dernière larme chocolatée, il continue de sourire.
Une fois l’œuf dénudé, il l’observe par alternance :
« Mr Ange Salami…
-On se connait ?
-Savez-vous, Mr Salami, que l’œuf symbolise l’âme dans certaines cultures? »
Il fait alors disparaitre le sommet de l’œuf et mord délicatement sa texture gélifiée. Il mâche longuement, son regard toujours planté dans le mien, il déglutit.
Ses yeux s’écarquillent, le gout de l’amalgame peut-être, il marmonne quelque chose d’incompréhensible :
« Zut… ça m’arrive de temps à autres, tous les cent ans, honnêtement… »
L’expression l’amuse.
« … ce n’est pas vous, vous n’avez rien à vendre, un bail emphytéotique au plus, mille excuses cher ami, à charge de revanche.
-Je pars à Nice dans un quart d’heure mais je peux vous dépanner, vous venez de perdre un proche ? »
Il rabat ses paupières, soupire une bouffée odeur massacre, je suis maintenant persuadé de l’avoir déjà vu en chauffeur de taxi :
« Vous êtes mannequin, magicien? J’y suis… c’est pour Youtube!
-Si l’envie vous prend un jour d’avoir du talent. »
Il glisse sa carte Abel Zébuth antiquaire et s’éloigne suivi de la serveuse.
Il est 9h47 à l’horloge, devant moi la tasse de chocolat a disparu.
… c’était un magicien.
Dans trente minutes j’embarque à bord du 6114, direction Marseille puis Nice entre Ariane et Negresco, mes patrouilles dans l’arrière pays, mes siestes sur les chaises en fer, terre plein de la gare Provence, les joints sur Coco Beach à emmerder les gays qui ne comprennent pas que Nice est tranquille à partir du vieux port, notre dame du perpétuel secours…
Le train bleu s’agite à l’annonce du rêve de voyage.
Derrière ses vitres tendues et son brouhaha matinal, il s’imagine TGV, traçant entre deux rails un mouvement efficace, empilant vallons, bâtisses, églises et pâturages au gré de ses humeurs.
Et la brasserie ne bouge pas.
Tout juste arrive-t-elle chaque matin à donner le change. Elle secoue son bronze dix-neuvième, peigne ses rideaux. Alors elle se venge bourgeoisement et kidnappe les songes de ses hôtes, ceux d’ici et d’ailleurs, en transit ou à la dérive.
J’occupe la seize, très étroite, une serveuse effarante me tend un chocolat que je n’ai pas commandé.
Je suis troublé.
Elle m’explique que l’homme à la six cent soixante six, queue de cheval, cheveux noirs plaqués, m’invite à l’accepter, sourire courtois, appuyé d’un léger mouvement de tête.
Elle est sulfureuse.
Je la congédie par une formule de circonstance, remerciant son professionnalisme et les ancêtres qui ont su lui donner ce corps. Elle dévoile des crocs de panthère.
Durant ce court laps de temps, le bonhomme ne m’a pas quitté des yeux, il dévore chaque mimique, chaque murmure de mon âme. Il semble se délecter.
Je lui dédie la première gorgée dans un haussement de sourcils.
Rassuré par cette amorce de connivence, il se lève, s’époussette et se dirige vers moi.
Peut-être les chaises s’écartent-elles, ou la correction de mes lunettes n’est-elle plus adaptée. Ses yeux sombres ne décrochent pas des miens, le décor se dilate. Son corps colle impeccablement au costume noir. Sa chemise d’un blanc virginal souligne la droite qui part de son cou, prolongeant la simplicité de ses traits en une cravate tapis d’ombres :
« Puis-je ?
-Vous puijez. »
Il s’assoit.
Je n’avais pas remarqué l’œuf dans sa main. Le pli accentué de ses commissures semble dire que nous nous connaissons. Il commence à tapoter l’œuf sur le plat de la table, le faisant rouler quelques fois. Je reste muet, avale la dernière larme chocolatée, il continue de sourire.
Une fois l’œuf dénudé, il l’observe par alternance :
« Mr Ange Salami…
-On se connait ?
-Savez-vous, Mr Salami, que l’œuf symbolise l’âme dans certaines cultures? »
Il fait alors disparaitre le sommet de l’œuf et mord délicatement sa texture gélifiée. Il mâche longuement, son regard toujours planté dans le mien, il déglutit.
Ses yeux s’écarquillent, le gout de l’amalgame peut-être, il marmonne quelque chose d’incompréhensible :
« Zut… ça m’arrive de temps à autres, tous les cent ans, honnêtement… »
L’expression l’amuse.
« … ce n’est pas vous, vous n’avez rien à vendre, un bail emphytéotique au plus, mille excuses cher ami, à charge de revanche.
-Je pars à Nice dans un quart d’heure mais je peux vous dépanner, vous venez de perdre un proche ? »
Il rabat ses paupières, soupire une bouffée odeur massacre, je suis maintenant persuadé de l’avoir déjà vu en chauffeur de taxi :
« Vous êtes mannequin, magicien? J’y suis… c’est pour Youtube!
-Si l’envie vous prend un jour d’avoir du talent. »
Il glisse sa carte Abel Zébuth antiquaire et s’éloigne suivi de la serveuse.
Il est 9h47 à l’horloge, devant moi la tasse de chocolat a disparu.
… c’était un magicien.
Krebs- Nombre de messages : 22
Age : 80
Date d'inscription : 12/11/2010
Re: Exo cinéma : Rien compris
Je me sens un peu comme le titre...
Bon, c’est facile, d’autant qu’en fait je comprends le texte, c’est juste que je n’ai pas dû voir le film auquel il se rapporte, je ne sais pas lequel c’est.
Je commente donc sans point de comparaison et sans attentes. Beaucoup aimé l’ambiance, étrange et prenante, le dialogue surréaliste et amusant et l’œuf, très visuel. Un chouette texte.
Bon, c’est facile, d’autant qu’en fait je comprends le texte, c’est juste que je n’ai pas dû voir le film auquel il se rapporte, je ne sais pas lequel c’est.
Je commente donc sans point de comparaison et sans attentes. Beaucoup aimé l’ambiance, étrange et prenante, le dialogue surréaliste et amusant et l’œuf, très visuel. Un chouette texte.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: Exo cinéma : Rien compris
C'est l'inconvénient de cet EXO cinéma. Quand on ne connaît pas du tout le film, il est difficile d'apprécier. Mais le texte est bon, c'est sûr.
Jano- Nombre de messages : 1000
Age : 55
Date d'inscription : 06/01/2009
Re: Exo cinéma : Rien compris
Zut ! Moi non plus je n'ai pas compris ! Et pourtant le texte semble intéressant !
Le mythe de l'oeuf, symbole de l'âme et ce jeu de mot, avec "Abel Zébuth" m'a fait penser à "Angel Heart" d'Alan Parker, avec De Niro et Mickey Rourke, mais dans le film, l'homme s'appelle "Louis Cifer" et l'ambiance est celle de la Louisiane dans les années 50-60. Donc, ce n'est pas ça. La beauté du diable, peut-être ?
Un très bon texte sinon. "Vous puijez" nous dire de quel film il s'agit, svp ? (utilisez le fil "discussions" si vous voulez)
Le mythe de l'oeuf, symbole de l'âme et ce jeu de mot, avec "Abel Zébuth" m'a fait penser à "Angel Heart" d'Alan Parker, avec De Niro et Mickey Rourke, mais dans le film, l'homme s'appelle "Louis Cifer" et l'ambiance est celle de la Louisiane dans les années 50-60. Donc, ce n'est pas ça. La beauté du diable, peut-être ?
Un très bon texte sinon. "Vous puijez" nous dire de quel film il s'agit, svp ? (utilisez le fil "discussions" si vous voulez)
Invité- Invité
Re: Exo cinéma : Rien compris
J'aime bien être victime d'incompréhension quand c'est présenté comme ça. J'y suis. Et surtout, film ou pas film, je le vois, j'entends :
Il s’assoit.
Je n’avais pas remarqué l’œuf dans sa main. Le pli accentué de ses commissures semble dire que nous nous connaissons. Il commence à tapoter l’œuf sur le plat de la table, le faisant rouler quelques fois. Je reste muet, avale la dernière larme chocolatée, il continue de sourire.
Une fois l’œuf dénudé, il l’observe par alternance :
« Mr Ange Salami…
-On se connait ?
-Savez-vous, Mr Salami, que l’œuf symbolise l’âme dans certaines cultures? »
Il fait alors disparaitre le sommet de l’œuf et mord délicatement sa texture gélifiée. Il mâche longuement, son regard toujours planté dans le mien, il déglutit.
Il s’assoit.
Je n’avais pas remarqué l’œuf dans sa main. Le pli accentué de ses commissures semble dire que nous nous connaissons. Il commence à tapoter l’œuf sur le plat de la table, le faisant rouler quelques fois. Je reste muet, avale la dernière larme chocolatée, il continue de sourire.
Une fois l’œuf dénudé, il l’observe par alternance :
« Mr Ange Salami…
-On se connait ?
-Savez-vous, Mr Salami, que l’œuf symbolise l’âme dans certaines cultures? »
Il fait alors disparaitre le sommet de l’œuf et mord délicatement sa texture gélifiée. Il mâche longuement, son regard toujours planté dans le mien, il déglutit.
Invité- Invité
Re: Exo cinéma : Rien compris
Je ne vois pas de quel film il s'agit... Mais du moment que j'ai aimé (beaucoup) et le ton et la forme, tant pis pour la "référence".
Très bon texte, visuel et... odorant (lol)
Très bon texte, visuel et... odorant (lol)
Reginelle- Nombre de messages : 1753
Age : 74
Localisation : au fil de l'eau
Date d'inscription : 07/03/2008
Re: Exo cinéma : Rien compris
Comme d'autres, je n'ai pas bien compris et ne sait pas vraiment de quel film s'inspire ce texte, mais comme d'autres encore, j'ai bien aimé, c'est subtilement écrit.
Joseph- Nombre de messages : 19
Age : 41
Date d'inscription : 15/11/2010
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