Je n'ai pourtant jamais trouvé ce que j'écris dans ce que j'aime
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Procuste
Calvin
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Je n'ai pourtant jamais trouvé ce que j'écris dans ce que j'aime
Je me souviens, j’avais seize ans, je me souviens. J’avais seize ans au léché flasque et à la peau molle, aux pores ouvertes pour accueillir des bateaux, sous ses embruns. Ma vie d’enfant faisait naufrage. Et déjà je n’aimais plus mon visage.
J’avais seize ans qui traînaient à terre comme le tronc d’un arbre trop curieux que le vent aurait penché. Et ma vie se déroulait sous mes pas. Je l’avais rencontrée, Anna, au bord d’un fleuve préconçu, un paysage où j’avais carthographié mes pensées, avec les bastions que font les syllabes. Je faisais des petits ponts avec mes phrases. Je me souviens, j’avais seize ans : et tant d’alcool sur ce rivage. Je n’aimais déjà plus mon visage. Ni sa peau blanche qui faisait masque.
Anna avait des mots durs qu’elle m’opposait au travers de la gorge, pour faire barrage aux cigarettes. Sous les potasses de tabac ma voix muait. J’avais seize ans, je les mâchait, et ses cheveux avec qui tombaient trop sec sur mon visage et je disais : Ravale un peu ta mèche à l’autre entrée Et recoiffe là au front des portes Que tourne tourne la poignée Avec des gants en peaux de nuits ...Et si la lune boit les mers ?... J’aurais les doigts secs et je gravirais avec mes seize ans sur le pont dont la chair a fait les marches. On va sur mes vertèbres et mes vieux rêves, nimbé d’ébène : je me souviens, j’avais seize ans Sur la plaie de ce naufrage Et je n’aimais déjà plus mon visage Ni la boue qui faisait corps.
La lune avait peigné ses cheveux roux et l’ancienne perruque délavée redonnait du blanc aux étoiles. Et sur les ponts de mes seize ans Quand Anna s’avançait Sans qu’un mot s’y suspendit Entre le fleuve aux lèvres et dit En équilibre sur la rive Avec les mots d’un incendie Jonché de sève des allumettes
Oh
«LOUIS ! »
tu sais nous n’avons plus le même âge
et je n’aime déjà plus ton visage
ni les mots que tu fais miens
et je dis
C’est vrai : au bout de mon corps il y a un monde et des tombes entre mes mains, où glissent les morts comme sur une mer ridée d’écume. Et sous la peau il y a une deuxième de verre dont les pas sèment des tessons ; j’y marche comme les fakirs sur la gravité : ils me tirent au sol… Tu les estompes
Comme la colombe
Qui prend son vol,
Je me souviens, j’avais seize ans, j’aimais porter le masque des tragédies. La bouche d’Anna m’emplit complètement, comme un pas que le Temps aurait fait pour moi. Sa rotation est inversée par les oiseaux : ils sont rivage au bord des mains. J’avais des petits ponts fais de phrases, j’enjambe chaque jour le lendemain. J’ai donc le double de mon âge J’avais seize ans sous les épines Ma vie d’enfant a fait naufrage Il y en a trente-deux Dans mon visage.
J’avais seize ans qui traînaient à terre comme le tronc d’un arbre trop curieux que le vent aurait penché. Et ma vie se déroulait sous mes pas. Je l’avais rencontrée, Anna, au bord d’un fleuve préconçu, un paysage où j’avais carthographié mes pensées, avec les bastions que font les syllabes. Je faisais des petits ponts avec mes phrases. Je me souviens, j’avais seize ans : et tant d’alcool sur ce rivage. Je n’aimais déjà plus mon visage. Ni sa peau blanche qui faisait masque.
Anna avait des mots durs qu’elle m’opposait au travers de la gorge, pour faire barrage aux cigarettes. Sous les potasses de tabac ma voix muait. J’avais seize ans, je les mâchait, et ses cheveux avec qui tombaient trop sec sur mon visage et je disais : Ravale un peu ta mèche à l’autre entrée Et recoiffe là au front des portes Que tourne tourne la poignée Avec des gants en peaux de nuits ...Et si la lune boit les mers ?... J’aurais les doigts secs et je gravirais avec mes seize ans sur le pont dont la chair a fait les marches. On va sur mes vertèbres et mes vieux rêves, nimbé d’ébène : je me souviens, j’avais seize ans Sur la plaie de ce naufrage Et je n’aimais déjà plus mon visage Ni la boue qui faisait corps.
La lune avait peigné ses cheveux roux et l’ancienne perruque délavée redonnait du blanc aux étoiles. Et sur les ponts de mes seize ans Quand Anna s’avançait Sans qu’un mot s’y suspendit Entre le fleuve aux lèvres et dit En équilibre sur la rive Avec les mots d’un incendie Jonché de sève des allumettes
Oh
«LOUIS ! »
tu sais nous n’avons plus le même âge
et je n’aime déjà plus ton visage
ni les mots que tu fais miens
et je dis
C’est vrai : au bout de mon corps il y a un monde et des tombes entre mes mains, où glissent les morts comme sur une mer ridée d’écume. Et sous la peau il y a une deuxième de verre dont les pas sèment des tessons ; j’y marche comme les fakirs sur la gravité : ils me tirent au sol… Tu les estompes
Comme la colombe
Qui prend son vol,
Je me souviens, j’avais seize ans, j’aimais porter le masque des tragédies. La bouche d’Anna m’emplit complètement, comme un pas que le Temps aurait fait pour moi. Sa rotation est inversée par les oiseaux : ils sont rivage au bord des mains. J’avais des petits ponts fais de phrases, j’enjambe chaque jour le lendemain. J’ai donc le double de mon âge J’avais seize ans sous les épines Ma vie d’enfant a fait naufrage Il y en a trente-deux Dans mon visage.
Calvin- Nombre de messages : 530
Age : 35
Date d'inscription : 22/05/2010
Re: Je n'ai pourtant jamais trouvé ce que j'écris dans ce que j'aime
J'aime beaucoup, beaucoup, jusqu'à "je n’aime déjà plus ton visage" ; après, j'ai l'impression d'une baisse de rythme, d'une tentative peu intéressante de briser le ressassement lancinant du texte. Je re-aime la dernière phrase ("J’ai donc le double de mon âge (...)").
Quelques remarques :
« aux pores ouverts (et non « ouvertes ») pour accueillir des bateaux »
« J’avais seize ans, je les mâchais »
« des gants en peaux de nuits ...Et si la lune » : typographie, pas d’espace avant les points de suspension, une espace après
« Sans qu’un mot s’y suspendît »
«LOUIS !: typographie, une espace après les guillemets français ouvrants
« des petits ponts faits de phrases »
Quelques remarques :
« aux pores ouverts (et non « ouvertes ») pour accueillir des bateaux »
« J’avais seize ans, je les mâchais »
« des gants en peaux de nuits ...Et si la lune » : typographie, pas d’espace avant les points de suspension, une espace après
« Sans qu’un mot s’y suspendît »
«LOUIS !: typographie, une espace après les guillemets français ouvrants
« des petits ponts faits de phrases »
Procuste- Nombre de messages : 482
Age : 62
Localisation : œ Œ ç Ç à À é É è È æ Æ ù Ù â  ê Ê î Î ô Ô û Û ä Ä ë Ë ï Ï ö Ö ü Ü – —
Date d'inscription : 16/10/2010
Re: Je n'ai pourtant jamais trouvé ce que j'écris dans ce que j'aime
J'ai beaucoup de mal à commenter en général et particulièrement quand j'admire. Ce qui est le cas . Je ne sais pas pourquoi tes textes me chamboulent comme ça, Louis, mais j'aime ça !
Invité- Invité
Re: Je n'ai pourtant jamais trouvé ce que j'écris dans ce que j'aime
Ce n’est pas mon univers, ce n’est pas ce que j’aime lire, mais j’admire et parfois prends plaisir au son de la composition de mots, aux images originales qui donnent sens.
Je sature quand le son prend l’avant sur le sens.
Je sature quand le son prend l’avant sur le sens.
grieg- Nombre de messages : 6156
Localisation : plus très loin
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Je n'ai pourtant jamais trouvé ce que j'écris dans ce que j'aime
J'ai fait plusieurs lectures de ce texte depuis hier, chaque fois il grandit un peu plus en moi ou plutôt grandit l'effet qu'il produit sur moi ; ce matin je le trouve ... renversant. Complètement renversant. Du début à la fin. C'est tout.
Invité- Invité
Re: Je n'ai pourtant jamais trouvé ce que j'écris dans ce que j'aime
Non pas c'est tout, encore une chose : c'est sans doute le texte que je préfère de toi jusqu'à présent.
Invité- Invité
Re: Je n'ai pourtant jamais trouvé ce que j'écris dans ce que j'aime
C'est superbe, je ne vois pas comment il serait possible d'être indifférent à ton texte. Rythme, sonorité, images, sens, tout y est.
Lifewithwords- Nombre de messages : 785
Age : 32
Localisation : Hauts de Seine
Date d'inscription : 27/08/2007
Re: Je n'ai pourtant jamais trouvé ce que j'écris dans ce que j'aime
Il y a une profondeur dans ce texte que je n'avais pas vu dans d'autres textes de toi. Le résultat est tout bonnement magnifique.
Invité- Invité
Re: Je n'ai pourtant jamais trouvé ce que j'écris dans ce que j'aime
Beau texte, captivant.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Je n'ai pourtant jamais trouvé ce que j'écris dans ce que j'aime
Très beau texte, oui.
Même si je ressens (et regrette) aussi cette impression que le "son" prend le pas sur le "sens"
Quoique, pourquoi "regretter" ? Au fond, que le sens se dilue ainsi en première lecture dans les sons, invite ou pousse à une seconde lecture, et d'autres. Ce qui nous donne un texte qui se livre peu à peu et que, oui, on en vient à aimer mieux à chacune. (de lecture)
Ces majuscules, semées ainsi sur quelques lignes m'ont donné l'impression que ces lignes de prose n'étaient en fait que lignes de vers juxtaposés. Comme si l'auteur avait changé d'avis pour la mise en page. J'ai essayé de reconstituer cette disposition prose/vers et j'ai eu l'image d'une autre dimension. Une autre approche.
Un très bon texte aussi pour cette possibilité offerte au lecteur de "jouer" avec.
Même si je ressens (et regrette) aussi cette impression que le "son" prend le pas sur le "sens"
Quoique, pourquoi "regretter" ? Au fond, que le sens se dilue ainsi en première lecture dans les sons, invite ou pousse à une seconde lecture, et d'autres. Ce qui nous donne un texte qui se livre peu à peu et que, oui, on en vient à aimer mieux à chacune. (de lecture)
Ces majuscules, semées ainsi sur quelques lignes m'ont donné l'impression que ces lignes de prose n'étaient en fait que lignes de vers juxtaposés. Comme si l'auteur avait changé d'avis pour la mise en page. J'ai essayé de reconstituer cette disposition prose/vers et j'ai eu l'image d'une autre dimension. Une autre approche.
Un très bon texte aussi pour cette possibilité offerte au lecteur de "jouer" avec.
Reginelle- Nombre de messages : 1753
Age : 74
Localisation : au fil de l'eau
Date d'inscription : 07/03/2008
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