Reine, la coiffeuse de ma mère

Blonde et bouclée. La ressemblance avec la Princesse Grace de Monaco s’arrête là !
De la hauteur de mes six ans, le corps et les jambes de Reine ressemblent à la carte de géographie de la France dans ma classe de CP, avec des fleuves, des rivières, des collines et des montagnes, dominés par une perruque jaune et frisée comme une salade qui n’aurait jamais vue la lumière du jour.
J’aime beaucoup Reine qui m’en impose avec un tel prénom et surtout avec ce métier incroyable… dans sa maison elle règne sur les chevelures des dames du quartier, elle coupe, elle teint, elle frise… essentiellement.
Je dis sa maison, car tout se passe entre son entrée et son salon. Elle vit à l’étage. Une pièce entière est dédiée à sa passion du cheveu des femmes… oui, pas d’hommes dans ce monde dédié à la beauté, à la souffrance et aux commérages.
L’argent se donne discrètement dans l’entrée quand le manteau ou l’imperméable retournent sur les épaules de leurs propriétaires.
J’ai compris que Reine était coiffeuse parce que son mari était parti ?! Et bien, je ne me marierai jamais car je ne veux pas être coiffeuse… les p’tites vieilles elles ne sentent pas bon des cheveux.
Ma mère se rend chez Reine dés que les siens, noirs et raides commencent à « causer » avec les cols de ses chemisiers.
Je l’accompagne après le goûter – consommé sur un banc du jardin public – j’aime ses moments qui ne ressemblent à aucun autre du quotidien familial. C’est du temps partagé avec ma mère qui en ait avare. C’est comme un secret partagé ; je sais que je suite sotte de penser cela, tout le monde à l’extérieur voit que Mère est allée chez la coiffeuse, bien que la coupe soit toujours identique. Carré impeccable, pas de frange. Seule coquetterie une longue mèche qu’elle relève – elle-même – avec un peigne court en écaille, planté au sommet de sa tête et lui donne cette allure unique qui fait d’elle ma mère, reconnaissable entre toutes à la sortie de l’école. Les autres ont toutes des indéfrisables !!!
Mère s’y refuse. Ridicules et dépensières sont ces mères si jolies à mes yeux.
Ah ! Elle cumule madame Mère, âgée, grisonnante, rétive à toutes sollicitations de Reine pour la faire ressembler aux femmes que je vois sur Jours de France et Paris Match et autres magazines déposés sur le guéridon.
Un temps, j’ai pensé qu’elle avait peur des fers à friser et autres instruments de torture chauffants en bakélite noire que Reine posséde dans son salon.
Le rituel est toujours le même. Vêtement déposé sur un cintre dans l’entrée, Reine prend son crayon pour rayer le nom sur l’agenda. Nous entrons dans le salon. J’admire les grandes photographies en noir et blanc qui montrent des portraits de femme sublimes… car porteuses de frisettes !!!
Mais non, ma mère ne ressemblera jamais aux autres, je dois me faire une raison.
Reine enlève le peigne, le dépose avec une moue dégoûtée à côté du lavabo où, telle une Marie-Antoinette pas encore complètement décapitée ma mère va déposer sa tête sur un socle noir. L’eau commence à couler d’une douchette reliée au robinet.
Alors, commence un bavardage incroyable entre elles deux… et patati et patata, Monsieur Truc… si, je vous assure et Madame machin… ah  bon ? Chut, la petite écoute.

_ Oui… et alors je sais bien que ce ne sont pas les cigognes qui apportent les bébés !

Voilà je vous essuie et alors… comme d’habitude ? Une coupe simple ? Et pour les cheveux blancs… on ne fait rien ? Ce n’est pas pour vous obliger hein ?
Vous savez que votre belle-sœur est passée à la teinture ? Oui, ça y est ! Ah, c’est mieux ! Enfin j’dis ça et j’dis rien, vous m’connaissez !

Nous sortons de là avec un échantillon de brillantine Roja ou autres cosmétiques pour cheveux en vogue à l’époque, que ma mère s’empresse de jeter sitôt arrivée à la maison.

_ Tu vois Nine, la Marguerite s’est fait teindre – sans me le dire – elle va me le payer !
La pauvre, c’est vrai qu’avant d’être sa belle-sœur, c’était sa meilleure amie, ce n’est pas chic de sa part tous ses secrets si importants.

Je sais que la prochaine visite chez tante Marguerite va être de la plus haute importance et que je ne devrai rien perdre de la joute verbale entre « ces » deux là.

Reine n’a jamais su à quel point son rôle de commère avait compromis les bonnes relations entre les deux amies et pourtant Mère a continué à se rendre chez elle. Une bonne coiffeuse qui sait être indiscrète à bon escient c’est précieux !

Super la première phrase, le ton est donné. J'ai plutôt apprécié ma lecture pour l'anecdote mais il me semble qu'en termes de qualité formelle, le texte est moins abouti que d'autres de toi... Et puis, je ne sais pas, je reste avec un sentiment d'inachevé, cette histoire entre Madame mère et la Marguerite me paraissant digne d'un développement.
N'empêche que j'étais ravie de lire que toutes les filles de cette génération ne rêvaient pas de devenir coiffeuses !

Voilà ce que j'ai relevé :

Une pièce entière est dédiée à sa passion du cheveu des femmes… oui, pas d’hommes dans ce monde dédié à la beauté,
C’est du temps partagé avec ma mère qui en ait avare. ("est")
Un temps, j’ai pensé qu’elle avait peur des fers à friser et autres instruments de torture chauffants en bakélite noire que Reine posséde dans son salon.

J’aime bien le ton dans tes textes, un ton parfait pour plonger en enfance, ici c’est vraiment la voix de Nine qui nous conte cette histoire. Une petite anecdote plutôt plaisante qui fait vivre ses personnages et dépeint bien une époque mais qui me laisse un peu sur ma faim : j’ai trouvé la fin déséquilibrée par rapport au reste du texte.

J'ai bâclé ce texte (honte sur moi) car je l'avais promis à ma soeur dont c'est l'anniversaire aujourd'hui et qui, elle, aimait aller chez Reine, bien que cette denière lui ait coupé le lobe l'oreille un jour d'énervement, classique chez les coiffeuses.
Vous me direz, tu aurais pu nous le donner à lire plus tard Croisic ! C'est vrai. C'est pour cette raison que je suis ravie de vos gentilles remarques. Merci Easter pour le relevé vocabulaire + erreur de verbe, même à la relecture j'avais rien vu. Merci à vous deux Easter et Elea et je vous promets une suite avec les rencontres pimentées entre Marie ma mère et Marguerite son amie devenue sa belle-soeur.

Ah le Régé Color et la laque Elnett...tout un univers ...je me souviens quand j'accompagnais Madame ma grand mère chez le coiffeur ...et ces interminables pérorages sur les uns et les autres...ça me défrisait, moi qui suis bouclée naturellement :-)
Du coup aucun coiffeur ni coiffeuse n'a jamais eu l'occasion de malaxer voluptueusement mon cuir chevelu, ni de me faire partager le moindre scoop. Dommage...
Je lirai la suite avec plaisir !

Bonsoir Croisic,
Un chouette portrait. J’ai bien aimé la comparaison de la perruque avec une salade frisée qui n’aurait jamais vu le jour ! J’ai trouvé l’ambiance vivante, gaie, et bien rendue par une enfant. Cela m’a rappelé, bien que finalement très différent (…) un film que j’aime beaucoup, Caramel, et qui se passe au Liban dans un salon de coiffure. En fait, rien à voir, sauf sans doute une certaine atmosphère féminine…

Peut-être, effectivement, un petit manque de relecture, mais pas grave :
- « J’ai compris que Reine était coiffeuse parce que son mari était parti ?! Et bien, je ne me marierai jamais car je ne veux pas être coiffeuse… » : là, je ne comprends pas, pour le coup… au contraire, si elle ne veut pas être coiffeuse, elle devrait donc se marier, non ? (scrtch scrtch, je me gratte le crâne…)
- « avec ma mère qui en ait avare » : est. « j’aime ses moments » : ce ? – pour aucun autre, plus loin. « Partagé » répété, ainsi que « autres » : là : «autres magazines, autres instruments », commence : « L’eau commence à couler » et « commence un bavardage ».

Au plaisir de lire d’autres moments de vie.

Rebecca... grand moment le laquage qui transformait ces pauvres femmes en Playmobil ! ça me faisait éternuer quelle horreur. Mère refusait naturellement, le shampooing DOP était largement suffisant.
Lizzie. J'ai bien voulu exprimer cette idée de refus du mariage pour ne pas devenir coiffeuse ; à l'époque, peu de femmes travaillaient à l'extérieur du domicile. C'est le départ de son mari qui a obligé Reine à trouver du travail. A six ans je pensais que tout était lié : mariage, abandon du mari, obligation d'être coiffeuse... qui pour moi était un métier détestable.
Merci pour la lecture.

Tu arrives à rendre intéressant un thème qui n'est pas des plus accrocheurs, avec cette incursion directe dans les pensées d'un personnage et dans leurs discussions.
Peut-être qu'il manque quelque chose pour le rendre inoubliable, mais moi je l'aime bien comme ça.

Un peu moins fignolé que d'habitude, mais en revanche, plein de petites touches délectables : la salade, le raccourci entre se marier et être coiffeuse, et - trouvaille géniale !!- Marie Antoinette pas encore complètement décapitée que j'ai vraiment adorée !
Et l'ironie de ce Une coiffeuse qui sait être indiscrète à bon escient , je t'aime vraiment beaucoup dans ce registre, Croisic !

Moins séduite cette fois que lors d'autres lectures en ta compagnie, même si je trouve pas mal de charme à ce texte.
Sans doute est-ce l'effet "survolé" qui me dérange. Tu commences à expliciter certaines choses, tu livres quelques détails mais ce n'est guère incisif et ça ne mène pas forcément bien loin tout le temps. Certes, pas toujours obligé d'avoir des chutes, des rebondissements ou autres effets accrocheurs mais je trouve cette fois que c'est un brin trop lisse pour moi. Il se peut que ce soit l'ennui ressenti par la narration qui veuille ça, ces heures passées à attendre mais je n'en suis pas sûre car il y a tout de même une certaine passion là-derrière, or elle ne transparaît pas suffisamment pour moi.

Bonjour Croisic,
Une de mes filles est coiffeuse.
Je vais lui faire lire ton joli texte, qui la fera sourire, j'en suis sûre, et l'inviter à méditer sur la dernière phrase ;-)
j'ai bien aimé. Merci.

Cela fait plusieurs textes que je vois les mêmes qualités et les mêmes défauts...

Qualités : tu sais très bien décrire les petites gens, avec humour et de très jolies images. En deux petits coups de pinceaux, tu nous plantes un décor, clic-clac, c'est excellent.
Tu as aussi le don pour retrouver le regard de l'enfance : candeur, goût pour le mystère... Plusieurs textes sont d'ailleurs construits de la même manière : un regard d'enfant sur un monde d'adulte, le mystère qui s'éclaircit en fin ou milieu de texte.
Celui-ci, j'ai évidemment pensé au film "le mari de la coiffeuse" (selon moi un chef d'oeuvre), avec cette évocation poétique et enfantine d'un milieu modeste.
Bref, ton avatar te va comme un gant !

Au niveau des défaut, il y en a juste un : l'histoire, ou, à défaut d'histoire, chute, manière d'achever le texte. C'est dommage, parce que je trouve vraiment que tu as vraiment un style pour nous raconter de très belles histoires (et je dis bien "histoire", parce que je crois que ce style là, à la fois simple et très évocateur, et tout à fait adéquat pour "raconter" quelque chose)

je ne commente pas beaucoup tes textes, parce que...
parce qu'il faudrait que je dise chaque fois : "pas mon univers", et patati...
parce que je ne saurais les commenter.
mais voila, je passe là, juste pour te dire, pour l'ensemble, que je te lis avec plaisir, que j'aime ta façon.

Grieg... très sympa de lire mes petits travaux "à façon" comme disaient les vieilles couturières.
Je comprends tellement bien ce que tu me dis... je me fais la même réflexion pour tant d'autres textes excellents que je lis mais qui ne me parlent pas ! J'apprécie ta visite et te remercie.

Vincent M : merci pour ces compliments et ces gentilles critiques très justifiées. J'ai un défaut, j'aime écrire vite et encore plus, finir rapidement chaque histoire. Je ne suis pas une laborieuse qui peut travailler sur la longueur, je le regrette bien sûr car il y matière, mais comme tous ceux qui procrastinisent, je me dis qu'à l'heure de la retraite peut-être... alors que dix jours sans musarder me suffiraient peut-être pour mener à bien une belle histoire.

Embellie : tu es trop indulgente avec moi. Fais attention à ne pas vexer ta fille !

Sahkti : tu as raison ce n'est pas mon meilleur texte.

Coline : j'adore te faire rire.