Lundi matin, dans un bureau…
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Lundi matin, dans un bureau…
Ça fait une heure qu'il est là. A faire des photocopies. Un livre sur la porcelaine. Pas sa faute si la photocopieuse se trouve dans mon bureau. Il l'a demandé gentiment, je lui ai montré comment ça marchait, il s'est excusé dix fois du dérangement. Ai-je à ce point une tête de dérangée? Il faut croire que oui, vu comme il s'excuse encore.
Le voilà qui parle. Il m'explique que c'est un bouquin fragile. C'est pour ça qu'il préfère faire lui-même les photocopies plutôt que les confier à quelqu'un d'autre. Il ne se pardonnerait pas d'abîmer le livre, c'est tellement important. Je dis que je comprends. Il se tait. Il poursuit son travail. Moi le mien. Enfin, je fais comme si. Je fais semblant. J'ai pas envie de bosser. Pas non plus envie de parler. Alors je me tais. Et lui écoute mes silences.
Je dois avoir le silence bruyant. Il recommence à parler. Il me dit qu'il vient de lire un livre extraordinaire sur une campagne archéologique organisée par une université il y a je ne sais combien d'années. Je ne réponds rien. Il doit croire que je m'en fiche. Je n'en sais rien moi-même. Il me parle d'une bibliothèque publique qu'il connaît et qui se débarrasse d'un tas de bouquins. Qu'il a fait des trouvailles en fouillant dans les cartons. Je dis que c'est bien. Il me raconte. J'écoute sans entendre. Je me trouve pénible. Je le trouve courageux.
Il me demande si j'aime lire. Oui. Un mot. Trois lettres. Rien de plus. Je commence à me détester. Il me demande si j'ai un genre de prédilection. Je le regarde la bouche ouverte, les mots ne sortent pas. Non, pas vraiment. Je m'entends lui dire ça. Il me demande si, des fois qu'il trouverait encore des livres intéressants, il y a quelque chose qui me ferait plaisir. Un domaine en particulier. Je lui dis que non, vraiment, je ne vois pas. J'ai envie de me foutre des baffes.
Il me demande si j'aime lire. Je dis que oui. Je crois qu'il me l'a déjà demandé. Il doit patauger. Et moi je me sens mal. Il regarde ce que je fais. Je suis plongée dans des dossiers sur l'occupation allemande. Il me demande si je m'intéresse à la guerre. Je réponds que non, pas du tout. Comme il est poli, il ne me demande pas pourquoi j'ai le nez perdu au milieu de ces photos et de ces affiches de propagande. Il me regarde encore. Puis commence à classer ses photocopies. Je me sens l'envie de lui expliquer, de lui parler de ce boulot. Alors je lève la tête. Je le regarde. Il me dit au revoir et il s'en va. Je lui trouve un air penaud. Et je me trouve détestable.
Je retourne à mes archives. Dans ce bureau où se trouve la photocopieuse.
Le voilà qui parle. Il m'explique que c'est un bouquin fragile. C'est pour ça qu'il préfère faire lui-même les photocopies plutôt que les confier à quelqu'un d'autre. Il ne se pardonnerait pas d'abîmer le livre, c'est tellement important. Je dis que je comprends. Il se tait. Il poursuit son travail. Moi le mien. Enfin, je fais comme si. Je fais semblant. J'ai pas envie de bosser. Pas non plus envie de parler. Alors je me tais. Et lui écoute mes silences.
Je dois avoir le silence bruyant. Il recommence à parler. Il me dit qu'il vient de lire un livre extraordinaire sur une campagne archéologique organisée par une université il y a je ne sais combien d'années. Je ne réponds rien. Il doit croire que je m'en fiche. Je n'en sais rien moi-même. Il me parle d'une bibliothèque publique qu'il connaît et qui se débarrasse d'un tas de bouquins. Qu'il a fait des trouvailles en fouillant dans les cartons. Je dis que c'est bien. Il me raconte. J'écoute sans entendre. Je me trouve pénible. Je le trouve courageux.
Il me demande si j'aime lire. Oui. Un mot. Trois lettres. Rien de plus. Je commence à me détester. Il me demande si j'ai un genre de prédilection. Je le regarde la bouche ouverte, les mots ne sortent pas. Non, pas vraiment. Je m'entends lui dire ça. Il me demande si, des fois qu'il trouverait encore des livres intéressants, il y a quelque chose qui me ferait plaisir. Un domaine en particulier. Je lui dis que non, vraiment, je ne vois pas. J'ai envie de me foutre des baffes.
Il me demande si j'aime lire. Je dis que oui. Je crois qu'il me l'a déjà demandé. Il doit patauger. Et moi je me sens mal. Il regarde ce que je fais. Je suis plongée dans des dossiers sur l'occupation allemande. Il me demande si je m'intéresse à la guerre. Je réponds que non, pas du tout. Comme il est poli, il ne me demande pas pourquoi j'ai le nez perdu au milieu de ces photos et de ces affiches de propagande. Il me regarde encore. Puis commence à classer ses photocopies. Je me sens l'envie de lui expliquer, de lui parler de ce boulot. Alors je lève la tête. Je le regarde. Il me dit au revoir et il s'en va. Je lui trouve un air penaud. Et je me trouve détestable.
Je retourne à mes archives. Dans ce bureau où se trouve la photocopieuse.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Lundi matin, dans un bureau…
Je l'aime beaucoup ce texte Sahkti, les phrases sont courtes et saisissantes, la relation que tu esquisse est totalement décalée, toute en contradiction et en même temps tellement bien vue, bien rendue...
Oui il me plait ce texte !
Oui il me plait ce texte !
Re: Lundi matin, dans un bureau…
Un genre auquel tu ne nous avais pas habitué et c'est une agréable surprise. Vraiment. C'est court et plein de choses ...dans le non-dit de la narratrice.
Zou- Nombre de messages : 5470
Age : 62
Localisation : Poupée nageuse n°165, Bergamini, Italie, 1950-1960
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Lundi matin, dans un bureau…
Ben dis donc, si je te croise et que tu me réponds par monosyllabe au moins, je serais pas trop inquiet :-)
non, sans plaisanter, j'aime aussi beaucoup, c'est juste et joliment dit.
non, sans plaisanter, j'aime aussi beaucoup, c'est juste et joliment dit.
Charles- Nombre de messages : 6288
Age : 49
Localisation : Hte Savoie - tophiv@hotmail.com
Date d'inscription : 13/12/2005
Re: Lundi matin, dans un bureau…
Je suis pas fan de la phrase courte, mais ton texte est fort sympathique avec des airs de vérité qui font sa qualité je trouve.
Un peu court toutefois pour moi. J'aurai bien lu plus.
Un peu court toutefois pour moi. J'aurai bien lu plus.
Mériam- Nombre de messages : 119
Date d'inscription : 13/03/2007
Re: Lundi matin, dans un bureau…
J'ai bien aimé l'ambiance que tu as installé, avec ce ton, et cette envie de se ficher des claques parfois, ça sonne vrai tout ça
un beau texte!
un beau texte!
Re: Lundi matin, dans un bureau…
"Je me trouve pénible. Je le trouve courageux."
Le ton est juste et l'observation très fine.
Un fragment de vie quotidienne qui reflète le vrai.
Bien vu
Le ton est juste et l'observation très fine.
Un fragment de vie quotidienne qui reflète le vrai.
Bien vu
Re: Lundi matin, dans un bureau…
Des phrases courtes qui peuvent d'une certaine manière rendre compte du malaise du personnage. Dire le minimum, ne pas pouvoir en faire plus. On sent que les mots sont durs à dire, mais que la pensée est alerte. Il y'a de la vie "là dedans".
J'ai bien aimé ce drame "ordinaire", le ton est juste, le style très simple. Au final y'a quelque chose qui passe, c'est indéniable.
Finalement, il est parlant ce texte :-).
J'ai bien aimé ce drame "ordinaire", le ton est juste, le style très simple. Au final y'a quelque chose qui passe, c'est indéniable.
Finalement, il est parlant ce texte :-).
Embruns- Nombre de messages : 107
Age : 41
Localisation : Quelque part ailleurs
Date d'inscription : 14/03/2007
Re: Lundi matin, dans un bureau…
C'est très beau, Sahkti !
C'est très bien raconté, très visuel, on imagine très bien la scène avec ce brave garçon dépité...
Personnellement, j'aime toujours les textes qui racontent une expérience vécue. Je trouve qu'il devrait y en avoir beaucoup plus (encore faut-il vivre des expériences qui valent la peine d'être racontées... et savoir les raconter). ;-)
Mais que c'est triste, triste, triste !
Ah ! ces occasions sont déjà si rares et de plus quand on les loupe...
C'est très bien raconté, très visuel, on imagine très bien la scène avec ce brave garçon dépité...
Personnellement, j'aime toujours les textes qui racontent une expérience vécue. Je trouve qu'il devrait y en avoir beaucoup plus (encore faut-il vivre des expériences qui valent la peine d'être racontées... et savoir les raconter). ;-)
Mais que c'est triste, triste, triste !
Ah ! ces occasions sont déjà si rares et de plus quand on les loupe...
Saint Jean-Baptiste- Nombre de messages : 440
Localisation : Ottignies Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Lundi matin, dans un bureau…
C'est un texte agréable à lire. D'autant que la plume est légère et fait cause d'une situation que l'on a tous plus ou moins vécu. Ma "critique" ( si je puis me permettre mais c'est aussi le principe du forum) serait qu'une plus grande dose d'humour aurait été la bienvenue et qu'il y a quelques redondances dans la composition des phrases.
Voilà, j'espère te relire bientôt !
Tchô!
Voilà, j'espère te relire bientôt !
Tchô!
euterpe- Nombre de messages : 117
Age : 38
Localisation : Au fond de la classe
Date d'inscription : 20/03/2007
Re: Lundi matin, dans un bureau…
Très simple et très juste. Tu devrais peut-être juste réfléchir à un autre titre, peut-être aussi neutre mais un peu moins bateau. En tout cas, même si ce n'était pas ton anniversaire ça resterait une excellente petite tranche de conscience prélevée au scalpel --- d'une conscience sous anesthésie, sans doute, mais cela n'en est pas moins cruel. Surtout quand c'est par "je".
Re: Lundi matin, dans un bureau…
J’aime beaucoup cette écriture-là, Sahkti. Nuancée, introspective, vraie. J’en redemande.
Kilis- Nombre de messages : 6085
Age : 78
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Lundi matin, dans un bureau…
Ce texte possède un charme certain. Cela est dû, principalement, à un effet de décalage (ce que veux l'un mais pas l'autre, ce que l'autre veut rattraper... mais trop tard) qui confère un caractère comique à la scène entière. C'est aussi, évidemment, le choix de l'absence de dialogue, l'intériorisation de la situation, le jeu des supputations de la locutrice ("Il doit croire que je m'en fiche", "Comme il est poli..."). L'alternance du discours indirect ("Il m'explique que c'est un bouquin fragile. C'est pour ça qu'il préfère faire lui-même les photocopies plutôt que les confier à quelqu'un d'autre. Il ne se pardonnerait pas d'abîmer le livre, c'est tellement important."), du discours indirect libre ("Je lui dis que non, vraiment, je ne vois pas.") et du discours narrativisé ("Il l'a demandé gentiment, je lui ai montré comment ça marchait, il s'est excusé dix fois du dérangement.") permet de maintenir vive l'attention du lecteur. La double antithèse ("Je me trouve pénible. Je le trouve courageux." / "Je lui trouve un air penaud. Et je me trouve détestable."), qui marque un retour sur soi sans concession, n'est pas dénuée de saveur.
Merci pour le voyage !
Merci pour le voyage !
jfmoods- Nombre de messages : 692
Age : 59
Localisation : jfmoods@yahoo.fr
Date d'inscription : 16/07/2013
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