Terre et nuages
4 participants
Page 1 sur 1
Terre et nuages
Sur un nuage, un peu en dehors de tout, un peu au-delà de tout, il n'y était pas allé par quatre chemins d'un long voyage, non, juste par une pente, lui pas très malin, par une sente, pierrée de songes.
Petit grain, petit galet, sur son nuage, à un jet de pierre de toute cité, de toute terre, il s’abandonnait à la chaleur d'un soleil.
Pétrifié par les douleurs des pays d'ombres, endurci par les brouillards, et le froid, et les nuits répandues sous un ciel sombre, là-bas, tout en bas, à la surface de la vie ; gelé dans les élans vers le bonheur, frissonnant, sonnant l'écho des mélancolies, il n'était pourtant pas de marbre, il n'était pas un roc. Il avait grandi dans un monde délétère.
Sur son nuage, il y avait un grand baldaquin, un lit séraphin d'où il contemplait le ciel. Assis le jour sur des cristaux de glace, à califourchon sur de cotonneux nimbus, allongé le soir sur de longs cheveux de cirrus, il observait les étoiles. Parfois des gouttelettes de pluie, des pieds à la tête perdue dans les horizons ébahis, innervaient son corps ennuagé de brume, son corps nimbé de vapeurs, le soir, rougi de lune.
Les yeux en buée, il découvrit un intrus sous son domaine privé ; importun malin, il violait son aire, sillage d'un songe idéal, sa demeure légère qui voguait, glissait dans le bleu de l'univers, là où il s'était réfugié, seul, isolé sur des îlots de nuées.
Il foulait son territoire, les pieds sous son nuage, la tête sur terre.
Pourquoi donc cet être à l'envers, ce fâcheux au verso de son univers ?
Il voulait vivre aux confins des espaces en tourmentes, il voulait vivre solitaire.
L’intrus lui marchait sous les pieds. Ah, il allait faire du grabuge, lui si débonnaire ! Et puis, il a tourné son regard vers la lune, il a vu sa clarté douce argentée, il s’est calmé.
Il fit semblant d’'ignorer l’ardélion.
Vivre déplié, déployé dans toute son envergure, ne plus être froissé, chiffonné, plié sous la pression des réalités d'en bas, ne plus être flétri, meurtri sous l'étreinte des fardeaux, le poids de mille travaux, sur son nuage il voulait trouver le temps épanoui, sans oppression, sans chaînes, délivré des chagrins et des peines.
Il errait dans le lointain, en rêves, heures douces d'un ailleurs.
Ombre d'un songe ?
Mais que venait-il faire sous son repère, sous son nuage, l'homme à l'envers ?
Venait-il épier, sonder sa vie en ces parages légers de claires nuées ?
Ombre d'un remords ? Venait-il s’opposer ? Le troubler ? Le contrarier ?
Il a continué sa vie à l'étage du réel, gai, paisible par-dessus tout.
Il dessinait sur le ciel blanc des coquillages au vol en spirales, dans lesquels il écoutait la rumeur lointaine de l'océan aux vagues bleues d’un ciel infiniment soyeux.
L’autre ne le quittait pas, toujours là, l’intrus présent sous ses pieds, obstiné, la tête dans l'essence décolorée des choses d'en bas, dans les affaires, dans l'ordinaire, le quotidien, le refrain.
Lui, sur son nuage, couleur terre de ciel, découpait dans l'immensité des instants de présences nouvelles, des fragments de la joie insensée d'exister, sans nulle crainte, sans nulle anxiété.
Il se pavanait aux extrêmes dans la lueur des choses, emporté, égaré, dans l'abandon à toute clarté, le corps tatoué d’azur, tagué cœur amour.
Son double étrange, terre à terre, tête à terre, mais talons hauts d'ailes en nuages, sculptait la matière, la découpait ; il façonnait le monde, déplaçait les montagnes, rabotait les continents.
Ses yeux avaient la lucidité forgée aux lectures des lueurs de terre profonde.
Actif toujours, jamais pensif.
Il en faisait à sa tête, à ses mains.
Il s’empressait, se démenait, remuait, suait, grondait.
Partout, il avait mis des écrans, fenêtres ouvertes sur le ciel ennuagé.
Lui, sur son nuage, cliquait sur les étoiles, et sur le ciel, immense toile, s'ouvraient des sites inconnus, des lieux inexplorés, des mondes, fonds d'écrans des univers, moirés aux rayonnements d'arabesques multicolores, diaprés, chantants, mélodieux. Et Cassiopée nue, riante, en des voluptés rares à détourner les astres de leur course aux trajectoires violettes, et lui, juché sur des promontoires en fêtes par dessus le flot bleu du ciel immense. Il pianotait sur le clavier au nombre illimité de touches, lames blanches et noires, nues effilées à perte de regard. Il était en ligne, en sphères, avec tous les hommes qui un jour ont vécu sur la terre. Il avait ses disques purs, assis sur les belvédères circulaires, des épures, dans sa gravitation planétaire, dans ses connexions à tous les horizons rouges et verts.
L’homme à l’envers traînait sur le sol sa boîte à outils, lui, laborieux, bâtisseur de temps gonflés d’instants pressants ; lui ingénieux, organisateur, industrieux.
Sur son nuage, il lui a parlé, il lui a dit :
- Tu ne veux pas jouer ? Jamais tu ne joues à rire, à pleurer, mille fois, pour rien, pour rire, pour pleurer ?
Qu’avait-il à dire, qu’avait-il à croire ? Tout n’était qu’ombre et miroir.
Il l’a invité sur mon nuage.
- Viens ! Viens voir le ciel. Viens voir comme on respire là-haut, à l’endroit, à distance de tout, viens prendre pied sur mon vaisseau ailé. A naviguer, heureux dans le ciel liquoreux, sur mon voilier, ma goélette blanche aux voiles de nuages ; à traverser en bonds audacieux l’espace net de liqueur bleue, nous ferons un grand voyage.
Sèchement, l’autre l’a éconduit.
- Je suis fidèle à la terre, j’écoute son chant, a-t-il dit.
Sur son nuage, il a insisté :
- Nous prendrons les longs chemins, les routes dans l’ouvert, l’illimité des espaces striés de songes, tout imaginaires. Mets un peu d’air dans tes bagages. Nous irons ensemble, toi et moi Viens, nous ne ferons qu’un dans l’évasion, qu’un vers l’horizon sans fond. Dans l’effervescence de mondes en ébullition, dans mille circonvolutions, tous deux nous évoluerons jusqu’au couloir bleu, chemin percé dans les nuages, bretelle vers les autoroutes sidérales, et dans les grands passages, trouées en courbe dans les profondeurs du ciel, nous franchirons les tunnels sous les amas d’étoiles, les ponts surs les galaxies originales, près des rivages de rouges paradis.
- Je suis fils de la terre, frondeur d’illusions, tailleur de pierre. Et toi, tu n’es qu’un rêveur, petite pierre au ciel, dérisoire. Pauvre pierrot démentiel.
- Viens, nos yeux ne seront plus délavés par les abîmes, nous coifferons les cheveux des comètes, nous serons légers, plumes, vapeurs, nuées. Un jour, nous poserons les pieds sur les paillassons mélodiques à l’entrée de palais féeriques, nous suivrons les troupeaux d’éléphants aux trompes de lumière quand ils migrent vers les forêts fantastiques, les grandes brousses derrière les clairières de l’aube, les mondes oniriques derrière les nuages, au long des chemins, aux pentes d’innombrables voyages. Nous serons nomades, jamais sédentaires.
– Je n’irai pas par toutes ces folies, dans cette profusion de mirages, loin du sol, des racines, des profonds ancrages. Je ne monterai pas sur ton nuage. Toi, qu’attends-tu pour redescendre sur terre ? Tu t’égares. Il y a tant à faire. Il faut construire, il faut bâtir. Laisse ton éther, rejoins la terre. Il faut construire les tours élevées, les immeubles, les gratte-ciel qui surpassent les nuages. Apporte ta pierre, supercoquentieux, à la construction d’un monde nouveau, ambitieux, technique, scientifique, prolifique.
– Viens, dans chaque pigment de nuit, nous chercherons les couleurs qui allument l’aurore, celles qui redonnent jour, redonnent vie, toujours, encore.
Il faut monter. Et puis courir, sauter, de nues en nuages. Et puis courir, voler, s’élever du premier au septième ciel, de mondes désertés jusqu’aux rives habitées, en partage avec chaque humain, chaque vie, quand plus rien n’est écarté, plus rien n’est abandonné. Et puis courir, flirter avec les densités mauves, creuser les carrières de matière lumière, en partage avec chaque orage, chaque éclair, chaque lueur fauve enrichie de toute humanité, de toute énergie, toute vie.
L’homme d’en bas fit un mouvement pour rejoindre l’homme d’en haut, pour grimper, s’élever, s’écarter.
Il se mit à crier :
- Je veux monter là-haut, sur ton nuage, pour mieux voir.
Lui, sur son nuage, l’avait-il convaincu ?
Il a ajouté :
- Je veux voir la terre. Je veux voir la terre comme elle est vue de là-haut. Je veux admirer mon ouvrage.
Lui, dans les nuées, pensait qu’un jour il descendrait sur terre, sur terre pour mieux contempler le ciel, le ciel et ses nuages.
Petit grain, petit galet, sur son nuage, à un jet de pierre de toute cité, de toute terre, il s’abandonnait à la chaleur d'un soleil.
Pétrifié par les douleurs des pays d'ombres, endurci par les brouillards, et le froid, et les nuits répandues sous un ciel sombre, là-bas, tout en bas, à la surface de la vie ; gelé dans les élans vers le bonheur, frissonnant, sonnant l'écho des mélancolies, il n'était pourtant pas de marbre, il n'était pas un roc. Il avait grandi dans un monde délétère.
Sur son nuage, il y avait un grand baldaquin, un lit séraphin d'où il contemplait le ciel. Assis le jour sur des cristaux de glace, à califourchon sur de cotonneux nimbus, allongé le soir sur de longs cheveux de cirrus, il observait les étoiles. Parfois des gouttelettes de pluie, des pieds à la tête perdue dans les horizons ébahis, innervaient son corps ennuagé de brume, son corps nimbé de vapeurs, le soir, rougi de lune.
Les yeux en buée, il découvrit un intrus sous son domaine privé ; importun malin, il violait son aire, sillage d'un songe idéal, sa demeure légère qui voguait, glissait dans le bleu de l'univers, là où il s'était réfugié, seul, isolé sur des îlots de nuées.
Il foulait son territoire, les pieds sous son nuage, la tête sur terre.
Pourquoi donc cet être à l'envers, ce fâcheux au verso de son univers ?
Il voulait vivre aux confins des espaces en tourmentes, il voulait vivre solitaire.
L’intrus lui marchait sous les pieds. Ah, il allait faire du grabuge, lui si débonnaire ! Et puis, il a tourné son regard vers la lune, il a vu sa clarté douce argentée, il s’est calmé.
Il fit semblant d’'ignorer l’ardélion.
Vivre déplié, déployé dans toute son envergure, ne plus être froissé, chiffonné, plié sous la pression des réalités d'en bas, ne plus être flétri, meurtri sous l'étreinte des fardeaux, le poids de mille travaux, sur son nuage il voulait trouver le temps épanoui, sans oppression, sans chaînes, délivré des chagrins et des peines.
Il errait dans le lointain, en rêves, heures douces d'un ailleurs.
Ombre d'un songe ?
Mais que venait-il faire sous son repère, sous son nuage, l'homme à l'envers ?
Venait-il épier, sonder sa vie en ces parages légers de claires nuées ?
Ombre d'un remords ? Venait-il s’opposer ? Le troubler ? Le contrarier ?
Il a continué sa vie à l'étage du réel, gai, paisible par-dessus tout.
Il dessinait sur le ciel blanc des coquillages au vol en spirales, dans lesquels il écoutait la rumeur lointaine de l'océan aux vagues bleues d’un ciel infiniment soyeux.
L’autre ne le quittait pas, toujours là, l’intrus présent sous ses pieds, obstiné, la tête dans l'essence décolorée des choses d'en bas, dans les affaires, dans l'ordinaire, le quotidien, le refrain.
Lui, sur son nuage, couleur terre de ciel, découpait dans l'immensité des instants de présences nouvelles, des fragments de la joie insensée d'exister, sans nulle crainte, sans nulle anxiété.
Il se pavanait aux extrêmes dans la lueur des choses, emporté, égaré, dans l'abandon à toute clarté, le corps tatoué d’azur, tagué cœur amour.
Son double étrange, terre à terre, tête à terre, mais talons hauts d'ailes en nuages, sculptait la matière, la découpait ; il façonnait le monde, déplaçait les montagnes, rabotait les continents.
Ses yeux avaient la lucidité forgée aux lectures des lueurs de terre profonde.
Actif toujours, jamais pensif.
Il en faisait à sa tête, à ses mains.
Il s’empressait, se démenait, remuait, suait, grondait.
Partout, il avait mis des écrans, fenêtres ouvertes sur le ciel ennuagé.
Lui, sur son nuage, cliquait sur les étoiles, et sur le ciel, immense toile, s'ouvraient des sites inconnus, des lieux inexplorés, des mondes, fonds d'écrans des univers, moirés aux rayonnements d'arabesques multicolores, diaprés, chantants, mélodieux. Et Cassiopée nue, riante, en des voluptés rares à détourner les astres de leur course aux trajectoires violettes, et lui, juché sur des promontoires en fêtes par dessus le flot bleu du ciel immense. Il pianotait sur le clavier au nombre illimité de touches, lames blanches et noires, nues effilées à perte de regard. Il était en ligne, en sphères, avec tous les hommes qui un jour ont vécu sur la terre. Il avait ses disques purs, assis sur les belvédères circulaires, des épures, dans sa gravitation planétaire, dans ses connexions à tous les horizons rouges et verts.
L’homme à l’envers traînait sur le sol sa boîte à outils, lui, laborieux, bâtisseur de temps gonflés d’instants pressants ; lui ingénieux, organisateur, industrieux.
Sur son nuage, il lui a parlé, il lui a dit :
- Tu ne veux pas jouer ? Jamais tu ne joues à rire, à pleurer, mille fois, pour rien, pour rire, pour pleurer ?
Qu’avait-il à dire, qu’avait-il à croire ? Tout n’était qu’ombre et miroir.
Il l’a invité sur mon nuage.
- Viens ! Viens voir le ciel. Viens voir comme on respire là-haut, à l’endroit, à distance de tout, viens prendre pied sur mon vaisseau ailé. A naviguer, heureux dans le ciel liquoreux, sur mon voilier, ma goélette blanche aux voiles de nuages ; à traverser en bonds audacieux l’espace net de liqueur bleue, nous ferons un grand voyage.
Sèchement, l’autre l’a éconduit.
- Je suis fidèle à la terre, j’écoute son chant, a-t-il dit.
Sur son nuage, il a insisté :
- Nous prendrons les longs chemins, les routes dans l’ouvert, l’illimité des espaces striés de songes, tout imaginaires. Mets un peu d’air dans tes bagages. Nous irons ensemble, toi et moi Viens, nous ne ferons qu’un dans l’évasion, qu’un vers l’horizon sans fond. Dans l’effervescence de mondes en ébullition, dans mille circonvolutions, tous deux nous évoluerons jusqu’au couloir bleu, chemin percé dans les nuages, bretelle vers les autoroutes sidérales, et dans les grands passages, trouées en courbe dans les profondeurs du ciel, nous franchirons les tunnels sous les amas d’étoiles, les ponts surs les galaxies originales, près des rivages de rouges paradis.
- Je suis fils de la terre, frondeur d’illusions, tailleur de pierre. Et toi, tu n’es qu’un rêveur, petite pierre au ciel, dérisoire. Pauvre pierrot démentiel.
- Viens, nos yeux ne seront plus délavés par les abîmes, nous coifferons les cheveux des comètes, nous serons légers, plumes, vapeurs, nuées. Un jour, nous poserons les pieds sur les paillassons mélodiques à l’entrée de palais féeriques, nous suivrons les troupeaux d’éléphants aux trompes de lumière quand ils migrent vers les forêts fantastiques, les grandes brousses derrière les clairières de l’aube, les mondes oniriques derrière les nuages, au long des chemins, aux pentes d’innombrables voyages. Nous serons nomades, jamais sédentaires.
– Je n’irai pas par toutes ces folies, dans cette profusion de mirages, loin du sol, des racines, des profonds ancrages. Je ne monterai pas sur ton nuage. Toi, qu’attends-tu pour redescendre sur terre ? Tu t’égares. Il y a tant à faire. Il faut construire, il faut bâtir. Laisse ton éther, rejoins la terre. Il faut construire les tours élevées, les immeubles, les gratte-ciel qui surpassent les nuages. Apporte ta pierre, supercoquentieux, à la construction d’un monde nouveau, ambitieux, technique, scientifique, prolifique.
– Viens, dans chaque pigment de nuit, nous chercherons les couleurs qui allument l’aurore, celles qui redonnent jour, redonnent vie, toujours, encore.
Il faut monter. Et puis courir, sauter, de nues en nuages. Et puis courir, voler, s’élever du premier au septième ciel, de mondes désertés jusqu’aux rives habitées, en partage avec chaque humain, chaque vie, quand plus rien n’est écarté, plus rien n’est abandonné. Et puis courir, flirter avec les densités mauves, creuser les carrières de matière lumière, en partage avec chaque orage, chaque éclair, chaque lueur fauve enrichie de toute humanité, de toute énergie, toute vie.
L’homme d’en bas fit un mouvement pour rejoindre l’homme d’en haut, pour grimper, s’élever, s’écarter.
Il se mit à crier :
- Je veux monter là-haut, sur ton nuage, pour mieux voir.
Lui, sur son nuage, l’avait-il convaincu ?
Il a ajouté :
- Je veux voir la terre. Je veux voir la terre comme elle est vue de là-haut. Je veux admirer mon ouvrage.
Lui, dans les nuées, pensait qu’un jour il descendrait sur terre, sur terre pour mieux contempler le ciel, le ciel et ses nuages.
Louis- Nombre de messages : 458
Age : 69
Date d'inscription : 28/10/2009
Re: Terre et nuages
Louis a écrit:Sur un nuage, un peu en dehors de tout, un peu au-delà de tout, il n'y était pas allé par quatre chemins d'un long voyage, non, juste par une pente, lui pas très malin, par une sente, pierrée de songes.
Petit grain, petit galet, sur son nuage, à un jet de pierre de toute cité, de toute terre, il s’abandonnait à la chaleur d'un soleil.
Pétrifié par les douleurs des pays d'ombres, endurci par les brouillards, et le froid, et les nuits répandues sous un ciel sombre, là-bas, tout en bas, à la surface de la vie ; gelé dans les élans vers le bonheur, frissonnant, sonnant l'écho des mélancolies, il n'était pourtant pas de marbre, il n'était pas un roc. Il avait grandi dans un monde délétère.
Sur son nuage, il y avait un grand baldaquin, un lit séraphin d'où il contemplait le ciel. Assis le jour sur des cristaux de glace, à califourchon sur de cotonneux nimbus, allongé le soir sur de longs cheveux de cirrus, il observait les étoiles. Parfois des gouttelettes de pluie, des pieds à la tête perdue dans les horizons ébahis, innervaient son corps ennuagé de brume, son corps nimbé de vapeurs, le soir, rougi de lune.
Les yeux en buée, il découvrit un intrus sous son domaine privé ; importun malin, il violait son aire, sillage d'un songe idéal, sa demeure légère qui voguait, glissait dans le bleu de l'univers, là où il s'était réfugié, seul, isolé sur des îlots de nuées.
Il foulait son territoire, les pieds sous son nuage, la tête sur terre.
Pourquoi donc cet être à l'envers, ce fâcheux au verso de son univers ?
Il voulait vivre aux confins des espaces en tourmentes, il voulait vivre solitaire.
L’intrus lui marchait sous les pieds. Ah, il allait faire du grabuge, lui si débonnaire ! Et puis, il a tourné son regard vers la lune, il a vu sa clarté douce argentée, il s’est calmé.
Il fit semblant d’'ignorer l’ardélion.
Vivre déplié, déployé dans toute son envergure, ne plus être froissé, chiffonné, plié sous la pression des réalités d'en bas, ne plus être flétri, meurtri sous l'étreinte des fardeaux, le poids de mille travaux, sur son nuage il voulait trouver le temps épanoui, sans oppression, sans chaînes, délivré des chagrins et des peines.
Il errait dans le lointain, en rêves, heures douces d'un ailleurs.
Ombre d'un songe ?
Mais que venait-il faire sous son repère, sous son nuage, l'homme à l'envers ?
Venait-il épier, sonder sa vie en ces parages légers de claires nuées ?
Ombre d'un remords ? Venait-il s’opposer ? Le troubler ? Le contrarier ?
Il a continué sa vie à l'étage du réel, gai, paisible par-dessus tout.
Il dessinait sur le ciel blanc des coquillages au vol en spirales, dans lesquels il écoutait la rumeur lointaine de l'océan aux vagues bleues d’un ciel infiniment soyeux.
L’autre ne le quittait pas, toujours là, l’intrus présent sous ses pieds, obstiné, la tête dans l'essence décolorée des choses d'en bas, dans les affaires, dans l'ordinaire, le quotidien, le refrain.
Lui, sur son nuage, couleur terre de ciel, découpait dans l'immensité des instants de présences nouvelles, des fragments de la joie insensée d'exister, sans nulle crainte, sans nulle anxiété.
Il se pavanait aux extrêmes dans la lueur des choses, emporté, égaré, dans l'abandon à toute clarté, le corps tatoué d’azur, tagué cœur amour.
Son double étrange, terre à terre, tête à terre, mais talons hauts d'ailes en nuages, sculptait la matière, la découpait ; il façonnait le monde, déplaçait les montagnes, rabotait les continents.
Ses yeux avaient la lucidité forgée aux lectures des lueurs de terre profonde.
Actif toujours, jamais pensif.
Il en faisait à sa tête, à ses mains.
Il s’empressait, se démenait, remuait, suait, grondait.
Partout, il avait mis des écrans, fenêtres ouvertes sur le ciel ennuagé.
Lui, sur son nuage, cliquait sur les étoiles, et sur le ciel, immense toile, s'ouvraient des sites inconnus, des lieux inexplorés, des mondes, fonds d'écrans des univers, moirés aux rayonnements d'arabesques multicolores, diaprés, chantants, mélodieux. Et Cassiopée nue, riante, en des voluptés rares à détourner les astres de leur course aux trajectoires violettes, et lui, juché sur des promontoires en fêtes par dessus le flot bleu du ciel immense. Il pianotait sur le clavier au nombre illimité de touches, lames blanches et noires, nues effilées à perte de regard. Il était en ligne, en sphères, avec tous les hommes qui un jour ont vécu sur la terre. Il avait ses disques purs, assis sur les belvédères circulaires, des épures, dans sa gravitation planétaire, dans ses connexions à tous les horizons rouges et verts.
L’homme à l’envers traînait sur le sol sa boîte à outils, lui, laborieux, bâtisseur de temps gonflés d’instants pressants ; lui ingénieux, organisateur, industrieux.
Sur son nuage, il lui a parlé, il lui a dit :
- Tu ne veux pas jouer ? Jamais tu ne joues à rire, à pleurer, mille fois, pour rien, pour rire, pour pleurer ?
Qu’avait-il à dire, qu’avait-il à croire ? Tout n’était qu’ombre et miroir.
Il l’a invité sur mon nuage.
- Viens ! Viens voir le ciel. Viens voir comme on respire là-haut, à l’endroit, à distance de tout, viens prendre pied sur mon vaisseau ailé. A naviguer, heureux dans le ciel liquoreux, sur mon voilier, ma goélette blanche aux voiles de nuages ; à traverser en bonds audacieux l’espace net de liqueur bleue, nous ferons un grand voyage.
Sèchement, l’autre l’a éconduit.
- Je suis fidèle à la terre, j’écoute son chant, a-t-il dit.
Sur son nuage, il a insisté :
- Nous prendrons les longs chemins, les routes dans l’ouvert, l’illimité des espaces striés de songes, tout imaginaires. Mets un peu d’air dans tes bagages. Nous irons ensemble, toi et moi Viens, nous ne ferons qu’un dans l’évasion, qu’un vers l’horizon sans fond. Dans l’effervescence de mondes en ébullition, dans mille circonvolutions, tous deux nous évoluerons jusqu’au couloir bleu, chemin percé dans les nuages, bretelle vers les autoroutes sidérales, et dans les grands passages, trouées en courbe dans les profondeurs du ciel, nous franchirons les tunnels sous les amas d’étoiles, les ponts surs les galaxies originales, près des rivages de rouges paradis.
- Je suis fils de la terre, frondeur d’illusions, tailleur de pierre. Et toi, tu n’es qu’un rêveur, petite pierre au ciel, dérisoire. Pauvre pierrot démentiel.
- Viens, nos yeux ne seront plus délavés par les abîmes, nous coifferons les cheveux des comètes, nous serons légers, plumes, vapeurs, nuées. Un jour, nous poserons les pieds sur les paillassons mélodiques à l’entrée de palais féeriques, nous suivrons les troupeaux d’éléphants aux trompes de lumière quand ils migrent vers les forêts fantastiques, les grandes brousses derrière les clairières de l’aube, les mondes oniriques derrière les nuages, au long des chemins, aux pentes d’innombrables voyages. Nous serons nomades, jamais sédentaires.
– Je n’irai pas par toutes ces folies, dans cette profusion de mirages, loin du sol, des racines, des profonds ancrages. Je ne monterai pas sur ton nuage. Toi, qu’attends-tu pour redescendre sur terre ? Tu t’égares. Il y a tant à faire. Il faut construire, il faut bâtir. Laisse ton éther, rejoins la terre. Il faut construire les tours élevées, les immeubles, les gratte-ciel qui surpassent les nuages. Apporte ta pierre, supercoquentieux, à la construction d’un monde nouveau, ambitieux, technique, scientifique, prolifique.
– Viens, dans chaque pigment de nuit, nous chercherons les couleurs qui allument l’aurore, celles qui redonnent jour, redonnent vie, toujours, encore.
Il faut monter. Et puis courir, sauter, de nues en nuages. Et puis courir, voler, s’élever du premier au septième ciel, de mondes désertés jusqu’aux rives habitées, en partage avec chaque humain, chaque vie, quand plus rien n’est écarté, plus rien n’est abandonné. Et puis courir, flirter avec les densités mauves, creuser les carrières de matière lumière, en partage avec chaque orage, chaque éclair, chaque lueur fauve enrichie de toute humanité, de toute énergie, toute vie.
L’homme d’en bas fit un mouvement pour rejoindre l’homme d’en haut, pour grimper, s’élever, s’écarter.
Il se mit à crier :
- Je veux monter là-haut, sur ton nuage, pour mieux voir.
Lui, sur son nuage, l’avait-il convaincu ?
Il a ajouté :
- Je veux voir la terre. Je veux voir la terre comme elle est vue de là-haut. Je veux admirer mon ouvrage.
Lui, dans les nuées, pensait qu’un jour il descendrait sur terre, sur terre pour mieux contempler le ciel, le ciel et ses nuages.
Un bon texte , assurément, la poésie nous entraine sur les traces du duo, par paliers successifs on les imagine Pierrot avant que ce ne soit confirmé en toutes lettres, une cigale et une fourmi qui s'envoient en l'air, des dieux anciens qui préparent la tambouille, des témoins finalement moins puissant que l'on avait présupposé. Fragiles et tentés. C'est vraiment une écriture riche ici. Quel bonheur.
j'ai sensiblement moins aimé un passage :
Il faut monter. Et puis courir, sauter, de nues en nuages. Et puis courir, voler, s’élever du premier au septième ciel, de mondes désertés jusqu’aux rives habitées, en partage avec chaque humain, chaque vie, quand plus rien n’est écarté, plus rien n’est abandonné. Et puis courir, flirter avec les densités mauves, creuser les carrières de matière lumière, en partage avec chaque orage, chaque éclair, chaque lueur fauve enrichie de toute humanité, de toute énergie, toute vie.
Une tirade sans doute difficile à faire dire autrement que par ce lyrisme un peu trop précieux sur- gonflé avec l'utilisation du pluriel (nues, nuages, mondes, rives). Ils ont des bottes de Sept-lieues, ces petits !
Invité- Invité
Re: Terre et nuages
Joli personnage en miroir - les deux faces du même finalement, la révolution c'est revenir au point de départ ! Impossibilité à s'unifier, mais pour se compléter il faut être différents !
Un beau texte, avec cette poésie dans les idées aussi qui te caractérise, Louis. Toutefois, il me semble resserré, le texte gagnerait en cohésion.
Un beau texte, avec cette poésie dans les idées aussi qui te caractérise, Louis. Toutefois, il me semble resserré, le texte gagnerait en cohésion.
Invité- Invité
Re: Terre et nuages
L'idée est intéressante mais je trouve la démonstration trop longue, elle s'effiloche comme les cirrus, ces beaux nuages d'altitude. Et du coup, la poésie de certaines expressions semble faire les frais de ces longueurs, se perdre dans l'ensemble et ne pas briller à sa juste mesure...
Invité- Invité
Re: Terre et nuages
Parfois regarder les nuages me permet de m’évader, de rêver, d’imaginer, d’autres fois cela m’ennuie un peu, j’aimerais qu’ils passent plus vite, que les formes succèdent aux autres et m’en mettent plein les yeux tout le temps.
Parce que ce texte regorge de belles phrases, sensibles, délicates, poétiques. Parce que l’histoire est intelligente et subtile et que, sous la poésie, pointent la réflexion et la profondeur du propos.
Entre ciel et terre peut-être que le chemin aurait gagné à être un tout petit peu plus court.
Ce qui n’empêche en rien mon admiration devant un tel maniement de la langue, et de la belle langue.
Parce que ce texte regorge de belles phrases, sensibles, délicates, poétiques. Parce que l’histoire est intelligente et subtile et que, sous la poésie, pointent la réflexion et la profondeur du propos.
Entre ciel et terre peut-être que le chemin aurait gagné à être un tout petit peu plus court.
Ce qui n’empêche en rien mon admiration devant un tel maniement de la langue, et de la belle langue.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: Terre et nuages
Bonjour. Je n'ai pas votre talent pour commenter les textes, donc je vais essayer de faire simple.
C'est une très belle fable, et je m'en veux un peu d'avoir "gaspillé" mon capital "textes en prose" de cette semaine, parce que j'ai un texte -fragment d'un récit plus long- qui traite un peu du même thème (le chapitre s'appelle "le monde d'en haut et le monde d'en bas", j'essaierai de le publier la semaine prochaine).
Il y a beaucoup de poésie dans ce texte, et de vraies trouvailles (par exemple "cliquer sur les étoiles"), cependant, je trouve que le texte est tout de même un peu longuet. Parfois il y a abus d'adjectifs, ou de formules redondantes. Je comprends que c'est dur de trancher sur deux manières d'exprimer une même idée, et que ça donne envie de garder les deux, mais parfois ça alourdit considérablement le récit.
Je prends un paragraphe exemple
Vivre déplié, déployé dans toute son envergure, ne plus être froissé, chiffonné, plié sous la pression des réalités d'en bas, ne plus être flétri, meurtri sous l'étreinte des fardeaux, le poids de mille travaux, sur son nuage il voulait trouver le temps épanoui, sans oppression, sans chaînes, délivré des chagrins et des peines.
Ici par exemple, on a les mots "déplié", "déployé" et "plié", qui sont de la même famille, et trois antonymes de plier : "froissé", "chiffonné", "flétri". Par ailleurs, dans la même phrase on trouve "chagrins et peines", qui sont des termes synonymes. Pour moi, ça fait un peu trop. Même si c'est vrai que cette accumulation d¡adjectifs donne un vrai ton poétique au texte, peut-être qu'en renonçant à quelques-uns et en variant les effets, en travaillant le rythme de certains paragraphes, on pourrait obtenir quelque chose de vraiment excellent.
C'est une très belle fable, et je m'en veux un peu d'avoir "gaspillé" mon capital "textes en prose" de cette semaine, parce que j'ai un texte -fragment d'un récit plus long- qui traite un peu du même thème (le chapitre s'appelle "le monde d'en haut et le monde d'en bas", j'essaierai de le publier la semaine prochaine).
Il y a beaucoup de poésie dans ce texte, et de vraies trouvailles (par exemple "cliquer sur les étoiles"), cependant, je trouve que le texte est tout de même un peu longuet. Parfois il y a abus d'adjectifs, ou de formules redondantes. Je comprends que c'est dur de trancher sur deux manières d'exprimer une même idée, et que ça donne envie de garder les deux, mais parfois ça alourdit considérablement le récit.
Je prends un paragraphe exemple
Vivre déplié, déployé dans toute son envergure, ne plus être froissé, chiffonné, plié sous la pression des réalités d'en bas, ne plus être flétri, meurtri sous l'étreinte des fardeaux, le poids de mille travaux, sur son nuage il voulait trouver le temps épanoui, sans oppression, sans chaînes, délivré des chagrins et des peines.
Ici par exemple, on a les mots "déplié", "déployé" et "plié", qui sont de la même famille, et trois antonymes de plier : "froissé", "chiffonné", "flétri". Par ailleurs, dans la même phrase on trouve "chagrins et peines", qui sont des termes synonymes. Pour moi, ça fait un peu trop. Même si c'est vrai que cette accumulation d¡adjectifs donne un vrai ton poétique au texte, peut-être qu'en renonçant à quelques-uns et en variant les effets, en travaillant le rythme de certains paragraphes, on pourrait obtenir quelque chose de vraiment excellent.
Invité- Invité
Re: Terre et nuages
un conseil d'ami, louis : laisser tomber la morale kantienne.
essayez plutot spinoza, schopenhauer, nietzsche, william james ou même kierkegaard, cela vous ouvrira de nouveaux horizons !
dh
essayez plutot spinoza, schopenhauer, nietzsche, william james ou même kierkegaard, cela vous ouvrira de nouveaux horizons !
dh
denis_h- Nombre de messages : 60
Age : 51
Localisation : paris
Date d'inscription : 14/04/2009
Re: Terre et nuages
denis_h, vous êtes censé commenter le texte, et non pas aviser son auteur sur d'éventuelles lectures. Merci de vous en tenir là de vos conseils.
Modération- Nombre de messages : 1362
Age : 18
Date d'inscription : 08/11/2008
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum