Chanonat
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Chanonat
Je suis en manque d'alcool il me faut des fleurs.
Voilà.
Plus d'une semaine que je suis en désintox. Les nuits sont dures: je m'agite, je tremble, je sue comme un porc, je transpire toute mon ancienne vie.
Les infirmières me donnent régulièrement du sirop pour que je puisse continuer à boire verre sur verre.
Je me saoule de grenadine et d'eau fraîche.
Hier soir un orage a éclaté. Vers 3h du mat'. Je me suis levé, j'ai ouvert les stores et j'ai fumé ma cigarette en écoutant Josh Pearson. Women, when I've raised hell.
Il pleuvait à pleins seaux et je pensais au soleil. Aux deux chats de mon grand-père. A Chanonat. A ce petit village qui sentait la bouse de vache et le laurier. Je me revoyais dans les vergers, courant, criant et sautant écrasant des pommes pourries sous mes semelles.
Je me souvenais de tout.
J'avais dans la tête l'image de ce barbecue avec, derrière, la vue sur le village et le château de la Roche-Blanche. Les oiseaux qui fusaient dans le ciel. Le feu, et le dos de mon grand-père qui luisait de sueur. Ses 50 et quelques années. Ses 60 et quelques clopes par jour. Je revivais les apéros avec les cartes et le whisky bien entamé. Toutes ces choses qui riaient. Ma petite soeur qui jouait avec les pierres et moi qui essayais de faire le grand.
Et puis quand on cassait les noix aussi, quand il fallait rajouter du bois pour que ça chauffe dans la cuisine.
Je le suivais partout, mon grand-père. Je voulais lui ressembler, être fort comme lui, être barbu comme lui, être aussi drôle que lui.
Je voulais être lui plus tard dans mes rêves les plus fous.
Un jour j'ai appris pourquoi il fumait tant. C'était à cause d'un cauchemar... De quand il était petit et qu'on avait bombardé sa maison pendant la guerre. Sa mère avait eu la gorge tranchée par un éclat d'obus. Ses petits frères et soeurs étaient morts écrasés. Et lui il avait survécu parce qu'il avait fait pipi au lit la veille et qu'on lui avait fait changer de chambre, le plaçant ainsi dans l'aile de la maison demeurée intacte.
Mais le pire tu vois, c'est que la veille, s'étant fait engueuler, il avait prié pour qu'il arrive du mal à ses parents. (On en veut à la terre entière quand on est un enfant puni.)
En tout cas voilà pourquoi mon grand-père fumait tant. Et que le cancer l'a emporté.
Moi aussi je fume trop.
Je venais d'écraser ma troisième cigarette d'affilée quand je me suis à nouveau rendu compte que j'étais seul et qu'il pleuvait. L'orage continuait de déchirer le ciel. Je me suis resservi un verre, j'ai refermé les stores et je suis retourné me coucher.
Voilà.
Plus d'une semaine que je suis en désintox. Les nuits sont dures: je m'agite, je tremble, je sue comme un porc, je transpire toute mon ancienne vie.
Les infirmières me donnent régulièrement du sirop pour que je puisse continuer à boire verre sur verre.
Je me saoule de grenadine et d'eau fraîche.
Hier soir un orage a éclaté. Vers 3h du mat'. Je me suis levé, j'ai ouvert les stores et j'ai fumé ma cigarette en écoutant Josh Pearson. Women, when I've raised hell.
Il pleuvait à pleins seaux et je pensais au soleil. Aux deux chats de mon grand-père. A Chanonat. A ce petit village qui sentait la bouse de vache et le laurier. Je me revoyais dans les vergers, courant, criant et sautant écrasant des pommes pourries sous mes semelles.
Je me souvenais de tout.
J'avais dans la tête l'image de ce barbecue avec, derrière, la vue sur le village et le château de la Roche-Blanche. Les oiseaux qui fusaient dans le ciel. Le feu, et le dos de mon grand-père qui luisait de sueur. Ses 50 et quelques années. Ses 60 et quelques clopes par jour. Je revivais les apéros avec les cartes et le whisky bien entamé. Toutes ces choses qui riaient. Ma petite soeur qui jouait avec les pierres et moi qui essayais de faire le grand.
Et puis quand on cassait les noix aussi, quand il fallait rajouter du bois pour que ça chauffe dans la cuisine.
Je le suivais partout, mon grand-père. Je voulais lui ressembler, être fort comme lui, être barbu comme lui, être aussi drôle que lui.
Je voulais être lui plus tard dans mes rêves les plus fous.
Un jour j'ai appris pourquoi il fumait tant. C'était à cause d'un cauchemar... De quand il était petit et qu'on avait bombardé sa maison pendant la guerre. Sa mère avait eu la gorge tranchée par un éclat d'obus. Ses petits frères et soeurs étaient morts écrasés. Et lui il avait survécu parce qu'il avait fait pipi au lit la veille et qu'on lui avait fait changer de chambre, le plaçant ainsi dans l'aile de la maison demeurée intacte.
Mais le pire tu vois, c'est que la veille, s'étant fait engueuler, il avait prié pour qu'il arrive du mal à ses parents. (On en veut à la terre entière quand on est un enfant puni.)
En tout cas voilà pourquoi mon grand-père fumait tant. Et que le cancer l'a emporté.
Moi aussi je fume trop.
Je venais d'écraser ma troisième cigarette d'affilée quand je me suis à nouveau rendu compte que j'étais seul et qu'il pleuvait. L'orage continuait de déchirer le ciel. Je me suis resservi un verre, j'ai refermé les stores et je suis retourné me coucher.
Re: Chanonat
Yoni, tu peux confirmer que tu veux bien ce texte en poésie ? Sinon, on peut déplacer.
Invité- Invité
Re: Chanonat
Je prends cet écrit comme littérature, qu'il soit ou non inspiré du réel.
Il y a des fidélités qui se reportent de génération en génération, il y a toujours un enfant pour reprendre le flambeau des douleurs non cicatrisées. Amour/Douleur...un tandem qui fait avancer d'une drôle de façon, engendrant toujours la douleur dont les causes premières s'effacent pourtant.
Ecrire sur ce rapport, permet de découvrir que l'amour peut se défaire de la douleur sans se rendre coupable d'infidélité.
Qu'est-ce qu'il y en a de l'amour pour ce grand-père dans ce texte !
J'aime la sobriété du ton qui contraste avec le problème des excès que vit le personnage.
Un style efficace, mais je crois te l'avoir déjà dit.
Il y a des fidélités qui se reportent de génération en génération, il y a toujours un enfant pour reprendre le flambeau des douleurs non cicatrisées. Amour/Douleur...un tandem qui fait avancer d'une drôle de façon, engendrant toujours la douleur dont les causes premières s'effacent pourtant.
Ecrire sur ce rapport, permet de découvrir que l'amour peut se défaire de la douleur sans se rendre coupable d'infidélité.
Qu'est-ce qu'il y en a de l'amour pour ce grand-père dans ce texte !
J'aime la sobriété du ton qui contraste avec le problème des excès que vit le personnage.
Un style efficace, mais je crois te l'avoir déjà dit.
Carmen P.- Nombre de messages : 537
Age : 69
Localisation : Ouest
Date d'inscription : 23/04/2010
Re: Chanonat
Un déroulé impeccable, Yoni. Tu allies simplicité (sobriété, Carmen a raison) de l'écriture et force des émotions pour un équilibre exemplaire. Un beau texte qui va droit au coeur. Encore une réussite.
Invité- Invité
Re: Chanonat
<3Je suis en manque d'alcool il me faut des fleurs.
Voilà.
Bon, je n'aime pas trop le ton lumière blanche de ces sobriétés qui contrastent avec un fond qui ne tire, finalement, que sa force d'elle ; alors il en est comme un tire-larmes. Et tout l'ensemble s'en trouve atténué. Je trouve ça fade, reste que c'est dans son genre bien écrit, mais ça n'a pas pris pour moi.
Calvin- Nombre de messages : 530
Age : 34
Date d'inscription : 22/05/2010
Re: Chanonat
pour moi il n'y a plus de poésie ou de prose que de beurre de cacahouète
il y a l’agencement des mots qui deviennent de la littérature pour l'âme, j'aime ce texte empreint d'humanité et d'esthétique sur notre condition
écrire comme ici, c'est un peu comme le film "où coule une rivière" où le père enseigne à son fils de résumer et résumer encore; la littérature nous permet cela et plus on serre plus les choses deviennent limpides: La poésie est la plus forte...
il y a l’agencement des mots qui deviennent de la littérature pour l'âme, j'aime ce texte empreint d'humanité et d'esthétique sur notre condition
écrire comme ici, c'est un peu comme le film "où coule une rivière" où le père enseigne à son fils de résumer et résumer encore; la littérature nous permet cela et plus on serre plus les choses deviennent limpides: La poésie est la plus forte...
Re: Chanonat
Merci pour vos commentaires, critiques et tout ça. C'est bien. Par contre je veux le laisser en poésie, car c'est comme ça que je le conçois. ENfin je pense..
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