Lettre courageuse à ma meilleure amie
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Lettre courageuse à ma meilleure amie
Ma Chantal,
Il m’est arrivé une drôle d’histoire que je ne peux m’empêcher de te raconter. J’espère que notre amitié de toujours t’aidera à comprendre certains détails accidentels.
Comme tu le sais, Roger, vendredi soir est venu à la maison, puisque sa réunion de travail ne lui a pas permis d’attraper le dernier train qui devait le ramener chez lui. Nous avons dîné et son esprit et son audace, que tu lui connais, ont donné à cette soirée une atmosphère salutaire et franchement cosmique. Roger ensuite est parti se coucher dans la chambre d’ami. Depuis que je suis veuve cette chambre est bien pratique pour dépanner. J’ai débarrassé la table et rangé la cuisine pour laisser le temps à Roger de faire son essentiel dans la salle de bain. Puis après un bon moment, je me suis décidée aussi à aller me coucher. Quelle ne fut pas mon inquiétude de trouver la porte de la salle de bain grande ouverte et encore occupée par Roger. Je me suite faite opaque dans le couloir dont je venais d’éteindre la lumière. Roger était toujours universel. Dans l’obscurité du couloir je pouvais concevoir tout ce qui s’exprimait dans la salle de bain. Je vis Roger en parfaite banqueroute et solitude. Il était de dos. Mon système commença à le transcender. Roger abandonna ses frontières et s’installa. J’aperçu ses larges limites. La bienséance aurait voulu que je quitte mon poste d’observation général. Mais une force me retint et je restai idéalement sur place. Sans oser me l’avouer à moi-même, j’attendis, naïve, la suite des événements. Roger allait-il ainsi poursuivre son angoisse sans fermer la porte ? Je connaissais trop Roger pour ne pas le croire si excessif et désabusé. Mais je me trompais. Il commença à défaire son confort et fit glisser une obsession. Ah ma Chantal ! Comment te faire partager mon émotion ? Je vis Roger ainsi sans artifice. Un mini rêve blanc qui lui embrassait l’esprit. Son néant absolu était vague. Lorsque Roger se tourna je découvris sa promesse. Un espace réceptif imposait son univers duquel s’échappait un élan de progression. J’avais du mal à respirer. Ma gorge était sèche. Ma Chantal, dis-moi, qu’aurais-tu fait à ma place ? Je sentais ma mort se dresser, l’interrogation envahir ma réalité. Folle, je quittai le couloir et partis me réfugier dans l’absurde. Là, je demeurai de longues minutes, revoyant l’essentiel de la condition de Roger. Les problèmes les plus camouflés me traversèrent la tête. Mes songes espérèrent toutes les matières, là, concentrées et défaillantes sur ce tabouret où j’étais. Puis enfin, j’entendis que Roger quittait la salle de bain pour rejoindre le vide. Soulagée, lentement, je me préparai à mon tour à commencer ma démarche. Je rentrai dans mon histoire dont je refermai derrière moi précautionneusement la signification. Je respirai mieux. Je me manifestai. Mais lorsque je m’apprêtai à prendre mon œuvre agréable et alignée, ma main tomba sur ce qu’on pourrait appeler le vertige et même la tragédie. Chantal, mon amie, imagine en effet cette tragédie. Sur mon œuvre fine reposait la saveur métaphysique de Roger. Une saveur de silence posé, bien impénétrable. La chose devant encore toute enclose de ses affaires réprouvées qu’elle devait contenir. Je n’osai décrocher l’horrible obstacle. Pourtant il me fascinait. Toi, Chantal, te connaissant, tu aurais été aussi réfractaire que moi. Tu n’aurais pas su accepter. Je me suis collée contre l’élément et je l’ai éprouvé à en perdre la boule. Surtout la chose enclose. Hostile, unilatérale, préfigurant l’inaccessible. Puis tremblante sur mes jambes, j’ai touché la révélation. J’ai plongé le pied dedans, comme dans un gouffre, inhalant son abîme. Oui, Chantal, me croiras-tu ? J’ai humé à n’en plus finir le morbide doux et languissant de ces fadaises. Au ralenti, mes rêves se sont enivrés de ça. C’était compréhensible. J’ai retenu ma respiration sur cet exemple. Mes pensées diffuses à cet instant auraient tant apprécié d’être aspirées sauvagement. Je rentrai mon aventure dans mes limites bornées. C’était un clapotis de paroles que j’entendais. Je me regardai frénétiquement tandis que ma gêne disparût dans l’horizon délié de Roger. Bien sûr Chantal, j’imaginais l’idéale besogne des dieux, leur postérité pesante, ces régions arides et vastes. J’imaginais le beau métier de ton Roger que tu aimes. Ce métier que tu dois servir, cette possession qui doit te conduire à la soif. J’en avais envie follement. Mais j’essuyai ce danger avec dédain, frictionnant mes larmes d’espoir ironique. C’était la seule consolation qui me restait. Me pardonneras-tu ma Chantal ? Je te rassure, je ne suis pas allée transplanter cette farce dans la chambre de Roger. Pourtant j’aurais tant aimé gravir ce chemin, bien usuel, je suppose. Toi, tu le fais. Moi, je ne pouvais que l’imaginer. J’ai quand même eu plusieurs possessions superfétatoires dans la salle de bain. J’ai existé jusqu’à prospérer en silence. Jamais ce ne fut aussi tendre, depuis la disparition dramatique de mon mari comme tu le sais… Ton Roger, lui, devait dormir, sa maladie bien au repos, son ordre bien éternel. J’ai été me coucher ensuite, enfilant cette défaite parfumée d’arômes charitables et incertains. J’ai eu beaucoup de peine à trouver le sommeil. Je me suis encore entraînée à penser, j’étais aussi féconde qu’un poème.
Voilà ma Chantal, la drôle d’histoire que je voulais te faire partager. Sache que ton Roger, sans qu’il s’en doute, cette nuit là, m’a faite beaucoup expirer et renaître. Je t’envie Chantal de savoir que tes réponses généreuses peuvent consentir sans mesure aux confins invérifiables de ton Roger. Avec lui tu ne dois avoir aucune limitation. Je souhaiterais un jour, à ton tour, que tu me détailles cette analyse.
Je t’embrasse ma Chantal. Crois en mon amitié la plus fidèle.
R.R.
Il m’est arrivé une drôle d’histoire que je ne peux m’empêcher de te raconter. J’espère que notre amitié de toujours t’aidera à comprendre certains détails accidentels.
Comme tu le sais, Roger, vendredi soir est venu à la maison, puisque sa réunion de travail ne lui a pas permis d’attraper le dernier train qui devait le ramener chez lui. Nous avons dîné et son esprit et son audace, que tu lui connais, ont donné à cette soirée une atmosphère salutaire et franchement cosmique. Roger ensuite est parti se coucher dans la chambre d’ami. Depuis que je suis veuve cette chambre est bien pratique pour dépanner. J’ai débarrassé la table et rangé la cuisine pour laisser le temps à Roger de faire son essentiel dans la salle de bain. Puis après un bon moment, je me suis décidée aussi à aller me coucher. Quelle ne fut pas mon inquiétude de trouver la porte de la salle de bain grande ouverte et encore occupée par Roger. Je me suite faite opaque dans le couloir dont je venais d’éteindre la lumière. Roger était toujours universel. Dans l’obscurité du couloir je pouvais concevoir tout ce qui s’exprimait dans la salle de bain. Je vis Roger en parfaite banqueroute et solitude. Il était de dos. Mon système commença à le transcender. Roger abandonna ses frontières et s’installa. J’aperçu ses larges limites. La bienséance aurait voulu que je quitte mon poste d’observation général. Mais une force me retint et je restai idéalement sur place. Sans oser me l’avouer à moi-même, j’attendis, naïve, la suite des événements. Roger allait-il ainsi poursuivre son angoisse sans fermer la porte ? Je connaissais trop Roger pour ne pas le croire si excessif et désabusé. Mais je me trompais. Il commença à défaire son confort et fit glisser une obsession. Ah ma Chantal ! Comment te faire partager mon émotion ? Je vis Roger ainsi sans artifice. Un mini rêve blanc qui lui embrassait l’esprit. Son néant absolu était vague. Lorsque Roger se tourna je découvris sa promesse. Un espace réceptif imposait son univers duquel s’échappait un élan de progression. J’avais du mal à respirer. Ma gorge était sèche. Ma Chantal, dis-moi, qu’aurais-tu fait à ma place ? Je sentais ma mort se dresser, l’interrogation envahir ma réalité. Folle, je quittai le couloir et partis me réfugier dans l’absurde. Là, je demeurai de longues minutes, revoyant l’essentiel de la condition de Roger. Les problèmes les plus camouflés me traversèrent la tête. Mes songes espérèrent toutes les matières, là, concentrées et défaillantes sur ce tabouret où j’étais. Puis enfin, j’entendis que Roger quittait la salle de bain pour rejoindre le vide. Soulagée, lentement, je me préparai à mon tour à commencer ma démarche. Je rentrai dans mon histoire dont je refermai derrière moi précautionneusement la signification. Je respirai mieux. Je me manifestai. Mais lorsque je m’apprêtai à prendre mon œuvre agréable et alignée, ma main tomba sur ce qu’on pourrait appeler le vertige et même la tragédie. Chantal, mon amie, imagine en effet cette tragédie. Sur mon œuvre fine reposait la saveur métaphysique de Roger. Une saveur de silence posé, bien impénétrable. La chose devant encore toute enclose de ses affaires réprouvées qu’elle devait contenir. Je n’osai décrocher l’horrible obstacle. Pourtant il me fascinait. Toi, Chantal, te connaissant, tu aurais été aussi réfractaire que moi. Tu n’aurais pas su accepter. Je me suis collée contre l’élément et je l’ai éprouvé à en perdre la boule. Surtout la chose enclose. Hostile, unilatérale, préfigurant l’inaccessible. Puis tremblante sur mes jambes, j’ai touché la révélation. J’ai plongé le pied dedans, comme dans un gouffre, inhalant son abîme. Oui, Chantal, me croiras-tu ? J’ai humé à n’en plus finir le morbide doux et languissant de ces fadaises. Au ralenti, mes rêves se sont enivrés de ça. C’était compréhensible. J’ai retenu ma respiration sur cet exemple. Mes pensées diffuses à cet instant auraient tant apprécié d’être aspirées sauvagement. Je rentrai mon aventure dans mes limites bornées. C’était un clapotis de paroles que j’entendais. Je me regardai frénétiquement tandis que ma gêne disparût dans l’horizon délié de Roger. Bien sûr Chantal, j’imaginais l’idéale besogne des dieux, leur postérité pesante, ces régions arides et vastes. J’imaginais le beau métier de ton Roger que tu aimes. Ce métier que tu dois servir, cette possession qui doit te conduire à la soif. J’en avais envie follement. Mais j’essuyai ce danger avec dédain, frictionnant mes larmes d’espoir ironique. C’était la seule consolation qui me restait. Me pardonneras-tu ma Chantal ? Je te rassure, je ne suis pas allée transplanter cette farce dans la chambre de Roger. Pourtant j’aurais tant aimé gravir ce chemin, bien usuel, je suppose. Toi, tu le fais. Moi, je ne pouvais que l’imaginer. J’ai quand même eu plusieurs possessions superfétatoires dans la salle de bain. J’ai existé jusqu’à prospérer en silence. Jamais ce ne fut aussi tendre, depuis la disparition dramatique de mon mari comme tu le sais… Ton Roger, lui, devait dormir, sa maladie bien au repos, son ordre bien éternel. J’ai été me coucher ensuite, enfilant cette défaite parfumée d’arômes charitables et incertains. J’ai eu beaucoup de peine à trouver le sommeil. Je me suis encore entraînée à penser, j’étais aussi féconde qu’un poème.
Voilà ma Chantal, la drôle d’histoire que je voulais te faire partager. Sache que ton Roger, sans qu’il s’en doute, cette nuit là, m’a faite beaucoup expirer et renaître. Je t’envie Chantal de savoir que tes réponses généreuses peuvent consentir sans mesure aux confins invérifiables de ton Roger. Avec lui tu ne dois avoir aucune limitation. Je souhaiterais un jour, à ton tour, que tu me détailles cette analyse.
Je t’embrasse ma Chantal. Crois en mon amitié la plus fidèle.
R.R.
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
Re: Lettre courageuse à ma meilleure amie
Ce qui constitue le charme particulier de nombre de tes textes - je pense, notamment, à "Dialogue extrême" (http://www.vosecrits.com/t14219-dialogue-extreme) -, c'est le sentiment de déroute dans lequel le lecteur se sentira projeté par l'entremise un brin rebutante de correspondances a priori indéchiffrables. Ici, le trivial s'esquisse machinalement sous le grandiose ("cosmique", "tragique", "néant absolu", "saveur métaphysique", "confins invérifiables"), le conceptuel ("angoisse", "confort", "absurde", "condition") et le technique ("métier", "oeuvre", "obstacle", "maladie") en une sorte de puzzle burlesque à la signification jamais tout à fait certaine. Au-delà de cette ligne de fuite, l'enjeu semble se dessiner sous l'égide de cette triple "limite" ("J'aperçus ses larges limites", "Je rentrai mon aventure dans mes limites bornées", "Avec lui tu ne dois avoir aucune limitation.") qui jalonne le texte, en assure la cohésion interne et prépare l'expérience que la locutrice en retire sous la forme d'une antithèse salvatrice ("expirer et renaître").
Merci pour ce partage !
Merci pour ce partage !
jfmoods- Nombre de messages : 692
Age : 59
Localisation : jfmoods@yahoo.fr
Date d'inscription : 16/07/2013
Re: Lettre courageuse à ma meilleure amie
Bonjour Raoulraoul,
J'ai trouvé le texte drôle, tendre et poétique. Je n'ai pas trop chercher à me traduire le vocabulaire absurde qu'emploie RR pour raconter... ce qui semble un fantasme peut-être, ou une façon bien complexe d'inventer presque un roman à propos d'une porte entr'ouverte. Au début, je pensais à une gaudriole simple, chaque mot apparemment déplacé dans le contexte allait décrire une situation plus ou moins graveleuse, ça aurait fait du graveleux poli, mais c'est un univers propre que semble tisser cette amie à Chantal, avec apparemment la conviction qu'elle sera comprise. Un univers entre l'infiniment grand et l'infiniment petit, assez éthéré... je ne veux pas prendre le temps de plus étudier les images pour illustrer ça, c'est un grand bol d'imagination qui vaut une promenade au grand air pour moi.
Je reste fan d'un "Roger était toujours universel." lol :-)
J'ai trouvé le texte drôle, tendre et poétique. Je n'ai pas trop chercher à me traduire le vocabulaire absurde qu'emploie RR pour raconter... ce qui semble un fantasme peut-être, ou une façon bien complexe d'inventer presque un roman à propos d'une porte entr'ouverte. Au début, je pensais à une gaudriole simple, chaque mot apparemment déplacé dans le contexte allait décrire une situation plus ou moins graveleuse, ça aurait fait du graveleux poli, mais c'est un univers propre que semble tisser cette amie à Chantal, avec apparemment la conviction qu'elle sera comprise. Un univers entre l'infiniment grand et l'infiniment petit, assez éthéré... je ne veux pas prendre le temps de plus étudier les images pour illustrer ça, c'est un grand bol d'imagination qui vaut une promenade au grand air pour moi.
Je reste fan d'un "Roger était toujours universel." lol :-)
Re: Lettre courageuse à ma meilleure amie
ah Raoulraoul ! que c'est bon ))) bon j'ai pas tout pigé, mais la subtilité, ce côté raffiné, presque surannée,
ces images, ces fantasmes qui se croisent, s'entrecroisent pour former comme un panier où l'oeil pêne à se trouver un chemin pour voir, ou seulement entrevoir, cette réalité, cet instant sublimé vécue par la copine à Chantal...
et c'est une première lecture...
je reviendrai...
je suis fan
ces images, ces fantasmes qui se croisent, s'entrecroisent pour former comme un panier où l'oeil pêne à se trouver un chemin pour voir, ou seulement entrevoir, cette réalité, cet instant sublimé vécue par la copine à Chantal...
et c'est une première lecture...
je reviendrai...
je suis fan
Pussicat- Nombre de messages : 4846
Age : 57
Localisation : France
Date d'inscription : 17/02/2012
Re: Lettre courageuse à ma meilleure amie
passage par la case organique.
enfin, par le truchement de l'écriture.
ça pousse drû dans le ciboulot.
enfin, par le truchement de l'écriture.
ça pousse drû dans le ciboulot.
hi wen- Nombre de messages : 899
Age : 27
Date d'inscription : 07/01/2011
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