Ouvrir un compte

Il fallait bien un jour céder à l'évidence;
Car si jamais je n'en ai ressenti le manque
Et que j'ai gardé longtemps mon indépendance,
Il faut que je me rende aujourd'hui à la banque.

J'arrive devant une façade inquiétante,
Et passe un sas vitré, le cœur rouge de honte.
Je joins avec horreur une file d'attente
Pour qu'enfin – ah, malheur! on m'y ouvrât un compte.

Une femme me reçoit. C'est une 'conseillère',
Car moi qui d'ordinaire me nourris de soleil,
Respire de chansons, et qui d'amour m'éclaire,
Pour bien causer finances ai besoin de conseils.
Elle me fait asseoir dans un bureau étroit
Aux murs immaculés; un grand ordinateur
Trône, majestueux, de ce bureau le roi.
Un air d'ennemi chez ce petit dictateur.

« Désirez-vous cumuler vos cotisations?
Vous allez comparer nos taux trimestriels.
Relisez ces modalités de souscriptions
Pour bien comprendre chaque plafond mensuel.
Voulez-vous, dans le cadre du présent contrat,
Lire la liste des remises tarifaires?
Je vous l'imprimerai, et vous signerez là,
Et vous me remplirez ces cent milles exemplaires. »

Elle s'interrompt, pour respirer peut-être,
Et remarque alors ma figure blêmissante.
Sans doute pour m'aider à un peu me remettre,
Demande de sa voix la plus compatissante:
« Dites moi, demoiselle, avec exactitude,
De ces choses qui occupent votre jeune âge? »
Et moi qui lui réponds, comme à mon habitude:
« Je ne saurais vous dire; j'écris, et je voyage;
Ainsi de par le monde vais au gré du vent. »
Elle ouvre de grands yeux: « Que ce doit être drôle
Et plein d'enchantements. » Elle rit, mais tristement.

Je suis abasourdie: auraient-pu mes paroles
Malgré moi éveiller en cette créature
Un goût de liberté, nouveauté incroyable?
Mais l'œil sur son l'écran, sa voix redevint dure:
« Voilà qui justifie vos revenus minables. »

Lecture très agréable. Des images qui font sourire et voyager.

Mais l'œil sur son l'écran, sa voix redevint dure:
« Voilà qui justifie vos revenus minables. »

Je trouve que ça finit bien.

j'aime bien ce coté humour du quotidien , le lire, puis c'est bien mené ...
j'ai été gêné , par contre par la recherche de nombre de pieds qui dilue le propos et par le retour à la ligne avec majuscules de propos notamment ce passage:

Elle ouvre de grands yeux: « Que ce doit être drôle
Et plein d'enchantements. » Elle rit, mais tristement.

je pense que la chute est a revoir et fait retomber le soufflé plaisant de l'ensemble

:-)