Ce mystère de ton art que je n'ai su percer

Mon ami, dormeur à la voix ocre, ma tête était ce soupirail
Cette grotte où venait seulement l'ombre d'une lumière
Une trappe dans un cabaret où les danseuses soufflent la poussière
Dans le trou du souffleur tu criais au monde que ton coeur était beau

Dans une rue encombrée de pieds, de tas, de bras, d'orteils
Qui se cherchaient les uns les autres, au hasard, comme on
Cherche sous un porche le visage d'un monstre ou d'un soleil
En se cachant le front chaud et les yeux embués d'un seul bras

Nous nous retrouvions sur une place, au bord d'une fontaine
Nous percutions des membres, des ventres, des gens
Des animaux dans des poussettes, des bébés enlaissés
Qui bavaient d'injures, valsés par des pieds qui sur les côtes jouaient

Mon frère, chanteur aux cordes rouges, toi qui grattait tes veines
Qui pinçait ta peau pour tirer l'accord de tes cicatrices, tu vends
Des, points de supure ; points de mourir, coins de bavures
Tu jetais en un cri, en une peur sur moi la voix de tes histoires

Injectées en mon coude comme une drogue, comme en violon
Dans mes artères écarquillées, mes oreilles à requiem
Mes esprits contradictoires et mes lèvres hivers viennent
Contre la vitre du monde, la neige insensible de la réalité

Mon ami regarde ta poésie sur la crasse lasse de mon front
La voix de tes histoires ; ces quintessences vertes
Ces jaillissements rouges, ces forêts d'indigo, leurs chênes
Poussés dans tous les sens, le noir d'un marécage sous la nuit

Le ballet de libellules et d'humains et de loups endormis
Ces jambes inextricables qui font l'amour dans les couleurs
Ces étendues de corps dans les herbes, ces filles, ces soeurs
Qui se consument comme dans une aube, dans un repas

Bestial de tendresse, naïf de cruauté, nu comme une viande

Regarde ces liqueurs, ces breuvages, ces alcools, vodkas
Bleus, violents, comme des germes d'océans intellectuels
Dans lesquels tu m'immergeais comme tu noyais dans l'encre
Des femmes torturées par ta bouche, par la chaîne de tes maux

L'estomac, la gorge, la chair et les seins engraissés de ton miel
Tes fables de création, tes contes inutiles, tes poèmes ratés
Ces matins mauves et bruns au travers de ta toile
Leurs moississures qui coulent sur tes poignets gonflés

Tu t'es suicidé dans ton art, anesthanasié dans tes aquarelles
Vivantes, gouaches mouvantes, lueurs torchées de tes amantes
J'ai partagé ton émulsion de couleurs, me suit enduit de tes peintures
J'ai bû ton oeuvre sale au creux même de tes mains tâchées

Ces mains tâchées de rose ; de tes paumes tu peignais aveugle
Dans le noir, dans ton hangar aux yeux percés, comme pour mieux
Vivre, saillir, jouir, jaillir, l'acryllique jusqu'à l'ongle, jusqu'aux os
Et les mots de ce piano que tu jouais du pied pour que sur le tableau

Tes mains moites et tremblantes fassent une trace tienne

Comme un enfant, tu baisses la tête, tu contemples ta médiocrité
D'artiste, pleine d'humain, le cliché de ton art, ton peu de style
Agité de la force seule de ta croyance, de ta passion au monde
Egoïste de ton talent, pris dans un vent, un souffle, une tempête

Tu te couches nu sur la terre, nous jetés ensemble nous mangions aux deux bords
Les orgasmes, les triomphes, le jus macéré et jouissif
De nos éjaculations encéphaliques, des argiles et des cadavres rouges
Des poèmes infantiles, des geysers surréalistes, des alexandrins mâchés

Comme on fait une bulle énorme, gigantesque, qui explose
Au monde ; l'humus de ta beauté, c'est ta jouissance, tes renaissances bleues
Tes éveils dans les draps tordus et trempés de tes pisses hormonales
Ces mouilles d'artistes, ces ports où l'on se complait dans l'odeur du poisson

Ces femmes qui s'adonnent, ces hommes qui s'adulent
Oh, mon ami, mon gouvernail, mon humble capitaine !
Tu m'as conté les nuances violettes d'un soleil qui n'existe pas
Emporté par la fougue d'un plaisir éphèmère, d'un art contemplatif

Nous ne travaillions pas à transcrire le monde, nous le sentions passer
Dans nos corps, nos membres, notre sexe, nos pensées
Les mauves des cieux qui inondent le jour juste après ta fenêtre
Sorti du noir de ta chambre, de ta nuit viscérale, tu regardes

Et tu te dis que tu n'es rien, que ton art n'était qu'un narcissisme.

je viens de lire
je me suis bien laissé aller
c'est surement le sujet, tout écrivaillon qui se respecte ne peut que se sentir concerner

amitié

sentir concerner ou sentir concerné
au choix ??

bon pic et pic et colégram
je crois que é c'est plus francé

mais où vas-tu chercher tout cela?
Chez salvador Dali, Jérome Bosch?
Quoiqu'il en soit on sort de ton poème comme du tambour d'une machine à laver.

Je me suis laissée porter par tes mots. Effectivement, imagination débordante.

"Tu m'as conté les nuances violettes d'un soleil qui n'existe pas" J'ai particulièrement aimé cette phrase, je trouve qu'elle véhicule à elle seule tout le message de ton texte.

J'ai aimé, et puis comme dit Frédéric, tout écrivaillon ne peut que se sentir concerné (oui, c'est plus francé comme ça...)

Nous ne travaillions pas à transcrire le monde, nous le sentions passer

Il passait avec un souffle puissant comme un navire un peu ivre laissant derrière lui un sillage d'images aux couleurs violentes et habitées. Il y a de très belles choses, presque visionnaires ( on pense bien sûr à Rimbaud et au dérèglement de tous les sens) d'autres plus naïves et convenues, souvent touchantes. Je me demande si cet ange déchu mérite une telle célébration. A ta place je laisserais reposer tout cela pendant quelques mois avant d'y revenir puiser la quintessence.

Merci beaucoup, Lisa, Frédéric et Tollelege.
Arielle : Lesquelles te semblent plus belles, lesquelles plus naïves ? Je te demande cela car le poème a été écrit en trois fois : une fois, presque sous le coup de l'écriture automatique, un élan charnel, une deuxième fois plus travaillée mais toujours inspirée, où la majorité des images que je préfère me sont venues, et une troisième fois à laquelle j'ai pris moins de plaisir et qui a consisté au découpage en strophes et à l'écriture des trois premieres, rajoutées ensuite à ce qui avait été écrit précédemment. Merci beaucoup, en tout cas.

Je regrette d'avoir aussi peu le temps de vous lire et de poster malgré tout, je reviendrai ici commenter ardemment, je vous le promets, aux vacances de la Toussaint. A bientôt sur vos textes.
Bisous
Marine

Marine, tu as un sens de l'image et de la formulation complètement dingue ! Vraiment tu as quelque chose.

Mais à d'autres moments, dans ce texte, je lis certains vers, je me dis ah mince, ça c'est plus convenu, là on se perd dans les lieux communs, ici l'expression est un peu trop ampoulée, recherchée, là elle en dit trop et noie les petits morceaux de diamants bruts qu'il y a par ailleurs. "Mon ami" me dérange un peu, aussi. Je trouve que parfois le mélange entre violence et niveau de langage soutenu fonctionne moins bien. Je crois aussi que les allusions à la peinture sont un peu lourdes.

Tout ça j'aime beaucoup :

"Dans une rue encombrée de pieds, de tas, de bras, d'orteils
Qui se cherchaient les uns les autres

Nous percutions des membres, des ventres, des gens
Des animaux dans des poussettes

Mon frère, chanteur aux cordes rouges, toi qui grattait tes veines

Nous ne travaillions pas à transcrire le monde, nous le sentions passer"

Quoiqu'il en soit, je pense que tu as beaucoup de talent.
Et je suivrai avec plaisir ce que tu postes.

Des bouts un peu "trop", un peu trop bavards. Mais globalement c'est vraiment très intelligent.

Je vous vois bien tous les deux enduits partout d'ocre, de rouge, de vert, d'indigo, de noir, de mauve, de brun, de rose, de bleu, de violet, vous mélanger en vous déchiquetant voluptueusement pour rien, pour le plaisir, pour la souffrance et leurs gémissements, leurs râles mâles et femelles.

J'ai particulièrement aimé ces 2 strophes:

Mon frère, chanteur aux cordes rouges, toi qui grattait tes veines
Qui pinçait ta peau pour tirer l'accord de tes cicatrices, tu vends
Des, points de supure ; points de mourir, coins de bavures
Tu jetais en un cri, en une peur sur moi la voix de tes histoires

Injectées en mon coude comme une drogue, comme en violon
Dans mes artères écarquillées, mes oreilles à requiem
Mes esprits contradictoires et mes lèvres hivers viennent
Contre la vitre du monde, la neige insensible de la réalité

Pour moi ce sont les plus fortes dans la fusion douloureuse, consentie, contaminante. Lécher les scarifications et s'en saouler étonnée qu'elles soient froides (c'est comme cela que je les interprète).
(j'ai bien aimé aussi "les points de supure).
.
Un dégoût savoureux, orgasmique, que le modèle a dégusté dans l'onanisme de son maître.

Marine a écrit: Lesquelles te semblent plus belles, lesquelles plus naïves ? Je te demande cela car le poème a été écrit en trois fois : une fois, presque sous le coup de l'écriture automatique, un élan charnel, une deuxième fois plus travaillée mais toujours inspirée, où la majorité des images que je préfère me sont venues, et une troisième fois à laquelle j'ai pris moins de plaisir et qui a consisté au découpage en strophes et à l'écriture des trois premieres, rajoutées ensuite à ce qui avait été écrit précédemment.
Marine

Ce que j'ai préféré dans ton poème, Marine, c'est le kaléidoscope chatoyant que tu offres au lecteur ébloui à partir de la quatrième strophe. La première partie, que tu reconnais avoir rajoutée, ne me paraît pas être de la même veine et pourrait, à mon avis, constituer un autre poème ( exception faite du premier vers qui se rattache bien au reste) ce n'est qu'un avis perso bien entendu et qui n'a que la valeur de mon propre goût.

La première lecture m'avait un peu lassée, et en revenant aujourd'hui, dans d'autres circonstances, je trouve ce poème lumineux.
Comme les toiles de Pollock, certains jours on n'y voit rien, le lendemain on trouve ça génial!
C'est un signe de grande force évocatrice!
Bravo pour ce souffle, car il ne s'agit pas d'un entassement, mais d'un panoramique éclaté, bruissant de tous ses éclats, vivant, on en prend plein la figure et j'adore ça .
Bien sûr, comme Arielle te l'a signalé, il y aurait quelques détails à régler, mais l'ampleur et la densité sont là .
Ne te limite pas!

Bonjour

Je m'étonne que la modération ne s'empare pas de ce sujet pour poser la question :" Est-ce de la poésie?"
Que Marine me pardonne, mais à part la mise en quatrain et les majuscules en début de "vers", j'ai néanmoins eu l'impression de lire de la prose, de la bonne certes, créative, imagée, mais de la prose quand même!
Si vous voulez l'avis d'un faignant (moi en l'occurrence), la longueur du texte est, au rayon poésie, un peu rébarbative. Je m'y suis repris à plusieurs fois pour essayer de tout lire, en cela aussi ce texte, serait mieux en "prose".
J'ai une pensée émue pour le pauvre Louis dont on ne cesse de lui demander si sa prose est poétique!!
En tous cas bravo Marine votre texte est plein de saveurs inédites....beau plat de résistance... et belle lucidité.

Amicalement

Philippe


--------------------------------

Je m'étonne que la modération ne s'empare pas de ce sujet pour poser la question :" Est-ce de la poésie?"

< Merci de bien vouloir éviter à l'avenir ce genre de remarque déplacée.
La Modération >
.

Lyra, Louis, Denis, Arielle, Polixène, merci beaucoup à vous tous. Etant donné que le poème est remonté, j'en profite pour répondre. Vous avez raison, Philippe ; ce texte, finalement, est peut-être de la prose, et, d'ailleurs, vous avez cerné là un des aspects de mon écriture : j'écris beaucoup plus en prose qu'en poésie, généralement. Cependant, c'était ici la forme qui me convenait, j'avais besoin de ces strophes comme d'une succession d'images qui se sont imposées à moi, un peu comme des diapositives, des "flashs". Si j'avais essayé de poursuivre quelque chose de linéaire, je n'aurais pas rendu ce que je désirais y mettre. Et merci beaucoup, sinon, de votre commentaire.

Marine.