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Racines (debut de roman)

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Racines (debut de roman) Empty Racines (debut de roman)

Message  Charles Mar 17 Jan 2006 - 13:29

RACINES


I.



J’ai choisi le premier train du matin. Toute ma vie dans un sac, j’ai choisi de tout effacer, de repartir à zéro. Ma nouvelle vie débute, une vie sans enfance, une vie qui commence à trente ans. Ca n’existe pas les deuxièmes chances. J’ai perdu trente ans, il m’en reste une cinquantaine au maximum pour espérer mieux, même si quoi qu’il arrive, les anciennes douleurs seront toujours là pour gâcher les utopiques bonheurs à venir.


La brume automnale pour seule compagne, j’ai attendu longtemps sur ce quai de banlieue. Quelques voyageurs encore endormis étaient adossées aux murs grisâtres, espérant échapper à l’humidité et à la fraîcheur du jour naissant. Ils semblaient tous avoir la bouche tombante des figures tristes dessinées par les enfants. Depuis quand n’étaient ils plus heureux, peut être depuis plus longtemps que moi ! Je ne me souviens plus quand cela avait commencé. Une progression lente, insidieuse, la morosité des jours identiques, l’érosion des pleurs, l’usure morale, la perte de l’innocence et surtout la lassitude, la fatigue qui s’installe et qu’on accepte peu à peu comme un parasite indissociable.


Un haut parleur a soudain crachoté quelques mots inaudibles, nous prévenant de l’arrivée de mon passeur vers une vie nouvelle. Le train entra en gare à sept heures, soulevant papiers et pages de journaux, emballages et mégots. Je m’assis au hasard dans un wagon à compartiment usé par le poids des âmes errantes.


Ce fut d’abord les zones grisâtres de la ville qui s’éveille, les vieux immeubles du centre où quelques grandes fenêtres éclairées laissaient entrevoir des intérieurs bourgeois tous identiques. Puis venaient les zones de banlieues dites défavorisées, les quartiers dits difficiles. Ici, beaucoup de monde était déjà au travail, juste des mères amenant leur progéniture bruyante à l’école de l’individualisme et de la dureté.


Enfin, ce fut les zones industrielles, les métalliques locaux inondés de lumière où des dizaines d’hommes et de femmes épuisaient leur énergie sur des machines vertes. Quelques visages aperçus, un regard saisi, des dos courbés par les années de labeurs mécaniques et la campagne arriva, s’ouvrit devant moi, les champs à perte de vue. Quelques arbres bordant la voie brisèrent mon regard et m ‘emplirent de cette douceur intemporelle propre aux voyages ferroviaires. Je me souviens avoir eu envie de fumer, comme un dernier relent d’autodestruction, j’ai eu envie de contempler le tabac rougeoyant, de sentir cette toxine âcre tapisser ma gorge.


Le train filait à bonne allure, transperçait les gares désertées. Tout comme on oublie son prochain, désormais les trains oublient les isolés, pour ne s’intéresser qu’à cette masse informe des marionnettes rentables. Les autres n’ont qu’à les rejoindre… Mais ici, la nature reprenait le dessus sur ces ruines en devenir, s’ immisçait dans le béton d’un quai, le serpentant de ses racines, usant les murs de ses pluies, frappant les toitures de ses vents.


*******


A 9 heures, nous nous arrêtâmes dans une grande gare moderne, quelques personnes montèrent dans le train, l’éternel militaire, les deux couples de retraités qui sillonnent la France à la recherche de leur jeunesse, d’un dernier éclat de vie, et bien sûr, la belle solitaire au visage fragile qui semble n’être qu’une apparition de notre subconscient, celle qu’on s’attend pendant tout le voyage à voir surgir dans notre compartiment, celle qui dans les romances faciles va révolutionner l’univers du « héros ».


En guise de passion promise, le contrôleur fut ma seule visite. Après son passage, j’abaissai un peu la fenêtre et la réalité s’engouffra bruyamment dans l’espace confiné. Je me levai pour aller marcher un peu.


Les rideaux des autres compartiments tous tirés, quelques têtes parfois appuyées contre les vitres rayées, mon ange avait disparu. La vie ne fait pas de tel cadeau, la chance se mérite, s’apprivoise. Je retournai donc à ma place. L’air de novembre me fit un accueil glacial et je ressentis enfin cette piqûre salvatrice, la gifle annoncée éveillant la lucidité. Je pris conscience de mon état, de cet apitoiement dégueulasse et facile qui m’avaient empli.


Je pensais alors à mon grand père, Charles, et j’eus honte. Affublé par une santé plus que précaire, il nous renvoyait pourtant toujours l’image de quelqu’un de beaucoup plus fort que nous, quelqu’un qui avait compris qu’il ne sert à rien d’étaler ses pitoyables et dérisoires malheurs. La tristesse, c’est contagieux. Ca gagne ceux qui la côtoient. Il aurait eu le droit de se plaindre, il ne l’a jamais fait, pour nous préserver, alors évidemment, moi, je n’en ai pas le droit. Ce serait manquer de respect à cet homme qui m’a tant impressionné.


*******


Il me manque mais en ce jour, je sens pour la première fois sa force en moi. C’est peut être ce qui me pousse à tout recommencer plutôt que d’abandonner et c’est ce qui, je le crois maintenant, va donner un sens à ma nouvelle vie.

Dans quelques heures, la mer sera sous mes yeux. J’irais à la recherche de cette rue de Marseille où tu étais boulanger et je reconstituerais ta vie pour la figer à jamais sur ce papier. J’irais chercher ta force à sa source et te rendrais immortel.

II.



Au sortir de la gare saint Charles – dont le nom, petit clin d’œil du destin, m’amène à sourire -, ébloui par le soleil méridional encore généreux, je cherche les stations de bus. Finalement, je préfère me renseigner auprès d’un passant à la peau halée. Souriant et plus affable qu’un vieil ami, il m’indique même le véhicule à choisir pour arriver au vieux port. Car c’est bien là qu’elle se trouvait, cette boulangerie qui aurait dû faire ta fierté. J’imagine le bonheur que ça avait dû être d’arriver dans cette grande ville. Un couple heureux, trois jeunes enfants, des passages réussis dans plusieurs petits bourgs provençaux et puis la grosse affaire, faire le pain aux marseillais.


Le soleil était il présent le premier jour, ce jour où tu avais présenter le vieux port à tes enfants, à ma mère. Ont ils fermés les yeux, la main en porte-à-faux pour se protéger des reflets du soleil sur la mer ? As tu dû les rassurer, avaient ils peur, n’étaient ce pas le meilleur moment de ta vie, le point culminant, celui de tous les bonheurs et de tous les espoirs ?


*******

Etait elle vraiment là cette boulangerie ? Dans cette rue bruyante et ombragée. Je vois bien le cinéma qui est censé l’avoir remplacé, les façades de verres teintés ont chassé les vieilles pierres massives de cette rue passante. Je m’imagine cinquante ans plus tôt devant une même vitre qui, au lieu de me renvoyer mon regard s’ouvrirai sur un magnifique présentoir de pâtisserie, une vitrine souriante alléchant les promeneurs et captivant quelques enfants qui jouaient au ballon sur la route. Souriant, tu passais quelquefois dans la boutique pour croiser quelques habitués à la visite journalière fixe et ton bon cœur te soufflait « d’accord, vous me paierez demain ou dès que possible ». Et oui, les temps étaient difficiles et les yeux pleins de rêve de bonheur et de reconstruction, tu ne voyais pas le mauvais sort te rattraper.

Et maintenant, ces quelques clinquants néons annoncent quelques vieux films à l’affiche là où ton nom peut être trônait sur une façade fraîchement repeinte. Si tout s’était bien passé, peut être qu’elle existerait toujours cette boulangerie et je serais derrière le four chaque matin, travaillant fièrement ton héritage.

En remontant la rue Saint Saëns, je me demande quelle boutique, quelle pharmacie, quel restaurant était déjà là à l’époque. Aucun vraisemblablement. La rue a perdu la mémoire, la ville oublie, les murs sont ingrats. Le coiffeur a l’accent parisien, le boucher nord africain, les vendeurs sont tous jeunes, la vie s’écoule trop vite dans les artères de Marseille, les anciens sont partis depuis longtemps, exilés au calme dans l’arrière pays.

De petite place en rue piétonne, je m’égare à la recherche d’un endroit où dormir. Je dois finalement me résoudre à entrer dans un des ces hôtels chers et chics que je pensais éviter. Je m’imaginais pourtant très bien dans une petite pension de famille donnant sur une cour intérieure ombragée ou une petite impasse, tenue par une chaleureuse méridionale à l’âge incertain. Et bien non, ce sera faïences blanches, moquette rouge et room service ! A ce rythme, mon capital va diminuer plus vite que prévu !



*******

En vrac sur le lit, un gros bloc orangé, un carnet d’écriture relié, crayons, gomme, stylos et une boite de berlingots anisés de Carpentras, mes achats glanés dans les rues adjacentes, Saint Férréol et Paradis. J’abandonne les promesses d’écriture et je m’évade dîner provençal. Devant les caillettes, les totènes farcis et les rayoles, je ne souviens déjà presque plus de la déprime des jours précédents. L’homme est ainsi fait qu’il lui suffit de changer de lieu pour oublier et apprécier à nouveau la vie. L’ oisiveté, la contemplation, le temps qui s’étire, l’errance libre du voyage sont les garanties du bonheur.

De retour à l’hôtel, je demande une carte routière de la région à la réception. Sur la petite table du balcon de ma chambre, je la déplie et à la lumière des lampadaires de la rue, j’imagine le parcours à suivre. Remonter vers Avignon puis Carpentras et enfin St Pierre de Vassols, Laurac et Vallon Pont d’Arc.
Charles
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