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Message  Jean Lê Ven 11 Nov 2011 - 17:42

Jean est de faction, tout est calme dans la nuit. Il revoit sa dernière nuit blanche passée dans son village de Guénouvry. C’étaient les feux de la St Jean et il n’a pas manqué de partenaires pour guincher la mazurka, le lavandeu ou la gigouillette. Le prestige de l’uniforme des chasseurs n’y fut pas pour rien. Les filles voulaient toutes l’inscrire sur leur carnet de bal, surtout la Sidonie qui le mangeait des yeux. Il s’est efforcé de satisfaire les prétendantes. Ses bottes ont accompagnées les sabots aux cadences de la gavotte et de l’hanter dro.
Il revoit le sourire de Marie. Il l’a choisi pour être sa marraine de guerre. Marie revêtait une robe paille à rayures orangées munie d’un large col qui lui descendait sur les épaules. Elle portait une paire de chaussons dans ses sabots vernis, couleur poussin, avec une armelle de cuir noir. Dans le double-jeu de la pastourelle, il rit encore de la manière dont il s’est défait de la Sidonie, trop collante, pour cette jolie contre-partenaire proposée par la danse. Plus tard, ils ont franchi d’un bond le feu d’épines et de genêts.
Jean soupire et pose la main sur la poche, près de son cœur, où est lové une mèche de soyeux cheveux noirs. Mais déjà l’obscurité fléchit vers l’est. Il s’en va secouer Donatien pour le réveiller.

Donatien rêve de charge au grand galop, sabre au clair dans les blés hauts. La bourrade de Jean interrompt son sommeil. Il roule prestement sa couverture pour enfiler son pantalon garance à galons et ses bottes lestées d’éperons. Il enfile sa veste de drap bleu, ajuste les brandebourgs et visse son shako sur ses cheveux de jais. Une fois sellé son anglo-arabe, il l’amène près du faisceau d’armes pour glisser sa carabine dans le fourreau.
La patrouille reprend sa marche dans la brume du petit jour. Leur mission est de repérer les forces ennemis et la configuration du terrain. L’armée vient de franchir la frontière et avance à l'aveugle au devant des forces teutonnes qui ont violées la neutralité de la Belgique. L’état-major ne possède aucune carte de la région et à besoin de reconnaissances.

Vers six heures, l’escouade contourne le bourg de Roux encore endormi. Jean ferme la marche confiant, il vient d’avoir vingt ans. Les terrils miniers apportent un peu de relief dans ce paysage de plaines. Les dix chasseurs progressent à couvert dans les sous-bois et le long des haies qui bordent les prairies. Ils suivent à distance d’une demi-lieue la rangée de peupliers dressés le long du canal de Charleroi/Bruxelles. Donatien scrute avec les jumelles les rives sous la brume, pas d’uniforme feldgrau en vue. Il avise un corps de ferme plus en aval.
– Venez ! allons prendre des nouvelles et abreuver nos chevaux.
– Le bonjour Mademoiselle, lance Louis avec une œillade tout en frisant sa moustache.
La gardienne de vaches, ébahie, reconnaît l’uniforme français et lui rend le bonjour avec un beau sourire.
Dès qu’ils mettent pied à terre dans la cour de la ferme, ils sont entourés par tous les gens de la maisonnée. Le patriarche les invite cordialement à déguster une chope de bière. Donatien accepte de bonne grâce, les chevaux sont fatigués par les incessants jours de marche sous la chaleur harassante de ce mois d’août. Les hommes aussi ont besoin d’une pause, plusieurs en profitent pour faire un brin de toilette et se raser près de l’abreuvoir.

Depuis la déclaration de guerre les relations au sein du petit groupe sont devenues plus fraternelles, bien loin de l’autoritarisme stupide qui sévissait au casernement. Conscient de la gravité de l’heure, les hommes accomplissent leurs tâches avec diligence. La confiance s’est imposée et une ambiance de camaraderie rigolarde règne dans la bande de cavaliers. Louis et Anselme restent à surveiller les chevaux avec un œil concupiscent sur la crémière.

Les autres se serrent sur les deux bancs de la longue table de cuisine. La pièce principale a un sol en terre battue. Une pendule égrène le temps, un crucifix orne le linteau de la cheminée. Un évier de grès près de la fenêtre, une maie, une armoire en chêne et une marmite suspendue à la crémaillère de la cheminée constituent l’essentiel du mobilier.
– Alors les français vous venez d’où ? demande l’ancien.
– 51ème régiments de Chasseurs à cheval, on vient de Bretagne répond Donatien.
– Et vous êtes nombreux dans la cavalerie française, s’enquiert la maîtresse de maison en remplissant les chopes.
– Soixante milles, à une queue de cheval près répond Jean.
– Avez vous des nouvelles des armées boches ? interroge Donatien.
– Oui, par mon gendre qui est diable noir dans un bataillon de carabiniers-cyclistes. Il a fait le détour par chez nous avant-hier en allant rejoindre sa garnison dans la forteresse de Charleroi. Il nous a prévenu que l’armée belge battait en retraite depuis la bataille des Casques d’Argent le douze août.
– La bataille des Casques d’Argent ? jamais entendu parlé, relève Donatien en essuyant d’un revers de manche la mousse sur sa moustache.
– Euphrasie, offre donc des cigares à ces Messieurs, propose l’ancien avant de poursuivre.
– Le combat eu lieu a Haelen, pour défendre un pont sur la Gette. Nos forces se battirent à un contre deux. Les boches alignaient dix régiments de cavalerie, soit quatre milles cavaliers plus deux milles chasseurs et six batteries d’artillerie. Mais nos soldats étaient bien retranchés avec deux compagnies de six mitrailleuses : des Maxim et des Hotchkiss. Les mitrailleuses tirées par des chiens avait le pont en ligne de mire. L’ancien crapote quelques bouffées de fumée et reprend.
– Les dragons du Mecklembourg furent les premier à charger, se suivant, en colonne par quatre. Ils s’élancèrent au galop, la lance à l’épaule. Nos cyclistes les ont reçu avec un feu d’enfer. L’escadron de tête s’est effondré avant de franchir notre première ligne. Les chevaux morts ont vite formé un rempart infranchissable. Les allemands ont lancé tour à tour huit charges de cavalerie. Elles se sont toutes brisées sous le feu des armes automatiques. Essayez donc de franchir trois cents mètres en zone ouverte face à des mitrailleuses qui tirent une cadence de cinq cent coups par minute. Le rififi a duré toute la journée. Les boches pensaient régler ça en trois coups de cuillères à pot…
Mais quand la fureur est tombée avec le jour, trois mille dragons allemands, la fine fleur de la noblesse du Meklenbourg, avaient rejoint les hussards de la mort ad patres. Dans la nuit silencieuse, tous les casques allemands de nickel et de chrome brillaient comme de l’argent sous la lune.

Donatien boit une dernière gorgée de bière qui lui parait plus amère. Le cidre de son père, le goût du fruit manque à ses papilles. Jean est secoué d'une quinte de toux provoquée par l’âcreté de la fumée du cigare. Il se lève pour aller cracher dehors.
– Ha ! ha ! ça change du caporal gris mon commis ! s’esclaffe Louis.
Soudain un bruit de moteur d’avion coupe net la discussion. Tous les hommes se précipitent dans la cour, le nez en l’air. Un monoplan à la carlingue carénée de bois survole la ferme en rase-motte.
– C’est un des nôtres, crie Louis en reconnaissant un Deperdussin, il agite les bras pour saluer l’aviateur.
– Tous en selle ! ordonne Donatien, nous devons sans tarder informer l’état-major. Il remercie le maître des lieux en le gratifiant d’un salut militaire et la patrouille s’éloigne au petit trop sur le chemin de terre qui poudroie sous la chaleur de plomb.

Ils ignorent que le matin même, très tôt, les premières troupes allemandes ont traversé Courcelles dans les brumes pour se diriger sur Marchienne-au-Pont. Ils n’ont pas fait une lieue que des balles de mauser leur sifflent aux oreilles. Ils lancent leurs montures au galop dans la prairie. Au bout, les chasseurs rencontrent le ruisseau Plomcot, des chevaux font des refus et hésitent à le franchir. Enfin, ils escaladent le terril de l’ancienne glacerie de Roux. Mais les allemands sont déjà arrivés en grand nombre sur les hauteurs du camp de Castiau et une grêle de balles s’abat sur les soldats français. Bientôt deux chevaux sans cavaliers galopent sur le terril. Louis se cache dans un buisson. Il échappe à ses poursuivants et gagne le hameau de Hubes où il sera hébergé. Jean, lui, dort pour toujours dans cette parcelle de Courcelles.

Pour Jean Friot de Guénouvry, mort le vingt deux août mille neuf cent quatorze, près de Courcelles en Belgique, à l’âge de 20 ans. L'un des premiers sur la sinistre liste.
Jean Lê
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Message  Invité Ven 11 Nov 2011 - 18:33

Je ne suis habituellement pas client de ce genre de textes mais force est de constater qu'il atteint son but. Un hommage bienvenu en ce triste onze novembre…

Mes remarques :
- « les feux de la St Jean » : « la Saint-Jean » ;
- « Ses bottes ont accompagnées » : « ont accompagné » ;
- « Il l’a choisi » : « choisie » ;
- « repérer les forces ennemis » : « ennemies » ;
- « des forces teutonnes qui ont violées » : « ont violé » ;
- « et à besoin » : « a besoin » ;
- « Alors les français » : « Français » ;
- « 51ème régiments » : « régiment », par ailleurs, dans un texte littéraire, il est mieux d'écrire les nombres en toutes lettres ;
- « on vient de Bretagne répond » : virgule après « Bretagne » ;
- « Soixante milles » : « mille » ;
- « queue de cheval près répond » : virgule après « près » ;
- « Avez vous des nouvelles » : « avez-vous » (trait d'union) ;
- « Il nous a prévenu » : « prévenus » ;
- « jamais entendu » : majuscule ;
- « Le combat eu lieu » : « eut lieu » ;
- « a Haelen » : « à » ;
- « soit quatre milles cavaliers plus deux milles chasseurs » : « mille » invariable ;
- « Les mitrailleuses tirées par des chiens avait » : « avaient » ;
- « Les dragons du Mecklembourg furent les premier » : « premiers » ;
- « se suivant, en colonne » : la virgule me paraît inutile ;
- « Nos cyclistes les ont reçu » : « reçus » ;
- « Les allemands ont lancé » : « les Allemands » ;
- « Les boches pensaient régler » : « les Boches » ;
- « en trois coups de cuillères à pot » : « en trois coups de cuillère à pot » ou « de cuiller à pot » ;
- « qui lui parait » : « paraît » si je m'en réfère à l'orthographe traditionnelle, avant la réforme 1990 ;
- « la ferme en rase-motte. » : « rase-mottes » (orthographe traditionnelle) ;
- « Mais les allemands » : « les Allemands » (nationalité et non adjectif) ;
- « vingt deux » : trait d'union ;
- « à l’âge de 20 ans. » : pourquoi écrire en chiffres arabes ici, quand dans la même phrase vous écrivez une longue date en lettres ?

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Message  Calvin Ven 11 Nov 2011 - 19:09

Une question : alex partage son compte avec feu-socque ?

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Message  Invité Mar 15 Nov 2011 - 22:11

J'ai horreur de ce genre de texte. Mais tu écris sacrément bien, Jean !

Et pour répondre à Louis! : socque n'est pas feue du tout, heureusement ! Et Alex fait un beau boulot dont nous sommes nombreux à lui être comme reconnaissants, comme nous l'étions envers socque.

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Message  CROISIC Mar 15 Nov 2011 - 22:16

Je suis partante pour une gigouillette avec toi bien entendu... et on oubliera la guerre.
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Message  Jean Lê Mer 16 Nov 2011 - 16:33

Je viens d'avoir accès au livret militaire de feu Jean friot par un ami de Guénouvry, ce serait bien le premier français à être tombé en quatorze. Il était dans le quinzième régiment de chasseur à cheval. Sur sa stèle à Courcelles il était porté "51ème régt." ; une erreur que j'ai reproduite dans ce texte qui m'a pourtant demandé une bonne enquête préalable. Il a été touché par une balle dans le dos qui lui a traversé la poitrine. Les allemands l'ont trouvé agonisant et l'ont laissé sur place avec ses armes. Ce sont des civils belges qui ont ensuite recueilli sa dépouille.

Mais pourquoi le pouvoir (le politique) peut-il exiger la mort ? Bien sur, il n'y a pas de réponses et que des raisons artificielles. Ce texte est une dénonciation de plus contre la guerre. Malheureusement, elle continue de sévir aujourd'hui.

Merci beaucoup Alex, tes corrections me sont toujours très utiles, j'essaie de m'améliorer avec tes remarques mais je demeure un incorrigible distrait sur ce plan là.

Merci Louis de ton passage.

Merci Coline, venant de toi qui a une si jolie plume, ce compliment me touche beaucoup.

Croisic, je t'inscris d'ors et déjà sur mon carnet de bal pour une gigouillette, bises et à la revoyure.
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Message  Invité Mer 16 Nov 2011 - 18:10

Je me suis douté de l'important travail de documentation et le félicite ! Du reste, pas de problème pour les corrections, ça me fait plaisir.

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