La boite

Je l’avais trouvé, il y a bien longtemps, sous un vieux banc, un soir au jardin public, en rentrant de l’école. Le temps était à l’orage et le parc se vidait de ses derniers visiteurs. Je les observait se pressant au milieu des bourrasques pour ne pas avoir à affronter la tempête.

Elle était là, comme posée, pas oubliée ou perdue, non, comme à sa place. Intrigué, je l’ai détaillé de loin. Personne autour, le parc enfin désert, je suis allé la ramasser. Je ne saurais dire pourquoi mais j’avais l’impression de voler quelque chose. Je l’ai bien vite empochée et me suis sauvé.

Une fois dans ma chambre seulement, j’ai décidé de l’ouvrir. Ne trouvant ni fermoir, ni serrure, je dus bien vite me rendre à l’évidence, je ne savais comment procéder. Tant pis, je n’osais insister et la cachais en lieu sûr : dans ma basket gauche !

Le lendemain matin, je la repris dans ma poche où elle resta toute la journée avant de passer la nuit à nouveau dans ma chaussure. Cela dura ainsi quelques semaines. La petite boite dorée m’accompagnait partout. Fétiche précieux, porte bonheur, je ne saurais dire ce qu’elle représentait à mes yeux mais il en était ainsi : je ne pouvais plus m’en passer.

Un jour d’été, comme je partais du parc en vélo, il me sembla ne plus la sentir dans ma poche. Paniqué, je freinais de toutes mes forces. Bien mal m’en pris ! Mon frein arrière n’a jamais fonctionné ! Je basculais et m’écorchais les genoux. Mais peu m’importait, je glissais vite la main dans ma poche pour m’apercevoir, dépité, que celle-ci était déchirée ! Dix fois, je refis le chemin, cent fois, je parcourus le parc … en vain … Ma boite était perdue. La nuit tombant, il me fallut me résoudre à rentrer ! Mes parents affolés de me voir en pleurs, le genoux croûtés de sang, ne me grondèrent pas. Mes explications incohérentes ne les rassurèrent pas et je les laissai plutôt inquiets au moment d’aller me coucher. Les grandes peines étant souvent les plus absurdes, ce fut à ce moment précis que je retrouvai ma fameuse boite, tombée depuis le matin sur le sol de ma chambre ! Après cet épisode, je redoublai de vigilance et gardait le plus souvent la main dans la poche pour ne pas perdre mon précieux bien.

Des années plus tard, une très bonne amie réussit à me convaincre de lui montrer ce mystère. La curiosité féminine étant à juste titre très réputée, elle se mit alors en tête de m’aider à ouvrir cette boite. Peu emballé au départ, peut être même un peu apeuré à l’idée de cette révolution, je ne tardais pas à m’enthousiasmer pour cette idée.

- Il nous faut un spécialiste ! me dit elle.
- Un spécialiste de quoi ?
- Un gars qui saurait comment ouvrir cette boite !
- Un ouvre boite, en somme.
- Abruti !

Ca partait mal ! Mais bon, nous suivîmes son conseil et la recherche de l’oiseau rare débuta ! Elle pensa tout d’abord à un prestidigi …, prestigidi …bref, un magicien. Cape noire, regard sombre et gestes amples, Mandrake n’y vit que du feu : pas de trappe magique, ni de tiroir caché, la boite resta close.

- Essayons un serrurier !
- Mais, il n’y a pas de serrure, voyons !
- Ça tombe bien, tu n’as pas de clés de toute façon !
- Abrutie !

Et ainsi la recherche continuait ! Le serrurier nous rit au nez et après quelques tours de passe passe plutôt que de passes-partout, il nous envoya une facture bien salée.

En vrac, nous allâmes ensuite visiter un gangster spécialiste des coffres forts à qui nous refusâmes le recourt aux explosifs, consulter un psychologue qui tenta l’hypnose sur ma boite pour connaître l’origine du blocage, un écrivain qui ne voulut pas l’ouvrir et nous certifia qu’il devait certainement y avoir un mouton à l’intérieur …

Enfin, les lutins n’existant pas, elle m’amena chez un marabout qui à l’aide d’un poulet mort et d’une pincée de grenouille séchée tenta bien un sésame ouvre toi, ne provoquant que mon hilarité.

La vie s’écoulait et notre quête perpétuelle nous rapprochait peu à peu. Tant et si bien, qu’un matin, nous nous réveillâmes côte à côte. Nous ne savions pas comment ouvrir ma boite mais nous avions trouver l’amour. Ce matin là, sur ma table de nuit, un éclat de soleil me rendit mon regard. Entre ouverte, elle semblait me sourire ! Je ne bougeais pas un muscle ! L’inexplicable s’était produit ! Tel un coquillage vivant, la boite avait décidée d’enfin me sourire ! Allongé, je ne pouvais voir ce qu’elle contenait !
Alors que le sommeil tenait toujours mon amie devenue amante, je réfléchis longtemps, très longtemps avant de la refermer sans satisfaire ma curiosité.

Comme je l’espérais, il était à nouveau impossible de l’ouvrir. Les mois suivants, nous continuâmes à nous amuser à imaginer des solutions à cette énigme. Nous partîmes aux pôles pour tester un éventuel effet magnétique sur la petite boite, puis sous les tropiques pour la chaleur et une éventuelle dilatation, au Tibet, pour trouver, un vieux sage… De fil en aiguille, nos vies se remplissaient d’aventures et de joies. Un jour, nous eûmes des enfants puis des petits enfants et aujourd’hui, au soir de ma vie, je te donne, à toi l’aîné, cette petite boite. Je ne sais pas l’ouvrir mais garde là précieusement, grâce à elle, j’ai trouvé, je le crois, un sens à ma vie et si elle contient quelque chose alors ce doit être le bonheur.