Hôtel Bolivar

Hôtel Bolivar

Au grand hôtel Bolivar, une chambre donnant sur la place, au premier étage, est réservée à son nom. Dès son entrée, il ferme la porte à clef, pose sa valise sur le lit, ouvre la fenêtre à deux battants et se livre à un long moment d’observation, de réflexion. Un hochement de tête laisse supposer une insatisfaction. Ses cheveux sont trempés, sa chemise aussi, la sueur ruisselle sur son front. Il a du mal à respirer dans cette chaleur étouffante. Tout en se dirigeant vers la salle de bains, Mario ôte ses chaussures, se déshabille, et au moment de retirer son slip son geste est immobilisé par la sonnerie de son portable.

Il se précipite sur l’appareil en maugréant « je lui avais pourtant dit de ne pas m’appeler… »
– Allô !
Une voix masculine lui demande s’il est bien arrivé, bien installé, s’il est bien placé au regard de l’objectif à atteindre, enfin si tout va bien…
Soulagé que l’appel ne vienne pas de sa femme, cette dernière ayant le chic pour venir le déstabiliser dans ses délicates missions, il répond à son interlocuteur qu’il aurait dû faire abattre le gros arbre qui trône au milieu de la place. Il explique sur un ton de reproche :
– Supposez qu’ils aient l’idée de dresser l’estrade sous ces branches pour être à l’ombre pendant la durée des discours, sachant qu’il fait plus de 40 degrés ici dans la journée, de ma fenêtre je ne peux rien faire.
La voix répond alors :
– Arrête de dire des idioties. On y a pensé mais ce que tu demandes était impossible. Tu dois te débrouiller avec les moyens du bord. Tu sais qu’il doit sortir de l’Ambassade, l’immeuble face à l’hôtel, de l’autre côté de la place, et y retourner après les discours.. Tu te mets en faction une heure avant l’heure prévue, et tu attends. Il y aura au moins deux moments où il sera à découvert. A toi de jouer. Je te fais confiance. De toute façon, tu n’as pas le choix. Adios !

En sortant de sa douche, Mario sent peu à peu l’angoisse l’envahir. Il enfile un peignoir éponge, allume la télé, et se plante devant la fenêtre restée ouverte pour fumer une cigarette et voir arriver la nuit. La télé ronronne et lui donne l’impression de ne pas être tout seul avec ses appréhensions. Pasto est une ville de moyenne importance en Colombie méridionale, non loin de l’équateur et de Quito. Ici, comme en Espagne, les gens vivent dehors, tard le soir. Une silhouette traverse la place, une démarche souple et légère, comme celle de Consuela. Il revoit ses yeux amoureux et son sourire sous son voile blanc le jour de leur noce, regrette un peu son interdiction de venir le déranger quand il travaille, a presque envie d’attraper son téléphone, mais se retient. Il fait toujours aussi chaud. Il suffoque.

Pour chasser cet instant de faiblesse, il ouvre sa valise, la vide des vêtements qu’elle contient en surface, et tire du double-fond son arme en pièces détachées qu’il se met en devoir de reconstituer. Ce travail terminé, il éteint la lumière et s’approche de la fenêtre. Dans la pénombre, il vise divers points de la place bien éclairée. Le bout du canon fait plusieurs fois le trajet de l’Ambassade au gros arbre, dans un sens, puis dans l’autre…Il revient enfin ranger le fusil sous le lit et s’allonge en soupirant. Il faudrait dormir un peu.

Il tend le bras vers la télécommande mais son geste est interrompu. Un ruban défile : EDITION SPECIALE. Le speaker fait une tête d’enterrement et, lentement, comme s’il avait du mal à articuler, prononce : « Le général Arrabal qui était attendu demain à San Juan de Pasto vient de décéder d’une crise cardiaque à son domicile, à Bogota. »

Je trouve le décor bien planté, la mise en tension rapide, le style agréable. En quelques phrases, bien tournées mais faussement simples, on sait qu'un drame se prépare. Le texte étant court, on s'attend à ce ne soit qu'un extrait, un préliminaire. Et la chute vient. Elle est amusante : pour une fois, ça n'était pas un rêve ! Cela dit, comment la mort d'un homme pourrait-elle être "amusante" ? Elle vient ruiner les efforts de l'exécuteur des basses œuvres. Gageons qu'il y aura pour lui d'autres contrats, et d'autres encore. Ce n'est qu'un accroc dans une carrière par ailleurs "impeccable"...
Le texte, lui, l'est.

Ubik.

Un petit souffle de polar exotique avec une chute totalement imprévisible, j'ai bien aimé.

Héhé ! Ton personnage a le même prénom que moi ! Enfin, ouais, bon !

Sinon, le texte est sympathique. Un peu classique, mais ça va. Je crois que vous pourriez ajouter un peu de bonbon autour, ça rendrait probablement la scène plus intéressante !

Je dirais de ce texte que son écriture, d'une part, rend la lecture facile et agréable, d'autre part qu'elle crée à merveille une ambiance propre à évoquer quelque bon film d'espionnage.
Bilan : j'ai aimé.

J'aime bien l'écriture, le style, il n'y a rien de trop, tout est en place et bien posé. Malgré tout ça, j'ai trouvé l'histoire banale, avec une forte impression de déjà vu, ou de caricatural.

Dommage qu'il n'y ait pas quelques trouvailles originales, en dehors de la chute, appréciée !

Petite chronique polaroïde. Pas mal. J'aimerais pouvoir en faire autant, mais je ne parviens pas à me plier à ce classicisme. Le sujet pourrait souffrir plus de singularité peut-être. De ce fait la chute paraît volontaire, fabriquée. Sinon belle atmostphère. On trimballe souvent des clichés (ambiances etc...) et on a envie d'en faire écriture, pour se faire plaisir, ou s'en débarrasser. Voilà, pour toi s'est fait. Maintenant tu peux t' affronter à du plus personnel... Merci pour cette halte à Bogota.

Raoulraoul, du personnel, c'est-à-dire du vécu, je ne savais écrire que cela, et j'avais des commentaires plutôt positifs. C'est tout dans le catalogue. Je veux justement essayer d'inventer des histoires, mais pour moi c'est difficile. Je manque un peu d'imagination.
Phylisse, je suis d'accord avec toi, et c'est souvent la remarque que l'on me fait : " bien écrit, mais trop lisse, trop classique, manque d'inventivité."
Alex, j'apprécie tes corrections, elles sont justes et nécessaires. Simplement, je trouve cette démarche
-comment dire- un peu "scolaire" et puis je me disais que cette rigueur, ces corrections précises et systématiques dénotaient un tempérament plutôt matheux que littéraire. Je suis allée te lire et j'ai été très agréablement surprise par ton grand talent de poète. (Ne jamais se fier à une vague impression !)
Iris, j'aimerais bien, en effet, partir sur ce début et "tricoter" un roman d'espionnage, mais j'ai bien trop peu de laine à ma disposition !
Ratz19, étant donné que je ne suis pas tout à fait de ta génération ( et ouais! ) je crains de ne pas trop saisir ce que tu entends par "bonbon". J'aime bien ton prénom.

Merci, vraiment, à toutes et tous, d'avoir laissé votre impression sous mon texte.

Quelle jolie sonorité, "Hôtel Bolivar" ! De très jolies mélodies sont à relever dans l'ensemble du texte, d'ailleurs.
Ce personnage m'a beaucoup plu, poétique, loin des tueurs à gage traditionnels. Le sujet est un peu prévisible, mais la chute surprend et lève le niveau.
Le décor se représente à nous facilement. C'est agréable, le style est fluide.
Merci pour ce texte.

embellie a écrit: Ratz19, étant donné que je ne suis pas tout à fait de ta génération ( et ouais! ) je crains de ne pas trop saisir ce que tu entends par "bonbon".

Ouais... Je crois que ce n'est pas une question de génération, mais plutôt de culture, puisque je suis du Québec. D'autant plus que, quelques fois, je fais un peu comme ma mère et invente, sans m'en rendre compte, des expressions qui n'existent pas. Mais enfin ! En parlant de bonbon, je parlais de plaisir et de surprise.

Là, c'est bien. C'est classique, un peu scolaire, mais la structure est bien là. Maintenant que ça, c'est construit, je crois que vous pourriez vous permettre de vous éclater là-dedans, vous permettre de vous surprendre et nous aussi à la fois. Un professeur de théâtre m'a dit une fois, dans un atelier : ''Do it wrong'' et je crois que c'est de cette manière que vous pourrez sortir de ce ton un peu scolaire. Permettez-vous de faire des conneries ! On est jamais trop vieux pour ça !

J'espère que j'aurai pu éclaircir mon commentaire ! Et au plaisir de vous relire, embellie !

Bonsoir,

En sortant de la douche dans cet hôtel, j'ai cru que l'on s'orientait vers un scénario latino à la DSK !
Le tout est super, bien vu, bien écrit et bien construit ...

Amicalement,
midnightrambler

Le général Arrabal vient de décéder d’une crise cardiaque à son corps défendant, à Bogota. Un général ça meurt mais ça ne se rend pas !
A la tete de ses divisions réunies pour l'Union, il aura livré son dernier combat retranché derrière son corps darmé.

Une très belle écriture, on lit un texte comme celui-ci comme un roman.
Je ne suis pas trop fan des histoires type polar et companie, c'est bien dommage je suis d'accord... Mais bon, une mission complètement avortée, c'est plutôt bien pour lui il va pouvoir rejoindre sa femme !

Marine, contente que cela t'ait plu. J'aime souvent ce que tu écris, mais je ne suis pas très calée en commentaires.
Ratz19, tu as raison. Je vais essayer de me "lâcher". Il serait temps, vu mon âge !!!
Minightrambler, en l'écrivant j'ai eu la même idée: mes lecteurs vont croire que...Non. On nous en a assez parlé!
hi wen, merci de m'avoir lu et bravo pour les jeux de mots.
Phoenamandre, je ne lis jamais de polars, mais comme on m'a fait remarquer plus haut, ça fait un peu (beaucoup) déjà vu.
J'ai pensé vaguement à "l'emmerdeur" où Brel empêche Ventura de faire son sale boulot.
Merci à toutes et tous pour vos interventions.

J'ai adoré le titre et la chute est formidable comme tous le soulignent.
Je suis Ratz19 dans ses explications, il a raison, un grain de folie et tu nous embarqueras dans des histoires géniales.

Décor, ambiance, surprise qui change la raison d'être là du personnage... Tout cela est fort bien dit et ingénieux !
Peut-être serais-tu surprise, si tu te lançais dans une écriture de plus longue haleine, de découvrir que tu as plus de pelotes en réserve que tu ne l'imaginais !

CROISIC, Carmen P, je vous remercie pour le crédit que vous accordez à mes supposées possibilités d'écriture, mais j'ai des doutes. J'ai déjà essayé de faire un roman en me servant d'histoires vécues, mais je n'y suis pas arrivée. Il faut dire que j'ai du mal à me concentrer et pas assez de temps aussi.
Merci pour vos commentaires.