Poker céleste

Jahvé est en retard. Son réveil n’a pas sonné ce matin. Il gobe vite fait deux œufs crus et vide la chope de lait de chèvre qui traîne sur la table. Sa tunique est fripée, Marie a encore oublié de la repasser. Tant pis, le rendez vous n’étant pas officiel, il irait en soutane. Il faudra qu’il en glisse deux mots à Marie tout de même. Depuis le quinze août dernier, il avait remarqué un certain relâchement chez la Mère de son fils. Et où était il celui là d’abord ? En sortant, il fait un détour par la chambre du gamin.
— Nom de Moi, le boxon !
Le môme avait encore découché. Des trente-trois tours jonchent le sol, ses tuniques roulées en boule et ses chaussettes cohabitent sur son bureau et un peu partout dans la pièce. Une odeur épouvantable, mélange de patchouli et tabac froid agresse son odorat. En allant ouvrir la fenêtre, il se cogne le gros orteil dans un carton rempli de canettes vides. Il réprime un juron, le lâche tout de même, la douleur aidant !
— Il va falloir le recadrer lui aussi se dit le vieil homme, rien ne va plus ici.
Jahvé va pour sortir quand un détail attire son attention. Sous le lit, a moitié recouvert par un tapis en poils de yack, l’horreur ! Un string. Rose. Le vieil homme martyrise sa sciatique et s’agenouille pour regarder sous le pageot. Un indescriptible capharnaüm s’offre à ses yeux ébahis : une batte de base-ball, une boite de petits beurres à moitié vide, un playboy, un gant de boxe, des kleenex, une bouteille de Jack Daniel’s et cette boite à chaussure. Que peut elle contenir, le gamin marche toujours pieds nus ? Il ôte le couvercle et manque de tomber à la renverse en découvrant son contenu : un shilom, un Zippo, deux paquets de feuilles Riz la croix, longues, une dizaine de tickets de métro et une grosse boulette de résine de cannabis, du vert, de la province de Kandahar en plus. Ah le freluquet, il ne perdait rien pour attendre ! Jahvé range le Zippo dans sa poche, ainsi que la boulette. Il referme la boite et la glisse sous le lit.
Le vieil homme sort de la pièce en claquant la porte. Le môme allait l’entendre…

Jahvé prend les clés de sa Déus-Machina. La voiture, toute neuve, l’attend. Garée devant le portail, elle brille de mille feux. Le vieil homme introduit la clé dans la serrure et là, son cœur rate un battement : une rayure, gigantesque, sur toute la longueur.
— Mais c’est pas Moi possible ! Une voiture toute neuve ! Si je tenais l’auréolé qui a fait ça.
Il se promet d’amener sa Déus-Machina dés demain chez Christophe, le garagiste du coin. Le doux ronron du moteur l’apaise. De la belle mécanique, vraiment. Il caresse le volant, en ronce d’olivier et fait jouer ses doigts sur le tableau de bord. La clim lui caresse le visage et le lecteur de Cd lui délivre l’Avé Maria de Gounod, son préféré.
Il n’est pas trop à la bourre et s’il prend l’Avenue D’Enfer Roc Haut, il évite le Boulevard du Purgatoire trop encombré à cette heure de la journée.
Jahvé arrive finalement sans trop de retard à son rendez vous. Il se dit qu’il a bien fait de venir en soutane, la chaleur est quasi insupportable ici.
Son hôte l’accueille avec courtoisie, Lucifer a toujours su recevoir.
— Bonjour Jahvé
— Salutation Lucifer, je suis désolé pour mon retard.
— Ce n’est pas grave mon ami, Mahomet n’est pas encore là, tu n’es pas le dernier aujourd’hui.
Lucifer s’écarte et laisse entrer Jahvé à l’intérieur. Assis autours d’une table ronde, les partenaires habituels de la partie de poker hebdomadaire. Albert Einstein se lève à l’entrée du vieil homme, comme d’habitude il semble tout droit sortir du lit, les cheveux en bataille. Jahvé aime beaucoup le vieil homme, partenaire privilégié de leur partie de carte divine. Avec Gandhi, ils représentent à eux deux les seuls membres humains de l’assemblée. Bouddha fait mine de se lever pour saluer le nouvel arrivant. Compatissant, Jahvé lui demande de rester assis. Il lui semble que Bouddha a encore grossi depuis leur dernière rencontre. Le gros homme le remercie du regard et reprend tant bien que mal sa place sur l’immense fauteuil qui lui sert de siège. Quetzalcóatl s’étant excusé, Astharoth, démon du troisième cercle le remplace au pied levé. Après avoir salué tous les participants, Jahvé prend place autour de la table.
On sonne à la porte et le dernier joueur arrive enfin, la barbe hirsute et le turban de travers.
— Désolé les copains, on m’a piqué ma bagnole, j’ai du prendre le tram pour venir.
Mahomet en sueur salue poliment l’assistance, réajuste son turban, peigne sa barbe de ses doigts couverts de bagues en or.
— Tout le monde est là, la partie peut commencer.

Jahvé perd, beaucoup, de plus en plus. Il ne sait pas s’arrêter et enchaîne les mises, de plus en plus grosse. La chaleur est insupportable et Bouddha mouille les cartes. Lucifer change le paquet, cartes neuves…
— Je passe.
— Je suis, plus dix.
— Cinquante, pour voir !
Un Ange passe…
— Full aux anges par les madones !
— Carré de démons
— Par Moi, quelle déveine, s’écrie Jahvé, dépité. Pour une fois que j’avais un full !
Il se ressert un cordial, l’avale d’une traite. Lucifer et Astharoth ont fait main basse sur les mises. Gandhi a réussi à maintenir son fond de départ, Einstein a frôlé la catastrophe, mais s’est refait sur un coup, un seul, en fin de partie. Mahomet a perdu, ses coups de bluff n’ayant pas toujours fonctionné, mais pas autant que Jahvé, le grand perdant de la soirée.

— Bon, je crois que s’est fini pour moi, je rentre.
— Allez, une dernière insiste Mahomet, je pense qu’elle te sera bénéfique celle là !
— Non, et puis il est tard. Marie va m’en jouer une si je rentre après les vêpres !

L’assemblée sourit, ils connaissent bien le vieil homme et sa crainte de la Sainte Femme.

— A la semaine prochaine. Jahvé salue l’assistance et sort.
Lucifer se lève pour l’accompagner, le vieil homme l’arrête d’un geste.
— Je connais le chemin, continue ta partie, je claque la porte derrière moi.

Arrivé sur le trottoir, une mauvaise surprise l’attend. On lui a volé sa voiture.

C’est dans une colère noire qu’il prend le chemin du métro. Station Paradis, heure de pointe.

Deux heures plus tard, il arrive à son domicile où une Marie furibonde l’attend. Il bredouille quelques excuses vaseuses, met son retard sur le compte du vol de voiture. Rien n’y fait, Marie boudera jusqu’à demain. Il dîne seul, le gamin ayant téléphoné, ce n’est pas la peine de l’attendre, il rentrera tard. La soupe est froide et le vin amer.

Jahvé, après avoir fait la vaisselle et embrassé une Marie boudeuse, s’en retourne à son bureau.
Il consulte son agenda et ses rendez vous. Bof, rien de transcendant. Il espère juste que la journée de demain sera meilleure que celle qu’il vient de vivre. Il arrache le feuillet de son agenda…le ‘’dix septembre deux mille un’’, en fait une boulette qu’il jette d’un geste adroit dans la corbeille à papier. Que peut-il arriver de pire de toute façon ?

il va falloir le recadrer ou le réincarner ?

Eh oui, les parents jouent, les enfants perdent !
Tu confirmes mes soupçons, Marchevêque.
Sur le plan de l'écriture :

Il va falloir le recadrer lui aussi se dit le vieil homme, rien ne va plus ici.
Jahvé va pour sortir quand un détail attire son attention. Sous le lit, a moitié recouvert par un tapis en poils de yack, l’horreur ! Un string. Rose. Le vieil homme martyrise sa sciatique et s’agenouille pour regarder sous le pageot.

Un peu trop proches.
Le vieillard me paraitrait plus judicieux, de toute façon

Un peu facile, mais amusant et plein de trouvailles sympa :
Le riz la croix ( qui s'imposait, remarque Job, c'était bien aussi !!!)
la Deus-Machina ( j'aurais orthographié Deusch-Machina, mais ça impliquait de renoncer au tableau de bord en ronce d'olivier !),
le full aux anges par les madones ( voilà qui devrait plaire et à Grieg et à Yali !)
Je regrette que Quetzalcoatl ait été absent : il y laisse toujpours des plumes ...

Bien aimé la fin et, de tous les jeux de mots, préféré le plus simple sans doute, le plus attendu : "nom de Moi".
L'histoire est rigolote, les petits incidents et commentaires y contribuent, mais je trouve quand même la narration bien uniforme, toute sur le même ton, avec des structures peu variées. Repéré des répétitions aussi, notamment "coup" à un moment, lors de la partie de poker.

Y a plein de choses sympas, bon, en même temp,s je suis assez fan du thème pour le traiter encore et encore *
Je rejoins Easter dans son commentaire, la narration reste trop uniforme et, bon Dieu que c'est dommage parce que ça fourmille de pistes à exploiter.

*http://www.vosecrits.com/t2631-noms-de-dieux

Bonsoir,

Marrant, tous ces dieux autour d'une table de poker, avec les mêmes préoccupations que les humains : l'argent, la bagnole, le vandalisme, le couple ... il manque le foot, mais ce n'est pas moi qui m'en plaindrais !
J'ai beaucoup aimé le carré de démons !

Amicalement,
midnightrambler

Ah je me suis régalée !
Les scènes décrites sont trés visuelles et hilarantes. Bien que l'affrontement du mâle et du mal ne soit à priori pas unthème réjouissant, j'ai adoré cette version partie de poker pour expliquer les tourments du monde.
J'ai souri aux différentes expressions employées et déjà relevées ci-dessus et le portrait du "Fils" en adepte des paradis artificiels est plaisant.
Dire que je croyais jusqu'à maintenant que Dieu jouait aux dés !

La vie est bien une partie de poker alors....
J'adore lire et relire ce texte parce que l'idée me plaît, les jeux de mots, les clins d’œil...
Bref pour moi, du tout bon. Je ne suis pas une pro, mon avis vaut ce qu'il vaut. Mais voilà, j'ai pris plaisir à te lire. Il faut bien le dire parfois. Non ?
Allez, prends pas la grosse tête et attèles-toi à la tâche. C'est toujours un plaisir de te lire. Bon sauf le Lion, mais une erreur de parcours ça arrive... Même aux meilleurs ;-)

Sweet Heart

Bonsoir à tous,

Aïe, je croyais avoir répondu, j'ai sans doute oublié un coup de clic...

Merci à vous de vous être arrêtés à la table de jeu...

Marchevêque