Exo "Péchés capitaux" : Repêchage in extremis

Le matin à jeun, Goufix le chat est d'humeur massacrante. Il lui faut d'abord son Ronron si l'on souhaite en extirper un en retour. Line, sa maîtresse, se désole. Ses ronrons n'ont jamais été longs. Mais dernièrement, il ne répond plus que par monosyllabes.

Il guette maître-Colin qui rentre de la pêche. Ciel que ça sent la marée ! Comment résister devant les cageots en attente de chargement ? Colin n'a pas sitôt tourné le dos que Goufix s'élance. Preste. Rapide. Redouble de coups de crocs. Gloutons. Gobe un demi-cageot de poissons.

En quelques bonds un tantinet alourdis, il se glisse à l'étage. Par la porte entrouverte il se faufile dans la salle de bains, lape au robinet de la baignoire quelques gouttes d'eau tiède. Puis s'essuie les babines, se lisse les moustaches, s'attarde à faire sa toilette pour finalement se glisser dans un vêtement soyeux. Il adore les plaids et tissus moelleux. Il lézarde sur tout ce qui a surface souple, il ne répugne pas non plus des jeans qui sentent la pêche fraîche. Il se coule dans les plis et replis d'un plaid.

Il se sent si nauséeux qu'on dirait que la pile se promène. Cric, crac. Quelque chose ne tourne pas rond ! La machine à laver miaule. A peine le hublot s'ouvre-t-il pour un ajout... qu'il bondit comme un diable hors de sa boite. L'eau, il déteste! Elle lui a contracté les pupilles, plombé les moustaches, échauffé les oreilles. Il a grimpé trois fois au rideau, de bas en haut et de haut en bas, hurlant qu'il allait faire un malheur, que dans cette maison on passait son temps à le brimer.

Alors le fils, Alfred, surgi entre deux révisions de rattrapage, est venu l'étaler au soleil sur le balcon. Deux heures d'héliothérapie plus tard, Goufix a le poil lustré, la moustache frémissante et se sent ragaillardi. C'est lui le plus grand, le plus fort, il brandit la queue, s’étire de toutes ses griffes. Ensuite, silhouette élégante, il parade sur le mur mitoyen, déambule parmi les siens. C'est lui le plus beau, un vrai tombeau des cœurs.

Il sait les attirer toutes, minettes minaudières, chattes errantes, tigresses envoûtantes. Il glane les regards et leurs attendrissements, éloigne les matous indésirables, « jette la patte et, pourquoi le taire, les culs-terreux se retrouvent par terre ». Aujourd'hui c'est une féline coquine qui a eu sa préférence et il n'a pas tardé à introduire en ses flancs les semences les plus câlines. On les entendait sonner les matines.

Après le grand sabbat, le voilà qui pionce et rêve. Les chats rêvent donc ? Bien sûr, justement il rêve du hamster des voisins et prie le dieu Râ de réaliser son vœu. Une voix alors se fait entendre :
- Qu'est-ce que tu voudrais, Goufix ? Un cobaye ? Une musaraigne ? Un hamster ?
- Non, je veux que crève le hamster des voisins !

C'est tout à fait cha !
Beau détournement de contraintes, Chrystie !
J'adore Puis s'essuie les babines, se lisse les moustaches, s'attarde à faire sa toilette pour finalement se glisser dans un vêtement soyeux.
Mais Maou me glisse à l'oreille que jamais au grand jamais chat n'a mangé de musaraigne :la viande en est si musquée que c'est rigoureusement immangeable.
On les tue, oui, mais juste pour jongler un peu !

Ce texte témoigne d'une grande connaissance de la psychologie féline, portrait et attitudes sont très bien rendus.
Pauvre bête ! heureusement que l'on a dû ouvrir le hublot de la machine avant la fin du cycle !

Colette, à coup sûr, aurait aimé ton texte.
Moi aussi.

je suis portier pour chat (à titre bénévole)
icelui devient fou dès que ça sent la marée
je confirme que ces bestiaux sont affligés des mêmes péchés capitaux que les bipèdes et ne puis qu'applaudir à ton texte jubilatoire
miaou

ah je te le re-re-re-dis
je kife grave la fantaisie et l'inventivité de ce que tu écris
c'est doux, c'est malin, ça pique un peu quand même
un plaisir à chaque fois

Une tournure un peu curieuse : " il ne répugne pas non plus des jeans qui sentent la pêche fraîche." Répugne (à) qqn/qqc.
"Il se sent si nauséeux qu'on dirait que la pile se promène." Lourd (qu'on, que).
Une question : le chat s'est-il introduit dans le tambour de la machine ? Car, dans ce cas, il y a une incohérence (je suppose qu'il n'a pas fermé le hublot tout seul).

je n'aime pas les chats, nous n'avons aucun atome crochu, la gente féline et moi. Ils m'envoient à l'hosto quand j'ai envie de les envoyer dans la gueule du premier chien errant affamé qui passerait. Mais j'ai beaucoup souri(s) devant ce très très joli texte. je vais les regarder d'un œil neuf, peut être même avec une certaine tendresse, on se ressemble tellement finalement !