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Garçon sans mots

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Message  D.E Lun 10 Déc 2012 - 0:33

1


encore dans les airs mais déjà sur une autre galaxie) une multitude d’étoiles scintillantes découvraient progressivement dans un lac noir leur éclat tandis que l’avion poursuivait sa descente) Aéroport Paris-Charles de Gaule) sur le parking papa attrape le premier taxi, au passage, moi le premier glaçon du froid, puis toute la moitié de famille s’engouffre dans un air climatisé roulant) au 50 boulevard Victor Hugo, nous s’y sommes !) les jumelles papa et moi récupérons les nombreux bagages) dans les étreintes et les larmes des rêves enfin exaucés, les deux moitiés du puzzle familiale ont disparu pour ne former qu’un) j’ai froid ! geins l’une des jumelles ; bienvenue en France ! lui répond-t-on) nous rigolons) nous montons) derrière les deux vitres coulissantes de la chambre que je partage avec quatre de mes sœurs, s’élancent vers le tréfonds de l’horizon comme de minuscules escaliers épars gonflant à leur sommet pareil qu’une vague déferlante, les immeubles sur lesquels trônent la Tour Eiffel et le Dôme victorieux de Notre Dame de Paris tous deux figés comme dans une photo et orgueilleux des millions de touristes drainés du monde entier pour admirer leurs formes à elles, elles, ses deux vieilles stars de Paris hors de porté des rugissements des voitures furtives du périphérique au premier plan, comme de la mélancolie solitaire et humide des proches qui vont fleurir une fois par an les tombes en souffrance du cimetière des Batignolles, tout en bas, en dessous, hors du cadre du vivant tableau) j’imaginais, dans mon monde, en regardant la lune, à l’heure de rêver, des policiers prendre en chasse des truands cupides dans des bolides luxueux sur le périphérique, un avion ou un hélicoptère s’écraser par mégarde sur la tour Eiffel, les enterrés du cimetière des Batignolles s’extraire des caveaux puis s’éparpiller dans l’obscurité de tout Paris et sa banlieue pour dévorer les vivants)
notre balcon, perché dans le vide, au treizième étage, donne vu sur une bonne portion du boulevard Victor Hugo qui est la veine principale de la ville ; chaque fois que je m’y trouve c’est pour étaler du linge glacé sur les cordelettes vertes ou pour le retirer sec juste avant que le crépuscule n’illumine les réverbères du boulevard) la nuit y est plus fraiche que le jour ; l’amplitude et la profondeur de l’observation moins vaste que celui offert par les deux vitres de notre chambre ; au premier plan, juste après le trait horizontal embouteillé du boulevard, se trouve au bord du trottoir d’en face, un immeuble fantôme semblant avoir survécu à la deuxième guerre dont l’état de décrépitude assombrit à lui seul un tiers du panorama) là, le fixant, alors que je prends la température de la ville au balcon auprès de ma petite sœur Arlette, ancienne combattante de la vie en France, sais pas que cette bâtisse sans électricité et squattée aura une résonance particulière dans l’expérience de notre famille, quand je demande à ma petite sœur où se trouve le collège et qu’elle pointe du doigt un coin imprécis au milieu des lumières du vaste escalier malformé)


avant de m’accepter dans leur école bien Française, ils s’informèrent : sur mon âge, mon pays d’origine, mon niveau d’étude, ma taille, mon poids, mes vaccinations, la texture de mes testicules, et enfin mon état de santé général pour être rassuré que je ne refilerais pas de virus clandestins à mes nouveaux camarades) l’employée de l’éduction nationale a signé le sourire aux lèvres le document qui me donnait à moi enfant évadé du tiers monde le droit de poser mon cul misérable sur les bancs de l’école Française, au bout desquels, je pouvais rêver d’or, de fortune et de célébrité, à la différence de ceux qui se noyaient pour pas un centime sur les côtes européennes)
« quand on est noir dans ce pays de blancs, nous avertissait notre père, il faut trimer quatre fois plus ! vous avez la chance d’être jeunes et d’aller à l’école) moi je suis venu seul dans ce pays, tout seul, à l’âge de quinze ans, bombait-il le torse, personne ne m’a amené ici !) j’ai vécu des choses que si je vous raconte vous ne pourrez pas croire) vous avez la chance d’être réunis entre frères et sœurs en famille) votre père est là, votre mère est là ; tous les enfants n’ont pas cette chance) vous ne manquez pas à mangé ; profitez-en pour bien faire l’école ! ») il n’en manquait pas une papa pour nous sortir son sermon favori –– dans lequel il tenait toujours le rôle du père dévoué qui avait tout sacrifié pour faire parvenir sa grande famille d’ingrats en France –– lorsqu’il réprimandait nos bêtises et qu’il voulait consolablement faire claquer sa langue après les coups)


chargée d’espérances nouvelles et d’angoisses futures la rentrée scolaire se rapprochait tandis qu’on entrait dans la première semaine du mois de septembre) maman fit irruption dans notre chambre) « voilà des habits et une valise pour la rentrée !) elle déposa sur mon lit un sachet de vêtements et un cartable) Calain n’a pas d’argent) il a dit qu’il va acheter vos cahiers quand vous aurez les listes des fournitures ») merci maman, ai-je répondu de loin) « quand on remercie quelqu’un ici, a-t-elle dit souriante, on lui fait un bisou sur la joue !») j’allai coller un baisé sur sa joue qu’elle me rendit aussitôt) décidément la France avait adoucie ma mère que je n’avais jamais vu s’épancher au pays)
après son départ, le cœur gorgé de joie, j’ai observé de plus près mes nouvelles acquisitions : quelques friperies –– parmi lesquelles un jean noir et un polo violet muni d’une fermeture éclair au niveau du cou qui deviendront les éléments essentiels de ma toilette scolaire –– une mallette en cuir marron usée et minable qui datait de l’époque des films en noir et blanc –– une horrible paire de baskets totalement noire qui me serraient et m’arrachait des grimaces à chaque pas) étalé sur le lit, l’ensemble, je l’observai très inquiet, pendant que l’intérieur des baskets –– parsemé de flocons de cotons dispersés m’informait qu’elles avaient appartenues à quelqu’un et qu’on me les avait refilé à moi enrobé dans un parfum industriel pour me berner sur la nature de leur exhalaison précédente –– d’une odeur âcre embaumait la chambre) tous se foutaient de moi !) en particuliers mes parents qui tendaient la percher pour que je me fasse moquer par les autres au collège, moi qui voulait qu’on ne moqua ni mon accent, ni mon physique, ni mon origine sociale et ethnique, comme ma petite sœur qu’on avait humiliée jusqu’aux larmes) « ils sont très violents, ils adorent les embrouilles, m’avait-elle dit alors qu’on regardait un reportage sur les raquetteurs à l’école, certains entrent dans le collège avec des couteaux et si tu bagarre avec un de leur pote, tous les autres te sautent dessus !») je me faisais du soucis à l’approche de la rentrée et d’une probable confortation avec une de ces hordes brutales et insolentes dont je venais de découvrir l’existence) « faut pas te laisser faire ! allait papa de son petit conseil, sinon les petits voyous là vont te marcher dessus ! ») j’étais prévenus)


heureusement que la télévision diffusait d’autres programmes moins graves, que le petit parc vert pour enfants en bas de notre hlm où j’accompagnais mes sœurs l’après-midi était passible, que les plats gourmets de ma mère existaient, parce que tout cela, l’air de rien, ainsi que les souvenirs émouvants du pays qui me semblaient alors être un trésor prisonnier dans mon cœur, tempéraient mon angoisse en occupant mon esprit) les jours où l’estime de soi est bousculé il se trouve toujours une personne ou un objet fétiche, quelque part, auprès duquel on est sûr de retrouver du réconfort) mon grand-père maternelle était ma béquille) les jours d’orages où ça tremblait à la maison et qu’il fallait courir pour pas qu’ils vous ensevelissent les coups et vous noient les injures, je galopais me faire sécher les poils humides dans ses bras réconfortants, câlins et chauds, qui m’illuminaient tel un paon ! oui, il était un arc-en-ciel à lui seul) mon grand-père) maintenant que la méditerranéen et qu’une grande distance nous séparaient, en épiant les premiers cumulus, j’aimais l’imaginer dans son fauteuil habituel avec une tasse de thé vert à la main, comme il se positionnait aux heures crépusculaires dans un angle de sa chambre) lui, tantine Eugénie, et d’autres encore, m’avaient fait promettre de leur décrire la France dans des lettres que je devais évidement accompagner de pécule en guise de consolation, pour les faire voir et sentir ce pays merveilleux, où malheureusement, ils ne pouvaient aller) comment faire, m’étais-je demandé, tenir dans des phrases tout ce que je vois –– la splendeur concentrique des grands bâtiments qui s’étalent dans le creux de l’horizon et qui y remontent seulement soit pour s’agrandir encore plus au premiers plan ou soit pour s’émietter et disparaitre au second plan, tout au fond –– ce que j’entends –– les tuyaux d’échappements qui toussent des ronds de cheveux noirs qu’avale aussitôt l’invisible et le bruit de friture diffus et continue des files ininterrompues de voitures fonçant sur le périphérique, derrière les vitres de notre chambre –– ce que je sens –– un parfum agréable et concentré comme celui des intérieurs des voitures semblant inonder tout le trottoir à chaque fois qu’une personne superbement vêtu file loin de moi comme s’il risquait de louper son train, des arômes d’Orient irritant les yeux dans le bazar du coin, l’effluve du pain chaud dans la boulangerie d’en dessous, l’odeur agréable du linge propres du balcon, celui des crèmes hydratantes, du savon de Marseille et du shampoing dans la salle de bain)
j’aurais aimé maitriser les formulations lexicales qui auraient rendues toutes ces multitudes nouvelles choses que j’observais, à ce moment-là, que j’entendais, et que je sentais, aussi flamboyants qu’ils m’apparaissaient alors, pour en faire profiter ne-serait-ce que d’un bout, mon Grand-père et ma tante) il arrive qu’on trouve vidées d’intérêt les choses qui nous émerveillaient la veille) je ne saurais déterminer quand la divine sensation de l’eau chaude à volonté sur mon corps ne m’a plus émue ; quand les premières pressions glacées des cuvettes des chiottes sur le derrière des cuisses ne m’ont plus fait sursauter ; quand le ronflement des voitures sur le périphérique s’est fondu avec le bruit du silence ; quand la tour Eiffel et le Dôme de notre Dame de Paris en trophée dans le panorama de notre chambre ne m’ont plus intéressés ; quand décrire toute cette banalité devenue journalière a été reléguée au fin fond des priorités et qu’il fallait chaque midi courir pour ne pas rater le train de ma croute) les paysages s’étaient éteints) la solitude durcie) la misère approfondie) les aiguilles du temps et du destin s’acharnaient à dévier l’écriture de ma route) je commençais pleinement à m’émouvoir des lettres, qu’ils étaient morts, tous ceux pour qui j’écrivais)

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Message  Invité Mer 12 Déc 2012 - 20:09

C'est superbe, à quelques broutilles près !
J'ai d'abord tiqué sur la compacité du texte, que n'aère presque aucune ponctuation ou seulement des ) erratiques, mais j'ai très vite été emportée par la langue, qui traduit formidablement la sensation d'urgences des multiples choses à découvrir et la pression que cette acclimatation exerce sur le personnage.
Cela permet de comprendre beaucoup mieux la difficulté d'être un "immigré", considéré comme "immigré" avant d'être perçu comme une personne !
Ton avatar me fait penser que je t'ai déjà lu auparavant, mais le registre que tu abordes aujourd'hui est bien plus "entendable" et il permet de relire les textes précédents avec un autre oeil... ( si je ne me trompe pas)
Si tu veux que je te signale les erreurs, dis-le moi.

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Message  Invité Mer 12 Déc 2012 - 21:39

Je ne dirai pas mieux que Coline.
J'ai beaucoup hésité avant de lire, tourné autour pas mal, c'est son commentaire qui m'a convaincue de me lancer.

Et donc, même réaction, petit temps d'adaptation à la ponctuation particulière, au foisonnement du texte, l'aspect compact, ramassé ; puis une fois en route, je me suis trouvée emportée en même temps dans une espèce d'urgence à dire et une analyse très fine, non seulement de ce nouveau monde avec lequel le narrateur fait connaissance, mais aussi de soi, de sa famille, les réactions, la manière d'être. (Et quelques perles subtiles, ici par exemple : Il n’en manquait pas une papa pour nous sortir son sermon favori –– dans lequel il tenait toujours le rôle du père dévoué qui avait tout sacrifié pour faire parvenir sa grande famille d’ingrats en France –– lorsqu’il réprimandait nos bêtises et qu’il voulait consolablement faire claquer sa langue après les coups))

En cela, j'ai vraiment beaucoup aimé le dernier paragraphe, avec ce compte-rendu de la nouveauté qui perd de son lustre au bout de quelque temps, c'est tellement vrai, tellement bien rendu, tout passe !

Cela dit, et pour mettre un bémol à mon enthousiasme, le texte n'est pas parfait, notamment au plan formel, mais quand même, un sacré coup de chapeau pour cette production.

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Message  kolkhoze Mer 12 Déc 2012 - 23:41

J'ai hésité, un peu, aussi, j'ai reculé
Un peu les parenthèses, un peu les blocs
J'aime bien, toutenminuscules, avec plein de belles choses, plein de mots justes
De chouettes images
Il y a comme une fulgurance, un sentiment d'urgence, aussi
un rythme
qui me plaisent bien



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Message  Invité Jeu 13 Déc 2012 - 12:24

Au risque de répéter: veiller à la mise en forme (majuscules, aération, ponctuation).
Sinon, j'ai bien aimé l'atmosphère du texte, l'arrivée de la famille, le puzzle qui se ressoude et ce fourmillement d'impressions bien rendues.
Comment les partager avec ceux qu'on a laissés..?

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Message  D.E Dim 30 Déc 2012 - 21:29

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la rue d’Alsace nait dans une intersection du Bd Victor Hugo puis s’élance pour grandir vers les quartiers nord de la ville en étant encadrée tout le long de son parcours de deux rangées d’immeubles séparées par des trottoirs sur lesquels croupissent des merdes de chiens et des voitures stationnées en double sens) elle file compagnie à ces dernières et à elle-même en virant subitement à gauche à une vingtaine de mètre du collège Jean Jaurès où elle se transforme en Rue René Veziel)
à mesure qu’on se rapproche de l’établissement l’entonnoir du tournant dévoile son ventre et laisse apparaitre un bâtiment rouge de deux étages prisonnier d’une barrière blanche) durant tout le trajet douloureux qui m’avait mené jusqu’à sa devanture je n’avais cessé d’avoir envie de m’éloigner du collège comme les bagnoles arrivant d’en face qui m’avaient dépassées dans un souffle vif puis qui étaient allées rejoindre le silence loin derrière moi où j’avais sans cesse rêvé de me téléporter)

je suis allé me caler bien dans la foule pour pas qu’on remarque ma minable mallette) ils étaient bruyants et excités comme des abeilles ceux qui causaient avec des connaissances pendant que ceux qui comme moi ne connaissaient personnes restaient silencieux l’air anxieux et constipés à s’impatienter qu’on ouvrit les barrières et qu’on les déchargea un peu du trac d’être nouveaux)

la douleur dans mes orteils s’était nettement accentuée ; elle me faisait me tenir sur les talons ; on aurait dit que mes baskets noirs étaient deux petits cercueils dont la contenance qui épousait parfaitement mes pieds avait pour mission de rétracter mes orteils comme des bonzaïs) c’était la première fois que je voyais d’aussi près autant de blancs) ils me troublaient) derrière leur peau terne comme celle des poulets déplumés je voyais drainer des veines bleus et j’eu la sensation que si je la touchais leur peau, je pourrais la transpercer) je comprenais maintenant la forte impression qu’ils avaient fait à mes ancêtres les colons) je tarderais pas à la vivre à mon tour ! comme trainant des boulets lourds aux pattes je me suis fait emporter malgré moi par la poussée du troupeau des collégiens dès que la barrière électrique s’est enfin ouverte) au milieu de ce courant j’ai traversé un sombre petit couloir puis je me suis retrouvé dans la vaste cours de recréation où les forces entrainantes se dispersèrent dans tous les sens comme une file de cafards à l’éclosion de la lumière)

après avoir repéré où se situait le numéros qui positionnait le rang de ma classe, je suis allé me planquer sous l’ombre du préau, pour y attendre la sonnerie, dos contre les casiers) là, comme ça, toute la vue dégagée, j’apercevais dans sa globalité la cours aussi noir qu’un vaste tableau horizontal sur lequel j’évaluais la dangerosité des collégiens groupés en clan, ceux qui éclataient de rire sans gènes, ceux aux voix véhémentes, ceux trop sûrs d’eux susceptibles de me chercher des noises)
je me sentais relativement à l’abris des racailles dans ce lieu où la douleur de mes orteils et la dissimulation de ma vieille mallette derrière mes fesses comme une souillure de règles honteuse m’occupaient l’esprit) des collégiens, que j’imagine d’anciens de l’établissement, sont arrivés) ils ont ouverts quelques casiers pour récupérer leurs cartables) lui, mon radars ne l’avait pas repéré) « VAS NIQUER TA RACE ! » l’ai-je seulement entendue crier) c’était un beurre bien plus petit et maigre que moi mais il m’a fait me sentir en danger) il se tenait devant moi avec défit, mâchoire serrée et cils froncés) j’imaginais dans les alentours ses copains parmi ceux qui rigolaient de la scène prêts à sauter comme on disait alors en cas de bagarre, et surtout prêts à me larder de coups de couteaux parce que sans faire exprès j’avais marché sur la chaussure de leur pote) confus, honteux, terrifié, j’ai fait la pute ! j’ai baissé la tête, puis je suis allé me positionner dans la rangée de ma classe en voulant disparaitre, en voulant surtout ne plus jamais revivre pareils situation)

la sonnerie qui retendit réveilla mon ennemie intime qui vint s’allier au trouble que la scène des casiers m’avait causé) le vacarme de la cours de récré a diminué) une boule se formait dans mon ventre) elle apparut) mes poumons durcissait) blonde aux yeux bleus d’une quarantaine d’année) j’avais envie d’être mille fois ailleurs ! elle nous ordonna de la suivre, en silence, en cour)

savais plus où me mettre) elle a écrit son nom au tableau, Mme Monit, puis après s’être retournée vers nous, elle a dit qu’elle enseignait l’Histoire, qu’elle serait notre professeur principale cette année, que si nous travaillons sérieusement nous ne redoublerons pas la classe de 5ième ) je manquais d’air) elle s’est dirigée vers son bureau, elle a ramassé le cahier de texte de la classe, elle a annoncée qu’elle ferait l’appel et que nous devrions répondre présent en levant la main) à mesure qu’elle lisait les noms, mes poumons se contractaient, mon estomac s’écrasait, tous mes muscles se crispaient et mon pouls s’accélérait) je me consumait littéralement de l’intérieur) mon corps n’en faisait qu’à sa tête comme un logiciel qui bug) à l’instant où elle prononça mon patronyme, tout, se, fi, gea, les, ai, gui, lles, s’a, rrê, tè, rent, les souvenirs des humiliations que m’avait jusque là fait subir cet ennemie intime défilèrent dans ma tête :

« veux pas revivre ça ! ai-je paniqué, pas ici ! »

mais le sot mot ne sortait pas ! il restait coincé dans ma gorge comme le bouchon d’une bouteille de vin) j’ai forcé de toute volonté) PRESENT ! ai-je répondu transis de sueurs en levant le bras) soulagé d’avoir pu parler à temps j’enroulai tout de même un regard pour me certifier que les autres ne rigolaient pas de mon état) ils s’étaient aperçut de rien) je venais d’accomplir un exploit)

Elle déroula le disciplinaire blablabla des profs) le brulant nuage d’émotion qui m’enveloppait encore à ce moment là condensait et s’écoulait en morvelle que je reniflais bruyamment) elle proposa de me passer un mouchoir) j’acceptai) elle demanda de quel pays je venais) Caaaame-roun ! répondis-je poussif)

« j’avais une élève formidable, sourit-elle en quittant sa chaise, l’année dernière ! elle s’appelait Belaya ! elle était aussi camerounaise, dit-elle en s’approchant, j’espère que tu seras aussi sérieux qu’elle ! »

Mme Monit se vêtait très élégamment) l’éclat de ces yeux azurs était rehaussé par une chaine en or qui s’étalait sur son buste quand elle se relevait, et qui s’y décollait en exhalant une agréable effluve chaque fois qu’elle se baissait sur ma copie enfin de vérifier à quel niveau de rédaction j’en étais, lorsqu’elle nous dictait son cours, où lorsque que nous nous trouvions en interrogation écrite)
cet après-midi là qu’elle me tendit ce mouchoir en m’ouvrant l’intérieur de son bustier, je ne savais pas qu’en le prenant, je m’installais dans son cœur jusqu’à la fin de l’année)

une autre prof qui m’aimait bien c’était Mme Porto) la quarantaine, un corps petit et sec, comme les traits froids de son visage qu’encadrait une coiffure tout droit sortie de l’Egypte pharaonique) d’un caractère autoritaire, jamais souriante, elle abritait des yeux perçants qui détectait tout ce qui se tramait dans la salle et, s’aidant d’une voix criarde et tranchante, elle soumettait les perturbateurs)

« ne vous moquez pas des autres, nous conseillait-elle régulièrement sur un ton philosophique, vous ne savez pas ce que demain vous réserve ; aujourd’hui vous avez quelque chose, mais demain vous pouvez tout perdre »

comme ma vieille mallette rapprochée aux neufs sacs à dos des autres élèves, Mme Porto restait anachronique rapprochée à la décadence du pays, anachronique rapprochée à la décrépitude sociale et morale des villes, anachronique au souk régnant dans son établissement et à tout ce mélange de pourriture et de moisissure qui venait se heurter à la porte de sa classe) qu’elle fusse debout ou assise elle me semblait toujours être l’incarnation d’une certaine Idée Française déchue, une Idée Française que mon grand-père avait lui connu durant l’époque de l’instruction, une Idée de la France et de ses valeurs désormais englouties, qu’elle parvenait, elle, du haut de son petit corps, de femme, à ressusciter chaque matin dans l’ilot imprenable de sa classe) elle les domptait les turbulents qui faisaient les perroquets hauts parleurs et les gros salauds dans les autres cours) chez elle, je ne sais par quel sortilège, ils se faisaient tous petits) elle n’était pas populaire dans la cours de récré :

« madame Porto je la déteste cette sorcière ! en plus elle note sévère cette pute ! »

des rumeurs courraient qu’elle souffrait d’un cancer, qu’elle suivait une chimiothérapie, que ses cheveux qui encadraient son visage émacié dissimulait un crane chauve et osseux) j’ai jamais pu vérifier si ça tenait du réel) toujours est-il qu’elle m’a faussé compagnie trop tôt dans l’année Madame Porto ! on a toujours le sentiment qu’ils nous quittent trop tôt les gens qu’on a apprécié et desquels on se savait en retour apprécié) j’aurais préféré qu’elle resta pour toujours) tous les compliments en dessous desquels elle m’enterrait me firent grand bien) les autres en mouraient de jalousie) pour une fois qu’une âme me trouvait des qualités ! morte où pas morte, big up Mme Porto !
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Message  Invité Lun 31 Déc 2012 - 11:13

J'aime toujours le point de vue du narrateur sur la nouveauté de sa vie, mais je trouve dommage que tu n'aies pas tenu compte des remarques formelles qui t'ont été adressées précédemment, en particulier sur la ponctuation.
Dommage aussi que ne soit pas développée l'idée de "l'ennemie intime" dont on ne sait finalement pas avec précision ce qu'elle est. Dommage parce que ça semble être un point central à l'humiliation ressentie par le narrateur. Est-ce le patronyme lui-même ? Qui révèle les origines du narrateur ? Au début, j'ai pensé qu'il pourrait s'agir de la prof aux yeux bleus mais ça ne faisait pas sens... Ou encore, le fait de devoir prononcer "Présent" ? Peut-être ce point sera-t-il développé plus tard dans le récit.

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Message  Invité Lun 31 Déc 2012 - 11:17

Peut-être une légère contradiction ici : "où les forces entrainantes se dispersèrent dans tous les sens comme une file de cafards à l’éclosion de la lumière)"
Cette comparaison avec des cafards (noirs) paraît incongrue après " c’était la première fois que je voyais d’aussi près autant de blancs) ils me troublaient) derrière leur peau terne comme celle des poulets déplumés "
Et pourtant l'idée même de dispersion soudaine rapide est bien rendue avec le choix de l'image des cafards.

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Message  D.E Dim 27 Jan 2013 - 23:35

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de retour à la maison, j’expliquai à ma mère, assise dans le creux du grand fauteuil terne positionné contre l’un des murs du salon, télé allumée, qu’au collège tout s’était merveilleusement bien déroulé –– en omettant volontairement de la mettre au courant de la frayeur près des casiers et du bouchon du mot présent –– et que j’avais hâte qu’on débuta les cours, que les choses sérieuses commencent en quelque sorte) pendant que Christian siphonnait gloutonnement l’un de sein, je lui racontai que les baskets noirs m’arrachaient une douleur insupportable à chaque pas, qu’il serait préférable, qu’on m’acheta des nouvelles, tout comme il serait préférable, qu’on remplaça la vielle mallette qui me complexait devant les autres)


« lorsque j’aurais l’argent je t’achèterais un sac à dos, dit-elle conciliante, Calain ne me donne jamais l’argent) le seul argent que je reçois c’est soit Rosalie qui me le donne soit Kola) votre père dit qu’il n’a plus un sous parce que votre voyage a vidé son compte) et puis si tu vas à l’école, ajoutait-elle moraliste, c’est pour ton avenir et non pour les autres »


je détournai mon regard d’elle et le posai sur les deux grandes vitres coulissantes qui séparaient le salon du balcon en nous isolant des bruits de la ville ; et j’observai en boudant intérieurement le soleil qui jaunissait dans l’ouverture vers l’horizon laissée par le sommet de la murette du balcon) à cette époque ma mère était sans papier ; savais pas encore ce que cela impliquait, je constatai qu’une fois de plus comme d’habitude, moi l’ainé de la famille, mes parents me faisaient passer en dernier ; j’aurais à affronter chaque matin un univers où l’apparence physique comptait le plus et où les individus étaient impitoyables avec leur prochain, et mes parents ne faisaient rien pour m’en prémunir ! mon esprit bloquait dans ces ruminations le regard fixé sur le bas de la murette du balcon où s’étalaient des algues verdâtres et noirâtres d’avoir trop bu en toute saison l’eau du linge accroché sur les cordes, quand la sonnerie retentit) un tambourinement sourd de pas se précipita vers la porte)


« tantine Rosalie ! tantine Rosalie ! » attendis-je mes sœurs crier) ma mère éteignit précipitamment la télé) je me dirigeai vers la porte en même temps qu’elle pour découvrir la personne qui provoquait tant d’enthousiasme) une dame blanche d’une cinquantaine année faisait la bise à mes petites sœurs) elle a fait la bise à ma mère dans la joie, puis un peu timoré, à moi, sans savoir que c’était la première fois que ma joue s’étalait sur celle d’une caucasienne) « c’est lui le fameux George dont on m’a tant parlé ? a-t-elle demandé en souriant, il est grand et beau ! il est en quel classe ? » en 5ième ; répondit maman) savais plus où me cacher) « tu as quel âge ? a-t-elle demandée ») mais ce putain de nombre et ce putain de mot ne voulaient pas sortir ! « 12 ans, a répondit maman à ma place dans un sourire, il a la parole difficile ») j’étais humilié ! corporellement aussi crispé qu’un rocher sur lequel une merde figée trônait je restais assis à l’écouter parler en essayant vainement de faire circuler de l’air frais dans mes poumons complexés)
elle nous couva dans un bavardage ponctué de félicitations, d’envies et de bienveillance, avec la passion de ceux qui ayant été enfant unique durant toute la duré de leur enfance se retrouvaient à l’âge adulte face à la fratrie dans laquelle ils auraient aimé naitre) j’apprendrait bien plus tard que cette cinquantenaire blonde aux yeux bleu qui ne se délestait jamais de son halot de gentillesse était d’origine polonaise, qu’elle avait décamper de la Pologne avec sa mère durant la deuxième guerre mondiale pour trouver refuge en France comme le firent des milliers de juifs qui fuyaient le nazisme à l’époque, et que son père, ainsi que d’autres membres de sa famille et de ses amis d’enfance, avaient été entassé dans les fours crématoires)


quand on rencontre une personne qui déborde de raison d’haïr les autres et que cette dernière au contraire aime ces prochains, on aime cette personne plus qu’elle ne nous aime comme consolation de la grande distance morale qui nous sépare d’elle par rapport à l’humanisme, cet idéal vers lequel toute l’humanité tend) j’ai plutôt eu envie moi qu’elle crève, mieux même, qu’elle ne fut jamais née, pire encore, que son ethnie ou sa race n’eut jamais existé, tantine Rosalie, quand elle me proposa devant ma mère et ma fratrie de trouver pour moi quelque jeunes gens de sa congrégation qui m’apprendraient la bible comme ils le faisaient déjà à mes sœurs, et surtout, quand elle a ajouté qu’il serrait préférable pour le salut de mon âme que j’accompagne ma famille à la Salle Du Royaume) j’ai secoué malgré tout positivement la tête à toutes ses propositions devant le sourire satisfait de ma mère alors que j’aurais préféré n’avoir pas à projeter chaque samedi sur le trajet menant au culte l’ombre d’une famille unie à l’extérieur pendant que dans l’intimité de ses propres murs elle demeurait hors de l’harmonie familiale, la famille Mizimdi)


« vous pouvez partir les enfants, je vais faire l’étude à votre mère) si tu veux George, a-t-elle dit en me souriant, tu peux rester pour te faire une idée du déroulement de l’étude biblique »


elle libéra de son sac à main marron une bible noire qu’elle déposa sur la table) sur la première couverture du livre de couleur noir, était écrit en lettre d’or : «  BIBLE traduction du monde nouveau » et un autre bouquin «  sauver son âme », puis elle a fait lire maman, qui tenait Christian somnolent dans ses bras, un paragraphe du livre d’étude et de la bible) comme les filles faisaient trop de bruits dans notre chambre, maman me chargea d’aller les ordonner de la boucler) à mon retour dans le salon l’éclat du soleil s’était ternit dans l’horizon au profit d’un halo bleu qui à travers les deux vitres avait fait virer au gris le visage jaune de tantine Régine)


elle déroulait désormais sa doctrine généreusement en d’amples gestes) Christian peinard s’était endormi contre le ventre chaleureux de notre mère comme sur un pieu) une trentaine de minute plus tard, tantine Rosalie me demanda comment j’avais trouvé l’étude) je répondis bien même si le sermon qu’elle venait de faire avaler à ma mère n’avait été pour moi qu’une croix de déplaisir) son visage s’enjoliva de ma réponse et sa bouche aux lèvres fines et rouges se précipita pour me rassurer qu’elle me trouverait au plus vite au moins un enseignant pour le salut de mon âme) putain je m’angoissait ! à m’imaginer les nouvelles contraintes religieuses qu’ils m’apprendraient d’abords avant de me les imposer et de me couper du monde, ces annonciateurs de cataclysmes)


« maintenant nous allons prier avant de nous séparer ; il faut, a-t-elle dit en souriant, fermer les yeux et incliner la tête devant Jéhovah »


maman a fermé les yeux et baissé la tête ; elle ressemblait avec Christian qu’elle tenait dans les mains à Marie rendant grâce à Dieu pour avoir fait d’elle le saint placenta du Christ) j’ai gardé les miens ouverts et la tête droite lorsque tantine Rosalie s’est mise à prier :


« Jéhovah guide la famille Mizimdi vers la lumière ! Jéhovah veuille sur chacun de ses membres ô toi Père céleste ! maintient le bonheur, la santé, et la piété dans cette maisonnée pour que ton Nom soit loué ! soutient les populations des pays en guerre… »


sous l’écoute de la prière mon regard comme sous hypnose ne put s’empêcher d’accompagner lentement le déplacement de l’astre rouge qui plongeait doucement derrière la murette du balcon en projetant une ombre au mouvement latéral qui transperçait les vitres et qui progressivement peignait en noir le tapis, au fur et à mesure que la prière s’étirait) « …sanctifie nous Jéhovah… » l’ombre progressait sur les pieds de la table) « …protège tes enfants prisonniers de ce monde… » l’ombre avait englouti toute la table et fusionnait avec le gouffre des ténèbres dans l’écran de la télévision) « …amen ! » nous flottions dans l’obscurité)








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Message  Invité Mar 29 Jan 2013 - 11:54

Je continue à apprécier le déroulement de ce récit "vu de l'autre côté" en quelque sorte (avec tout le respect et la lucidité que ça m'inspire), et cela même en dépit des incorrections de langue qui en fait n'obscurcissent jamais le sens.

Relevé cette phrase, pour l'image :
"le regard fixé sur le bas de la murette du balcon où s’étalaient des algues verdâtres et noirâtres d’avoir trop bu en toute saison l’eau du linge accroché sur les cordes,"

D'ailleurs, la murette, cette murette, apparaît comme un élément important, récurrent, au moins de ce passage.

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Message  Invité Mar 29 Jan 2013 - 14:59

Oui, cela continue à être captivant.
je ne relève pas les fautes, car tu ne m'as pas donné l'impression d'y tenir.

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Message  Janis Jeu 31 Jan 2013 - 15:41


Je découvre aujourd'hui ce texte. Le côté compact, peu de paragraphes (ça s'améliore à la fin) m'avait un peu découragée. Je ne regrette pas d'être venue !

Ce garçon sans mot, il a une langue en or.

Je ne sais pas trop comment fonctionne le texte ni pourquoi ça marche si bien, ce déroulement, mais d'est un vrai plaisir de lecture, la vie avec ses côtés déchirants, graves, et aussi ses joies. J'aime beaucoup le personnage de Georges, lucide et aimant à la fois. Cette écriture singulière, cet univers, c'est pour moi une découverte.

Je suivrai désormais ce récit.

(bon ya pas mal de fautes, c'est vrai, d'autres - une autre ! - s'en chargeront)
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Message  D.E Mar 7 Mai 2013 - 17:20

4




Des prostituées aux cuisses dénudées faisant du stop ; des marchands à la sauvette surveillant leur marchandise composé de bijoux en toc, de DVD de films et de CD de musiques piratés, tous rangés sur un drap étalé à mêle le sol, à l’affut du client comme des policiers ; des bus bondés dans lesquelles des jeunes turbulents avant d’y descendre libèrent gaz lacrymogènes et rectaux ; des clochards assommés par l’alcool se réchauffant le cul sur les gouffres grillagés du métro ; des décapotables frimeuses traversant l’avenu à pas de tortue musique à fond pour être mieux vu et mieux entendu ; une ambulance du SAMU qui déboule subitement puis qui s’éloigne en tournoyant sa sirène dans un lointain cercle de la ville… c’est au milieu de ce foisonnement sensoriel du Paris du 17 arrondissement qu’hivers comme été nous traversions à pied ma famille et moi chaque samedi après midi la Porte de Clichy pour nous rendre à la Salle du Royaume.


Au détour d’une rue, après un magasin de fruits bio, elle se découvrait plantée là, comme le tombeau du Christ au milieu des tours de Babel. L’air de rien, l’édifice qui s’étirait plus horizontalement que verticalement semblait ne pas vouloir attirer l’attention sur ses membres.


Qu’est qu’ils vont me faire subir, me suis-je demandé en descendant dans ce bunker religieux. Je fus surpris par la hauteur du plafond que j’avais imaginé plus basse. Comme la séance n’avait pas encore débuté, nous restâmes dans l’arrière-salle à sourire aux fidèles et à régler les derniers détails : vider les vessies et intestins pleins, moucher les nez coulants, boire de l’eau pour les assoiffés, tout ça enfin d’éviter au maximum de devoir s’absenter durant le culte.


Cinq minutes avant le début de la séance, nous pénétrâmes dans la grande salle. Elle couvrait de petits fauteuils rouges et confortables qui occupaient 70% de sa surface, et un autel en bois surélevé qui servait de prêche. Nous nous installâmes sur la rangée ou se trouvaient tantine Rosalie et sa mère –– une dame âgée très sympathique avec des problèmes de rétention d’eau –– ainsi nos deux familles prirent l’habitude de monopoliser chaque samedi toute une rangée horizontale de fauteuils.


Un homme se présenta à l’hôtel ; il salua l’assemblée constituée de personnes de toutes origines qui se levèrent dans un brouhaha de « bonsoir frère ! » et un bruit de ressort sourd ; puis il annonça le début des chants de cantique pour Jéhovah et un grand fourmillement sonore de pages tournées se répandit instantanément dans la salle.


Comme s’écoulant du ciel la mélodie d’un piano solaire s’est mise à résonner avant d’être imitée dans sa ferveur mélancolique par le chant des fidèles et les vibrations lentes d’une batterie. Je les ai observé et écouté chanter les fidèles de la Salle du Royaume : ils chantaient juste mais c’était tout. En Afrique les fidèles chantent avec passions, ils enflamment rythmiquement la salle, leurs voix montent, descendent, autant des graves que des aigues aussi subitement qu’un coup de tonnerre ! Ils brulent un nombre de calories impensables avec leur cordes vocales, sans compter les mouvements qu’ils accordent aux tambours et tam-tams battus à la main, de sorte qu’avec cet enthousiasme, même si c’est à reculons que vous étiez entré dans l’église, c’est en dansant que vous y restiez. Les chants des fidèles d’Europe du début à la fin restent froids, les voix ne s’autorisent aucune fantaisie rythmique, la musique elle-même synthétique, ne dégage aucune chaleur à l’âme, pire, les gens ne dansent pas alors qu’ils ont derrière eux des fauteuils très confortables ; c’est à penser qu’ils réservent leur chaleur corporelle pour l’hiver. Bref, les cantiques chantés à l’européenne sont d’un ennuie à dormir debout !


C’est après la prière du frère ayant dirigé les louages à Jéhovah que nous pouvions enfin retrouver la douceur des sièges. Le pasteur prenait alors le relais à la chair. C’était un métis quarantenaire clair de peau, grand, un peu gros ; une calvitie naissait sur son crane qu’il gardait chauve. Son épouse était une blonde qui ne souriait jamais, avec laquelle il avait engendré quatre magnifiques enfants. Chose que j’ai trouvé moi très aristo comme attitude, le fait que les deux premières rangées de fauteuils étaient réservées chaque samedi soir à sa petite famille, celle de son père, et celle de sa belle-famille. Il se prénommait Lionel le pasteur ; j’en ai conservé le souvenir d’un homme très simple et gentil muni d’une aisance de parole qui me rend toujours jaloux.


Dès qu’il a ouvert sa bible puis sa Tour De Garde posés sur son prêchoir, ça été le signal pour mon esprit de se refugier dans mon monde à moi, loin de leur Tour De Garde, loin de leur morale religieuse, loin de leur angoisse et de leur pessimisme au monde, je me suis retrouvé avec d’anciens personnages, et de nouveaux aperçus dans un film, une série télévisée, un télé film ou une pub, aspirés dans mon cortex pour voir comment ils s’y débrouilleraient là eux, dans ce monde intérieur où régnaient mes propres règles ; ils avaient tous la parole facile eux, ils étaient beaux, ils étaient aimés, ils étaient forts, ils étaient riches, ils étaient puissants, ils étaient virils et baisaient toutes les bonnes femmes qui tenaient les seconds rôles au près du scénario que je construisais et vivais simultanément dans ma tête, dans la leur, loin aux ailleurs, tourbillons, obsessions, paralysies existentielles qui m’absentaient du réel.


Après le dernier « amen » collectif de l’assemblée comme réponse à la prière du pasteur clôturant l’étude de la Tour de Garde tantine Régine me demanda comment j’avais trouvé la messe : je m’enthousiasmai d’un « bien » même si je n’avais rien retenu du discours du pasteur.


« Il faut que je te montre quelqu’un ; je veux dire des personnes. »


Nous quittâmes la grande salle pour nous retrouver comme toute la congrégation dans l’arrière salle. Là, dans cet endroit embouteillé de personnes, Tantine Régine me présenta Aurore et David. Lui martiniquais, elle haïtienne. Ils étaient fiancés. Se serait lui qui me ferait l’étude chaque mercredi après-midi. Je répondis à toutes leurs paroles d'hochements de tête, de sourires, et de toutes ces petites mimiques qu’on s’élabore avec le temps pour ne pas avoir à oraler aux gens. J’allai me planquer dans les chiottes. D’où je les imaginai poser mille et une questions à mes sœurs à propos du voyage en avion, de l’Afrique, de la manière dont elles trouvaient la France, toutes ces impressions qui m’auraient été impossible d’énoncer sans me taper une humiliation dont je ne me serais jamais remis ! J’abandonnai ma cachette uniquement pour m’éloigner de la Salle Du Royaume en compagnie des miens. Le trajet du retour m’était une bouffée d’air frais même si papa avait pris la fâcheuse habitude d’y distribuer les bons comme les mauvais points :


« Vous là, les deux jumelles là, quand on est dans l’église il faut rester tranquille hein ! La prochaine fois que vous bavardez pendant que le pasteur parle vous allez me sentir ! Tu as bien répondu Arlette c’est bien. Toi aussi Hermione. Mais toi Gorge, il faut te faire des efforts mon grand ! Je sais que parler pour toi est difficile mais faut te battre ! Haaa ! La vie est dur mon grand si tu savais ! Il faut combattre ce démon qui te coupe-coupe la voix parce que personne ne le fera pour toi… »


Alors qu’il poursuivait en train lancé je répondais par « oui papas » récitatif à chacun de ses ralentissements oratoires pour ne pas lui donner la désagréable impression qu’il parlait dans le vent, légitime impression qui aurait crispé ses nerfs et l’aurait poussé malgré lui à m’écrabouiller dès l’arrivé à la maison.


Pour prouver qu’il nous aimait bien notre père, si nous avions la chance d’être encore en été, il nous achetait du maïs grillé au niveau du vendeur indien que nous dégustions aussitôt sous le déclin du soleil ; et si nous nous trouvions en hivers nous nous contentions de ses souvenirs d’enfance au bled et de ses causeries avec notre mère pour nous tenir chaud dans la nuit. Nous avancions groupés, à pas de tortue. Les mains à la recherche d’un résidu de chaleur dans les poches de mon manteau, je me reconnectais dans mon monde, cette fois en surface seulement, pour modifier quelques détails, faire progresser un peu l’intrigue, y faire pénétrer –– à défaut de les pénétrer –– les prostituées que nous dépassions au niveau de la Porte de Clichy. J’aimais observer dans la nuit les formes de ces travailleuses du sexe se mouvoir parce qu’elles s’y revêtent au gré de la pénombre d’un mystère de sensualité laissant à l’imagination toute la puissante liberté d’y fixer des contours tandis que sous la lumière du jour la netteté des objets observés limite et appauvrit la fantasmagorie. Pour tout avouer, cela affolait et gonflait le cœur de mon pénis d’imaginer le creux de leur cuisse à ces femelles publiques lorsqu’un client s’arrêtait et qu’elles embarquaient dans son véhicule qui disparaissait dans la ville.


Un jour Nicolas Sarkozy s’est décidé. D’un grand coup de karcher la Porte de Clichy a été nettoyé de toutes ses moisissures : ouste les vendeurs à la sauvette sénégalais, ouste les putes d’Europe de l’est, ouste les grilleurs de maïs indiens et les mendiants malformés roumains ; bonjour les fourgons de CRS et les patrouilles des policiers pour s’assurer que ce bout du mur de la France reste proprement blanc, et que le trajet du culte ne me fasse plus éjaculer.
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Message  Polixène Mer 8 Mai 2013 - 20:50

Heureusement que le "garçon sans mots" en garde pour partager ses souffrances...

Si c'est bien la même personne qui écrit sous l'avatar de Drayano, le propos est plus intéressant : on cherche à décrire au plus près la souffrance: voilà un sujet qui se partage avec le plus grand nombre (pas comme le récit des virées aux putes à Barcelonne...)! La contextualisation est importante aussi, c'est un éclairage sociologique.

Pour la forme, certes la verve donne vie au texte, lui apportant l'intensité, l'urgence du dire, de l'immédiat, mais trop d'erreurs de langue l'étouffent, l'obscurcissent. Si tu t'en moquais, ce serait un peu dommage, autant écrire un journal intime dans ce cas.
Donc, en résumé, c'est chouette de te retrouver parmi nous sur le chemin de la littérature, où j'espère que tu vas te risquer un peu plus dans d'autres paysages, ne pas te cantonner au récit de vie. Rien que pour n... leur race aux stupides "caïds" des cours de récré.


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Message  D.E Jeu 9 Mai 2013 - 21:55

5


La honte nous trouve. Comme moi ce mercredi là. Je me réjouissais de n’avoir pas cour l’après-midi devant la télévision lorsque la sonnerie retentit. Derrière le judas David ! Mince ! L’avais totalement oublié ! Je retournai dans le salon en courant ; j’éteignis le Téléviseur puis cavalai dans notre chambre où je récupérai une Bible que j’allai aussitôt déposer sur la table du salon, avant d’aller ouvrir à bout de souffle à David. Après m’avoir serré la main ce géant de black alla s’asseoir en face de moi. Lorsqu’il m’ordonna de lire avec sa voix grave qui tonnait de sa poitrine j’ai direct, senti, que, je, n’y, parvien-drait, drait, ja, ja, ja, jaaa-mais, à l’intensité de mes contractions musculaires.


À l’école comme dans la vie courante lorsqu’il faut oraler y’a toujours possibilité de cacher son handicap au milieu du bavardage des autres, sous une table, derrière une porte, ou à défaut se pincer ou se frapper discrètement la cuisse pour donner assez d’élan aux entrailles enfin qu’elles libèrent la parole, ou encore, si on détecte que le corps restera incapable de produire un mot, on pourra toujours se taire avant de trouver une issue où filer à l’anglaise. Mais lorsque vous êtes coincés dans un salon face à une personne tutélaire qui attends de vous que vous lisiez un simple paragraphe alors que pour vous la prononciation d’un seul mot nécessite un effort herculéen, vous êtes dans la mouise ! Aucun mot ne sortait. Mes muscles restaient bloqués comme un parpaing dans le vendre. Tête baissée à maudire son inexprimable paragraphe David je le voyais et l’entendais à travers les yeux de mon imagination s’écrier aux éclats : 


« Quel abruti fini ! Même pas fichu de lire une phrase ! Putain ! Même un gosse de trois ans pourrait le faire ! »


Je me noyais depuis un stérile quart d’heure dans la transpiration quand il me porta secours David :


« C’est pas grave si tu n’y arrive pas, a-t-il dit alors que j’avais la tête baissé et que la morve me coulait du nez, je vais lire. »


Dès qu’il entama sa lecture, de honte, je voulu me fondre dans le tapis gris qui recouvrait le salon pour ne plus jamais avoir l’occasion de croiser son regard. Il a dû s’en rendre compte David parce que le mercredi suivant c’est le pasteur en personne qui vint spécialement me faire l’étude dans le même salon au sujet du bégaiement.


Il parla du prophète sauvé des eaux par la fille d’un pharaon, Lionel, avec sa facilité d’élocution que je lui enviais tous les samedi après-midi. Il lit (Exode 4:10) :


« Moïse dit alors à Jéhovah : «  Pardon, Jéhovah, mais je ne suis pas un homme à la parole facile, ni depuis hier, ni depuis les jours précédents, ni [même] depuis que tu parles à ton serviteur, car j’ai la bouche pesante et la langue pesante. »


Langue pesante et bouche lourde c’était la gorge de George toute crachée ! Ça me réchauffa sur le coup d’apprendre que ce grand homme de la Bible et du Coran était bègue et je ruisselai de reconnaissance qu’on s’intéressa à moi même si j’avais la certitude d’en être indigne.


À la fin de l’étude, il pria Lionel : 


« …facilite la langue de George comme tu le fit par l’intermédiaire d’Aaron à travers Moïse, Jéhovah… »


Était-ce dû à cette prière ou à moi-même ? Je ne saurais le dire. Ce qui est vrai c’est qu’après l’étude avec le pasteur Lionel j’ai eu comme un regain de confiance en moi : je pouvais désormais envisager d’oser lever le doigt samedi soir pour répondre à une question de la Tour De garde et je pouvais désormais m’exprimer sans perdre mon regard et sans me sentir totalement tétanisé. Pour maman c’était un miracle de Dieu ! Elles sont comme ça nos mères : quand quelque chose de positif se produit c’est grâce au Seigneurs Jésus christ et quand c’est une chose négative c’est à cause des vieux sorciers de chez nous.


Papa aussi se mit à féliciter mes efforts d’élocution, lui qui ne le faisait jamais :


« c’est bien il faut continuer comme ça, me dit-il alors qu’un samedi après midi j’avais répondu devant toute la congrégation en bafouillant terriblement, un jour Dieu tuera le démon qui te rend bègue ! Bravo petit ! »


Les félicitations de papa puaient les conseils du pasteur. Même mes petites sœurs s’en mêlèrent. Trop d’amour pour moi d’un coup ! Leur pitié grassouillette sur leurs visages surtout ! J’en voulais plus ! Voulais qu’on me fiche la paix ! Qu’il arrive une catastrophe pour qu’on oubli George, son cartable des années mille neuf cent, ses friperies et son impuissance à oraler couramment.


Pour une fois le ciel m’entendit parce que très peu de temps après les attentats du 11 Septembre se produisirent. Le spectacle hallucinatoire des deux plus grandes tours de New York crachant d’énormes boules de feux en dessous de gigantesques fumées grises accapara l’attention du globe comme celle de tout mon entourage :


« …il devrait arriver des 11 Septembre tout le temps !… » ai-je pensé mélancoliquement, en regardant les deux tours s’effondrer.


Pendant une bonne période on nous gava de cet événement au collège. Les musulmans de ma classe avaient beau faire ouïr qu’ils trouvaient cet acte ignoble et non représentatif de leur religion, chaque professeur allait de sa rengaine. La remplaçante de Mme Porto, une blondasse d’une vingtaine d’année voua carrément les deux heures allouées au cours de français au terrorisme, au racisme, à la guerre d’Algérie, à Le Pen, à l’intégration, à la nécessité de respecter les profs, au milieu des éclats de rire, des pets, et d’un raffut qui scellait à lui seul son incompétence pédagogique. Quant à la prof d’art plastique –– haute représentante du parti écologiste dont elle n’hésitait jamais à nous clamer l’affiliation en nous gueulant dessus qu’elle n’avait pas que ça à foutre à enseigner à des petits cons malpolis, ses soirées politiques étant déjà suffisamment stressantes –– c’est dans un silence catholique et une solennité digne du gouvernement qu’elle nous fit visionner une vidéo retraçant le parcourt chaotique de Zaccaria Moussaoui, vidéo grâce à laquelle nous apprîmes que bien étant issue d’une famille modeste il avait fait de brillante étude puis du jours au lendemain avait sombré dans l’intégrisme. On aurait dit que tout ce beau monde d’enseignants comme tous ces experts et ces politiciens qu’on invitait sur les plateaux de télé ne s’évertuaient avec acharnement dans leurs discours que pour s’inquiéter qu’il se trouva dans leur pays des petits cerveaux revanchards capables un jour de leur faire subir le même sort que celui réservé par les intégristes à leur ennemi.


Ils finirent par nous lâcher un peu la grappe avec leur 11 Septembre même si leur sainte crainte ils la gardèrent dans un coin de leur cerveaux comme un bunkers dans lequel ils pourraient se refugier aux prochains attentats. Le premier trimestre scolaire m’abandonna plus confiant. J’eus la meilleur moyenne de la classe et les félicitations du corps enseignant. Maman m’acheta un cartable et des baskets d’occasions. M’acheta, façon de parler, parce que lorsque je suis entré avec elle dans ce qui devait être un magasin je me suis vite aperçut que c’était la Croix Rouge, qu’il y’avait dans ce refuge queue des personnes fuyant les explosions de la précarité, qu’il devait en avoir encore beaucoup plus quelque part dans le monde que la fierté et la distance étranglaient dans la misère, et surtout, j’ai remarqué qu’une élève du collège, Sandy, une grande très blonde et très rouge de teint se fournissait elle aussi avec sa daronne dans le coin. Désormais chaque fois que nous nous croiserons dans la cours de récréation nos yeux honteux de savoir notre condition s’éviteront d’eux-mêmes. Et même si j’aurais assez de cran pour m’avancer vers elle dans le but que nous nous entre consolons, je pourrais rien faire, ne pouvant m’extirper des décombres des deux Tours écroulées sur mon corps : être aisé et oraler aisément. Mes 11 Septembre biens perpétuels eux !
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Message  D.E Sam 11 Mai 2013 - 13:45

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À mesure qu’on progresse dans la cité les blocks de bétons grossissent et laissent apparaitre au niveau des balcons des quadratiques à fond soulignés par des barres métalliques pendant qu’hors des loggias l’espace alloué pour la circulation entre deux tours rétrécit à mesure qu’on s’approche comme le sentiment de sécurité lorsqu’on se retrouve enfin au pied d’un de ces géants de pierres) ne reste plus qu’à se refugier dans le hall à l’abri des projectibles –– regards ou pierres –– susceptibles de chuter des nuages et d’atterrir sur vous. Jusque là tout va bien, et vite ! dans l’ascenseur qui devrait faire gagner en verticalité, les choses se gâtent ; il ne marche pratiquement jamais ; et s’il vient à fonctionner, c’est une odeur d’urine dont on ne saurait démêler l’origine animale ou humaine qui vous tiendra compagnie durant tout votre parcourt.


Avec peu de bravoure et beaucoup d’appréhension vous choisirez les escaliers. Sur ce mauvais sentier encadré par des murs lacérés de tags grossiers et violents vous croiserez certainement un de ces jeunes hommes qui a mal tourné et qui comme vous –– mais pour d’autre raisons –– aura pris –– prison –– un autre itinéraire menant à Rome) s’il est seul, tout est à parier qu’il se montrera poli et courtois avec vous ; mais s’il est en meute, courrez ! Réfléchissez pas courrez ! Car il ne fait aucun doute qu’il vous ouvrira le ventre seulement pour prouver à ses potes qu’il est un gladiateur. courrez ! Plus vite encore si ça se situe entre quinze et vingt ans ! Raisonnez pas ! Courrez vivement jusqu’aux appartements pour qu’on retrouve pas le lendemain matin votre cadavre à la rue Des racailles m’ont tué.


Dans un grincement lugubre la porte de la loge des escaliers se referme. Comme Mario Luigi vous vous en êtes bien tirés. En compagnie de votre famille vous avancez dans le couloir jusqu’à la porte obstruant l’appartement de votre ongle Kola, un père de famille caractériel, tout ce que vous savez de lui, vous, tout au fond de la famille, derrière vos parents, derrière vos cinq petites sœurs et derrière votre petit frère, à découvrir pour la première fois les visages des occupants de l’appartement :


« Alors George, comment tu trouves la France ? »


Vous demande votre oncle. Vous répondez bien. Il rigole bruyamment auprès d’un type que vous reconnaissez comme étant une espèce de Johnny Halliday de votre pays qui s’affiche dans ses clips vidéos avec des voitures de luxes, des belles femmes, des paquets de billets, des bouteilles de champagnes, des bijoux en or, des sourires de riches et tout l’apparat matérialiste du capitaliste ayant réussi dans les affaires comme dans la vie. Hors des cadres mensongers et enjoliveurs des écrans de télé il s’étale devant vous dans toute sa laideur minable et misérable, dolemment affalé sur un fauteuil avec un t-shirt sans marque qui lui recouvre le torse et un bermuda qui laisse apparaitre des jambes couvertes d’éraflures blanches d’avoir passé trop de temps hors de l’eau et hors des crèmes hydratantes. Vous apprendrez plus tard qu’il serait SDF sans l’hospitalité de votre oncle. Vous vous dites en le regardant : c’est donc ça que les blédards jalousent !


Elle vous a fait la bise puis a détalée vers sa chambre mais pas assez vite pour que vous n’aperceviez pas la manière dont elle était vêtue, Nadine, l’adolescente à votre oncle, qui portait un de ces jeans coupé très court au niveau des fessiers laissant nu tout le reste de ses cuisses et de ses jambes et un de ces juste-corps qui découvre le nombril et le ventre, bref, l’accoutrement préféré des danseuses sexuelles du dance hall et du booty shaking, toute l’horreur vulgaire du monde contre laquelle votre père serait capable de tuer pour que ses gamines n’y sombre jamais.


Dès votre entré dans l’appartement vous l’avez cherché du regard dans toute la pièce pour l’apercevoir, en vain. Vous n’avez vu que son petit frère prénommé Maurice, le seul être encore récupérable de la famille Kola d’après votre pater ! L’absent c’est Benjamin, il parait que c’est un mauvais garçon, qu’il n’a pas la vingtaine mais a déjà plusieurs fois dormi en prison. Comme vous auriez aimé apercevoir à ce moment là l’animal que votre papa vous a interdit d’admirer !


« Il est encore en train de trainer avec les petits voyous du quartier », a soupiré tonton Kola à votre maman lorsqu’elle a demandé Benjamin.


Étouffant dans un coin du salon vous vous dite qu’à Paris l’espace est un luxe pendant que tonton Kola demande pardon à vos parents de n’être pas allé les rendre visite à l’arrivé d’une partie de leurs mômes en France. Il ajoute qu’ils savent comment fonctionne la vie en France, qu’on ne se rends pas chez les gens sans prévenir comme au bled, qu’ici le temps court et que les voisins peuvent vivre des décennies sans jamais se rencontrer et sans que cela n’intrigue personne. Votre père répond qu’il a raison, mais qu’eux restent africains, et que lui et ses enfants peuvent venir à tout moment chez lui quand ils le veulent.


Tout d’un coup vous avez assez du salon. Vous étouffez réellement. Sans compter que plus vous restez là plus le risque qu’on vous oblige à oraler s’agrandit. Alors vous abandonnez les adultes à leurs causeries pour aller prendre l’air et vous refugier au balcon près du dernier né de la famille hôte, Maurice, qui comme la plupart des élèves noirs de votre collège parle lui aussi comme un blanc, et cela continue de vous causer cette impression étrange, la même que vous causait l’accent du mari de votre tante au bled, tonton Élisée, un franco-camerounais né en France qui est retourné faire sa vie au Cameroun.


Maurice du haut de sa dizaine d’année d’existence désigne du doigt quinze étages plus bas son grand frère la terreur Benjamin qui joue au foot dans un terrain en béton encadré par une haute barrière comme celle de la cour d’une prison. Vous avez beau essayer de l’apercevoir et de le distinguer des autres petites formes de fourmis floues qui courent derrière quelque chose d’invisible vous n’y parvenez pas et sans qu’on puisse déterminer si c’est pour éviter de passer pour con devant votre petit cousin ou pour ne pas le décevoir, vous répondez : « oui je le vois ! »


Votre vue a baissé ; ça vous embête. Du gouffre vous extrayez votre regard pour l’élargir sur le panorama horizontal qui s’étend et s’étire en s’éclairant jusqu’au bout de l’horizon. Maurice dit quelque chose mais vous êtes occupé à observer du point de vue le haut –– après l’avion qui vous a mené en France –– que vous n’ayez jamais observé. Le grand champs de falaises étalé sous toute la voute du ciel vous arrache un frisson à l’idée que des enfants y vivent et y grandissent, au bord des précipites.


« GEORGE PAPA VEUT QU’ON VA ACHETER LA BIERE AVEC BENJAMIN ! »


Vous descendez précipitamment avec Maurice.


« Benjamin ! Papa a dit tu va acheter la bière avec le fils de tonton Calain. Tiens l’argent ! »


C’est dont lui Benjamin ! Un beau jeune homme grand de taille et costaud qui en impose avec son timbre grave et ses pas de mâle dominant. Enchanté de vous rencontrer il aimerait bien repasser des vacances au bled, lui, le icisien ayant posé les pieds seulement une fois dans le pays de ses parents depuis sa plus tendre enfance. On l’apostrophe à chaque coin d’hlm. C’est qu’il est très populaire Benjamin ! Sur le chemin de retour il salue un groupe de jeunes hommes duquel une voix affirme que vos chaussures ressemblent à celle de Michael Jason. Sachant pas comment réagir vous vous taisez en vous accrochant à l’épaule de votre grand cousin, au décollage des rires.



*




L’alcool lubrifie les conversations. De la cuisine vous entendez qu’au salon elles ont fait dévier le flot des maux sur la religion et fait se hausser les tons. Vous achevez précipitamment votre délicieux met de sauce d’arachide au bâton de manioc, rincez rapidement vous doigts dans le fil du robinet, puis pénétrez discrètement dans le salon pour entendre à l’instant votre oncle ordonner à votre père :


« garde ton Jéhovah ! dit-il en portant le goulot à sa bouche, mon dieu c’est ma bière ! »


Il repose sèchement la bouteille sur la table basse qui le sépare de son petit frère –– votre géniteur –– qui ne veut pas laisser croire qu’il est impressionné :


« seul un animal peut affirmer, rétorque t-il, que Dieu c’est sa bière ! » 


Il a parlé avec cette familière mine de mépris qui déforme ses lèvres chaque fois qu’il vous fait des reproches dans l’intimité de vos quatre murs, votre père.


« Dans ce cas tes ancêtres étaient des animaux puisqu’ils priaient des totems et que les totems sont des objets. Et ton prophète là, l’homme qui a crée les témoins de Jéhovah, j’ai vu un reportage sur lui à TF1. Il est mort milliardaire le type ! MILIAIRDAIRE ! Son nom me revient :  Rutherford ! »


Votre ongle éclate de rire. Il jubile ! Il voudrait communiquer son fou rire à son ami le Johnny Halliday du bled, mais celui-ci parvient à rester sérieux et à garder une mine sévère :


« l’occident nous a anéanti culturellement, dit-il, sa culture, ses mœurs, sa démocratie et tout le reste ne sont que des armes d’invasion et de colonisation. Heureusement que nous les Bamilékés nous avons gardé une partie de notre culture même si elle n’a plus rien avoir avec celle des ancêtres. » 


« Tu as totalement raison mon frère ! Renchérit tonton Kola. Alors que le Nègre ne veut convertir personne tout le monde veut convertir le Nègre ! Du chrétien de Rome au musulman de Médine ils referment tous dans leur saint livre des versets et hadits négrophobes. Bientôt tu verras que même les chinois viendrons nous dire ne nous agenouiller devant Bouddha à défaut de nous apprendre le con fut, le con fou –– parle-t-il en mimant de la main un coup de Kung Fu –– puisque tous préfèrent le Nègre soumis au Nègre debout. »


C’est la première fois que vous entendez parler des religions de ce point de vue. Plus lorsque vous entendriez le discours du roi belge aux prêtres du Congo, cela vous détournera définitivement du religieux. Mais en attendant ce jour, vous ne comprenez pas le raisonnement de votre oncle. D’ailleurs votre père aussi n’est pas d’accord. Il argue que Jésus est au dessus des couleurs et que se sont les hommes qui ont détourné son message. Il se passionne. Il s’énerve devant les blasphèmes de votre oncle. Pour la première fois, votre mère qui se trouve à leur table intervient. Elle parle comme à un môme :


« Si quelqu’un ne veut pas croire ne le force pas. Pourquoi tu t’énerve ? »


Vous entendez quelqu’un sourire derrière votre épaule. C’est Benjamin. Vous souriez aussi. Comme s’il n’avait attendu que ce moment pour vous regarder, votre père vous fixe, et à l’intensité brève et méprisante de son regard vous savez que vous n’échapperez pas aux regrets brulants de s’être foutu de Jéhovah et de lui en compagnie du voyou Benjamin. Vous vous refugiez dans la cuisine.


Ils finirent par sortir les adultes –– peut-être se rendirent-ils chez un autre adulte de leur communauté habitant du coin ou allèrent-ils simplement visiter la Villette ? –– vous en profitâtes pour explorer la grande armoire du salon, véritable bibliothèque musicale où s’y trouvaient pelle mêle des disques de Johnny Halliday, ceux d’artistes du Cameroun, Petits pays, des chanteurs de Bitkusi, de Makossa, ceux Zaïrois, ivoiriens, toute la bonne musique subsaharienne.


Maurice allume sa PlayStation one et se met à jouer avec vos sœurs. Vous souhaitez vous incruster dans leur partie de gamer lorsque Benjamin vous appelle dans la cuisine. Il met la musique et allume le mixeur de son père et à l’instant vous vous retrouvez tous dans l’ambiance d’une boite de nuit :


« Allez George ! Chante nous quelque chose ! Rappe nous quelque chose ! »


En vous tendant le micro il sourit. Le volume résonne si fortement que lorsque vous le saisissez un aigue sifflement déchire le ciel.
« fuck ton pote si c’est une balance ! Fuck ton pote si c’est un crevard ! »


Vous dit-il de répéter. Vous obéissez et vous laissez prendre au jeu. On tambourine à la porte. C’est le voisin d’en haut qui demande qu’on baisse le son. Une fois qu’il disparait benjamin dit qu’il casse les couilles ce fils de pute à chaque fois qu’on met la musique ! Les murs vibrent encore durant quelque minute puis quand il a en est lassé du raffut, il fait régner le silence Benjamin.


« Tu ne fais pas le bordel en cours Gorge ? » vous demande t-il entre deux sourires.
Non je ne fout pas le bordel en cour lui répondez vous.
«  Ha si tu fais le bordel en cours je vais le dire à tonton Calain ! » vous rigolez tous les deux. Vous lui dites que vous avez eu la meilleur note de la classe. Il vous félicite.


Depuis que la musique s’est arrêtée la lassitude de vous trouvez en sa présence s’est développée en vous. Vous n’avez qu’une envie : vous retrouver avec une manette ! Mais Benjamin :


« Tu sais Gorge, les français sont racistes ! Vingt pour cent c’est beaucoup trop ! Vingt pour cent n’hésiteraient pas à te balancer à la mer si la législation le leur permettait. De toute manière tu as tout le temps pour découvrir le racisme en France… »


Pas envie d’entendre ça. Envie de vous amuser. Vous divertir. Jusque là tout allait bien à écouter une histoire Bamboulà France ! Mais il revient vers vous au galop Benjamin :


« Tu te souviens quand la France a gagné la coupe du monde ? »


Bien sûr que vous vous en souvenez même si vous étiez encore au bled à râler du parcours du Cameroun, comme vos compatriotes à certifier que les coupes du monde sont truquées et gagnées d’avance, comme celle de la France.


« Fallait être là pour voir ça ! »


Qu’il en parle votre cousin alors que votre esprit vogue déjà dans les lumières vives et brutes des jeux vidéos. Qu’il en parlait Benjamin comme la chose la plus géniale qu’était jamais arrivé à lui et à tout le pays. Maintenant revenu sur le résultat du scrutin du 21 avril, il s’étirait dans une mixtion de déception, de crainte, de ressentiment, qu’il vous contaminait, de sorte que vous regrettâtes d’avoir pas vécu ça vous aussi : l’unique jour où il s’était pleinement senti français !


On sonne à la porte. Cette fois c’est un ami de Benjamin, un beurre de son âge, qui lui demande s’il veut bien descendre. Votre joie explose d’un coup quand vous voyez votre cousin s’en aller. Vous filez au salon. Mais vos sœur forment une longue file d’attente derrière la manette libre tandis que l’autre reste indéboulonnable des mains de Maurice. Vous faites comme les hommes voulant préserver un privilège vis-à-vis des femmes. Vous entamez un travail phycologique à vos sœurs. Vous insinuez, vous conseillez, et puis, c’est Jéhovah lui-même qui ne veut pas que les filles soient violentes, il les veut douces, soumises, gentilles et aimables comme les bonnes musulmanes, et puis encore les jeux vidéos c’est violent, c’est un univers de garçon et non un univers de filles. Elles finissent par lâcher prise les donzelles, même si c’est à contre cœur. Vous saisissez enfin la manette qui vous revient de droit et vous mettez à jouer vous et votre cousin pendant qu’elles regardent.


Les jeux vidéos sont des rêves éveillés desquelles vous êtes à la fois acteurs spectateurs et victimes bourreaux. Comme hypnotisé par le monde derrière l’écran il vous semble que vous ne vous êtes jamais aussi bien porté qu’aux l’instants précieux où vous pressez les boutons en automates et que vous voyez votre score favorablement augmenter. Contrairement au monde réel dans ce monde vous avez l’impression de tout maitriser, vous pouvez à tout moment éteindre et rallumer la console, jouer et rejouer, mettre la partie en pause, ajuster les paramètres du jeu à votre guise, et surtout ici contrairement au mode réel vous avez le droit à l’échec.


Cet après-midi là les jeux vidéos vous permirent durant un instant de devenir le surhomme que la vie ne vous permettait pas d’être. Avec le recul vous auriez préféré rester bloqué dans ce monde à esquiver comme un météore le retour de votre père, à esquiver comme un coup de poignard dans le dos le sourire délateur de votre fils de pute de petit cousin qui a dit à votre paternel en riant : « Gorge a chanté très fort ! Le voisin est venu lui dire de faire moins de bruit », à esquiver le fluide des sombres nuages qui assombrirent le visage de votre pater dans le bus qui vous a ramené dans l’intimité de vos quatre murs, quatre planches, cercueil sans issues dans lequel il pouvait vous noyer, vous ressuscité et vous renoyer, à loisir !
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Message  Invité Sam 11 Mai 2013 - 17:22

Je suis toujours avec un certain intérêt, il y a de vraies bonnes choses dans cette densité - en dépit du manque de soin apporté à la rédaction du texte (je ne parle pas des fautes d’orthographe, mais surtout des répétitions, de la syntaxe bancale de qui ne s’est pas relu) ; en dépit aussi du fait que je comprenne pas le pourquoi de ce texte : journal, comme le dit Polixène ? témoignage ? confession ? thérapie ?
Dans le dernier extrait je trouve le choix du passage au « vous » pour remplacer le « je » précédent peu pertinent, lourd.
Pour finir, je ne saurais trop te conseiller de poster moins long chaque fois, la longueur est rédhibitoire.

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Message  D.E Dim 12 Mai 2013 - 21:17

7




Le ciel vêtit Paris d’une ample robe de mariée tellement ample et vaste que le vêtement céleste s’étala sur toute l’Île de France assiégée par une matière écarlate qui se confondait aux rideaux blancs que formaient les nuages et le brouillard aux frontières des rues, d’où vous auriez pu, observer, si vous étiez présent, l’éventée robe de cristal s’émietter aux tranchants des angles des bâtiments puis se disperser en fins lambeaux poudreux ricochant dans de sourds bruits sur les vitres avant d’aller s’étaler sur le sol en bas, de recouvrir les crottes de chiens, les racines à découvert des arbres, les roues des voitures stationnées, leurs pare-brises, leurs toits, celui de tous les édifices de la ville de sorte que tout, bien tout, des grandes tours aux routes, des mines dégoutés des adultes et de celles ravies des enfants dans la neige, des lointains souvenirs d’été aux espérances solaires prochaines, des cimetières aux vivants, du noir au blanc, tout se retrouva congelé en un seul bloc de glace.


Jean pierre Pernault pas soupçonnable de parisianisme s’étala sur la nouvelle tenue de la plus belle ville au monde ! à travers un reportage télévisé du journal de vingt heures qui montra des engins de déblayages, des saleuses, sur les routes, qui essayaient dans leurs manœuvres d’éviter que les artères de la ville ne s’obstruent ; des voitures prisonnières de la glaces dans le rebord des route, les insolites images de personnes lugeant et skiant sous la jupe de la tour Eiffel… J’observai ce spectacle sous une lourde couverture lorsque maman pénétra dans le salon et décida qu’il était temps pour moi qu’avait jamais encore vu ni toucher directement la neige d’abandonner mon refuge de chaleur pour me mêler aux esquimaux et aux phoques à l’extérieur.


C’est dans une grande effervescence que toute la famille Mizimdi –– sans le père –– se rendit dans le petit parc en dessous de son hlm pour graver à jamais les sourires de cette journée de blancheur et de fraicheur dans une pellicule. Les photos, ces miroirs anachroniques, sont plus attendrissant quand elles sont liées à l’enfance, hors duquel la vie nous a expulsé, pour nous gaver. On voudrait bien rejoindre l’être insouciant qui nous sourit dans son cocon. Mais nous sommes devenus trop lourd et trop grand pour l’ouverture. Tout nostalgique qu’on dégouline alors, en même pas deux.


Je tiens la meilleur de ces photos entre les mains ; l’une de celles que maman a fait agrandir puis précieusement accrochée dans son salon. D’ici résonnent les craquements des pas sur la neige, les rires de mes petites sœurs, celui de maman aussi, et, tiens ! Hors du cadre de la photo, ceux de Sélène et de Férole, deux hattiennes qu’étaient copines avec mes sœurs, deux filles noires qui parlaient comme des blanches, deux sœurs à la morphologie opposée. Férole la plus grande des deux est un cocotier aux nichons noix de coco. Bigrement sexuelle ! Je ne fais qu’observer ses attributs. Sa petite sœur par contre est courte et, dans le quartier on l’a sobrique bouffe tout ! Un jour que nous squattions le petit parc, Férole est venu me trouver dans mon coin. Elle m’a demandé comme ça, l’air de rien :


« veux tu sortir avec moi ? »


Mille émotions bouillirent dans mon âme ! Dans mon gland surtout ! Mamelles vs Jéhovah ! Indécis. Me savoir fornicateur tantine Régine n’aurait pas apprécié ; alors, j’ai dit non à Férole. Comme de rien elle s’est remise à causer avec mes sœurs puis elle s’est éloignée. Bigre d’erreur ! Chez elle, luxe d’espace, sa mère entretenait un grand magasin dans lequel papa achetait chaque mois un sac de riz et un sac de patates pour nous. On se croisait souvent dans leur magasin aux rayons exotiques. Elle me servait en souriant. Parfois, lorsqu’un autre client conservait l’attention de sa mère, elle ne me faisait pas raquer Férole. Avec le recul George regrette son offrande. Un male doit jamais refuser l’offrande d’une femelle –– sauf celle d’une menthe religieuse –– savais rien à tout ça moi ! Je n’avais pas déjà lu Bel Ami.




*



Lorsque les monceaux des morceaux de la robe de la mariée Paris –– qui avait été émiettée puis dispersée dans toute la région parisienne –– commencèrent à ce transformer en larmes, état liquide qui les vouait à disparaitre, la belle mise à nue retrouva ses intimes vérités : les crottes de chiens et l’allure train-train de ses austères piétons. C’est à ce moment que maman décida d’avouer à son père qu’elle ne supportait plus les coups de son époux et qu’elle comptait ôter l’alliance qui l’enchainait à lui. Ça se déroula en ma compagnie, au taxiphone arabe du boulevard Victor Hugo. Grand-père évoqua la bible pour empêcher le divorce. Jusqu’à ce moment là le divorce m’apparaissait comme une tradition du monde, quelque chose hors de la chrétienté, hors de ma famille, mais tout d’un coup je le voyait me guetter à chaque coin de rue, lui qu’avait déjà emporté la moitié des parents de mes camarades.


Elle lui racontait à son père, qu’elle avait marre des coups de cet homme violent, qu’elle encore elle pouvait les supporter, mais qu’ils s’écroulaient aussi sur ses enfants, sept enfants, que ça n’était pas une ambiance saine pour eux ; elle ajouta que c’était quelque chose de regrettable d’en arriver là, que si on lui avait laissé le choix de vivre dans un foyer non violent il ne lui serait jamais venu l’idée de se séparer de son époux qu’elle aimait encore malgré tout ; elle termina sur une note d’espoir en disant, comme si elle s’adressait au ciel, qu’avec une maison avec beaucoup plus d’espace peut-être que l’homme violent le serait moins, la distance permettant la fuite et, comme une expérience sur les rats l’avait prouvé : la promiscuité des indivus les mène au meurtre. Au fond, elle craignait de mourir sous ses coups maman ; et les spots publicitaires en boucle sur les chaines de télé au sujet de la violence domestique ne tournaient pas pour la rassurer ! Moi non plus ! Les témoins de Jéhovah non plus ! Son propre père non plus ! Elle souffrait de sa viande de femme pour qu’elle-même, comme expiation de la malédiction que son genre avait causé à l’humanité.


Les vibrations de la voix de grand-père le redessinèrent dans mon tympan, debout, nimbé au milieu de la lueur écarlate des transparentes du salon, courbé au dessus du meuble en bois soutenant le téléphone à fils par lequel il me parlait, auprès duquel je l’avais vu, lorsque je résidais encore chez lui à Kribi, causer avec maman.


C’était mon tour pour converser avec lui. Je lui décrivais le bien déroulé voyage, ma collection de bonnes notes, le déroutant accent des gens similaire au sien, le froid qu’il connaissait bien parce qu’il avait fait ses études universitaires ici. Il avait même épousé une française blanche avec laquelle il avait eu deux enfants. Puis un jour comme ça, d’après sa version des faits, il a entendu à la radio le gouvernement Camerounais appeler la diaspora à retourner chez elle pour bâtir le pays. C’est sans femme et enfants qu’il retourna donc au Cameroun.


Les totales et exactes circonstances de son abandon familiale je ne les connais pas ; je soupçonne le racisme d’y avoir été pour quelque chose. Mais quand grand-père écoutait Rfi, l’unique chaine qu’il écoutait à vrai dire, dès que la radio prononçait : «  …Patric Maschoeur… » il nous disait à nous ses petits fils regroupés autour de ses cuisses :


« voilà mon fils qui parle ! C’est votre oncle qui parle ! » et, un masque mi mélancolique mi joviale recouvrait son visage. Dès que le dénommé Maschouer achevait son bavardage journalistique, grand-père retrouvait son souffle puis posait la petite radio sur le buffet de sa chambre. 


La tonalité vide a soudain clignoté dans mon oreille. L’arabe du taxiphone a expliqué que le crédit de communication était achevé. En souriant maman a rétorqué :


« Ce n’est pas grave Monsieur ; viens George, on s’en va ! »


Si je pouvais, le propriétaire, retourner dans sa cabine téléphonique et communiquer avec Maschouer Pierre, je le payerais en Univers ! Car c’est dans cette cabine que j’ai entendu pour la toute dernière fois, la voix de mon grand-père.
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Message  D.E Mar 21 Mai 2013 - 16:11

8



La fin de l’année, période de festivité et de cadeaux, arriva enfin, mais dépourvu des espérances qui font tressaillirent de joie les enfants. En effet les Témoins de Jéhovah ne fêtent pas Noël parce qu’ils considèrent que c’est une fête païenne et une des dérives parmi les multiples autres dans laquelle la maison du Christ s’est fourvoyée. Sur ce point de vu ils sont similaires aux mormons, qui se vêtissent élégamment eux aussi quand ils vont prêcher.


Le jour de l’an, les anniversaires des nombreux membres de sa famille, Noël, incarnaient autant d’économies radinées religieusement par notre père, radin ravi de pas les célébrer. À part la télévision, la radio, les Bd, les livres religieux et les romans, il n’y avait rien d’autre pour se divertir l’esprit à la maison. Les mariages communautaires où nous nous rendions, périodiquement, maman et moi, dans d’autres ville de la région parisienne que Clichy, venaient titiller un peu la monotonie familiale sans la briser parce qu’ils demeuraient rares.


En dehors du collège et des commissions parentales, me rendre à la Salle Du Royaume le samedi, au foyer africain le dimanche pour m’y faire couper les cheveux, jouer au foot les après midi –– quand la météo et les occasions le permettaient –– avec d’autres lascars du quartier, constituaient la plupart du temps les raisons pour lesquelles j’abandonnais périodiquement les murs de l’appartement familiale.


Le jour du Bethel une sœur vint en voiture m’offrir l’occasion de découvrir un nouveau morceau de la France. Quand elle avait proposé à maman un samedi après midi de m’accompagner au Bethel, maman n’avait même pas attendu ma réponse pour donner son autorisation. Elle a argué que ça me changerait les idées maman, qu’il fallait m’habituer à la foule, moi l’agoraphobe.


Le jour j m’installa dans la voiture de la sœur en compagnie de sa fille, une belle métisse mince, qui devait avoir mon âge, qui passa le trajet à regarder son téléphone portable tandis que sa mère, une blanche brune pas moche elle aussi, me démontra que les machines à parler humaines existent. Jéhovah merci qu’elle fouettait pas de la gueule ! Noyé dans le flot de ses paroles tout le long durant je me sentis dans l’obligation de lui répondre par des « oui », des sourires bruyants, des « ah bon ! » périodique, pour pas lui donner la désagréable sensation qu’elle parlait dans le vide. Elle me raconta sa vie. Elle avait vingt quatre ans. Elle avait eu un bébé très jeune. Avant sa rencontre avec Jéhovah, elle avait mené une vie qu’elle même qualifiait de stérile, fait d’idolâtrie, de cupidité, de jalousie, bref, une vie ténébreuse. Un jour, durant une période ou elle allait mal et pensait même au suicide, un Témoin de Jéhovah l’aborda dans la rue et lui parla de Jéhovah, de ses biens faits, puis lui remit une brochure Réveillez-vous ! et proposa qu’elle se rende à la Salle du Royaume et qu’une personne lui fasse l’étude biblique. Elle avait accepté juste pour essayer, cela l’avait plu, elle était restée, s’était fait baptiser, depuis Jéhovah éclairait sa vie et représentait la chose la plus importante de son existence. Seule ombre au tableau : ses parents pestaient contre sa religion. C’est pourquoi elle avait coupé les liens avec eux.


Pendant qu’elle me parlait de ses géniteurs, je me rappelai d’un reportage dans lequel j’avais vu un homme se plaindre à la télé que les Témoins de Jéhovah l’avaient éloigné de son unique enfant, sa fille, et en comparant le désespéré témoignage de cet homme à la détermination religieuse de la sœur, je ne put m’empêcher d’établir que cet homme était son père.


« Alors George, me demanda-t-elle, quand est-ce que tu te baptise ? »


Plus tard répondis-je. La vie n’attends pas rétorqua-telle dans un sourire. Le fameux baptême ! Une fois que vous le faites vous devenez Témoins de Jéhovah, à eux, vous n’êtes plus du monde, toute une série d’obligations et de rigueurs religieuses vous chutent dessus comme ça, rigide, comme le code des samouraïs, sauf qu’ici s’agit pas de trouver la voie de la mort, mais celle de Jéhovah et subsidiairement tout accomplir pour agrandir la communauté.


Nous arrivâmes enfin à destination. Le Bethel, au contraire de la Salle du Royaume qui semble vouloir disparaitre dans le paysage urbain, s’élève ostensiblement, sans concurrents, à l’abri du monde, des caméras des journalistes, au milieu d’un terrain qu’une barrière électrique en interdit l’accès. Ici les Témoins de Jéhovah sont vraiment chez eux. Ils sont nombreux. C’est une grande foule bienveillante composée de tous les phénotypes de l’humanité. Dans elle, la foule, se trouvent des survivants de l’holocauste dont le système nazi, anti pacifistes et anti antinationalistes, avait cousu un triangle violet sur leur pyjamas de déportés ; dans la foule se trouve des pères et des mères de famille accompagnés par leurs enfants auxquels ils souhaitent inculquer des valeurs religieuses dans un monde où la frontière du bien et du mal est : « ? » ; dans la foule se trouvent des jeunes gens qu’ont abandonnés ambitions professionnelles et sociales pour se consacrer à l’œuvre biblique et, dans la foule se trouve moi, George, qu’en revient pas de me sentir aussi bien dans ce lieu, surtout qu’en revient pas de me retrouver prosélyte dans cette ligne alors qu’à la mire des ambitions littéraires et commerciales, je m’était dit, en toute intimité comme un comploteur, que pour vendre ma came, fallait que je chie sur cette communauté religieuse qu’est la seule parmi l’humanité dont aucun membre ne m’a encore jamais fait de mal.


Dans la foule j’ai failli l’oublier lecteur, Tantine Rosalie qu’en revient pas que je sois là, moi, le seul représentant de la famille Mizimdi, qu’elle a, à travers un témoignage adressé à la mère dans la rue, amené sur le sentier de Jéhovah. Elle espère que je serais le premier à sauter le de l’immersion religieuse et ainsi par mon acte entrainer avec moi tous les miens dans les flots du baptême familiale qui, s’il adviendrait, la remplirait de joie et d’estime.


Elle nous rejoint en compagnie des membres de la congrégation de Clichy. Nous assistons à l’interminable prêche, nous, façons de parler, parce que moi, tout ce temps durant, je retrouve le petit Harry Potter africain dans un tiroir de ma tête. Il s’appelle Seko. Il vit dans la rue avec d’autres enfants de son âge. Son métier c’est tailleur de pierre. Le pouvoir qu’il possède ? Ses meilleurs amis ? Son pire ennemi ? Je ne sais pas encore. Je m’y attèle…


Maintenant il faut renter, il faut quitter tout ce beau monde, il faut retourner à la grise réalité, c’est triste un peu de devoir replonger dans la solitude, dans la misère, il reste encore si loin de nous le paradis ! Parce que je ne me baptiserai jamais moi ! Ma viande crève de faim et d’ambitions, veut fortune, transpercer le maximum de vagins et surtout imposer son nom à la Postérité ; bref, réaliser des désirs que condamnent les Témoins de Jéhovah. Pour l’instant mineur, dois faire semblant que ça m’intéresse Tour De Garde, que ça m’intéresse Réveillez-vous !, parce que mes parents veillent –– papa surtout qui sait chicoter –– ils me veulent religieux, pas moi seulement, mais toute leur famille ! Alors fais semblant, en tournant autour du bassin baptême sans y plonger, je cri :


« ô Jéhovah je t’aime ! T’as sauvé mon âme ! Dieu d’amour ! Alewouya ! Amen ! Amen ! Amen ! » 


J’exulte de religiosité en attendant la majorité par laquelle le Législateur m’offrira la liberté, ou pas, de nager, dans la décadence du monde.



*



À partir de ce voyage, une certaine intimité semblable à celle des aimants après leur première nuit s’installa entre moi et la sœur d’Eglise. Elle m’avait offert l’histoire de sa vie, mais moi, incapable de dialogue, qu’une oreille attentive. Dorénavant chaque samedi dans la Salle du Royaume elle me cherchera du regard et prendra de mes nouvelles et celles de ma famille. Et moi en échange, je me masturberai une fois le temps des rêves venu sur la forme de sa bouche, de ses seins, de son vagin et de son cul. Dans ma fantasmagorie, ses longs étirements de parole se ponctueront par la cigarette de ma queue. Mais un jour cette harmonie érotique s’ébranlera.


Ce jour là je me trouvais dans un de ces temples de la consommation, celui du magasin Aldi logé sur le Bd Leclerc. Dans le mien de rayon, une bande de jeunes hommes aux prises avec le vigile, un rebeu costaud et grand soupçonneux. Tout à coup la bande détala. Le vigile se lança à leur poursuite. Il refit son apparition bredouille, à bout de souffle.


Ils sont terribles les jeunes d’aujourd’hui ! A dit une personne dans la queue parmi celle que la bande avait bousculé pendant la cavale. Il n’a pas répondu le vigile. Après avoir circulairement observé l’intérieur du magasin, il vint camper prêt de moi. J’ai changé de rayon mais son ombre suivait toujours le mien. Alors, mon cœur s’emballa qu’on me considéra voleur. Qu’une priorité : sortir le plus vite possible de ce magasin ! J’allai me faire tout petit dans la queue, au milieux de la suspicion des adultes.


J’ai d’abords cru avoir rêvé. Mais une nouvelle fois la voix de femme a appelé mon prénom. Merde ! C’était la sœur d’Eglise.


Je l’ai su direct, à l’embrassement de mon rythme cardiaque, les brulures de mes muscles, que j’emmagasinerais jamais assez d’oxygène pour répondre. Alors, j’ai fait semblant de ne pas la reconnaitre. Malgré cela, sa voix m’appela plus fortement, la sœur d’Eglise. Elle croyait que j’évitais de lui répondre par peur d’être affilié publiquement aux témoins de Jéhovah. Sous les regards des autres, son agréable effluve s’est intensifiée, puis :


« T’es pas sympa Gorge ! Je le dirais à ta mère ! »


Tous les regards convergèrent instantanément sur moi qui ne daignais toujours pas la regarder alors qu’un fourmillement de murmures et d’éclats de rire se répandaient sourdement dans la file. Humiliée et saignée publiquement dans son estime elle s’en alla alors que la honte et le remord me broyaient : tout cela à cause de mon inoralité ! Dorénavant lorsque nous nous croiseront dans la Salle du Royaume elle me traitera en inconnu. Et quand je voudrais ressentir un petit peu de sa chaleur dans ma fantasmagorie en lui offrant ma cigarette en gage d’excuse, c’est l’amertume plein les dents qu’elle déchirera ma bite, dorénavant mal aimée.
D.E
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