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Conte de l'ascenseur

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Message  bertrand-môgendre Dim 24 Mar 2013 - 11:18

Conte de l'ascenseur

— Qui es-tu? Me demanda l'étrangère
— Je suis Franck votre voisin d'à côté.
Notre immeuble était laid autant que ses locataires, c'est dire combien cette nouvelle venue qui avait aménagé hier au dernier étage, embellissait la résidence.

J'étais encore un adolescent boutonneux qui serrait les poings en présence de cette fille extraordinaire. Nous nous tenions devant l’ascenseur, un ascenseur archaïque limité à trois personnes seulement.
En attendant de voir la lumière verte clignoter et nous prévenir de sa disponibilité, mon regard se perdait sur le détail de la peinture écaillée... s'évaporait dans le lointain où, tels les élans troubles d’un océan en furie, déferlaient les vagues fracassantes de mes émotions. Elles tourmentaient mes pensées, bouillonnaient soudain, inondaient un champ de maïs aux tiges dressées vers le ciel implorant le tonnerre de ne pas ravager la récolte, suppliant par mes cris de fureur d'épargner les épis mûrs, puis comme un coup de semonce, l'air fut troublé ... par l'ouverture pourtant ordinaire des portes.

Au rez-de-chaussée, on entendait crier les impatients qui, pressés par le temps, insultaient ceux qui, comme nous, bloquaient les portes de l'ascenseur. À trop vouloir cogner contre le métal, à trop vouloir frapper le boîtier de commande, ils risquaient de détraquer la mécanique.

— Bonjour. Sa voix résonnait dans le couloir (Vous avez l'air de haïr ceux qui sont en bas ? Me demanda mon inspiratrice en se penchant vers moi, les canines blanches comme des crocs, les yeux diffusant les flammes de l'enfer).
— Bonjour. (Mes voisins ont des visages jaunes comme le sable. La trace des coquillages qu'ils portent sur la peau évoque encore la présence lugubre de leur besoin de mer. Et toi que fais-tu là si ce n'est pour nous inviter à la démence ? Laisse-moi passer ! ).
— Vous allez bien ? (Je suis la gardienne de ceux qui sont en bas, et je ne te laisserai pas les rejoindre sans une rançon).
— Oui merci. (Je ne possède rien de valeur qui puisse satisfaire à tes exigences. Je suis jeune et sans argent. Mais je suis prêt à te remettre mon corps).
Ma voisine me sourit encore
— Va-t-il faire beau aujourd’hui ? (Oh ! Je n'en demande pas tant ! Cède-moi ton ouïe et nous pourrons commencer à descendre).
— Oui, mais bon Dieu, ça ne démarre pas. (Mon ouïe ? Pourquoi pas. Si cela me permet de ne plus entendre ces ténébreux voisins, diffuseurs de mortelles conversations à vomir...).
— Il suffit d'attendre un peu. (N'aie crainte. Ainsi équipé, tu pourras entendre encore, mais mieux).
L'habitacle exigu se chargeait de rapprocher nos corps.

La fille enfonça le bouton RC.
La cabine s'ébranla, entreprit une courte descente puis se bloqua entre deux étages.
— Zut ! (Seconde manche : si tu veux descendre un peu plus bas, donne-moi tes yeux).
— Nous sommes coincés ! (Mes yeux ? C'est grave non ? Comment te verrais-je).
— Pas d'inquiétude, ça devrait repartir. (Tu verras quand même, je te donnerai d'autres yeux, rendant la vue bien meilleure).

Accompagné de grésillements inquiétants, le néon menaçait de s'éteindre.
Elle appuya à nouveau sur RC
L’ascenseur connut une autre secousse avant de s'arrêter une troisième fois.

— On va jamais y arriver à ce train-là. (C'est drôle avec mes nouveaux yeux, je vois au-delà des parois de notre cabine. Avec mes nouvelles oreilles j'entends ce que racontent les habitants).
—  Jamais deux sans trois. Patience Franck. La mécanique est vieille, il faut la ménager. (Si tu veux vraiment descendre jusqu'en bas, cède-moi deux autres biens de toi : ton cœur et ta mémoire).
— Putain, fais chier ! J'aurais mieux fait de prendre l'escalier, bordel de merde ! (Pas le cœur ! La mémoire passe encore, mais le cœur, c'est trop!).
— Hum, hum, exprima-t-elle en se raclant la gorge. (En échange tu auras un cœur neuf et une mémoire propre, nettoyée, ravivée. Si tu n'acceptes pas, nous devrons attendre longtemps serrés l'un contre l'autre).
— Pardon, dis-je en respirant le parfum diffusé par les cheveux de ma compagne d'infortune. (Mais si tu me prends tout ce que j'avais d'humain en moi, que vais-je devenir ?)
—  Ce n'est rien, les dérapages sont tout ce qu'il y a de plus normal lorsque quelque chose trouble la banalité du quotidien. Non ? (N'aie crainte, tu seras heureux de découvrir le monde sous un autre angle. Alors ? Tope-là pour le cœur et la mémoire ? ).

Nos deux mains tapaient de concert sur la commande de la cabine. Ses doigts étaient fins.
À leur contact, je sentis une intense chaleur me parcourir le corps en entier.
Au bout d'un certain temps, sans prévenir, le mécanisme reprit son ronflement habituel.
Arrivés à destination, au lieu de recevoir un déluge d'insultes, le soleil inonda nos visages enfin délivrés.

— Tout va bien ?
— Nous avons prévenu les pompiers !
— Qu'avez-vous fait pendant ces deux heures ? demandèrent les personnes inquiètes pour nous, belles dans leur interrogation.
— Nous étions bloqués. Vive la liberté.

Une affichette occupait le centre du panneau d'information des colocataires de l'immeuble. C'était la publicité pour un entrepreneur local.

LUCIFER, l'homme à tout faire.
Petites réparations.
Dépannages rapides
.
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Message  Invité Dim 24 Mar 2013 - 11:46

ah, c'est tout frais!
merci...

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Message  Invité Dim 24 Mar 2013 - 11:58

Très très bien vu le dialogue intérieur, j'aime beaucoup ce procédé, dans ce qu'il a de potentiel voire de réel ; mais aussi et parce que je trouve qu'il y a de l'Orphée et Eurydice dans ce récit (conte), le petit clin d'œil de la fin ne fait que renforcer mon impression.
Un texte vraiment sympa.

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Message  Sahkti Ven 12 Juil 2013 - 12:53

Texte très agréable BM ! Tout comme easter, j'ai un gros faible pour ce procédé. Les voix doubles et décalées apportent beaucoup de charme - de puissance aussi - au récit; ces parenthèses sont structurées avec efficacité. Les personnages dégagent le brin de mystère qu'il convient, tout comme le décor, en apparence banal et pourtant si prometteur d'histoires passées ou à venir.
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Message  Raoulraoul Sam 26 Oct 2013 - 9:00

Je suis heureux d'avoir remonté l'ascenseur jusqu'à mars. Beau voyage. Bien saisie aussi la double pensée. Le décalage aussi de style entre le dialogue explicite et l'implicite. Souvent les drames de l'existence se nouent par l'écart entre se qu'on dit et ce qu'on pense... Merci à toi et cette fois sans arrière pensée !
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Message  Invité Sam 26 Oct 2013 - 21:01

Les ascenseurs et les BM  recèlent d'insondables beautés !

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