HERBE : Dimanche après-midi au Parc Astrid

C’était un dimanche. Un de ces dimanches après-midi, typiquement belge, où le ciel, désespérément gris, semblait peser sur les têtes, où la pluie, hésitante, ne se décidait pas à tomber, où la bise piquante fouettait les visages. Mais Bruxelles est plus belle sous la grisaille, c’est bien connu. Un dimanche donc, Bruxelles. Un père et son fils, écharpe mauve et blanche nouée autour du cou.

C’était jour de match à Anderlecht. L’ambiance devenait progressivement électrique. Les supporters convergeaient en nombre dans les rues adjacentes au stade. Le petit garçon était impressionné devant tous ces gens attiré par une même passion. Il serrait fort la main de son père. Surtout ne pas le perdre ! Ce père et son fils, comme une image tout droit sortie du film de De Sica, « Le voleur de bicyclette », la bicyclette en moins. Ce père n’avait rien d’un voleur. Pour l’anniversaire de son fils, il avait décidé de l’emmener assister à son premier match de football. Et pas n’importe lequel ! Anderlecht – Standard ! Le choc ! Un peu comme PSG – Olympique de Marseille en France. Un duel qui depuis des temps reculés maintenant, faisait couler abondamment l’encre des journalistes et alimentait les conversations de comptoirs la semaine précédant la rencontre. Justement ce qu’étaient en train de faire les supporters qui envahissaient les bars du quartier.
Soudain, le père et le fils s’engouffraient dans l’avenue Théo Verbeeck. L’enfant leva les yeux au ciel et vit apparaître la gigantesque carcasse de béton et d’acier du stade, le parc Astrid, qui semblait les toiser. La dernière fois que l’enfant avait ressenti pareille sensation de grandeur, ce fut devant les cathédrales qu’il visitait l’été avec ses parents. Celle-ci était d’un tout autre ordre, dédiée au ballon rond.
L’avenue était bondée par une foule bigarrée dont le costume était composé majoritairement de mauve et de blanc. L’enfant aimait ces couleurs depuis qu’il s’intéressait au foot. Il ne savait pas dire pourquoi ! C’était comme ça, un point c’est tout ! Il était l’un des seuls à aimer Anderlecht dans une école où tous ses copains ne juraient que par le Standard de Liège. Même son père qui l’accompagnait aujourd’hui aimait le Standard. L’enfant savait combien il en coûtait à son père. Ce dernier lui avait dit qu’on ne verrait pas les supporters liégeois dans la rue, qu’ils arriveraient de l’autre côté du stade, escortés par une cohorte de gendarmes en motos, toutes sirènes hurlantes. C’était un match à risques !

Dans l’avenue Théo Verbeeck, la sécurité était maximum. Des gendarmes, à pieds, à cheval, dans leur combi. Des chevaux de frise étaient placés aux embouchures des différentes rues. Les commerçants du quartier prenaient leur précaution. La boulangère finissait de tirer le rideau métallique, qui masquait et protégeait sa devanture. Les cafés, par contre, faisaient leurs affaires. La bière coulait à flot chez Michou, la cafetière la plus célèbre du coin. L’enfant sentait toutes ces effluves caractéristiques. Les vapeurs de houblon se mélangeaient aux odeurs grasses, persistantes et pourtant alléchantes des hot-dogs et des cornets de frite.

Quinze heures moins le quart, il était temps de pénétrer dans l’enceinte sacrée. Après avoir gravi quatre volées de marches, l’enfant et le père prirent place au deuxième étage de la tribune, derrière les buts. L’enfant ne savait plus où donner de la tête. 28 000 personnes avaient pris place comme eux. Sold out comme d’habitude. Et 28 000 personnes, ça fait du bruit. Mention spéciale quand même aux supporters du Standard, tout de rouge vêtu, qui faisaient honneur à leur réputation de public le plus chaud de Belgique. Mais heureusement que le public ne faisait pas l’équipe !
En bas, sur la pelouse, les joueurs effectuaient leur entrée sous les applaudissements nourris et un déluge sonore. Enfin, l’enfant les voyait en vrai, tous ces joueurs qui le faisaient rêver : Luc Nilis, Marc Degrijze, Stephen Keshi,…. Ces compagnons dont il revêtait l’identité lorsqu’il jouait dans la cour de récréation, dont il collait les figurines autocollantes, achetées avec l’argent de poche hebdomadaire, en un étrange rituel dans l’album prévu à cet effet. Ils étaient là, tout petits, mais bien là !
Les chants succédaient aux chants, les occasions se faisaient rares quand soudain, après une séquence confuse dans le grand rectangle, le ballon arriva vers Luc Nilis en embuscade, qui le reprit de volée. Le ballon alla se nicher dans la lucarne du but défende par le gardien liégeois, Gilbert Bodard. L’enfant était aux anges, les trois- quarts du stade aussi. Le père, lui, pestait, mais essayait de ne pas trop le montrer au milieu des sympathisants mauves. Les joueurs exultaient, sautaient dans tous les sens, comme onze petites sauterelles qui soudain seraient devenues folles. Le match se poursuivit. Les score n’évolua plus. Anderlecht avait remporté la victoire. C’était la fête. Les joueurs vinrent faire la hola devant chaque tribune. Le père qui, intérieurement, râlait un peu de ce résultat négatif, observa son fils rayonnant. Un large sourire envahissait son visage et ses yeux pétillaient. Mais la fête n’avait qu’un temps. Il fallait ne pas traîner après le match car c’est bien connu, 28 000 personnes, ça provoque aussi des encombrements à la sortie. Le père et le fils dévalèrent les volées d’escaliers.

Arrivé en bas, le fils se dégagea de la poignée de main paternelle et s’engouffra dans un tunnel qui menait directement au terrain. Le père, affolé, essayait tant bien que mal de rejoindre son fils, se faufilant au milieu d’une gigantesque marée humaine. L’enfant, lui, était à présent devant le théâtre de ses rêves, la pelouse sacrée qu’il rêvait de fouler. Une fois, rien qu’une fois seulement ! Une barrière l’en empêchait. Il jeta un regard à droite. A quelques mètres de lui, un journaliste de la télévision belge interrogeait le buteur du jour, Luc Nilis. L’enfant se dirigea vers les deux hommes espérant arracher quelque pognée de main, quelque autographe à son idole. L’interview prit fin et l’enfant, bien qu’impressionné, aborda le joueur qui lui serra énergiquement la pince. « Alors, petit, tu as aimé le match ? » lança le footballeur au petit garçon de huit ans. « Cétait extra. Tu as marqué un joli but… ». « Merci, qu’est-ce qui te ferait plaisir ? Un autographe ?... ». L’enfant fouilla les poches de son anorak à la recherche d’un éventuel bout de papier et d’un bic. Mais il n’avait pas prévu cette rencontre miraculeuse. L’enfant était désemparé, ne voulait pas rentrer sans un souvenir de ce moment. « Dites, Mr Nilis, est-ce que je pourrais monter quelques secondes sur la pelouse ». « Pas de problème, petit, suis moi ». Il ouvrit la grille et l’enfant put l’espace de deux minutes foulé la pelouse sur laquelle ont joué tant et tant de stars. Lorsqu’il fallut sortir, le garçon s’agenouilla et cueillit religieusement un brin d’herbe du saint Graal, qu’il plaça ensuite dans on petit portefeuille.

Mon père me retrouva lorsque Luc Nilis me quitta. Mon père, oui, car cet enfant, c’était moi il y a dix-huit ans de ça. Depuis les portefeuilles ont changé, les joueurs aussi, Anderlecht et le Standard luttent toujours pour le titre mais mon brin d’herbe est toujours la bien au chaud, niché et serré entre deux billets. Et chaque fois que je le vois, je me souviens de ce dimanche après-midi au parc Astrid.

M'en doutais que c'était le petit Noth !
C'est une jolie histoire que tu nous as conté là Nothingman.
C'est bien décrit et la fin s'envole avec beaucoup d'émotion.

Ben c'est tellement bien raconté qu'on dirait du vécu! Tu nous diras? ;-)
Délicatement décrit avec tous les détails nécessaires, l'ambiance, le danger, la foule, et le bonheur du petit garçon qui a eu là un sacré cadeau d'anniversaire.
C'est le papa qui a dû avoir peur en lâchant le fiston!!
Beau texte, touchant. Bravo.

Vraiment touchant ton texte, Noth! Et empreint d'une telle belgitude!
Beaucoup aimé.

Est-ce que c'est véridique Noth'?
En tout cas, c'est bien écrit, bien raconté, rempli d'émotion et on s'y croit, on se voit dans ce match, on ressent les tremblements du gosse et de son père. Un beau texte! Et puis un joli hommage rendu à l'herbe qui dans le cas présent, est vraiment épatante.
J'ai particulièrement aimé comme tu présentes le match, l'envie des deux héros d'y assister, la folie qui entoure tout événement de ce type... réaliste et ressenti.

Tu as su faire passer l'émotion dans ce texte Nothingman; l'attente, les vibrations du petit sont bien rendus et j'aime beaucoup aussi la manière dont tu as ancré ce texte dans l'espace. Tu poses, en effet, un regard très tendre sur la Belgique, ses joueurs de foot et ses supporters!
Je regrette juste le style par moment un peu hésitant, les quelques répétitions qui arloudissent le texte ("enfant", "ballon" etc...) et l'emploi des temps parfois maladroit.
Un joli texte malgré tout.

Beau texte...Initiation à la vie (il faut osé pour avoir) et tendre description d'un morceau de vie qui peut être à participé au façonnage d'une existence...

Un texte qui tient, qui émeut sans trop tirer sur la corde. Joli Noth !

joli souvenir, très bien raconté avec moults détails qui enrichissent l'ambiance.


alors c'est un vrai souvenir ou pas ? moi je dirai que oui ! peut être pas pour le brin d'herbe ?

Merci à tous pour vos commentaires! -) Oui, c'est un moment vécu et j'ai toujours ce brin d'herbe dans mon portefeuille -)

Un beau texte oui, par contre je ne m'attendais pas du tout à ce que ce soit toi ! Donc trés surprise au dernier paragraphe, sinon on s'y serait cru, bien décrit, les émotions bien retranscrites.
L'a eu de la chance le petit Not' :0)

De la retenue et de la sobriété qui crée de l'émotion. Mais c'est aussi plein de vie, de vécu.

Tu maîtrises bien le rythme et la façon de raconter, et du coup même les quelques formules un peu toutes faîtes passent bien.

Je trouve que c'est un de tes textes les plus réussis. J'ai l'impression que c'est érit avec beaucoup de sincérité et que cette sincérité passe très bien.