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Un beau dimanche

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Message  soledad Mer 14 Nov 2018 - 12:01

Patricia était la petite amie d'un apprenti boucher qui pratiquait la lutte gréco-romaine. Au cours des soirées entre copains, l'éphèbe à la hachette ne ratait jamais une occasion de la railler en public,  d'outrager de la paume de la main son joli postérieur moulé dans des jeans ajustés, de caresser avec la plus écœurante vulgarité sa poitrine ou de la forcer à l'embrasser à pleine bouche pour bien montrer à l'assemblée qu'elle lui appartenait, qu'elle était sa chose et qu'il pouvait en disposer comme bon lui semblait.
Étrangement, le seul souvenir physique que je garde d'elle c'est son sourire qui découvrait ses deux canines inférieures légèrement proéminentes qui lui donnaient un air  malicieux et enjoué. Bien que je ne fus  pas expert dans la matière, l'amour  qu'elle portait à cette injure des abattoirs, dont la cervelle n'était pas plus grande que celle des  animaux qu'il sacrifiait, me semblait  indigne de la part d'une fille aussi pétillante qu' attendrissante.
Si dès l'âge  de 14 ans un tout jeune travailleur affilié à Lutte Ouvrière m'avait formé aux premiers rudiments de la lutte des classes,  c' est grâce à Patricia que je connus les trois prêtres ouvriers qui habitaient au troisième étage d'un immeuble voisin.
Après la messe, ce fut le père Jean qui nous encouragea à l'accompagner à la manifestation du 1er mai. "Puisque ton amoureux est en compète, on se retrouve à la manif?"
Même si la fête des travailleurs qui plus tard deviendrait "la fête du travail" (comme si l'esclavage, la soumission à la production  et l'exploitation méritaient d'être fêtés) tombait cette année là un dimanche, tout le petit peuple de gauche s' était réuni, une fois de plus, pour montrer sa cohésion,
sa force et sa capacité à se mobiliser pour défendre ses droits et en obtenir d'autres.
Pour mon premier défilé, ils étaient tous là, du moins tous ceux qui quelques années plus tard deviendraient "les miens": Les ouvriers de l'usine de roulements à billes avaient apporté des grosses caisses, des trompettes et des percussions; les drapeaux rouges et noirs de la ligue révolutionnaire scandaient la brise du printemps; Crapaud et sa bande d'anarchistes complotait contre le fond de l'air encore frais, malgré un soleil radieux, en évoquant la guerre d'Espagne; les retraités, un brin de muguet au revers de leur veston en guise d'insigne, se donnaient déjà rendez- vous au "Café de Cancale" après le défilé...
Je suivais Patricia. Elle papillonnait, zigzaguait d'un groupe à l'autre, saluant de la main un jeune père portant sa petite fille sur les épaules, faisant la bise aux gros bras du service d'ordre de la CGT, récupérant les tracs pour les distribuer pendant le défilé, m'en donnant une partie, s'approchant en riant d'un jeune communiste qui lui tendait un drapeau rouge, jetant  des regards  amusés par dessus son épaule pour vérifier que je ne me diluais pas dans cette foule ondulante et vociférante qui commençait à avancer en un  seul bloc uni.
Pour la première fois de ma vie j'avais l'impression d'appartenir, plus qu'à un groupe, à un monde. Ce monde de voisins inconnus, d'amis par conviction, de travailleurs anonymes à qui il m'était arrivé d'apporter du café chaud un soir d' occupation d'usine;  envahissait  la chaussée, débordait sur les trottoirs, grondait  à l'unisson comme un oued en crue.
Paradoxalement, je m'y sentais en sécurité dans le brouhaha coloré de cette masse compacte. Entouré de  aînés de ma caste, sous l’œil goguenard et complice des colosses moustachus aux brassards couleur cerise, je regardais Patricia en riant. On criait, on chantait ce sentiment de totale liberté plus que les revendications auxquelles on ne comprenait pas encore tout.  
Arrivés à la Place Jean- Jaurès, que les Tourangeaux de droite appelaient Place du Palais, les ténors syndicaux et politiques se succédèrent à la tribune. Il y fut question de misère, de retraites, de salaires ou  de couverture sociale mais la plupart  n' écoutait déjà plus. Dans la foule qui se résistait à se disperser, je reconnus les lycéens de la Jeunesse ouvrière chrétienne avec qui je parlais immanquablement de Tostoï, de lutte pacifiste, d'objecteurs de conscience, de communautés perdues au fin fond de l'Ardèche... Ce n'est pas sans une certaine fierté que je les présentai à Patricia.
Massés devant la mairie entre les deux grands jets d'eau, subversifs inspirés par les évangiles (mais toujours sans maître) on attendit avec les plus fervents  la dernière partie du cérémonial, de  cette grande  messe qui ne prendrait fin qu' après avoir entonné, tous en chœur  et de bon cœur, "l'hymne International".

soledad

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Message  télémac Jeu 12 Déc 2019 - 20:38

Allons bon. Soledad (bonjour), après une toute première lecture et commentaire d'un texte sur ce site, un texte poétique d'Eclaircie, voilà que je tape au hasard dans la prose.
Et quoi, une histoire qui m'accroche, bien écrite malgré de légères maladresses de style, et que constate-je en arrivant aux dernières lignes ? Pas fini!
Oh la déception.
Du coup, j'ai un peu balayé vos autres textes, mais pas moyen de raccrocher une suite
Existe-t-il une suite ?
Ou bien attendiez-vous les premières réactions avant de vous décider à poursuivre?
Il n'y en avait pas encore, donc abandon?
En tous cas me voilà bien frustré.
Non, je plaisante. Enfin, à peine.
Car oui, je me mangerais bien volontiers la suite, histoire de vérifier que Patricia va réagir sainement.
Dites.

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Message  Sahkti Sam 4 Jan 2020 - 13:44

Les animaux ont une cervelle hein, une vraie, pas uniquement comestible ;-)

Effectivement, quid de la suite ?

De ci de là, un rythme parfois déséquilibré, qui se heurte à une profusion de détails avant de vite virevolter vers autre chose.
Introduction qui donne envie d'en savoir davantage.
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