Exo en direct, samedi 25-10-2008 : Empathie

Je suis le roi de la nuit, le roi de la vie. Toutes elles me regardent, toutes elles me veulent. Dans mes veines pulse le sang de la jeunesse, celui de la trentaine à peine. Faut me voir traverser Paris au volant de mon roadster Z3 rouge sang, Putain, j’en jette. Tenez, regardez celle-ci, oui, elle-ci, celle qui n’en revient pas et qui, encore sous le choc, stoppé sur trottoir, me balance un regard du genre admiratif.
— C’est une pute !
— Èh, je t’ai rien demandé toi. Puis elle est pas faite pour moi, pas assez bien faite disons.
— Frimeur !
Je respire à fond : je suis le roi de la nuit, le roi de la vie. Puis je vais pas répondre à un type qui se trimballe en jupe et porte-jarretelless sous prétexte qu’il est assis côté passager, qu’il est…
— Oublie pas que je suis ton père !
Voilà.
— Et au chômage depuis vingt piges, je lui fais.
— C’est pas ma faute si les employeurs sont sectaires. Surtout depuis la mort de ta mère.
C’est reparti !
— Et les troncs d’église, pourquoi tu pille les troncs d’église ? j’ai assez de pognon pour deux non, t’as pas besoin de faire ça. Merde je vais pas passer ma vie à te récupérer au commissariat.
— C’est pour les pourboires, je laisse des pourboire moi Monsieur, et puis merde, je te demande pas pourquoi tu te rases sous les bras toi, ni pourquoi t’aime la cuisine molenculaire.
— Moléculaire !
— C’est du pareil au même, puis à mon avis, si tu bouffais pas ce genre de truc, ta femme se serait pas tiré avec un autre.
— Avec une autre, nuance et tant mieux, je la supportais plus !
— C’est pire !
Je suis le roi de la nuit, le roi de la vie, mais des fois je rêve d’un parricide.
Le silence s’installe, défile le 15e, le quartier de l’Odéon, Montmartre…
— Éh, t’as vu celle-là je lui fais;
— C’est une pute !
— Tu pourrais pas changer de disque s’il te plaît ?
Il tire sur sa jupe, se renfrogne, fais sa gueule des mauvais soirs, remonte sa vitre comme si dans un cabriolet sa servait à quelque chose.
J’aime Monmartre, je m’y gare. Pile entre une Mercedes et une Porche. je suis chez moi. Je fais le tour, lui ouvre la portière. Sortant de son fauteuil tout cuir, il soupire, dit :
— T’es plus le même depuis la mort de ta mère;
Toi non plus, je pense, mais je me tais. Il poursuit
— Tu vends quoi déjà ?
— Des centaines de fois que je te le dis : des bouquins tendance zénitude;
Il se recule, comme il le fait chaque fois qu’il descend de la bagnole, la reluque comme on reluque un joli cul, dis : « Tu t’en sors pas si mal. »
— Je suis le roi de la nuit, le roi de la vie !
Il sourit en rajustant ses bas, sourit encore lorsqu’il dit : « Tu sais ce que j’aimerais ? »
— Oui papa, une pipe genre Monica.
Je le connais mon vieux.
— Exactement !
Puis il me prend par les épaules et m’entraîne du côté des boîtes de nuit, précise tout de même qu’il désire pas une pute, qu’il mange pas de ce pain-là, mais que si j’avais cinq cent euros à lui filer, ça devrait aller.
Je m'exécute, sors les billet de mon portefeuille, les compte, les lui donne, pense que dés qu’on met pas un nom sur une profession, ça revient cher.
Il empoche la liasse, demande s’il est présentable. Je le rassure, il est présentable s’il rajuste sa jupe, ce qu’il fait, avant de m’embrasser sur le front.
Avant de disparaître entre deux videurs, avant de s’étioler quelque part dans la pénombre d’une porte cochère aux néons intermittents de lumière, il se retourne, dit :
— Y a un truc que j’ai jamais compris ?
— Quoi ?
— Que le poisson rouge soit mort le même jour que ta mère.
— Moi non plus je dis, et je le laisse aller sans lui rappeler que ledit poisson rouge était turquoise. En quoi ça l’aiderait ?
En quoi ça m’aiderait moi :
roi de la nuit ;
roi de la vie.