BELLE NOUVELLE ANNEE A NOTRE LOUPBLEU A NOUS !

Modération Dim 1 Fév 2009 - 23:01

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C’était un matin de février 1972. Madame Loup en était persuadée, bébé Loup arrivait. Elle réveilla Monsieur Loup et ils partirent à la petite clinique de Boulogne, non loin de là, pour l’heureux évènement. Après quelques heures de négociations, le petit montra le bout de son crâne, déjà luisant, nu comme un ver. Bon, un bébé Loup chauve, pourquoi pas. Chauve d’accord mais bleu, pourquoi ? L’infirmière eut beau lui tapoter, taper, claquer les fesses pour le faire hurler et lui faire perdre sa couleur tendance cyanosée, rien n’y fit, le petit Loup resta bleu et sourit à la demoiselle qui lui frottait le postérieur. La famille était aux anges mais tout le monde gardait à l’esprit cette question : bleu, pourquoi bleu ?

Et lorsqu’il fallut choisir un prénom, « Grand Schtroumpf » s’imposa presque comme une évidence. Presque seulement, parce qu’en réalité le p’tit Loup n’était pas si grand. On l’appela donc Loupbleu par souci d’exactitude, ce qui avait le mérite d’être clair mais n’expliquait en rien l’origine mystérieuse de cette couleur insolite.

Et Loupbleu grandit ainsi dans une quête métaphysique perpétuelle et inassouvie jusqu’à ce qu’il découvrît, au hasard d’un reportage animalier, que la pigmentation des flamants n’était rien d’autre qu’une histoire de crustacés...

Se creusant les méninges, qu’il avait déjà assez profondes quoique inexploitées, il ne parvenait pas à élucider le phénomène malgré ses recherches incessantes et ce début de piste.

Le passage sous les drapeaux et le qualificatif de « bleu bite » attribué à tout nouvel arrivant ne lui fit ni chaud ni froid. En revanche il ne put cacher son agacement lorsque, parvenu à l’âge mûr et administrateur d’un site web de renom, l’une de ses administrées osa émettre un « de bleu ! » sans retenue lors d’un échange, ce qu’il prit pour une perfide attaque personnelle. L’affaire s’atténua mais la blessure restait vive même s’il voyait bien que l’administrée en question distribuait ses « de bleu ! » généreusement à tout un chacun.

Quelle ne fut sa surprise le jour où s'aventurant en terres virtuelles inconnues (encore un coup du hasard) il apprit que le "dé bleu" était aussi un éditeur de poésie. La poésie avait beau ne pas être sa tasse de thé il n'était pas sans savoir que le bleu rimait avantageusement avec le poème (désavantageusement aussi il s'en rendit rapidement compte). Il nota alors scrupuleusement l'adresse de la maison bleue en se promettant : d'une, d'y aller faire un tour quand il aurait le temps, de deux de lire plus souvent les contributions poétiques dans les pages nées de son appétit de loup littéraire.

C'est que Loupbleu administrait un large domaine où s’ébattaient pas loin de huit cents petit cochons et cochonnes. Lesquels cochons, chacun muni d’une plume — d’oie, de paon, de corbeau, de flamant rose, voire d’oiseau exotique — occupaient la majeure partie de leur temps à se chatouiller les uns les autres.

Ces activités domaniales n'empêchaient pas notre Loup de poursuivre son incessante quête : d'où lui venait donc cette couleur bleue qu'il aimait plus ou moins selon les évènements du jour ? Il considérait les diverses réponses qui s'offraient à lui, entre autres : si la couleur des flamants roses vient des crustacés qu'ils ingurgitent, se peut-il alors que maman Loup ait fait une consommation surdosée de Bleu d'Auvergne lorsqu'elle attendait son petit ? Ou encore, était-il possible que ses parents l'aient adopté, qu'il vienne en fait d'une autre galaxie, où les petits êtres bleus, loups ou hommes, sont légion ?
Il existait toutefois une autre supposition, qui plaisait bien à notre Loup préféré, lequel se prenait à rêver dans ses moments de rare oisiveté que le sang qui coulait dans ses veines était de noble origine : prince de sang bleu, pensez donc ! Voilà une explication qui en jette, et pas qu'un bleu !

Seulement voilà, prince de sang bleu, il allait falloir le prouver et pour cela, rien de tel que quelques outils généalogiques. A l'aide de formules magiques dénichées dans un grimoire oulipotien, Blue Wolf partit en quête de racines nobles et avouables. Las, il passa des heures et des heures en explorations inutiles avant de trouver la mention suivante sur un feuillet dissimulé au creux d'un manuel de poésie ukrainienne :
Loup bleuté, aussi appelé Loup bleu, du latin lupus blutus, n.m.: descendant de la lignée Paronomase IV, réputé pour la qualité de ses zeugmes.
Rien de plus, rien de moins...
Perplexe, le Loup se gratta le menton, tâta les cheveux qu'il n'avait plus et se dit qu'un spécialiste serait le bienvenu.

Il s'agissait de dénicher le meilleur. Loupbleu se rendit dans un champ de pervenches en fleurs, par une belle journée où le bleu du ciel restait immaculé de la souillure blanche des nuages, se dévêtit entièrement et tomba bras en croix près d'un ruisseau aux eaux d'un bleu intense à cause des déversements sauvages de l'usine à côté. Là, il hurla à pleins poumons cette formule magique, destinée à invoquer le démon bleu :
Que le pieu bleu preux, heureux, me creuse !

Il devait répéter la formule encore et encore, jusqu'à perdre le souffle, jusqu'à ce que ses globules rouges virassent au... oui, bien sûr. Il s'adonna à l'exercice avec tant de fougue qu'il s'évanouit. À son réveil, il se crut d'abord devenu immatériel : sa peau se confondait avec tout l'environnement bleu, au point qu'on avait du mal à la distinguer. Un silence bleu pesait sur ces limbes étranges.

Un vent frais, doux, semblait venir de la colline comme pour frôler sa joue et y déposer un baiser. Une femme, toute de bleu vêtue, se tenait devant lui. Ses longs cheveux d'azur balayaient le sol sur lequel gisait notre Loup. Elle ne parlait pas et se contentait de le regarder... d'un drôle de regard. Un peu à la manière d'une biche que l'on aurait croisée avec une guenon. Oui, un drôle de regard.

Se sentant en fâcheuse posture ainsi étendu aux pieds d'une inconnue qui mesurait bien dans les deux mètres, l'homme bleu se dressa sur ses jarrets et demanda :

« Euh ? »

Ce bleu réveil semblait l’avoir quelque peu perturbé. Il eût voulu mentionner que son expression, à l’habitude, n’était que précision et justesse. Mais l’explicitation de sa question lui sembla plus utile.

Une idée venait d'ailleurs d'illuminer son esprit :

Palsembleu ! songea-t-il en considérant la belle, c'est qu'il s'agit de le transmettre ce beau sang bleu tout neuf qui m'irrigue les veines…

— Tu t'appelles comment ? osa-t-il.

— Azulera, mon loup… et j'habite à deux pas d'ici.

Notre Loup, emballé, ne se fit pas répéter l'invitation. Il sauta sur ses pattes et sur les pas de la mignonne s'en fut, tout de bleu, vers la douce tannière.

Elle se révéla, bien sûr, un fin cordon bleu. Ils dégustèrent une entrecôte à peine saisie, comme il les aimait, accompagnée d'un nectar céleste. Loupbleu était au paradis.

— Azulera, mon ange bleu, je t'épouse sur le champ, susurra-t-il

Elle venait, pour le dessert, de s'asseoir sur ses genoux…

Pour le coup, son épiderme perdit sa belle couleur naturelle et prit l'apparence d'une peau de loup échaudé. Ou plutôt, non : ce bleu qui virait au rouge n'atteignit pas complètement l'aspect "camion de pompiers", et s'arrêta sur une teinte violette, pas si laide en soi, même plutôt belle et originale, s'accordant bien avec le fuchsia du papier peint. Mais voilà, notre Loup n'aimait pas être un objet de décoration.

La belle s'en aperçut. Et posa sur sa poitrine une main apaisante.

— Je ne suis pas de ces femmes qu’on épouse, mon Loup. Tout aussi touchante que ta proposition soit, j’aime ma liberté. Tu n’es pas le premier à être passé par ici et sans doute pas le dernier. Je veux rester une réponse aux questions des hommes…

Loupbleu trouva cette réponse-là, faute d’en avoir eu d’autres, plutôt prétentieuse… Ça eut le don de calmer ses fulgurances épidermiques et de lui rendre une couleur normale.

— Ah ? Tu apportes des réponses aux hommes ?

— Oui… toi, tu cherches un sens à ta couleur de peau, d’autres à la forme de leur sexe ou à leur relation à leur mère…

Loupbleu se sentit plus perplexe que jamais. Et prit une teinte un peu marine.

— Eh bien j'ai une réponse pour toi, dit-elle.

La teinte revirait au violet.

— Tu es bleu car...

On frappa à la porte. Azulera se leva sans réfléchir et alla ouvrir à la visite.

Deux bruits sourds résonnèrent. Des bruits étranges, mélange de coup de feu d'un pistolet muni d'un silencieux et d'un appareil électrique qui implose.

Azulera s'écroula lourdement devant Loup qui rechangea de couleur...

Un sifflement se fit entendre à l'extérieur.

Et puis plus rien.

Plus rien du tout.

Calme plat puis voilà tout. Et pour ce qui était de la couleur, couleur d’ingénieur, soit couleur passe-partout, même pas visible de l'extérieur, il s'en accommodait.

Juste, il se demandait si le bicarré latin avait quelque chose à voir avec le charisme tout court, parce que si c’était le cas, sûr qu’il faudrait qu’il fasse des efforts, et pour commencer, courir après le bus.

Bleu le bus.

Fin

Ont participé : Charles, Mentor, Krystelle, Pili, Easter, Sahkti, Socque, Coline, Lucy, Eva, Arielle, Tristan, Bluewitch, Eddy, manisa06, Yali

Auraient bien voulu : tout plein d'autres ! ;-)
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