Sortie de route

Un peu de mal à trouver le temps et la volonté d'écrire ou de participer sur VE en ce moment ... Alors, je tente de me remotiver en vous proposant un texte de fin 2008 que j'avais écrit pour le projet « itinéraire ordinaire » avec les muses à tremplins. Texte que je n'avais pas proposé ...


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Au milieu de la table de la cuisine, la courge d’Halloween me regardait. Ou plutôt, j’imaginais qu’elle me regardait puisqu’elle n’avait encore ni orbites, ni bouche. Elle n’en aurait jamais, elle allait finir en soupe ou en gratin mais elle ne passerait pas la nuit devant la porte. Le coup de fil avait été clair :

─ Ecoute, Pascal, les enfants vont s’amuser plus ici. Chez toi, ils ne connaissent pas les voisins …

J’avais dit « D’accord, qu’ils s’amusent ! ». Je m’étais effacé, à nouveau.

─ Tu n’aurais pas un potiron, par hasard ? Il n’y a plus rien par ici, rupture de stock.

J’avais dit « Non, je n’en ai pas. Au revoir ! ». Après tout, c’était un peu vrai puisque mon potiron était une courge. Elle gardait mes enfants, je gardais ma courge. Là où elle gagnait en amour et en joies, je gagnais en tranquillité. Ma courge était silencieuse, elle ne demanderait pas d’histoire ce soir et ne pleurerait pas, même si elle devait malencontreusement tomber à terre. Et puis, j’avais déjà raté carnaval, Pâques, le feu d’artifice de la fête nationale … Alors, en ratant aussi Halloween, j’augmentais encore mes chances statistiques de les avoir avec moi pour Noël. C’est vrai qu’ils n’étaient pas très demandeurs non plus. Forcément, entre une fête avec papa, seul, et une fête avec maman, son nouvel homme et la famille de maman, la balance penchait fortement … Je ne leur en voulais pas, je n’étais sans doute pas assez drôle, pas assez présent pour jouer tous ces rôles à moi tout seul.

Le matin suivant, sur la route, j’ai fermé les yeux. Oh, pas longtemps, à peine trois ou quatre secondes, mais je les ai fermé, comme ça, en pleine ligne droite, à soixante dix, quatre vingt kilomètres heure. Pour une fois que le trafic était fluide, j’avais eu cette envie, ne plus voir, quelques instants, me demander si j’étais capable de me laisser glisser dans le décor. Ca n’était pas une pulsion suicidaire, juste une interrogation. Et si, là, je sortais du chemin ? Et si, là, je ne faisais plus partie du tableau ?

C'est vraiment réussi, je trouve. Il y a quelque chose de poignant dans ce désespoir en demi-teinte !

On retrouve bien ici la même impression d'un homme accablé et tenté par une réaction extrême que dans le texte que tu avais par la suite proposé.
Je trouve ce texte court vraiment très fort, réaliste aussi ; il met mal à l'aise.

Un texte très court mais plus éloquent et plus émouvant que bien des longs cours. J'ai beaucoup aimé. J'aurais du mal à imaginer la moindre critique.

Oui j'aime aussi ce texte. Il ya une progression de la tension au fur et à mesure que l'on comprend la situation. Même me rythme des phrases change comme la musique au cinema souligne (parfois trop) la montée de l'action.
Suggestion: je n'aurais pas dis pour la chute "j'avais eu cette envie" qui, mettant l'idée dans un passé définitif, rassure en quelque sorte mais seulement "j'ai eu cette envie"... laissant au lecteur le choix de la fin (ou un doute). Mais c'est une question de goût perso.

C'est d'une tristesse... toute en retenue en plus, sans en faire trop. Ca m'a vraiment émue ce texte. Je crois que je ne vais pas l'oublier.

Il y a une phrase qui m'a gênée au niveau de la grammaire. Je ne suis pas une puriste, je m'en fiche de la grammaire, mais j'ai dû relire la phrase pour comprendre quelque chose :
Les enfants vont s'amuser plus ici. --> les enfants vont mieux s'amuser ici.

Super ce petit texte, rien à critiquer, même si je ne peux pas dire avoir été ému, ce genre de sujet me passant complètement au dessus de la tête.

Mais c'est tellement bien écrit que ça passe comme un suppositoire à la poste.

Chose à noter, j'ai eu un élan d'affection pour le personnage principal, mais surtout pour la courge...^^

Oui... il y a une espèce de spleen palpable, comme si un peu de mélancolie "réelle" avait été injectée dans un récit sans doute plus fictionnel. Le genre de chose difficile à inventer tellement ça repose sur un ressenti qu'il faut connaître pour pouvoir en imprégner des mots.

Par contre, et au risque de passer pour un ignorant de la chose culinaire, je me suis demandé ce que venait faire une bouche dans cette phrase :

Ou plutôt, j’imaginais qu’elle me regardait puisqu’elle n’avait encore ni orbites, ni bouche.

Une bouche pour le dire ? Ou une "bouche" est-elle une expression nommant un truc particulier d'un légume ?

Bon, je chipote mais ça me semble étrange au milieu d'un texte maîtrisé. Sinon... le ton si triste me laisse songeur quant à celui qui peut le retranscrire, j'espère vous relire rapidement Charles :-)

Merci à tous pour vos commentaires !

Lonely, j'espère également reposter un peu plus, bientôt ;-)

comme si un peu de mélancolie "réelle" avait été injectée dans un récit sans doute plus fictionnel

bien vu ;-)

bouche ...

rien de spécial, non. effectivement, la bouche ne sert à rien ici ! merci

c'est pas la première fois, Charles, que tu nous sers un petit road movie un peu noir
et celui-là est tout aussi réussi que les autres même si en général je préfère les textes pleins d'humour
tu es très bon dans le genre

A l'exception des deux dernières phrases (Et si, là, je sortais du chemin ? Et si, là, je ne faisais plus partie du tableau ?) que je trouve trop explicites et pas franchement nécessaires pour comprendre les pensées du narrateur, j'ai beaucoup aimé ce ton désabusé, cette mélancolie teintée d'amertume. Beaucoup des images de ce texte me parlent au coeur, tu as saisi toute la justesse de certaines situations pas faciles.

─ Ecoute, Pascal, les enfants vont s’amuser plus ici. Chez toi, ils ne connaissent pas les voisins …

A part cette phrase que j'ai du relire deux fois pour la saisir, il n'y a rien à jeter !

Chapeau !

Bonsoir, Charles. Oui, il faut te remotiver, ça vaut la peine, et ça remotive les autres aussi, du coup !
Y'a trop de bretelles en ce moment sur VE , et des sorties de routes... moins réussies que la tienne !

Percutant!
Pas simple cette histoire de garde d'enfant, cette entrée dans le problème est intéressante et n'est pas forcément celle qui est la plus médiatisée. La manière dont tu la traites, sans aucun pathos, avec même un détachement quant à la cause lui donne force.
A te relire, alors.

J'ai un commentaire, mais il fait 600.000 signes qui ne s'emboitent pas encore dans l'ordre que j'ai du mal à choisir. Alors je ne commente pas.
:-)