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Péroraison grabataire

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Message  boc21fr Dim 2 Aoû 2009 - 21:02

silene82 a écrit:
Sahkti a écrit:Houla, mais j'ai abandonné le train en marche je vois, zut alors, désolée !! Je compile tout ça pour le lire à mon aise.
Aïe aïe aïe alors les coms gentils que tu m'avais mis vont être annulés? Peter, boc, à l'aide, un coup de bisousoursage...
Je suis là silène...je suis là...
Je n'ai pas encore commenté tes textes pour la simple (et très bonne)raison que je les compile en pdf pour les lire et j'attends qu'ils soient achevés...
Mais celui-là, oui j'en ai imprimé le début et l'ai lu :
en toute sincérité, et pour l'instant, j'aime infiniement ta prose et ton regard averti sur le domaine que tu critiques en parfaite connaissance de cause...
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Message  Sahkti Dim 2 Aoû 2009 - 21:03

Ha mais non, pourquoi annulés ?
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Message  boc21fr Dim 2 Aoû 2009 - 21:05

zut...c'est de "propos de cabane" que je parlais silène...
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Message  Sahkti Dim 2 Aoû 2009 - 21:08

qui m'explique ? :-)
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Message  silene82 Dim 2 Aoû 2009 - 21:10

boc21fr a écrit:Je suis là silène...je suis là...
Franchement, je sais pas comment on ferait sans toi. T'as eu le com pour le catalogue, au fait? S'il est dispo -j'imagine que tu ne vends pas à la manouche, au porte à porte-, j'aimerais bien l'avoir, et ne suis pas le seul, puisque Shakti s'est manifestée également.
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Message  silene82 Dim 2 Aoû 2009 - 21:11

Sahkti a écrit:Ha mais non, pourquoi annulés ?
Parce que je voulais être bisounoursé: il faut bien un prétexte, non?
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Message  Sahkti Dim 2 Aoû 2009 - 21:12

silene82 a écrit:Franchement, je sais pas comment on ferait sans toi. T'as eu le com pour le catalogue, au fait? S'il est dispo -j'imagine que tu ne vends pas à la manouche, au porte à porte-, j'aimerais bien l'avoir, et ne suis pas le seul, puisque Shakti s'est manifestée également.
Yes !
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Message  silene82 Dim 2 Aoû 2009 - 21:13

Sahkti a écrit:qui m'explique ? :-)
C'est sibyllin, Shakti; les oracles ont parfois besoin d'être éclaircis: qui t'explique quoi?
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Message  Sahkti Dim 2 Aoû 2009 - 21:16

silene82 a écrit:
Sahkti a écrit:qui m'explique ? :-)
C'est sibyllin, Shakti; les oracles ont parfois besoin d'être éclaircis: qui t'explique quoi?
je crois que c'est bon là, je tentais de faire le lien entre la réponse de Boc et les commentaires annulés mais il n'y en a pas vraiment, je pense :-)
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Message  boc21fr Dim 2 Aoû 2009 - 21:18

Je crois que notre amie Sahkti a compris que tu as sauté sur la première occasion de te faire Bisounourser...
Tout comme moi, elle met le tout en forme avant de lire l'oeuvre complète
;o)
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Message  Sahkti Dim 2 Aoû 2009 - 21:21

voilà :-)
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Message  mentor Dim 2 Aoû 2009 - 21:22

j'avoue que moi aussi
sauf que je mets rien en forme
j'attends la fin pour commencer à lire du début

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Message  Invité Dim 2 Aoû 2009 - 21:33

Confus ce passage pour mon petit cerveau ce soir.

Mme Blavatski, on l'a déjà vue ? Si oui, j'ai oublié, pardon. En tout cas je trouve que l'ashram arrive comme un chien dans un jeu de quilles, sans grand préambule. Ce qui est surprenant, si l'on considère le soin que tu prends à introduire chaque nouveau passage.

Sur la forme :

quelques-uns
Sur ceux,
le joli accent du sud-ouest ! ("ce" !)

Une répétition :

Mais tout de même, quand je repense à ces temps, la naïveté quasi enfantine dans laquelle on pouvait vivre en ces temps provoque une grande bouffée de nostalgie

Une phrase sans verbe, on dirait :

nous en avions une bonne trentaine, et c'est ainsi qu'un jour, la superbe exposition des tableaux de mon grand-père, décorant les nombreux murs du hall de réception, une bonne quinzaine, accompagnés d'un Deconchy, impressionniste, évidemment sans la notoriété universelle des pointures, mais tenu par eux pour « quelqu'un du bâtiment », avis d'autant plus pertinent qu'il était architecte, et énoncé par Renoir, dont il était l'intime, ainsi que de Monet.

une phrase bancale, syntaxe osée :

le tableau de sa main un Sous-bois traversé d'une rivière, d'une façon superbe.

Syntaxe encore (et ponctuation) :

Ayant traversé la galerie, décrite par ailleurs, une volée de marches avec un tapis rouge laissant voir le marbre sur les côtés, et maintenu par une barre de cuivre. Et un escalier remarquable,

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Message  silene82 Mar 4 Aoû 2009 - 9:36

Mais il était dit que nous irions de Charybde en Scylla, et que l'impulsion mystique ne s'arrêterait pas en si bon chemin: besoin de renouveau ou volonté de rupture, nous trouvâmes à l'évangile des accents si convaincants que, ne faisant jamais les choses à moitié, nous nous ensectâmes avec une conviction inébranlable, qui dura fort longtemps.
Aussi scribe, te demanderai-je de noter les réflexions que je me fais sur cet épisode, pour les transmettre en lettre ouverte.

Messieurs les ministres du culte, je vous salue!
Le passage que nous avons effectué durant une assez longue période m'amène à quelques considérations que je souhaiterais vous manifester.
La pratique systémique, et plus encore l'utilisation de jeux de rôles comme moyen de prise de conscience des enjeux puissants sous-tendant les directions qu'un individu emprunte continuellement dans son cheminement, négligeant une trouée pour aller vers une autre, me permet avec le recul de réaliser que, ayant, dans un sursaut héroïque, coupé la consommation effrénée à laquelle nous nous livrions de modificateurs de conscience et expanseurs d'âme, alcool, THC, et substances opiacées, il fallait que quelque chose remplaçât le vide ainsi laissé: la spiritualité, de nature éminemment ductile, remplit admirablement cet office, et envahit jusqu'aux plus petits interstices laissés béants par l'abandon de l'occupant ordinaire.
Nous remplaçâmes donc, pour poser un constat réaliste, une addiction par une autre. Étant entendu que la spirituelle est d'une plus grande innocuité quant aux organes vitaux. L'abus de visions, la débauche de prières, le débordement d'oraisons, pour autant que la communauté scientifique en témoigne, ne génère aucun cancer: les effets secondaires, tout au moins sur le corps, sont donc sans danger.
Vous n'êtes pas sans savoir, messieurs de l'évangile, qu'il est une logique sous-jacente à votre doctrine, et qui transparaît constamment: c'est que la vie de l'adepte doit s'organiser autour du pivot que devient pour lui sa foi, et que désormais tout devra être analysé en fonction de celle-là, vie au quotidien, emploi, et même loisirs: le génie de toute secte est de proposer une explication et une lecture du monde à travers sa grille spécifique, et l'on vérifie que les affidés, rapidement, communiquent avec un langage codé, qui transmute, et rend compte de la réalité selon le canon orthodoxe.
Se cogne t-on à une poutre que c'est le Tentateur qui voulait vous éprouver. Les choses sont pour le mieux pour vous, alleluyah, gloire à Dieu; les catastrophes pleuvent-elles comme grésil en mars, vous êtes mis à l'épreuve, gloire à Dieu, alleluyah: manifestez la patience de Job.
Pour en rajouter encore, loin de suivre le commandement évangélique, qui est d'aller « saler » ce qui, en patois de Canaan, se définit comme l « e monde », la logique sectaire est centripète: emploie ton temps en cercle fermé, reste dans le cercle des initiés, tiens toi loin de « l'esprit du monde ».
Il m'est donc agréable de vous faire savoir, messieurs, que j'ai pris une distance appréciable d'avec les préceptes, excellents au demeurant, qui sont professés dans les Écritures, mais que je revendique de me faire lointain et peu assidu dans les réunions imposées que vous organisez, et que par conséquent je ne peux figurer sur vos tablettes qu'en qualité de rétrograde, en instance de perdition.
Faisant, en dernière analyse, confiance à la substance profonde de la Thorah, qui dit que l'Éternel sonde le cœur et les reins, et qu'Il connaît -Béni Soit Son Nom- la plus profonde intimité de chacun, je ne me tourmente pas particulièrement sur l'issue de mon éventuelle comparution devant une manière de tribunal.
Je vous souhaite d'être dans la même disposition.
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Message  silene82 Mar 4 Aoû 2009 - 9:43

Trouble est l'eau dans laquelle je progresse; suis-je en ma couche, suis-je en plongée, les images déferlent, drôles, pathétiques, violentes, requinquantes.
Petite sœur, il n'est pas aisé de t'évoquer, mais je vais tenter de le faire, malgré l'inconfort que cela suscite. Note, transcripteur, écris.

Ça n'a pas dû être aisé pour toi, petite. Sur les photos de l'enfance, tu es un beau poupon rieur. Rondelet assez vite. Je ne me souviens pas bien de nos interactions de l'enfance, comme oblitérées par le temps. Rien de précis, un sentiment vague.
Pour ce qui est de moi, j'étais angoissé dès le matin en pensant qu'il allait falloir encore vivre, et que ce serait très long; le quotidien semblait un interminable couloir sinistre, sans lézardes par lesquelles s'échapper. Seuls les livres, au début, puis les activités que j'étais contraint d'inventer, étant dans la déprivation de tout, me tinrent, en détournant suffisamment mon attention le temps nécessaire pour que je puisse dépasser ce stade désespéré.
Tôt je te revois avec une expression de tristesse profondément installée en toi: ont-elles réellement eu lieu, ces agressions que tu mentionnas plus tard, sans qu'il soit possible, et pas même à toi, de démêler clairement si c'était de l'ordre du fantasme? Il est certain que quelque chose s'est passé, et pour les petits innocents que nous étions, il n'y avait pas besoin d'une agression terrifiante et caractérisée pour être dans le sentiment d'une violence subie. De toutes façons, tu te souviens, nous étions dans une logique d'insécurité perpétuelle. Nos aspirations, nos rêves, étaient d'évasion, de vie vraie, loin de cette vie de petits vieillards qui nous était imposée.
J'avais un autre statut que toi, petite, j'étais le petit héritier, situation ambigüe et aisément douloureuse, mais en vue. Tu étais la troisième roue, dont on ne savait pas très bien ce qui justifiait sa présence, dans la représentation codifiée de ce temps et de ce lieu: exemplaire de réserve en cas de défaillance de l'aînée? Cela d'autant plus vraisemblable que j'entendis mon cousin commenter, à la naissance de son second fils, qu'on ne savait jamais, en réponse à un proche qui s'étonnait qu'il doublonnât, ayant déjà un héritier.
Potelée, tu l'étais; commenças-tu tôt à goûter au plaisir boulimique, à la sensation du sac plein, rond qui protège et défend, dont on n'a rien à craindre, qui ne fait pas mal? Je ne saurais dire, je n'avais pas, je le crains, beaucoup d'attention à votre égard, m'efforçant moi-même de survivre, aspirant la sève vive des livres par ma langue de tamanoir, toujours enfoui dans des lectures, quelles qu'elles fussent, dans une mise à l'abri où de fait, j'étais inconscient de ce qui se déroulait à la périphérie de ma redoute, mais où si, par extraordinaire, quelque chose des péripéties du dehors avait transpiré, je pouvais feindre la surdité et la cécité, les uns et les autres répétant sentencieusement « quand il lit, on pourrait tirer le canon à côté sans qu'il l'entende » ce qui pouvait être vrai, mais pas systématique.
Je crois que tu étais une gamine inquiète, fermée, ne recevant pas l'attention dont un enfant a besoin pour se construire; certes, tous trois nous fûmes dans le même cas de figure, mais il est probable que notre place dans l'organigramme nous permit plus aisément de nous trouver des moyens et des supports de résilience.
Tu avais une grande complicité avec notre grand-mère, dont je pense qu'elle se revoyait jeune et se réjouissait de ce que le destin semblât s'infléchir favorablement pour toi. Elle avait perdu sa mère très jeune, avait eu une marâtre, et n'avait probablement dû sa survie qu'à une fuite en avant dans les capacités hôtelières: d'après la saga familiale, elle faisait tourner l'hôtel à 14 ans, et c'est elle qui avait accueilli , le jour de son arrivée, Renoir qui avait passé quasiment une année, et, autre légende familiale, avait, comme de bien entendu, voulu la peindre, ce qu'elle avait refusé. Elle se réjouissait vraisemblablement pour toi, sœurette, de ce que l'avenir semblait sans nuages: une affaire prospère, ayant certes baissé de catégorie et de clientèle, mais qui bouclait gentiment son année, investissait chaque année, et faisait son bonhomme de chemin. Du bien au soleil, dans notre monde de ce temps-là, que demander de plus?
C'était évidemment ne pas prendre en compte que l'emplacement, qui est toujours la clé de tout, n'est pas suffisant à lui tout seul pour assurer la fortune d'une affaire, et que beaucoup d'autres paramètres s'y ajoutent et compliquent la donne.
Je te revois par flash, jeune fille au beau visage fermé. Était-ce pas aussi ta grand sœur qui te menait la vie dure, elle qui très tôt avait repris le flambeau que ma mère détient encore, et qui lui permet de maintenir chacun dans une tension dramatique depuis plus de 30 ans, chaque année à l'article de la mort, et chaque année repartant pour un tour? Il y a des mystères que l'on constate au travers de phénomènes observables, l'approche systémique tient un grand compte de ces données, et de fait tu semblais doublonner, grande sœur de ta sœur -l'aîné de la fratrie, c'est moi – avec ta mère, manquant de mourir à plusieurs reprises d'affections sévères, puis expérimentant une invraisemblable série d'accidents à contusions diverses et fractures ouvertes, jusqu'à celui de la route qui changea ta physionomie pour longtemps.
Quelque chose se jouait nécessairement dans la relation d'une extrême violence contenue que mon père avait à ton endroit. J'étais, pour ma part, le porteur du nom, et cela, en Provence, n'est pas rien, même si la charge que cela représente, la litanie perpétuelle de la nécessité de maintenir haut les couleurs de la maison, la quasi absence de choix d'avenir contribuent à sérieusement tempérer l'attrait de cette place. Certes, le monde vit ainsi depuis qu'il s'est organisé dans la gestion des petits produits dont même le malthusianisme le plus éclairé, aidé de la collaboration forcée des petites bonnes, ne peut empêcher la venue au monde. Encore serait-il intéressant de vérifier que quand les femmes brûlaient des cierges en signe de reconnaissance après un accouchement, ce n'était pas pour demander de ne pas en avoir un autre trop vite.
La part de choix personnel il y a bien peu, était réduite à presque rien: quel que soit le milieu social, les places étaient toutes trouvées. Seuls les individus déviants, et d'une énergie extraordinaire parvenaient à sortir leur charrette des ornières que le déterminisme social et familial leur avait tracées. Et pour cause, ils étaient soit chemineaux, soit cavaliers.
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Message  silene82 Mar 4 Aoû 2009 - 9:57

Le sentiment que j'en ai est que tu fus programmée, sans même que cela fût perceptible aux intéressés, pour être la servante du culte qui se célébrait quotidiennement, non en position d'administratrice, que ta place ne pouvait te valoir, mais de servante, que l'estime de soi défaillante qui transparaissait de toute ta personne justifiait, en tous cas aux yeux des décideurs.
J'irais même plus loin: je soutiendrais volontiers, ayant eu à connaître de ta finesse, ton sens de la repartie, tes talents multiples, beaucoup plus tard, que tu te conformas, de manière inconsciente et en bonne fille, à la commande implicite qui t'était faite d'intégrer un rôle précis qui ne déséquilibrât pas les enjeux, qui ne menaçât pas l'ordre du microcosme: j'avais une position complexe, oscillant entre des allégations familiales de génie transcendant, parce qu'à 8 ou 9 ans, sans les comprendre, je connaissais des mots à traîne multicolore, et de folie, car je raffolais des thèses subversives, et les soutenais avec une jubilation intense, sans les comprendre vraiment non plus.
Ton aînée, elle, perfectait en tout: élève modèle, effacée comme une souris, ne parlant qu'à propos, elle arrachait des cris d'extase au père qu'il se trouve que nous avions en commun.
Des cruautés inimaginables se jouent dans la relation à l'autre, particulièrement dans celle qui s'établit entre géniteurs et génités, quand lesdits géniteurs sont le jouet de forces ricanantes dont au mieux ils perçoivent obscurément l'existence, mais qu'ils ne peuvent dominer, sauf en acceptant de descendre en eux-mêmes, par une douloureuse introspection, et surtout la prise en compte de ce qu'ils reproduisent des schémas familiaux dans lesquels, quoi qu'ils puissent croire, leur part de contrôle est extrêmement réduite.
Notre père donc, n'était aucunement aux cieux, et faisait avec, réglant, malgré lui, un certain nombre de contentieux avec toi, petite sœur, qui, dans ma lecture, occupais une place très difficile, évoquant physiquement notre grand-mère, sans en avoir le rang.
Tout dans la manière que notre père avait de traiter avec toi était empreint d'une sorte de violence, ou a minima un discrédit: te souvient-il de la comparaison de l'aînée avec un Foujita, toi avec un Renoir, sous-entendant -et d'ailleurs tout à fait disposé à l'expliciter – que l'une était toute grâce et finesse d'estampe, l'autre, toi, une robuste rustaude du Renoir de la fin, avec ses matrones à gros culs et gros nichons.
Il semble que très tôt, disais-je, tu aies été désignée pour être la Cendrillon de la fratrie: j'avais pour ma part rang de prétendant, malgré l'extrême méfiance dans laquelle on me tenait, du fait de l'imprévisibilité de mes saillies, et le caractère aléatoire et souvent provocateur des thèses que je soutenais, par plaisir atavique de pilpoul, d'ergotage talmudique.
Il n'est d'ailleurs pas anodin d'être relié au Temple de Ierousahlaïm à travers un grand-père converti, et mieux que cela, finissant ses jours dans la peau d'un pasteur baptiste, qui explique la fille missionnaire en terre d'apostolat, peuplée de mangeurs de grenouille. J'eusse, je crois, de beaucoup préféré un grand-père rabbin.
Je m'en veux à présent d'avoir été si occupé à ma propre survie que je n'avais pas de soutien, ou bien peu, à t'apporter. Tu dis, toi, que j'étais très présent et que je t'ai aidé, mais je n'en garde pas de souvenirs, et je crains que tu ne mythifies.
Tu as donc été sacrifiée, certes pas de manière spectaculaire, mais par une subtile orientation déterministe de ton devenir: au vu de tes résultats scolaires, tu n'étudierais point. J'enrage à présent, petite, de ne pas avoir été affûté, revendicatif, argumenteur, pour me battre en ton nom, et obtenir justice. La question n'était pas que tu étudiasses ou pas. De toutes façons, quand les filles commencent, sous la violente poussée hormonale, à voir leurs seins se gonfler, sentir en leur corps des travails puissants s'accomplir, comment auraient-elles la tête à étudier, les pauvres chéries? En supposant qu'étudier ait une quelconque utilité. Non, je déplore de ne pas avoir été en capacité d'être en contrepouvoir à ton côté, pour infléchir le sort vers un destin qui soit bon pour toi: tu aurais été une experte en soins du corps, en tout ce qui touche à la beauté, qu'elle soit du corps ou des yeux.
Au lieu de quoi, pitchoune, il fut décidé pour toi, sans que tu pusses y opposer les objections d'une brillante élève, que tu suivrais la voie familiale en intégrant une école hôtelière. Non que le projet fût pernicieux en soi: eusses-tu désiré cela que c'eût été parfait. Mais la contrainte,et par défaut de surcroît, ne peut guère générer de triomphe: tu effectuas tes années comme une bagnarde, quand même soutenue par les quelques amies de choix que tu te découvris, compagnonnes de chaîne, dans un sort proche du tien.
Tu réussis même, alors que tu excellais en œnologie et en accueil, à rater ton diplôme, ce qui confinait à l'exploit: voulais-tu pas, petite, dire quelque chose? Et comment cela ne fut-il pas entendu, contribuant encore un peu plus à te déclasser, puisque la seule place qui te fut donnée, au lieu du parcours auquel tu aurais dû accéder, de places en lieux de qualité un peu partout sur terre, fut de devenir la polyvalente mélancolique d'une affaire en déliquescence.
Du repassage à l'accueil et du service aux chambres: Cendrillon taillable et corvéable à merci, son padre padrone renchérissant sur les avantages non négligeables dont tu bénéficiais. Et de fait, en comparaison des placards concédés, en guise d'avantage en nature, comme logements aux petites serveuses, dont la noria incessante, si elle enchantait mon œil de petit mâle en instance érectile, avait néanmoins quelque chose d'inquiétant quand à la stabilité du lieu, tu jouissais de ce qui avait été le grenier de l'hôtel. Territoire sacré de ma grand-mère, auquel longtemps je fus seul à avoir accès en sa compagnie, peuplé de merveilles, vestiges de trains électriques, maquettes inachevées, dessins de mon grand-père, en grand nombre, cartouches, armes, meubles déposés car plus à la mode, strates successives remontant aux temps les plus anciens, jusqu'à l'époque initiale, la bâtisse d'origine ayant été édifiée, à la fin du 18ème siècle, par un Grimaldi de Monaco, seigneur de la ville, pour lui servir de pavillon de chasse. Un bronze que j'exhumai remontait à ce temps, petite merveille de grâce, sous les dehors d'un jeune mendiant jouant de la vielle. Mon père, tout disposé à l'envoyer à la ferraille, fut surpris que j'argumente avec une vivacité pugnace pour qu'il demeurât en la maison, et plus encore d'entendre confirmer par un vague parent antiquaire que j'avais l'œil bon, et que l'objet avait, conséquemment, une valeur considérable. J'en acquis un lustre durable, qui me permit, mais c'est une autre histoire, de monter d'improbables carambouilles avec l'aval paternel.
Tu étais donc logée en ces quartiers où, notre grand-mère étant décédée -elle avait fait donation entière à mon père quelques années auparavant- j'excipai de mon statut de petit prince pour coloniser cet étage haut, que j'installai en repaire, le charme bohême du lieu m'allant tout à fait. Je n'ai guère changé à ce jour, au désespoir de ma princesse, m'accommodant le mieux du monde d'une mise clochardisante, et d'intérieurs dignes d'un squat. Non que je ne n'apprécie pas l'agencement de qualité, les travaux auxquels j'ai consacré 10 années de ma vie, en notre domaine quercynois en témoignent. Mais pour ce qui est de l'importance pour moi d'un décor, elle est minime, et, bien pourvu en livres, je m'installe n'importe où.
Ayant donc squatté à mon profit une partie du haut, j'avais ouvert la voie, et monsieur notre père, tout esbaubi d'avoir un fils si brillant qu'il trouvait des mètre carrés ne demandant qu'à être réhabilités, convoqua maçons , plombiers et peintres, qui aménagèrent tout l'étage. Personnellement, je considérai que j'y avais perdu en poésie et en contraintes ce que j'y avais gagné en confort, dont je me contrefoutais, comme il est fréquent quand le corps encaisse sans sourciller des nuits dans des lits de fortune.
Logée très convenablement, il faut le reconnaître: deux fenêtres en façade, au plus haut, pour une vue superbe sur la place à la statue alanguie de la mémère à grosses cuisses qu'il avait pris la fantaisie à Renoir de sculpter, ne s'étant pas souvenu, ce jour-là, qu'il était peintre. Encore que le médaillon de Coco, Claude Renoir donc, de la même époque, soit, lui, d'une sensiblité exquise.
Belle pièce de vastes proportions, de fait, tu avais un logement de fonction qui permettait de te tenir à disposition, à toute heure du jour et de la nuit.
Certes, c'est le lot normal de l'hôtelier, et en Inde, le patron dort dans l'entrée, et se réveille pour ouvrir la porte, en protestant, tandis que je me confonds en excuses, de sa joie parfaite d'avoir le privilège de me servir. Mais là, la relation était infiniment plus ambigüe, captive que tu étais de ce lieu, de cet emploi. Payée certes, mais pour en faire quoi? Petite sans désirs, vivant en petite vieille, tes aînés ayant déserté les lieux depuis belle lurette, triste et morne vie.
J'en comprends d'autant mieux l'anesthésie des sens dont tu eus besoin, pour continuer à survivre dans ce climat mortifère -piquant, pour une doctrine qui prétend insuffler la vie- l'alcool principalement, aisément accessible et pour lequel tu avais des dispositions manifestes, encaissant des rations de grenadier sans broncher tandis que je titubais ou ronflais depuis bien longtemps.
Déprivée affective et sensorielle, il est triste, rétrospectivement, que tu n'aies pas trouvé sur ta route quelqu'un pour t'aider à te plonger, timidement au début, puis avec plus de confiance, dans le flot de la vie. Tu vis à présent une vie de petite retraitée, femme déjà finissante, comme dit Brel, sans espoirs, sans projets.
Je ne sais que te dire.


























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Message  silene82 Jeu 6 Aoû 2009 - 10:41

Pourquoi toutes les apparences du bien-être peuvent-elles générer un tel sentiment de vide et d'absence, de désincarnation, que seul l'étourdissement des sens et le commerce violent avec d'autres êtres, pour en éprouver la substance, et savoir de quoi est composée, in fine, la relation à l'autre? Pourquoi ce sentiment permanent de l'incommunicabilité qui me tint et me corseta toutes ces années d'adolescence, durant lesquelles le langage n'était qu'un simulacre non habité, dans lequel les mots n'étaient que des enveloppes vides?
Je me souviens.
De cette famille. De cette maison. De ce foutoir. Perpétuel. Organique. Inorganisé. Pas besoin d'images somptueuses pour décrire cela, ni d'évoquer la luxuriance de la forêt tropicale, ni la splendeur des alpages. Juste la vie, la vie qui ne cherche pas à démontrer qu'effectivement, elle est en phase de vivance, mais qui trace son chemin, dans sa logique interne propre.
Car c'était un système.
Et d'une certaine manière, un écosystème.
Le bon côté des poncifs, c'est que, quoique réducteurs et un peu faciles, il permettent de schématiser les traits les plus saillants. Ils prennent quelques polaroïds de situation, ils figent un instant de la scène. Ils sont aussi pertinents que n'importe quel instantané: celui qui veut savoir plus a besoin du contexte, de l'avant, de l'après, des enjeux: à plus forte raison quand on plonge dans l'infiniment complexe de l'édifice familial, avec ses fondations -enterrées, pilotis ou assise?-, son appareillage -quel liant? Sociétal, contractuel évolué, despotique?-, sa face visible -mur aveugle, ya rien à voir, fenêtres en trompe-l'œil, baies à l'anglaise, sans rideaux?- sa couverture -chaume, inflammable, tuile, lauze, monolithique et de poids extravagant?
Je rends grâce aux lares qui, dans leur mansuétude, probablement circonvenus en secret par les mânes de ma bonne grand-mère, prodigue d'offrandes propitiatoires tant en direction des chats errants que des divinités du panthéon, en un syncrétisme rappelant le Brésil, quoiqu'elle ne voyageât guère, permirent cette rencontre qui s'avéra décisive, et me fit entrer dans une dimension nouvelle d'où je ne ressortis pas.
En ce petit corps étaient concentrées tant de grâces inhabituelles, qu'il fallait bien qu'elles fussent rééquilibrées par quelque dysfonctionnement; je dis cela aujourd'hui, dans la philosophe sérénité de mon impotence grabataire, n'ayant plus guère que le sourire narquois de celui à qui l'on ne peut plus prendre grand chose.
Le souriceau jeta son dévolu sur moi. Avec le recul, car à l'évidence mes exploits lycéens, en la glorieuse terminale où je plastronnais, flanqué d'un faire-valoir fin mais effacé, seul couillu -lui excepté- au milieu d'un parterre de nubiles, non encore décapsulées pour la plupart, mai 68 n'ayant encore que des retombées timides, l'avaient mise en appétit d'ajouter cet intéressant trophée à sa panoplie. N'avais-je pas, tandis que madame F... s'enquerrait de la discussion animée que je menais avec mes condisciples, dont sa sœur, répondu, avec un accent pétersbourgeois fort bien imité, paraît-il, que nous nous entretenions de noblesse russe? De tels hauts-faits, colportés dans tout le lycée avec la prestesse d'Hermès, ne pouvait qu'inciter une pucelle de deux ans la puînée de ma conscrite à aller y tâter de plus près.
Devant une femme belle et manifestant ce qui me charme dans la féminité, un savoir millénaire et subtil de composer avec, de prendre la mesure de, en un clin d'œil, d'adapter le discours et le calibrer avec exactitude à l'individu précis, je suis parcouru de frissons de bonheur, provenant non de la mise en tension des stimuli d'ordre sexuels, qui, idéalement, coexisteront, mais d'un sentiment de plénitude d'ordre esthétique: c'est, pour moi, un moment de beauté pure, qui ne peut se comparer qu'à la subtilité de certaines compositions florales, ou à une scène de théâtre de haut vol, dans laquelle tout concourt au chef-d'œuvre, texte et interprètes.
Cinéma local. Tous les sièges sont pris. Avec mon ami Ol nous nous accommodons fort bien des bas-côtés, sur les marches. Le souriceau flanqué d'une copine m'assaille, et m'ordonne, comme seule femme peut se le permettre, de lui prêter mes genoux, sur lesquels elle s'assoit -violons, je vous prie- avec une grâce, évidemment, exquise. Je crois n'avoir rien vu ni compris du film, captivé par la lente montée de sa poitrine à chaque inspiration, respirant son parfum -pensez, du patchouli, c'est dire si Cupidon inflige de sévères dommages sensoriels-, muscles tétanisés mais ne voulant pour rien au monde qu'elle me soulage. O merveille de la jeunesse revécue, de la puissance des émotions de ce temps retrouvé! Je ressens encore mon cœur pompant à grands coups -oui, je sais, la chamade; eh bien, pas du tout, la chamade, c'est ce roulement continu des tambours qui annonce la reddition d'un fort-, cet état transfiguré, où se distendent les limites du temps et de l'espace. Pour faire bonne mesure, elle avait posé une de ses mains sur la mienne. J'étais un déprivé sensoriel, un inadapté: conséquence d'une naissance ambigüe, bébé bleu, mort-né pour l'époque, qui ne respira qu'après de longues minutes (il m'amuse assez d'expliquer que je suis un handicapé, ayant perdu des pans entiers de mon cerveau dans ce funeste tunnel, et qu'en conséquence, si ça n'avait été le cas...)?
Je n'ai jamais pu embrasser ma mère avec abandon: rigorisme baptiste appris, effroi de la sensualité, le toucher était un sens forclos pour moi.
Ce que provoqua le contact de cette petite main est indescriptible, d'une violence de cataclysme: le choc du plein soleil lorsque s'ouvre la porte du cachot d'un prisonnier oublié de longtemps. Pas de caresse, une main simplement posée.
Hébété, à la fin de la séance, je la raccompagnai, tentai maladroitement de baiser ses lèvres, non pour établir des droits, mais pour tenter de retrouver cette intimité si proche. Elle s'y déroba, avec l'énigmatique sourire d'une vieille chamane; tant il est vrai qu'elle pouvait changer d'expression instantanément, comme si -et ce n'est pas la physique quantique qui me contredira- des énergies à l'intérieur d'elle avaient pouvoir de remodeler en un clin d'œil son visage, pouvant évoquer l'Espagne comme l'Asie, suivant les circonstances. L'enfance comme la vieillesse.
Le lendemain, ah le lendemain, elle arriva, et se jeta dans mes bras. Avait-elle voulu vérifier le degré d'addiction du malade, après une si légère injection? Ou, maîtresse-femme déjà, casquée et guerrière, savait-elle que le désir ne s'alimente que du manque?
De ce jour, j'eus accès à l'air et l'oxygène, non à travers elle, mais parce qu'elle fut mon passeur pour son univers familial, auquel j'aurais eu accès par sa sœur, certes, mais d'une manière autre.
Aussi me faut-il écrire aux protagonistes, et notamment au patriarche, aujourd'hui disparu, pour rendre compte de ce que cela représenta pour moi.

Mon cher vieux Pierre,
je peux bien confesser maintenant nombre de choses que j'étais empêché de dire longtemps, quoique dans les derniers temps nous soyons parvenus à une grande liberté, le temps, qui ameublit toutes choses, ayant amplement coulé.
Pas de dithyrambe inutile: votre arche, la nacelle que vous aviez constituée, ta mariée et toi, vos rejetons et l'innombrable cohorte des amis musiciens, avec les ramifications à l'infini et les passerelles vers les autres arts était unique, et a eu une influence majeure sur une génération de jeunes, comme les nombreux témoignages, lors de ton évocation, le démontrent surabondamment.
Nous savons bien, toi et moi, que ce n'était pas toi par ta vertu propre qui générait cette atmosphère, mais tu en étais néanmoins un des instigateurs et acteurs essentiels, par ta curiosité toujours en éveil, les centres intérêts nombreux que tu avais, ce bouillonnement interrogatif que tu savais susciter, cette agora autour de votre table, où les idées volaient en tous sens.
Il n'est déjà pas anodin d'avoir été capable de créer un tel climat, et qu'il perdure, et qu'il essaime. Cette ouverture encyclopédique sur le monde par des angles d'attaque aussi complémentaires que la musique, la littérature, le journalisme, l'action politique et les happenings artistiques a laissé une trace durable chez tous ceux qui l'ont expérimentée.
Des mystères demeurent, qui t'appartiennent, sur tes goûts musicaux, la musique ayant, selon moi, des hiérarchies, allant des formes simples et répétitives aux plus complexes et organisées; Cela n'a guère d'importance à présent, où nous n'avons guère l'occasion de nous chamailler sur l'élitisme ou la démocratie. Hélas.
Tu manques beaucoup, vieil ami; merci de m'avoir accueilli chez toi comme tu l'as fait, capable de remettre en question certains de mes comportements de jeune iconoclaste, sans me fermer l'huis pour autant.
Une grande leçon tu fus.
Ciao Pierre.


Mais une maison, et le climat qu'on y trouve, dépendent fortement de la femme qui s'y trouve. Il fallait la pugnacité tranquille de B.... pour pouvoir administrer tout cela, accueillir sans se laisser envahir, s'ouvrir sans se laisser contaminer: un art subtil d'équilibre, que seule une femme remarquable peut réussir.
Aussi faut-il s'adresser, par ce bon scribe à moi attaché, et qui se tient à mon chevet, transcripteur fidèle de ce que je lui dicte, à la compagne inlassable qui permit cet entre-deux.
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Message  pia Jeu 6 Aoû 2009 - 16:17

Que dire ?

N'avoir pas le talent de dire pourquoi et comment je me retrouve piégé, moi, dans ce labyrinthe d'une prose fascinante de poésie, de souvenirs et d'émotions.
Et pourquoi, moi ?
Et pourquoi, moi, je me retrouve dans tant de phrases, dans tant de paysages, de sons, d'odeurs, de goûts.
Sans même pouvoir dire où et quand j'ai vécu, j'ai connu, j'ai ressenti certaines de ces choses, et sans espoir de les transmettre jamais.

En tout cas j'avais bien raison...
J'ai toujours raison, mais souvent trop tard ou inutilement...
Pas cette fois !

Me voilà, collé, figé, tétanisé, mes verres progressifs m'obligeant à me contorsionner bizarrement, nez en l'air pour ne pas en perdre une miette.
Je fatigue, la nuque douloureuse, la tête lourde, les yeux rouges... contraint de me résoudre à faire comme d'autres, compiler tout ça sous une forme matériellement plus malléable et palpable que mon écran 19 pouces.
Oui, mais quand ?

Allez, pour aujourd'hui en tout cas, je retiendrai cette phrase :

Des cruautés inimaginables se jouent dans la relation à l'autre, particulièrement dans celle qui s'établit entre géniteurs et génités, quand lesdits géniteurs sont le jouet de forces ricanantes dont au mieux ils perçoivent obscurément l'existence, mais qu'ils ne peuvent dominer, sauf en acceptant de descendre en eux-mêmes, par une douloureuse introspection, et surtout la prise en compte de ce qu'ils reproduisent des schémas familiaux dans lesquels, quoi qu'ils puissent croire, leur part de contrôle est extrêmement réduite.
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Message  silene82 Ven 7 Aoû 2009 - 17:25

Mais une maison, et le climat qu'on y trouve, dépendent fortement de la femme qui s'y trouve. Il fallait la pugnacité tranquille de B.... pour pouvoir administrer tout cela, accueillir sans se laisser envahir, s'ouvrir sans se laisser contaminer: un art subtil d'équilibre, que seule une femme remarquable peut réussir.
Aussi faut-il s'adresser, par ce bon scribe à moi attaché, et qui se tient à mon chevet, transcripteur fidèle de ce que je lui dicte, à la compagne inlassable qui permit cet entre-deux.

A toi, B...., femme belle, et mère d'une que j'ai aimée, salut!

Fallait-il du talent, jeune fille, et de l'allant, pour se lancer avec un si beau naturel dans la construction d'un art de vivre dont ta maison et ta famille constitueraient le manifeste! Le projet prit-il corps au fur et à mesure, était-il déterminé dès le début, je ne sais, et cela n'a guère d'importance. Ce que ceux qui sont passé chez vous ont vu était une démonstration claire d'une certaine vision du monde, large, hospitalière, éclairée, tolérante. Si je ne craignais de te faire rougir, j'évoquerais les cours ducales de la Renaissance italienne, où les artistes étaient accueillis et fêtés comme des princes -qu'ils sont, de fait, je souscris pleinement à ce parti pris-. Ta beauté, d'ailleurs, est de celle qui traverse les siècles, et t'ayant connue dans ta plénitude de mère ayant enfanté par quatre fois, je n'ai aucun mal à te retrouver dans une œuvre de Rafael Sanzio, avec ton teint pâle, la noirceur de tes cheveux, la belle structure classique de ton visage, et la vivacité d'écureuil de tes yeux.
Ce talent si rare à présent de l'accueil, cette capacité à mettre des personnalités très différentes autour d'une table, avec une nourriture agréable, et de bons vins, et de lancer des thèmes de conversation qui permettent à l'assemblée de débattre, de s'affronter, de briller aussi, qui se rattache aux siècles de la plénitude du rayonnement de la culture française, tu l'avais au plus haut point: sachant faire s'admettre l'un l'autre des quasi ennemis, qui signaient une trêve en ton honneur, tu pacifiais les échanges, tout en leur permettant d'être vifs et animés.
On ne sort pas indemne de ces rencontres, et tu as pu éprouver combien nous étions heureux de pouvoir faire halte, puisque quasiment à chaque fois que nous effectuions notre rituelle descente au pays de ma princesse, nous passions, certains d'un échange riche d'affectivité.
Les temps modernes se complexifient: que de recompositions avec ces petit-enfants issus de géniteurs multiples; mais qu'importe somme toute, puisque tu demeures toi, inchangée, la figure tutélaire et rassurante à laquelle tous se référent.
Je sais par certaines de tes confidences que tu aurais volontiers levé un peu le pied: abondance de bien ne nuit pas, paraît-il, mais tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se rompt; il est heureux que ma chère condisciple et amie, ta fille, t'ait secondé dans cette entreprise de Sisyphe, où tout est toujours recommencé, où la vaisselle de la bouffe de midi, avec les quelques potes passés à l'improviste est à peine rangée qu'il faut repartir en piste pour la deuxième tournée, celle du soir, qui donne dans le lourd. Tu te rêvais Mme Récamier, tu auras plutôt été Fanchon, quant aux obligations domestiques.
Je tiens donc à te délivrer, sachant ton humilité de petite fille, un satisfecit complet sur tout ce que tu as tenu tant d'années, sur ce climat apaisant et stimulant à la fois que tu as su créer.
Merci encore, grande dame.

Il faut encore écrire à celle qui fut à l'origine de cette amitié de tant d'années, avec qui en peu de temps j'eus le privilège de découvrir de nombreux paysages, riants parfois, orageux et électriques bien d'autres, la petite lutine sus-mentionnée, fille de la bonne maison.

Salut à toi, ma belle, qui , par un fait exprès, porte le nom de ma première bien-aimée, et préfigure l'actuelle compagne, dont le nom, en euskara, est la transcription du tien. Par delà les années, quoique je te revoie de loin en loin, à toi salut, Myriam!
Que nous étions jeunes et pleins de feu, tu t'en souviens, dis? Ta beauté ne m'émerveillait pas particulièrement, en ce temps: passé le moment de la conquête, peut-être te souvient-il que je paradais, comme si je te faisais grand honneur de t'avoir distinguée. Sans doute n'étais-je pas en mesure de réaliser que c'était toi qui avais conduit l'affaire dans ses moindre détails, comme femme fait, et qu'il n'était advenu que ce que tu avais exactement décidé, comme il se doit.
Doués différemment, mais doués tous deux, te souvient-il de combien nos moments étaient conflictuels? Ton don merveilleux pour la musique, cette capacité admirable à savoir jouer d'un instrument presque au premier instant avait de quoi agacer: je jouais assez proprement certes, mais nul ne m'avait désigné comme successeur de Django. On n'est jamais ce que l'on aurait voulu être: Paco de Lucia confesse dans une interview que ce qu'il aurait vraiment voulu , c'est être un grand cantaor comme Camarron, qui, lui, aurait troqué sa voix contre le génie de guitariste de Paco. J'aurais voulu être un de ces instrumentistes sublimes, qui capturent instantanément le temps et l'espace dès qu'ils commencent à jouer, dont l'interprétation de quelque air connu est une réinvention, parfois plus riche et belle que l'original. Trop en deçà de cette sphère céleste, et je vois bien, dans mes rêveries, Orphée avec les bêtes sauvages prosternées au son de sa lyre, je ne peux que contempler de loin, non sans amertume, les admirables fils de Pan qui s'assaillent de notes, les frères Ferret jammant avec Christian Escoudé, Bireli Lagrenne s'essayant à la basse, avec une maestria telle qu'on croirait Jaco Pastorius ressuscité. Je ricane de rage de ne pouvoir, au mieux, qu'être critique, capable pleinement de disséquer le pourquoi de la qualité d'un chorus; office d'impuissant et de raté, que je me refuserai toujours à tenir avec la dernière énergie.
Mais toi, toi, ma beauté, tu étais la petite sœur d'Orphée: tout entre tes doigts coulait d'évidence, la musique naissait comme un chant d'oiseau. Nul effort, nul travail, la grâce pure: cette évidence aimable des grands artistes chez qui la perfection technique, invisible, fait imaginer que la pièce qu'il jouent est, somme toute, tout à fait accessible. Ce que le manche s 'empressera bien assez tôt de démentir.
Je te sais gré d'ailleurs de ne pas t'être essayé à la guitare: j'eusse, je crois, assez mal vécu l'évidence de l'universalité de ton talent.
Je garde nombres d'images de ce temps particulier, où nous pouvions passer des après-midi entières allongés enlacés, à réécouter inlassablement les nasillantes sonneries du uillean pipe de Planxty.
Mais somme toute, et quoique tu te fusses offerte, il s'avéra dans le cours du temps que ce qui me tenait avec toi était plus que tout ce climat particulier qu'avaient réussi à tisser tes parents, et dont je n'étais peut-être pas assuré, à l'époque, qu'il pût survivre à notre relation amoureuse, sans cesse naviguant sur les flots tumultueux de notre délire caractériel à chacun.
Aussi la séparation quand tes parents quittèrent la ville pour s'en aller en un autre lieu, n'amena-t-elle qu'une certaine considération philosophique, au lieu de la profonde désolation que j'eusse imaginé quelques mois plus tôt: j'avais été très entiché de toi tous ces mois, mais lorsque nos routes divergèrent, il apparut que, telle Odette pour Swann, il me semblait que ç'avait été un intermède, une parenthèse.
Bien des années après, je renouai les liens avec ta famille, et, te revoyant lors de nos haltes sur notre route, me demandai comment nous avions seulement pu seulement faire ce bout de chemin ensemble.
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Message  silene82 Ven 21 Aoû 2009 - 10:03

Pourquoi sommes nous tels que nous sommes? Qu'est-ce qui nous détermine finalement, en dernière analyse? Cocktail subtilissime d'inné et d'acquis, longues et profondes sombretés de glauques abysses sous-marins, où le regard entrevoit des formes indistinctes, nageant avec des mouvements alanguis de noyés, manières d'être non apprises, et dont la mémoire du clan reconnaît la filiation : « c'est exactement ma pauvre tante, elle aurait dit la même chose » et imbriqué sur ces formes archaïques, ces matrices de l'être profond, la construction du sur-moi des psys de tous ordres, façonné par l'interaction et le conditionnement comportementaliste de la vie au quotidien.

Chacun se fabrique sa lecture du monde, au fur et à mesure de prises de conscience et de réflexions; par ailleurs, les individus ne sont qu'assez peu responsables de la conduite de leur vie: orientés depuis l'enfance, programmés, dépendants d'un héritage familial, corpus d'idées préconcues et d'attitudes et réponses face à des situations singulières, il faut l'immersion dans un univers culturel totalement différent, l'exil éventuellement, pour que ce cercle emprisonnant se brise, ou soit notablement affaibli.

Je ne peux m'empêcher d'y songer, ô, madame ma mère, immigrée de son propre choix, étant venue poussée par une vision, ou une voix céleste, c'est selon. Missionnaire accréditée et mandatée par son Église, qui a donc cru à la vision. Des anges sont descendus du plafond, avec leur petit derrière joufflu, en chantant -les anges, ça ne sait que chanter « Hey you guys, ye gonna send that Melinda of yours to that bloody country of France, we're telling you. Order of the boss. Les mecs, vous aller m'envoyer Melinda dans ce foutu bled de France, compris? Ordre du patron » d'une voix bluesy pour le soliste tandis que les autres l'accompagnent en gospel style. Des anges nègres en somme. Je l'entends là, je l'ai dans l'oreille, le order of the boss tata tata ta, avec le bronze dans la voix des vieux noirs et leurs chorales de l'autre monde. Ça aurait payé dans son Église, l'air de rien, ce genre de fantaisie céleste. Il n'y a pas assez d'églises de négros qu'ils soient obligés d'envoyer des anges d'occasion, qui parlent un anglais que pardon?
Mais je m'égare, et mes pensées en profitent pour s'égailler. C'est vrai que ces zones d'ombre, on a un peu de mal, on ne s'y retrouve pas, nous, les petits chiots nés de l'exil, privés de mère et de voix de leur mère. Ayant appris à parler non une langue maternelle, mais une langue artificielle et nouvelle pour leur mère, qui n'a jamais pu exprimer de l'abondance du cœur ce qu'elle ressentait, par des chants, des interjections, et tout ce meta-langage par lequel les mères communiquent ordinairement, et qui fait que la vraie langue, la langue du cœur, celle qui parle le plus profondément en nous, c'est la langue de la mère.
Que de fois j'ai imaginé les choses telles qu'il aurait fallu qu'elles fussent, nous, parfaitement bilingues depuis le berceau, ayant une complicité particulière avec notre mère, du fait de cette langue mâchée avec elle, corrigée par elle, les mots d'enfants, les comptines. Les contacts avec nos grands-parents, dans ce New-York State mythique, où les lacs ont la taille de 3 département français, qui auraient changé notre rapport au monde, notre grand-mère ayant dû attendre que nous fussions aptes à communiquer dans un rudimentaire anglais scolaire pour pouvoir échanger quelques mots avec nous, moi en fait, mes sœurs enfouies, elles, dans des timidités sacrificielles. Je n'ai même pas cherché à conquérir pleinement cet espace comme je l'aurais pu, estimant qu'on ne rattrape pas le temps perdu, et qu'il n'y a pas de raison, somme toute, de combattre « en un combat douteux ».
Mais il est certain que nous nous sommes vécus spoliés de cette part d'héritage, immatériel et symbolique, qui nous aurait rattaché à une lignée d'ancêtres dont nous aurions pu évoquer les noms et les faits, les ayant recueillis comme des indications précieuses sur les possibles, face à telle ou telle circonstance.
Comme j'aime à ressasser, sur mon lit d'immobilisme, des rêves éveillés où je recompose un cours autre de notre enfance, dans lequel nous aurions été familiers de cette Amérique que j'en suis venu à d'une certaine façon détester, pour une certaine arrogance imbécile de ces caricatures bedonnantes que l'on voit en tous lieux, alors qu'il y a des traits admirables de vaillance et de d'esprit d'entreprise dans l'âme américaine en lesquels je me reconnais tout à fait. Comme j'eusse aimé connaître vraiment ce grand-père, mystérieux par certains côtés -israélite converti au point de finir dans la peau d'un Révérend, pasteur de la First Baptist Church-. Il me faut m'adresser à lui par delà la vallée que son éloignement, depuis son décès, a amené.
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Message  silene82 Ven 21 Aoû 2009 - 10:14

So dear granddad,

tu avais suffisamment de connaissance du français pour être à même de comprendre ce que je t'écris. Et déjà, c'était un bel exemple d'intérêt paternel envers sa fille que ce que tu fis, toi le peu lettré orphelin, lancé si tôt dans le vaste monde, écartelé et tenaillé dans toutes ces luttes éprouvantes qui tordirent ta nation dans ces années terribles, Grande Dépression, avant-guerre, guerre, encore guerre jusqu'à celle du Viet-Nam à laquelle Nixon mit fin, ce qui lui valait la reconnaissance inconditionnelle de ton épouse, ma grand-mère. Comme j'aimerais maintenant t'avoir posé la question, si essentielle et sur laquelle nous nous sommes épuisés tant de fois, de ce que la geste américaine nous rapporte sur cette fameuse disparition du jour au lendemain, où ta famille ne te vit plus, ne sut plus rien, jusqu'à ta réapparition, quand ma mère avait presque 3 ans.
La saga familiale, par la bouche de ma mère, griotte peu fiable, car encline, de par la vénération adorante qu'elle te vouait, à repeindre couleur céleste des faits qui semblent incompréhensibles avec le recul.
Certes, the Great Depression. Certes vous avez perdu votre maison, après avoir perdu vos emplois, et vendu tout ce qui pouvait se vendre. Certes c'était une situation dramatique à un point impossible à se représenter en Europe aujourd'hui, comparable au début des Raisins de la colère: aucun dispositif d'Etat pour pallier la ruine d'un pays , des millions de chômeurs sans indemnités, partout. Mais sortir du logement que vous occupiez avec l'idée de te suicider, changer d'idée, partir sur les routes en hobo, jusqu'au Texas, puis vers le New Mexico, en quête de petits emplois précaires, cueilleur de fruits, mécano, tout ce qui passait, sans jamais donner signe de vie à ton épouse pendant les 3 années que dura ce douloureux périple, il y a là quelque chose que je ne comprendrai jamais. Je n'ai jamais entendu que le Delivery Service se soit interrompu à quelque moment que ce soit, l'église à laquelle vous apparteniez était une adresse tout à fait fiable, ma grand-mère, je peux en attester, est restée si marquée de ce traumatisme que pour le restant de ses jours -et des tiens- elle t'a persécuté chaque fois que tu sortais en téléphonant systématiquement partout où tu étais passé. Folie paranoïaque? Peut-être; peut-être y avait-il de quoi.
Je n'ai donc que des images merveilleuses de toi, aux rares apparitions que vous fîtes en France: quels grands-parents ne se transcendent pas lorsqu'ils rencontrent leurs descendants dans ces contrées exotiques? Mais que j'eusse aimé te connaître dans ton univers, que je ne connais que par ces films exécrables, aboutés pour n'en pas gaspiller une miette, que confectionnait mon père, et que, finalement, il avait raison de ne surtout pas monter, gardant tout: mes larmes ont besoin de chacun de ces détails pour couler d'abondance, de ces pique-niques au bord du lac Erié, avec la majesté de ces paysages où les contours lointains côtoient le ciel, et dans les années 50, déjà, cet aménagement inouï pour les latins irrespectueux de la nature que nous étions, des barbecues aménagés, des poubelles non seulement présentes, mais vidées, pas un papier ou un détritus. Je sais, il vaut peut-être mieux intégrer les noirs que préserver les ours, fussent-ils kodiaks; les deux sont essentiels, avec, pour mon sentiment personnel, une priorité à l'humain. Cette ferme fantasmée, que vous achetâtes parce que la santé de ma tante, petite dernière si tard venue qu'elle ne connut vraiment sa sœur, ma mère, qu'à ton enterrement, ces images de Petite Maison dans la Prairie, pense, pour de petits citadins, ma tante Margaret échangeant le veau que tu lui avais donné, à charge pour elle de le biberonner, contre un magnifique palomino, à la chevelure soyeuse de belle femme, et aux yeux bleus, avec lequel, l'ayant élevé, câliné, et dressé, elle gagnait tous les concours de dressage et de point to point de la région; cavalière exceptionnelle encore aujourd'hui, sortant en concours à 74 ans, et en gagnant certains.
Et ces réserves que m'évoque ma mère, de provisions assez nombreuses pour soutenir un siège d'une année, ces saumons que vous pêchiez à la saison, dépeciez et fumiez, et qui s'entassaient dans le cellier, avec les bocaux de conserve; souvenir de la Dépression? Probable, logique de pionniers, accoutumés à anticiper, à stocker: les hivers sont extrêmes dans le coin où vous étiez, la neige bloquant la maison et obligeant à sortir par le toit pour déblayer, banale. Les coupures de courant pouvant durer une semaine obligent à établir des priorités: pour les congélateurs, pas de souci, on sort tout dehors, en se méfiant des ours, des loups et des renards quand même.
Tu vois, je me sens spolié de tout ça, de ne pas avoir vécu, fût-ce le temps de vacances, à vos côtés. Tu m'aurais parlé de spiritualité...mais non, pas du tout; tu étais un de ces hommes simples qui bien que diplômé en théologie ne parlait que des réalités accessibles à tout un chacun. Il est manifeste, à la foule qui suivit tes obsèques, que tu avais touché beaucoup d'individus; mystère des transmissions au-delà de la tombe, je retrouve aux récits que me faisait ma mère des attitudes que j'ai, comme de m'intéresser à des domaines qui me sont totalement indifférents pour établir un lien avec quelqu'un.
Et tout de même, cette hérédité hébraïque, toi circoncis, au nom purement ashkenaze, n'ayant aucune culture juive? Orphelin placé, je veux bien, chez des chétiens, soit; mais sur le tard, elle ne s'est pas réveillée, cette fibre judaïque? Moi, en tous cas, j'ai été vivre un temps en Israel, en envisageant d'y faire mon alyah.
Alors voilà; j'aurais voulu passer la porte de ce visage de vieux sage que tu avais dans les derniers souvenirs que je conserve, cette mansuétude et cette compréhension bienveillante qui confère une espèce d'universalité, avec ta barbe, tu aurais pu être un vieux soufi, un rabbin -évidemment-, l'archétype même de la sagesse, de la profondeur, et de la tolérance. Je pense que tu as été un homme d'une fougue et peut-être, je n'en serais pas surpris, d'une violence extrême dans tes jeunes années, et, selon ma représentation, pour des causes idéalistes. Le feu retombé, est restée la bonté. Je suis trop anxieusement critique pour imaginer être un jour animé de ta foi: mon épisode mystique correspondait, à l'évidence, à une quête d'absolu, ma précocité en certains domaines s'équilibrant par mon retard en d'autres; gage d'une verte vieillesse, puisque quinqua, j'ai des naïvetés d'ado.
Si donc nous nous retrouvions, et il n'est pas exclu que des territoires soient aménagés à cet effet, car tout cet amour répandu au cours des âges, il serait bien dommage qu'il ne puisse perdurer à l'état d'essence, et sur un mode spirituel; si nous y adjoignons la persistance des personnalités individuelles, donc la faculté d'échanger encore autrement selon les affinités électives, j'ai là un catéchisme pas pleinement orthodoxe, mais qui me satisfait.
Dans l'attente donc, chère figure tutélaire, de t'interroger avidement,
le rejeton de ton sang
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Message  silene82 Lun 24 Aoû 2009 - 10:36

Est-ce que l'on s'affadit en avançant en âge? Il me semble avoir tant changé, passant d'un enthousiasme brouillon et téméraire, révolté par l'injustice, heureux d'être opprimé pour la manifestation que je faisais d'une revendication radicale de refondation du système social, proche en cela de l'anarchisme, tout en me méfiant, je ne sais pourquoi, du caractère expéditif des liquidations considérées comme nécessaires à l'avancement de la cause, et qui me semblaient, à juste titre, comme l'histoire contemporaine l'a amplement montré, davantage prétexte à règlements de compte personnels que sanction normale, à une vision désabusée du monde, constatant que les germes sont indéfiniment resemés, que les rancœurs ne s'apaisent jamais, sinon par la magnanimité de celui qui renonce à tirer vengeance, que dans une lecture perspective du moyen-orient, tout était déjà dit lors de la répudiation d'Agar avec Ismael, d'où sortiraient douze princes, dit la Thorah, qui dresseraient leur poing contre leur frère.

Cette confusion dans laquelle je fus avec ma compagne, la fidèle de toutes ces années, qui s'était attachée à moi comme une liane, de telle sorte que nous nous nourrissions l'un de l'autre, jusqu'à ce que, à la halte dans le parcours, quand je portai les yeux en arrière, et que je réalisai que la seule chose que j'avais faite, durant toutes ces années, avait été d'assurer la survie du clan, et qu'ayant amené les lycaons à la capacité de vivre de leurs propres efforts, je pouvais, et surtout j'avais besoin de, passer du temps à écrire ma compréhension de ce que nous avions joué entre nous. C'est là que nous avait rattrapé l'entropie ordinaire des objets, fer aigu dans la main de la princesse, aiguillon de cornac pour dénoncer les innombrables signes de délitement que le temps amène. J'aime assez l'intemporalité des aménagements modernisateurs appliqués à l'ancien que l'on trouve dans tous les pays dits émergents, torsades de fils dénudés galopant dans les couloirs des résidences transformées en hôtels en Inde, pose aléatoire des prises, des interrupteurs, comme si la concession au modernisme se refondait dans une volonté d'intégrer ces apports utiles certes, mais dont le monde s'est passé durant la majeure partie de son histoire, au laisser-aller général qui la caractérise. J'étais dans un certain esprit fataliste et désabusé, considérant qu'une fois certes j'avais investi des années de travail dans la restauration et la réhabilitation d'un monstre, dont nous aurions dû réaliser l'énormité, et que nous nous y consumerions sans jamais en voir la fin, puisque, tout au moins dans mon cas, dès que le but premier serait atteint, sous les espèces de la mise à l'abri de ma nichée, non dépourvue de confort par ailleurs, j'estimais pouvoir ralentir un peu. C'était ne pas avoir pris la mesure de l'aspiration de la princesse des lieux à une demeure authentiquement princière, où le plus humble détail, si ténu soit-il, est fini et soigné, lors que je m'accommode fort bien de détails négligés, que je ne vois même pas.
Moyen sublime donc pour éprouver ce dont parle l'Ecclésiaste, grand connaisseur des rapports complexes et des enjeux en cours dans ce qui se trame entre la part mâle, utilitariste et envisageant les choses sous un rapport de rentabilité entre l'effort investi et le mieux-être esthétique ou autre , et un certain regard féminin qui ne voit plus que, précisément, ce qui reste à faire, ou à finir, et qu'il évoque en parlant de la femme à la parole de gouttière -percée, il va sans dire. Pas de jour sans que le sujet ne réapparaisse, d'une manière ou d'une autre, opportun ou pas: cristallisation d'une frustration manifeste quelque part, que l'intéressée ne se représentait pas pleinement elle-même, mais qui était totalement perceptible. Vraisemblablement avec le phénomène bien connu, répertorié et étudié du nid vide, qui alimente de longues séquences de travail systémique.
Et de fait les visions du monde qui nous animaient étaient nécessairement fort différentes: on peut s'adapter à un nouvel environnement, et modifier ses comportements pour les mettre en adéquation avec le milieu dominant; c'est d'autant plus facile que l'on est moins nombreux, le groupe générant aisément un repliement communitariste.
Il semble que ma princesse petit pois, qui découvrit la jouissance de manger des tomates, et un certain nombre d'autres denrées, sous mon bienveillant patronage, car, ayant décrété, à l'âge de pouponnette, qu'elle n'aimait pas ces mets, nul n'avait eu l'outrecuidance de l'inciter au moins à y goûter, soit passée de révélations en révélations successives, découvrant, en un atterrissage progressif, que le dirigeable, pour être un moyen de transport fort agréable, est néanmoins trop soumis aux contingences aérostatiques pour pouvoir être utilisé de manière fiable au quotidien. Que les princes charmants, pour rabbiniquement barbus qu'ils soient, finissent en maris et en pères, ce qui est une option tout aussi défendable qu'une autre, ne serait-ce que pour justifier l'enthousiasme génésique. Qu'il est possible de se construire un mode de vie vivable de peu de contraintes, mais qu'il oblige nécessairement à de nombreux compromis. En bref que s'aménager une niche vivable pour soi est possible, mais demande de l'énergie, dès l'instant qu'on ne dispose pas de fortune personnelle; car au bout du bout, le nerf et la racine de tout est l'argent, ou du moins la capacité symbolique qu'on a de s'en servir: les escrocs de haut vol le démontrent surabondamment, capables de mener un train de vie que nul ne leur discute sans en avoir la surface financière effective.
Il eût fallu pouvoir s'arrêter et réfléchir à ce que nous voulions effectivement: continuer un mode de vie utopiste, dégagé en grande partie des contingences ordinaires par choix de fonctionnement autarcique, mais qui incluait nécessairement des choix drastiques quant à l'affectation des masses monétaires circulantes -fort modestes, notre bon maître-, ou nous efforcer de rentrer dans un système dont nous subodorions que nous n'avions guère d'outils utilisables pour pouvoir y prospérer. C'est là que le dilemme commençait: moins de travail alimentaire certes, une vie organisée sur d'autres priorités évidemment, mais impliquant des pertes, ou plutôt des choix: dans un choix de vie tel que celui-là, un deuxième véhicule est un gaspillage insensé, comme on comprendra: venus trop tard dans un monde épuisé, où l'industrie ne peut plus user que de guet-apens orchestrés par l'Etat pour contraindre à envoyer au rebut des véhicules parfaitement utilisables, ligotés par le réseau impitoyable des contrôles, des remise aux normes, et autres producteurs de taxes, une certaine marginalité que nous connûmes dans les années 70, et que nous pleurons pour le vent de liberté qu'elle comportait, n'est plus de mise et attire même, de surcroît, des sanctions disproportionnées.
C'est la raison pour laquelle j'allais de temps à autres me ressourcer dans des pays sans règlements, où tout est toujours négociable.
Je comprends, princesse, le sentiment qui t'animait, et qui contribuait à nourrir ces visions divergentes, qui insensiblement infléchissent leur trajectoire, jusqu'à, un jour, être si éloignées l'une de l'autre qu'il n'y a plus de rapprochement possible.
Le mythe qui nous maintint durant des années fut celui, longuement nourri et alimenté, de la vente de notre bien, vente dont le produit allait nécessairement résoudre le mal-être d'ordre existentiel que tu éprouvais -et moi aussi à un degré moindre. Comme si le voyage, pour user de métaphore, portait en lui le remède à un problème intérieur: à l'évidence, disposer ou pas d'argent n'aurait rien résolu, puisque c'est dans la vision du monde, donc la représentation que nous nous en faisons, que disposer ou pas de moyens matériels aurait eu du sens.
D'ailleurs il faut que je t'en écrive, et mon scribe, qui regardait langoureusement par la fenêtre depuis quelque temps, va pouvoir être mis à contribution.

Ma si chère compagne des années successives

étions- nous plus faits pour les difficultés affrontées à deux que pour cette relative paix dans laquelle nous pagayons, comme en un lac après des rapides?
Il semble en tous cas que maintenant que des possibles se dessineraient pour l'avenir, les tendances profondes, les aspirations de fond commencent à remonter, pour moi de reprendre une existence apatride, facilement errante, avec un point de chute quelque part en terre européenne, Espagne, France ou Italie, une petite maison capable de contenir mes livres, un hamac, quelques bricoles -eh oui, princesse, hormis les livres, je me contrefiche des objets, sauf sublimes, et encore-. Guère besoin de beaucoup d'argent pour cela, mignonne, je vis de peu, comme tu sais. Qui plus est, le peu d'un européen est le fastueux d'un indien, n'oublie pas.
Tu as besoin, toi, d'un rapport quasi organique et quotidien avec notre progéniture: comme tu le sais, je préfère les moments privilégiés, et surtout, je pense qu'ils savent parfaitement à qui ils ont affaire; curieusement, comme tu le noteras, ils savent venir exposer leurs projets, et notamment s'ils pensent que nous pouvons les y aider en quelque manière. Ce qui me satisfait pleinement, pour ma part. Nous n'avons évidemment pas la même lecture du monde qu'eux, fort heureusement, et, pour ma part, je me sens à l'étroit dans ce pays.
Je ne sais pas trop comment te satisfaire, belle enfant: tu as toujours oscillé entre des aspirations féminisantes, des plus louables, et ton formatage hispano-basque, car de fait, tu as la noblesse d'âme archétypique des vertus basques, mais l'exemple de ta mère t'a pollué et te fais mélanger des registres peu compatibles. On ne peut pas revendiquer une indépendance sans limite et aspirer à être femme au foyer: la femme au foyer abdique son indépendance dans la sphère sociale pour recevoir l'autorité sur la sphère privée, autorité quasi totale dans le monde basque. Le vrai, celui où les conjoints sont chacun dans son rôle, l'homme pourvoyeur, la femme admnistratrice. Sauf que dans ton cas, les rôles sont confus.
Et surtout, tu étais cernée par les désagréments mécaniques d'un corps qui se rebelle, victime d'une hérédité qui t'est parfaitement connue: polyarthrite paralysante à terme, faiblesse dorsale favorisant les lombalgies. Ce qui modifiait très sensiblement la donne quant aux hypothèses de voyage à mes côtés, que tu formais au temps de notre jeunesse: les routes du tiers et du quart monde sont ce qu'elles sont, et aucun pouvoir au monde ne peut les rendre moins cahotiques qu'elles ne sont, ou les trajets moins long. C'est ainsi.
Aussi arrivions nous à une situation pénible, où les frustrations de tous ordres s'additionnaient au fait de ne pas nous permettre de réellement pouvoir agir notre vie, mais la subir, avec amertume.
Tu sais que nous n'avions pas résolu ces incertitudes, et je vais y réfléchir davantage, maintenant que le temps s'étire indéfiniment pour moi,

à plus tard, princesse.
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