PHOTOGRAPHIE : Les temps sombres arrivent

Il pleut, d’une pluie battante. Les années soixante tombent sur Paris. Elle, conduit un taxi. Lui, attend un taxi. Et lui, apporte quelques retouches à son tableau. Les gouttes humides n’en feront bientôt qu’une bouchée et dépeindront peu à peu de nouvelles nuances à cette matinée de novembre. C’est le déluge. Dans l’arche, on balance les pinceaux, Rome ne s’est pas faite en un jour, alors le monde, vous pensez bien.
Lui, attend un taxi. C’est un musicien, on dirait du moins. La jeune demoiselle à côté de lui, c’est son étui à guitare. Elle est perchée sur de petits talons, allonge le cou pour gagner quelques centimètres, tout le monde le sait, elle a plus d’une corde à son arc ! Et un trente trois tours dans son sac. Lui, est très galant, la pluie ne lui fait pas peur et il offre son parapluie à sa charmante compagne, tel un chevalier servant. En face, dans un magasin d’électroménager, une table ronde lui fait de l’œil.
Il détourne le regard, et tient le parapluie bien au dessus de sa dulcinée. Pourquoi ne le porte t-elle pas toute seule ? Elle a souvent mal au do, et puis ils ont un accord en commun. Il doit la traiter comme une princesse, d’ailleurs il lui a promis, sous les pavés, la plage. Finalement il n’a pas réussi à faire venir la mer, tout juste les baleines, qui soutiennent la toile du parapluie noir. Mais ce sont tout de même des baleines, et puis après tout, elle s’en fiche, ce n’est qu’un étui à guitare.
Elle, conduit un taxi. On peut voir des larmes couler sur son visage. Avec autant de douceur que le verre qui coupe de l’intérieur. Elle le sait, les temps sombres arrivent. Elle le sent. Et se demande si elle parviendra à gérer la douleur des autres. Elle profite des derniers instants où sourire n’est pas déplacé, voire hors sujet, tout en se disant que, dans quelques temps, tout sera différent. L’atmosphère change peu à peu, les gouttes sombres tombent silencieusement dans un océan bientôt en deuil. Les baleines se sont terrées sous le sable, le chant des sirènes de l’ambulance se fait plus percutant, plus strident, plus proche. Poséidon porte la perfusion, et déploie les vagues qui ne vont pas tarder à l’abattre. A les abattre. Elle se le dit, se le répète, les temps sombres arrivent. Elle voudrait lutter, se battre contre les moulins à vent, mais les ailes, une à une, la frappent de plein fouet. De grandes ailes noires. L’ange de la mort approche à pas feutrés sur le parquet qui craque, où nous marchons plaqués contre le mur pour l’éviter.
Lui, regarde le monde du haut de son chevalet.
Lui, attend un taxi.
Elle, conduit le taxi.
Inévitablement ils vont se rencontrer. Il n’y aura pas de coup de foudre. Il n’y aura pas de taxi qui se transforme en carrosse. Ni de bonne ou de mauvaise fée. Ils n’auront pas plein d’enfants. Ils ne seront pas heureux. Ce sont juste des gens, qui tentent de vivre, quand les temps sombres se font plus clairs et leur laissent le temps de respirer.

Voilà. Pour moi c'est ça la poésie. Un texte tout en douceur, en fines touches de délicatesse, en allusions, en fragments de vie dispersés qui, peut-être se réuniront.
Tu excelles dans le genre.
C'est très beau et difficile à commenter.
Je trouve que ça valait le coup d'attendre un peu tes cogitations Lyra. ;-)

(détails : pour une guitare, ça me semble un peu mahousse costaud, et puis les "gouttes humides"... :-))

Eh eh, oui Loup m'a dit aussi que ça devait être plutôt une contrebasse mais bon, étui à contrebasse je trouvais que ça sonnait bizarre et je pensais que personne n'allait remarqué ! mer.. c'est loupé ;0))

Euh, j'ai quand même pas écrit gouttes humides, rassure-moi ?

Lyra will a écrit:Euh, j'ai quand même pas écrit gouttes humides, rassure-moi ?

Ben si...

C'est sobre... un brin grisâtre dans le ton...Ce n'est pas un défaut : je veux dire par là que tu sembles aborder ça avec une touche de mélancolie. La contagion du noir et blanc?
Il y avait peut être des accès plus fantaisistes à l'imaginaire de cette photos, notamment par l'instrument qui a une forme quelque peu humaine dans l'attitude...

"remarquer" Bon sang les fautes !!
Il y avait peut être des accès plus fantaisistes à l'imaginaire de cette photos
Euh Aegis, pas compris...
:0)

C'est un très bon texte, vraiment ! Je l'ai lu deux fois, pas parce que je suis Belge ;-) mais parce que je l'ai vraiment trouvé très beau.
Ça parle d'un monde très réaliste, très tendre et très touchant, c'est plein de charme, d'imagination et de poésie.
La photo est tout à fait en accord avec le texte, et ce texte est vraiment bien enlevé.

Lyra will a écrit:"remarquer" Bon sang les fautes !!
Il y avait peut être des accès plus fantaisistes à l'imaginaire de cette photos
Euh Aegis, pas compris...
:0)

t'as choisi d'être soft... mais y avait ptêt aussi moyen d'triper à donf (c'est plus compréhensible? )
Ce n'est pas une remise en cause de ton choix lyrounette, t'inquiète

Beaucoup de sensibilité, de finesse, de sobriété, et de charme surtout !

Le début m'a beaucoup amusé, avec la guitare et son gardien. Puis, après ça s'enlise, tout doucement, vers quelque chose de plus étrange, de plus complexe et, en même temps, plus réaliste. Notamment, cette femme qui semble subir la douleur des autres, et cet artiste, sur son trottoir, seul dans son univers.

Non, vraiment, rien à redire. Bravo !

un peu de mal à entrer dans les premières phrases puis ça coule tout seul. Peut être la ponctuation à reprendre par endroit. Beaucoup de jeux de mots, certains très bons, d'autres un peu moins. Globalement, j'ai aimé même si j'ai eu par instants le sentiment que tu n'étais pas forcément très à l'aise. Ceci dit, on entre vraiment dans la photo, on n'est pas spectateur, observateur, on est dedans et ça, c'est un joli tour de force.

Très beau. J'ai beacoup aimé ce que tu as tiré de cette photo. Je ne suis pas rentrée immédiatement dedans mais plutôt au fil des lignes, des jeux de mots, de l'atmosphère que tu construisais. Au final, je suis vraiment touchée. Et j'admire ta fin : je me demandais l'utilité du taxi, m'attendais à une rencontre mais la façon dont tu l'utilises pour ta conclusion est superbe.
Moi aussi je me suis dit que ça ne devais pas être un étui à guitare mais c'est peut-être un peu petit pour un étui à contrebasse non?
Bref, Bravo Lyra !

Qu'il est beau ton texte Lyrette!! Magnifique même. Que d'émotions, d'élégance, de force et de beauté... je suis entièrement sous le charme.
Ton écriture change je trouve. Tu arrives désormais à éviter les pirouettes faciles, les ellipses, les apostrophes, les jeux de mots faciles... bref, ce qu'on regrettait parfois au début dans certaines poésies. Maintrenant, tu te joues des mots et les manipules à ta guise, avec maturité et efficacité.
Cela donne un ensemble très réussi, prose poétique qui va droit au coeur, bravo et merci!

Beau texte Lyra. J'aime cette manière que tu as d'être à la fois dans et à coté de la photo. Beaucoup de sensibilité et de poèsie dans ta plume. Un style qui commence à devenir le tien et qui me plait bien. Quelques uns des jeux de mots me semblent superflus et je crois aussi que pour le titre, tu aurais pu trouver mieux mais pour le reste je dis: chapeau !

Ben Lyrette, qu'il est beau, ce texte! Les mots coulent, fascinent, jouent leur musique, sans lourdeur, avec émotion. Un moderato cantabile. ;o) Une très belle image, tu en as vraiment tiré le meilleur parti, suis très touchée par ton texte, d'une intelligence subtile, surtout que te lire est rare.
Vraiment, j'aime!

Quelle sensibilité! Lyra Will, tu deviens très fine... Pour le fond, tu poursuis sur cette gamme très belle avec des sentiments et des émotions fortes.. pour la forme, c'est de mieux en mieux...

Très réussi Lyrette, tendre mais sans pathos, très réussi vraiment.
(Sinon, je miserais sur un violoncelle :-)

C'est vraiment bon, j'aime beaucoup !

Comme certain, je note l'évolution de ta prose et dans un très bon sens. J'espère que tu vas continuer à écrire de la prose (eh eh !), et dans cette veine-là !

Pour les jeux de mots, (même si faut pas en abuser, Krys y fait attention !)je les aime bien moi, je les trouve ici juste comme il faut, parce que tu les exploites à chaque fois, avec intention poétique.

Donc pour tout ça, bravo !