Bulles

- Pourquoi veux tu garder mémoire de tout ça? Crois-tu que cela puisse intéresser quelqu’un?
- Nos souvenirs seront peut être le seul moyen de nous libérer un jour de ceux qui nous retiennent ici prisonniers...
- Cela fait si longtemps. Tu gardes encore espoir?
- Je te l’ai déjà dit tant de fois: je suis persuadé au fond de moi qu’on a influencé notre destin; j’en suis sûr.
- A mon avis, tu perds la Boulle, c’est ça qui est sûr...
- Peut être...

«  Nous avions jusque là vécu parmi nos frères. On manquait de place bien sûr, mais cela nous semblait aussi douillet que le berceau de l’enfance. Et puis nous ne connaissions rien d’autre. Et même si parfois les rêves des uns sont les réalités des autres, on ne portait guère de crédit aux légendes affirmant qu’une puissance supérieure dirigeait nos moindres faits et gestes. L’idée de la liberté était pour nous le dépassement des limites qu’on nous avait imposées. Mais que pouvait-on faire, sinon nous accommoder du peu de place que l’on nous accordait?

Vint le jour où certains d’entre nous furent choisis. Un voyage extraordinaire aux sensations extrêmes. A quatre dans une bulle aquatique, nous avions traversé des mondes parallèles. Puis nous avions plongé dans un univers gigantesque et dépeuplé.

Tant de place et d’autonomie d’un coup... Je passais parfois de longs moments sans croiser personne. J’appris à connaître ma solitude en m’interrogeant sur ma place et mon rôle dans ce monde étrange. Au fil de mes errances, je me heurtais parfois à d’invisibles murs derrière lesquels tout me semblait flou. Nous ne manquions de rien, et après un petit temps d’adaptation, nous nous surprîmes à apprécier l’endroit qui, un jour sûrement, deviendrait notre cimetière.

Puis arrivèrent les étrangers. Différents de nous, ils passèrent pourtant par les mêmes sensations de surprise et d’enfermement puis s’habituèrent à leur tour. La proximité nous imposa un respect mutuel et une discipline intérieure s’instaura empiriquement. D’autres vinrent encore et il fallut bientôt savoir protéger son territoire. Driss se passionnait de nos différences. Il philosophait à loisir sur la cohabitation heureuse en univers clos. Il y eut bien quelques affrontements, quelques luttes de pouvoir. Mais elles furent le plus souvent rendues stériles par l’incapacité de quiconque à pouvoir changer le cours des choses. Nous n’avions pas à combattre pour la nourriture, non plus que pour le sexe puisqu’à chacun correspondait sa chacune. Alors toute idée de révolte ou d’évasion nous semblait lointaine et irréalisable, et c’était peut être mieux ainsi. Personne ne savait pourquoi nous étions là, mais la peur de perdre sa prison dorée rendait chaque question suspecte. Jusqu’au jour du cataclysme.

La lumière rythmant nos circonvolutions s’éclipsa d'un coup. L’oxygène se fit rare, la nourriture disparut. Il y eu de nombreuses victimes et je dois bien avouer que nous ne fûmes sauvés qu'au prix de dramatiques concessions octroyées au respect dû à la dépouille d'autrui. Puis tout redevint brusquement comme avant et peut être même mieux, s’il est possible de le concevoir. D’autres arrivèrent et chacun prit la sage décision d’oublier bien vite l’incident. »

- Et bien, demanda Driss, que veux-tu ajouter à cela? As-tu trouvé un titre à notre histoire?
- Je ne sais pas encore; peut être quelque chose de très explicite comme « le triste destin des poissons rouges en aquarium », un truc dans le genre.
- Mouais, ça a le mérite d'être explicite. Quant à savoir s'il faut décrire son malheur pour espérer en être délivré...

La chute, oui la chute rattrape tout le reste, j'entends par là que "le reste" est assez ardu, précisément lorsque l'on a pas connaissance de la "chute".
Mais elle est assez bonne pour que l'on relise le texte depuis le début et que l'on se dise (enfin moi en tout cas) : Oui c'est marrant son truc, sympa et bien trouvé.
Au plaisir de vous relire...

A vrai dire, j'avais compris qu'il s'agissait de poissons en aquarium un tout petit peu avant le coup de la "bulle aquatique" qui a confirmé. Du coup la chute m'a presque déçue tellement elle était explicite...

Une bonne écriture, je trouve.

Un texte trés bien écrit, qui entretient le mystère , puis le révèle. J'ai bien aimé.

Oui, c'est bien fait et ça laisse à penser. "Dieu existe sinon qui me donnerait à manger chaque jour" dit le poisson rouge.

J'ai trouvé que ce texte était inabouti, pêchant par excès de généralité et de survol des éléments. La chute est là, pourrait aider à comprendre ce qui n'était pas clair au fur et à mesure de la lecture mais j'aime que les chutes éclairent le texte d'un jour nouveau, pas que ceux-ci soient obligés d'exister uniquement grâce/à cause d'elle, or j'ai eu le sentiment que c'était le cas ici.

Suis partagée, mais me suis quand même laissée embarquer tranquillement.

« il est joli ce salon… Il est joli ce salon… »
Bien trouvé et bien exploité. S’il faut commenter de manière plus constructive, je me bornerai à reprendre ce qui précède ; la chute aurait gagné à nous réserver une surprise supplémentaire, en sus de comprendre la nature des personnages.

L'histoire est rondement menée, son écriture limpide, tout comme paraissent crédibles les intervenants.