Soleil : des bulles, de l'herbe : la vie.

Oh le joli brin d’herbe, me dis-je, et, bien entendu, sitôt-vu-sitôt-roulé-fumé.
En marchant.
Puis je m’assieds.
C’est mieux parce que ça tourne un peu.
Un peu comme le monde mais en sens inverse.
La terrasse est ensoleillée, baigne dans une béate attitude d’été : chaises blanches ajourées, parasols colorés gueulant les mérites d’un soda, d’une marque de glace.
Je me commande une pression.
Un peu plus loin, c’est-à-dire quelque part entre mes pieds nus, une mer s’étale comme une chatte sur sable. Belle chatte en vérité : son poil ondule à l’émeraude, se strie d’accents bleu métal, se charge de voiles en partance, en revenance, de bateaux de toutes sortes, de tous tonnages, et derrière explose un soleil rond, si absolument jaune qu’il fascine.
L’observant derrière ma mousse, je me prends à rêver : et si, disons quelques heures, j’étais lui. Pas lui dans sa splendeur parce que de ça je m’en fous, mais lui dans sa lumière, disons, si pour quelques heures je me faisais jour, puis, que comme lui ; le soir venu, je m’estompe, m’efface pour céder la place au noir.
Et si j’étais tour à tour lumière cuisante, pénombre apaisante et puis mourir au couchant. Je ferais quoi moi ?
J’avale une gorgée fraîche, presque glacée, pense que si j’étais lumière sur les coups de midi, j’incendierais quelques dos nus, cramerais quelque nez, cuirais quelques nuques, m’amuserais à faire rougir l’humanité. Puis, parce que c’est dans ma nature d’illuminer la vie, je m’intéresserais à cette jolie fille, celle qui arrive à bicyclette et qui laisse tomber ladite bicyclette avec nonchalance pour venir s’installer une table plus loin, commander un diabolo menthe tout comme ses yeux, et ouvrir un livre.
Je ne sais quel livre, elle s’est assise face à la mer.
Ce qui me fait penser que si j’étais lumière je saurais ce qu’elle lit puisque je serais chez moi dans les lignes d’un bouquin comme partout. Saurais aussi la couleur de sa peau sous sa robe légère, la pulpe de sa chair, la rondeur de ses courbes, partout je m’infiltrerais, partout sauf aux endroits ou le tissu se mêle si étroitement charnel qu’il se fait nuit. Mais qu’importe ces endroits-là parce que je les marquerais au blanc de mon absence, me les mettrais de côté pour le soir venu, m’éteindre dessus. Oui, plus tard, à l’heure de mon déclin je les accompagnerais : elle et son vélo, vélo que finalement elle jetterait quelque part au milieu d’un hall pour grimper un escalier, rentrer chez elle, se dévêtir et prendre une douche. Alors je me ferais pénombre apaisante, lumière tamisée caressante pour, sur le rebondi d’un sein blanc, m’évanouir et reposer jusqu’au lendemain.
Si j’étais lumière, mourir serait un plaisir.
— Une autre pression Monsieur ?
— Pardon ?
— Une consommation toutes les heures dit le serveur, c’est la règle.
— Une heure déjà… Dites, elle est partie ?
— Qui donc Monsieur ?
— Non, la jeune fille à la bicyclette.
— Je n’ai vu aucune jeune fille ni aucune bicyclette Monsieur.
—Vous êtes sûr ?
— Certain Monsieur !
— Ah… Une pression oui, s’il vous plait.
Il s’en retourne en haussant les épaules mollement, comme un type qui s’étonne plus de rien, qu’en aurait déjà trop vu, trop entendu…
Si j’étais lumière…
Si j’étais lumière, toute réflexion faite je ne serais pas si différent de lui là haut, non pas si différent parce que tout comme lui j’inonderais le monde pour que poussent les jolies filles, les bicyclettes aux terrasses des bistrots, et ce, juste pour fasciner les auteurs dilettantes, un brin herbeux.

Ben ça valait la peine d'attendre ;-)
Je trouve ce texte outre qu'il marie les deux sujets, abouti. Je m'explique. Je le trouve plus calme, posé et serein que d'autres précédents. Mariage des deux thèmes mais aussi de la description avec le dialogue. Voilà un commentaire sur le vif.

"comme une chatte sur sable", y a un mot de trop là Yali, tu crois pas? J'attendais de toi "comme chatte sur sable", c'est si plus mieux ! ;-)
Allez, je vais le dire : on retrouve le thème récurrent de l'écrivain "en recherche" (?) qui observe avec son regard à lui, ô combien affiné, ce qui l'entoure. Et le décrit si bien.
Il observe bien et décrit bien, même ce qu'il croit voir. Un peu comme un peintre devant son chevalet, en extérieur, qui reproduit sur toile ce que nous, installés derrière son épaule, on est bien incapables de distinguer.
Toujours beaucoup de fraîcheur et de profondeur dans ce petit texte sympa.
Les fantasmes du soleil se vivraient volontiers avec lui !
Et tu as astucieusement intégré les contraintes du soleil ET du brin d'herbe plus ou moins hallucinatoire.
Pas mal du tout Yali.

"comme une chatte sur sable", y a un mot de trop là Yali, tu crois pas? J'attendais de toi "comme chatte sur sable", c'est si plus mieux ! ;-)

Mouise, tres juste Mentor !

J'imagine très bien le bonhomme se monter tout un plan dans sa tête en vacances d'idées. Et puis après, le regret de ce que la verité n'est jamais comme on l'avait imaginé, jamais aussi bien, aussi parfaite, aussi correspondante. J'aime beaucoup ton texte...

Ah Yali !
Tu travailles de mieux en mieux ta matière, toujours la même.
C’est une démarche d’auteur.
J’aime cette volonté entêtée que tu as d’inscrire la pensée dans la réalité du quotidien, le rêve alors prend toute son importance et tu donnes au désir la chance d’exister.
C’est grand!

C'est devenu un grand thème classique Yalien :-)
Ici, j'aime la façon dont c'est traité avec les thèmes de la lumière, du rêve. C'est joliment construit avec ça. Les parties "lyriques", (son poil ondule à l’émeraude, etc.), dans ce texte, sont particulièrement réussies.

Juste un tout petit détail : J'ai trouvé un peu moins emballant le moment où le "soleil" découvre la femme, peut-être j'aurais vu quelquechose de plus progressif ? Disons que le "Je m’infiltrerais, partout" est placé un peu tôt par rapport à la scène de la douche.

Kilis a dit : "J’aime cette volonté entêtée que tu as d’inscrire la pensée dans la réalité du quotidien", je dis pas mieux. Et aussi j'aime la qualité de l'émotion que tu fais passer, dans sa pudeur et sa complexité. "C’est une démarche d’auteur." dit Kilis, je dis pas mieux.

Une terrasse au soleil, des boissons pétillantes, des filles qui ne le son pas moins : l'un de tes cocktails préférés. Toujours ce sens acéré de l'observation - bien aidé ici par le thème de l'écrivain en pleine phase d'inspiration - et de la petite formule qui fait mouche.

Dès thèmes que l'on te connait, c 'est vrai, mais qu'on redécouvre toujours avec plaisir parce que tu te ballades parmi les mots, nous ballade et on en redemande.

Un très beau texte à figurer parmi tes meilleurs ! peut être même mon préféré ! rien à redire d'autre...

Waoou...épatée je suis par ce texte, Yali. Je ne trouve pas qu'il ressemble à tes autres textes, du tout. Il est vraiment...parfait.

La formule classique chère à Yali: la terrasse, le bistrot, le type qui pense, la jolie fille qui apparaît... Par moments, j'ai du mal avec ça, l'impression de voir tout le temps le même film et de me lasser un peu. Question de style, tu m'as expliqué, mais bon...
Et puis en même temps, c'est vrai que tu la travailles bien cette matière, même très bien dans certains cas, comme cette fois. Donc rien à dire sur ce texte pris tout seul, sans faire référence aux autres textes.

Trés joliment écrit, de belles fomules, de belles images.
partout sauf aux endroits ou le tissu se mêle si étroitement charnel qu’il se fait nuit.
!!!! Ça, c'est de la phrase !
Magnifique.

Celle-là aussi, me plait bien :
Mais qu’importe ces endroits-là parce que je les marquerais au blanc de mon absence, me les mettrais de côté pour le soir venu, m’éteindre dessus.

Me plait bien ce texte, visuel, poétique, coloré, j'aime même beaucoup.