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Mots de tête

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Celeron02
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Louis
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Message  Louis Lun 28 Déc 2009 - 22:17

Une petite fantaisie...

Je me suis éveillé ce matin avec des mots de tête. Oh, pas des gros mots, juste de petits mots. Mais insistants. Des mots entêtants. Ah, c’est têtu les mots entêtants ! Et ça ne se tait pas facilement. Il y en avait un qui, plus que les autres, me montait à la tête, il voulait passer en premier, toujours en tête, un obsessionnel persuasif. « Regarde ! » qu’il m’enjoignait. C’est stupéfiant, comment parfois les mots, ça enjoint. Il y a, faut le reconnaître, des mots d’ordre. « Regarde ! » commandait-il. Je voulais lui dire : « Tais-toi, têtu ». Mais je me suis ravisé, parce que pour chasser un mot, il faut en appeler d’autres. Et s’il faut laisser venir mille mots pour en chasser un … c’est l’invasion. Tous ces mots vous prennent la tête et ne vous lâchent plus, à vous transporter au premier chef, on ne sait où.
Voilà, il y a des mots, comme ça, qui s’étaient mis en tête de me tirer de mon somme. Pourquoi donc tant d’obstination à m’extraire ainsi de mon sommeil ? Eh bien, pour me sommer de regarder, là, près de moi, à ma droite. Quoi, j’ai obéi ! Faut pas froisser les mots, sinon ils vous en veulent, et ne veulent plus rien dire, et tout est plié. J’ai donc allumé ma petite lampe de chevet, j’ai regardé, sommé comme je l’étais par les mots, et j’en suis resté sommairement sonné. Non, je n’étais pas seul au monde ! Quelqu’un existait en dehors de moi, dans mon lit ! J’étais tout à la fois sonné, et déconcerté. Je croyais dormir seul, vivre seul, exister seul, alors qu’en somme, on était deux, dans un lit unique.
Il fallait se rendre à l’évidence : quelqu’un, pendant la nuit, sans un mot, s’était coulé là, près de moi, et y avait fait son lit. Un lit douillet. «Ah, on se la coule douce ! » me suis-je dit.
Je ne pus m’empêcher, après quelques moments de stupeur bien frappée, de me mettre une interrogation en tête. Quelle pouvait bien être l’identité de cette personne à mes côtés ? Dissimulée tout entière sous le duvet, il n’était pas possible de percevoir ses particularités toutes humaines. Les formes observées, toutes ces rondeurs explicites ne permettaient pas au doute de s’insinuer sous la couette. Non, le doute n’était pas permis. Il lui était même interdit de planer au-dessus de ma tête, c’était donc une certitude… c’était une femme ! Oui, une femme, féminine ! Bouleversant ! Excitant ! Moi, je suis un homme, à n’en pas douter, par les reliefs explicites et, euh… licites, que dessinait la couette. Sûr !
Après ces considérations très physiques, des questions m’assaillirent, très métaphysiques. D’où je viens, moi, pour me retrouver dans ce lit, près de cette femme ? Où je vais, moi, réveillé par des mots, et encore tout nu sous l’édredon, comme Adam avant la chute ? Qui suis-je, moi, près de cette inconnue ?
Je suis très pieux, au lit surtout, et voilà que dans mon pieu, on était deux ! Mon Dieu ! Une preuve supplémentaire de la Trinité !
Enfin, me dis-je, quelqu’un avec qui partager mes mots. Mais comment aborder dans son lit une personne que l’on ne connaît pas ? Comment s’y prendre ? Selon quels mots d’alités ? Je lançai alors, d’une voix tonitruante : « Avez-vous lu Ainsi parlait Zarathoustra de Friedrich Nietzsche ? » Pas de réponse ! Je lui ai laissé un long temps pour qu’elle mûrisse une réplique, mais rien. Muette ! Elle ne devait pas savoir comment parlait Zarathoustra, moi je ne savais pas comment lui parler. J’empruntai alors une autre voie rapide de la communication pour lui demander : « Aimez-vous les huîtres farcies ? » Elle ne pipait mot. Silence à bord de mon lit.
Elle restait coi. Y avait-il eu un couac dans mes propos ? Quoi qu’il en soit, ce n’est pas facile au réveil, dans son lit, de trouver les mots adéquats. Une situation pareille, ça vous démolit !
Peut-être, après tout, n’appréciait-elle pas les questions ? Je dois être un rustre, je ne dois pas savoir accueillir les dames, je dois manquer de savoir vivre, on ne fait pas subir, c’est vrai, en guise de bienvenue, un interrogatoire à une personne que l’on ne connaît pas, et qui vous rend visite dans votre lit, en catimini, quand ce n’est pas en tapinois. Alors simplement, je causai, je causai, je luis racontai ce qui me passait par la tête. Je lui rapportai, histoire de détendre l’atmosphère, la conversation que j’avais tenue avec ma concierge, la veille. Elle se plaignait de la circulation dans Paris. « Connaissez-vous les dernières statistiques ? » avait-elle demandé.
– Euh, non.
- Eh bien, un homme se fait écraser sur la route chaque jour, oui, comme je vous le dis, si c’est pas malheureux !
- Le pauvre homme ! lui ai-je répondu.
Je ne sais pas pourquoi, elle a ri.
Mais ma voisine de lit, là tout à côté de moi, n’a pas ri. Communication non établie. Je dois être vieux jeu, peut-être devrais-je lui envoyer un mail à Mon lit.fr !
Comme elle ne soufflait toujours pas la moindre parole, comme elle n’avait pas la respiration des mots, comme elle semblait inerte et sans voix, j’en conclus deux hypothèses : soit elle devait dormir profondément, et s’offrait dans mon lit une matinée gracieuse ; soit elle faisait la tête, sans mots. J’étais perplexe.
En vue d’un beau tête-à-tête, je voulus découvrir son visage, je soulevai donc un pan de la couette, avec ménagement – qui sait, des fois qu’un futur ménage se préparât. Mais n’étaient visibles que les draps. Quelle déconvenue ! La dame ne se montrait pas. Honteuse et courtoise, sans doute ne voulait-elle pas paraître. « Ce n’est pas une femme superficielle » me dis-je. « Elle n’est pas figurative. Et ce n’est pas une figurante » poursuivis-je. J’en fus, figurez-vous, profondément troublé. Enfin, quelqu’un qui privilégie l’être au paraître ! C’était émouvant.
Tout de même, il y avait ces formes de la couette rebondies, indubitablement humaines et féminines ! Rien de surprenant à tout cela. C’était tout simple : j’étais en présence d’une femme en forme qui ne donnait pas dans les apparences. Les situations paraissent d’un compliqué parfois, alors qu’elles sont si simples ! Il suffit de ne pas se formaliser, j’en suis formel. Ainsi vu, tout est, il faut me croire, formidable. J’ai failli commettre un lapsus, et dire fort minable. Non, il n’est pas révélateur. C’est une pensée profonde, une pensée élevée. C’est étrange comme on s’élève lorsqu’on approfondit. Quand on est au plus bas, on est au plus haut. Quand on est au sommet du plumard, au voisinage du pur être sans paraître, on est baba. Abasourdi. Ébahi.
Tout n’est-il pas paradoxal ?
Pour m’assurer de son être au-delà de son disparaître, je décidai, après lui avoir touché un mot, de lui toucher le corps. Oh, avec tact ! Délicatement. Pas de pelotage en règle ! Je voulais y mettre les formes pour atteindre la matière féminine. Je tendis une main un peu tremblante. J‘esquissai une caresse et… aucune impression tactile ! Il y eut un moment de flottement, assez long. Une impression vague. Mon lit était-il un vaisseau fantôme ? J’avais une femme sous la main, dans mon lit, et sous ma main, je ne sentais rien ! Mon lit était-il blanc ? J’étais livide ! Elle, impavide et intangible. Les choses paraissent compliquées, mais elles sont si simples parfois.
Mon lit, sans doute, s’était-il moulé dans un corps féminin. Par mémoire peut-être de temps anciens. Les lits ont de ces réminiscences !
Je me glissai dans l’empreinte femme et donnai ma chair à la forme qui jouxtait ma couche. Vrai, qu’il en tenait une bonne couche, mon lit ! Je m’étais mis dans la peau d’une Autre, autre quasi inconnue à la peau fine des souvenirs drapés de songes. Ah, j’étais dans de beaux draps ! Désormais, elle était la même, et moi j’étais l’autre. Ainsi, je m’étais retourné dans mon lit, et j’avais trouvé l’altérité. Je n’étais plus à même de quoi que ce soit. Je coulais au fond de mon lit, fondu, et me coulais dans l’altérité fluente d’une autre insaisissable. J’étais liquéfié. De plus en plus aqueux. Euh ! Aqueuse. Fluidifiée sur un lit dur, comme pierreux, tout rocailleux. Un ru pas en rut, mais qui se rue vers des nues, infinies nuées, sans nulle gravité. Bientôt un torrent qui court vers les descentes de lit.
J’étais elle, elle était moi, entre les deux rives de ma couche épaissie à la hauteur d’une Marie-céleste.
Elle était moi, j’étais en elle comme un affluent jeté dans le lit d’une rivière. Confondant !
Il faut me pardonner, je suis tout confus.
Tout en elle. Tout en eau. Suant la vie par tous les pores. J’étais seulement deux en un et un en deux. Les choses ne sont pas compliquées, mais si simples, comme de l’eau de roche transparente et glacée, limpide, cristalline, dans son cours léger à donner une leçon de clarté, diffuse et infuse.
J’avais mis la solitude à fond de cale et j’hissais eau, en duo, dans ma dualité nouvelle, avec elle, avec nous, et des voiles vers l’idéal.
Elle était en moi, ce n’était pas un lourd fardeau.
Je l’avais dans la peau, cette inconnue à l’intime du cœur, cette étrangère si familière.
J’étais alter, j’étais ego, et tout m’était égal.
Je ne me suis pas levé seul, ce matin. J’avais juste quelques mots de tête.

Louis

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Message  mentor Lun 28 Déc 2009 - 22:26

je sens que ce texte va plaire à Rebecca ! ;-)
sympa ces jeux de mots, leur nombre n'est même pas excessif car j'ai lu facilement jusqu'au bout
il faut dire que tu fais tout pour intriguer le lecteur
donc c'est réussi

juste une remarque : je crois qu'on doit écrire "elle restait coite" au féminin

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Message  Celeron02 Lun 28 Déc 2009 - 22:29

Bonsoir Louis... savoureux ce texte ; on dirait du Raymond Devos... une histoire de sylphide, aussi ; il y a un côté poétique, à la Verlaine "mon rêve familier" : "je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant"...
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Message  coeur_en_verre Mar 29 Déc 2009 - 13:44

c'est à la fois excitant et délicieux ce texte...
j'ai adoré le jeux des mots et les mots de votre tête !

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Message  Rebecca Mar 29 Déc 2009 - 14:34

Ben j'en reste coite (vu que de toutes les matières c'est la ouate que j'préfère)...A moins que je n'en reste quoi ? Coi ? What ?
Combien de watt dans un cerveau qui s'éclaire ?

Toi toi mon toi et moi moi émois
Rebecca a trouvé un copain de jeu, un copain de joie!

Dis donc c'est exprès , la blague de la concierge ?
C'est moi qui l'ai raconté la première ici-même sur VE, moi qui ne raconte jamais de blague, suis trop nulle.

Dans ma version, c'était une blonde qui disait à une autre blonde:
-'t'sais qu'à New York, un gars se fait renverser tous les 1/4 d'heure ?
- oooohhhh ! le poooooovre!!!!


Bien sur ce texte me plait. A lire et relire sans et avec modération.
Rebecca
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Message  Ba Mar 29 Déc 2009 - 18:01

Devos plus rapide me laisse au bord de ces " mots " et leur bonne tête !
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Message  Sahkti Mar 6 Juil 2010 - 7:27

Je suis généralement assez frileuse dès qu'il est question de mots, d'inspiration ou d'écriture dans un texte, pas seulement parce que c'est souvent trop narcissique pour moi mais aussi parce que ça sert trop souvent de prétexte à l'histoire sans qu'il y ait réellement autre chose.

Un écueil pas totalement évité ici, mais si dans l'ensemble, tu t'en sors plutôt bien. Ce qui relève bien le récit à mes yeux est cette vivacité que tu lui imprimes et ces petites digressions à gauche à droite qui atténuent l'impression (certes légère) de tourner en rond.
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