MST 2: Le banquier et la marchande d'allumettes

les contraintes (de Bluewitch) :

1) Genre : Conte réaliste
2) Thème général : confidences sur l'oreiller, passés inventés, quelque part dans une chambre d'hôtel
3) Nombre de personnages : 2 pour la situation de départ, bien sûr, maximum 4 pour les histoires qu'ils se racontent, caractéristiques libres
4)Ton privilégié : style personnel, pour ne pas changer, humour-émotion, libre
5) Emploi de la 3ème personne

texte original de mentor:

https://vosecrits.1fr1.net/viewtopic.forum?t=631

mentor et moi avons travaillé et corrigé ce texte en fonction des critiques que vous aviez émises et lui avons donné une suite.


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- Tu dors Fred ?
- … Oui
- Envie de toi.

Froissements de draps, mouvements divers sur matelas multi-soupirs, éclats de rire étouffés.

- Tu m’aimes ?
- …
- Tu veux pas répondre ?
- Je trouve pas les mots.
- Rassure-moi. T’es pas un de ces magiciens qui transforment l’amour en désespoir ?

Fred se libère de l’étreinte, fait voler le drap, saute sur le parquet, traverse la chambre, tire le rideau et ouvre la fenêtre au soleil.
Une scène, la blague d’un de ses collègues, hier, au restau, lui revient en mémoire :
La question commune à un assassin et un homme qui vient de faire l’amour ?… Comment se débarrasser du corps.
Les rires bruyants.

Et ce corps, là, ce corps divin, continue à parler…

- T’es fâché ? Oublie ce que je viens de dire. Elle sourit, court silence. Tu fais quoi dans la vie, Fred ?
- Je suis dans la finance. Il hésite. La banque quoi…

Il se sent un peu ridicule, comme tout homme nu qui doit tenir une conversation, les bras ballants, et pas que les bras qui ballent... Heureusement il se sait à contre-jour, la belle Sabine papillotant des cils pour s’habituer à la lumière.

- Banquier ? Un métier d’avenir ça… Et pourtant, j’ai bien l’impression que ça te fout la trouille l’avenir.
- Pourquoi tu dis ça ?
- Je sais pas. Ton attitude.
- Quelle attitude ? Je ne suis pas du matin, c’est tout… Et puis j’ai du mal avec l’avenir quand il n’a pas de passé.
- Tu m’as pourtant dit hier qu’on allait vivre ensemble.

Le guichetier à la caisse principale du Crédit Municipal de Villeneuve–Lès-Forges attrape sa chemise et traverse la pièce.

- Tu pars acheter des allumettes ?
- Je vais me doucher, c’est tout.

Bruits d’eau, sifflotements malhabiles, un peu forcés.
Pensées confuses.

« tu m’as pourtant dit qu’on allait vivre ensemble »

Jamais il n’avait dit ça. Jamais. Même ivre mort il n’aurait pas pu. Il essaye de se souvenir.
C’était hier.

Une histoire peu originale. Un conte de frai. Une rencontre banale avec une fille exceptionnelle de beauté et de sex-appeal.
Une soirée privée pour laquelle il avait reçu une invitation, sans bien savoir pourquoi, comment.
Il y était allé avec un ami de la banque.
Une de ces soirées où le champagne coule à flot ; où les femmes sont toutes belles et, toujours, l’une d’elle, plus belle que les autres ; où l’on se sent déplacé, gauche ; où l’on prend son air « j’en ai vu d’autres » qu’on a soigneusement cultivé à la fac ; air qui tombe à l’eau quand on demande au serveur de l’open bar :

« je vous dois combien ? »

Le serveur qui sourit.
Une jolie fille qui ricane.
Les joues en feu.
Mille pieds sous terre.

Et puis le miracle se produit. Roux, le miracle ; radieux, tout en formes et sourire, élégance et beauté.
La plus belle femme du monde.
Elle s’est approchée de Fred, lui a pris la main et a murmuré :

« Je ne crois pas vous connaître, mais vous semblez perdu et je m’ennuie »

Rien que ça.
Et le collègue, derrière, en même temps:

« Putain tu sais qui c’est ? C’est la fille Macchus ! »

Macchus, le roi de l’allumette, le plus gros client de la banque.
Fred avait vu défiler sa vie, comme quand on meurt. Il avait surtout pensé à sa femme, à ses enfants, partis quinze jours à Biarritz. Il avait regretté un instant de n’être pas parti avec elles. Il n’en serait pas là.
Mais elles étaient loin et cette femme était là.
Un rêve.
Et rêver c’est pas tromper.

Fred sort de la douche.
Doux contact de la serviette, carrelage froid, miroir cruel, grimace.

« tu m’as pourtant dit qu’on allait vivre ensemble »

Jamais il n’avait dit ça. Jamais.
Où alors…

Tout était allé très vite ensuite. Ils avaient peu parlé. Ils ne s’étaient presque rien dit. Leurs prénoms. Rien d’autre. Il n’avait pas dit qu’il la connaissait - son père au moins - elle n’avait pas parlé d’elle.
Doucement, il avait pris de l’assurance.
Ils avaient quitté la soirée pour un bar, puis l’hôtel.
L’hôtel.
Elle était entrée là comme chez elle. Pas de réception, pas de clefs, l’ascenseur, direct, le baiser, fougueux.
Et puis la chambre.
La chambre.
Une chambre déco seventies revue et corrigée par une ado seventeen. Un canapé couvert d’un plaid aux longs poils blancs, façon yack sans boue ; une épaisse moquette blanche ; des bibelots sur des meubles laqués ; des grenouilles, en verre, en bois, des grenouilles partout, une collection de grenouilles ; et des tableaux de chevaux, de ceux qu’on peut acheter dans le métro, chevaux fluos sur ciel noir tâché d’étoiles.
Il avait dit :

« Étrange comme chambre d’hôtel. »

Elle avait répondu :

« J’habite là, en fait. »

Il n’avait pu retenir un :

« Quand j’emménagerai, va falloir changer la déco. »

« tu m’as pourtant dit qu’on allait vivre ensemble »
C’est ça. Il l’avait dit.


***


Sabine s’étire en souriant à la vie. Elle a trouvé la victime parfaite.
.

C'est excellent Kill ! Belle prouesse de raccord, avec talent et intelligence.

Bon, j'arrête de t'en jeter. C'est bon:la cour est pleine.

J'aime bien la manière dont la première partie a été retravaillée, les dialogues gagnent en fluidité.
Concernant la suite, j'aime la construction en "flash back" sous la douche, la manière dont les souvenirs reviennent, j'aime aussi la déco de la chambre, les grenouilles et les posters qui posent d'emblée un univers "particulier".
Juste un bémol sur la phrase finale qui certes annonce la couleur mais qui sonne vraiment comme une dernière phrase d'épisode de mille mains classique. Ce sonne trop "phrase clé - chute - enigme - ouverture de piste". Je crois vraiment que le mystère introduit brutalement par cette fin de partie aurait pu s'installer différemment et plus efficacement par la suite.

Krystelle a écrit:
Juste un bémol sur la phrase finale qui certes annonce la couleur mais qui sonne vraiment comme une dernière phrase d'épisode de mille mains classique. Ce sonne trop "phrase clé - chute - enigme - ouverture de piste". Je crois vraiment que le mystère introduit brutalement par cette fin de partie aurait pu s'installer différemment et plus efficacement par la suite.

exactement!
mais en fait, c'était ma façon de donner mes pistes... le point de vue de la fille qui succède à celui du mec; et aussi le fait que je n'aie pas envie qu'elle soit une seulement une cruche amoureuse, qu'on lui donne une dimension autre.

Cette phrase doit disparaître dans la suite

Je trouve la suite du texte très réussi, ainsi que la ré-écriture du bon début de Mentor qui rend le tout homogène.

Le propos ne tombe pas dans le banal, il est relevé comme il faut d'éléments piquants.

Suis d'accord avec l'échange Krys / Kill sur la dernière phrase et l'idée d'alternance de points de vue fille / garçon.

Le retravail du premier texte le rend très différent de la version originale je trouve, l'esprit n'est plus le même, il a perdu son côté piquant et drôle (pas tout, mais pas mal), mais y a gagné en gravité. On se rapproche davantage du conte réaliste quelque peu désabusé. Donc ça modifie la donne pour aborder la suite, y a pas à dire. Est-ce que je regrette ces changements? Oui et non. Les corrections donnent un texte bien écrit, agréable à lire, mais je ne peux m'empêcher de penser qu'il lui manque un peu d'âme malgré tout.
J'aime le ton presque dramatique de la seconde partie, ni trop ni trop peu, juste comme il faut. Reste à voir si ce ton peut tenir la longueur. A terme.
Je n'apprécie pas la phrase de fin, qui "impose" une piste à suivre et va déjà trop loin.