Rêve mortel

Le recueil des petits textes noirs en comprend 24. (dont "le gardien du square" et "au fond du jardin", qui a été aussi corrigé suivant les comm reçus ici)

Il m'en reste deux, que j'ai essayé de fignoler dernièrement. Sauf que je ne sais pas si les garder. Je les aime bien, de cette tendresse qu'on peut avoir pour "ses" petits. Mais bon... Ils sont vraiment courts et ... je sais pas...

Pour "rêve mortel", j'ai deux versions. Et je ne sais plus, à force d'y penser laquelle est "mieux". En plus, le titre "rêve mortel" me paraît trop... heu... évident ?

Alors voilà une version :

Les yeux ouverts sur la nuit, allongé sur le dos, l’homme attend et écoute.

Il attend que cessent les frémissements d'un corps qui sombre dans la sereine immobilité du sommeil. Il écoute la respiration de la femme qui s'endort paisiblement auprès de lui.

Les bras fermement maintenus le long de ses flancs, il retient son souffle à chaque gargouillis qu’émet la dormeuse. De petits ronflements, comme râles larvés. Une plainte qui semble s'étirer au ralenti de la vie vers la mort.

Un éclat lumineux ricoche au miroir voilé d'obscurité de l’armoire. L'homme serre instinctivement le poing au-dessus du drap tiré. Il affirme sa prise sur le manche d'un grand coutelas, se rassure aux rudes aspérités de la corne sculptée qui s'impriment dans la moiteur de sa paume. La lame longuement aiguisée flotte dans l'ombre. Une image qui s’insinue dans sa conscience, qui s’impose à lui.

Il fixe un horizon haut et nu. Son regard court. Sur un chemin qui serpente dans un désert de sable, au-devant d'un convoi qui déroule un rituel funèbre vers un champ de croix plantées, sur une fosse béante dont le fond gargouille de boues souterraines, d'où remontent des vapeurs aux relents de décomposition.

Sous une suée froide et poisseuse, l’homme frissonne, la main crispée, douloureuse.

Il guette.

Il entend un bruit. Un bruit étrange, une vibration profonde. Un son qui résonne en lui, longuement. Un glas. Très lent, sourd, lointain. De plus en plus sourd. De plus en plus lointain. Doigts serrés, son bras se lève et tremble et se fige, tendu.

Au matin, la femme s'éveilla très tôt.

Et hurla, à la lame suspendue au-dessus d'elle et aux yeux ouverts de l'homme qui gisait tout roide, à son côté.


et en voilà une autre :

Les yeux ouverts sur la nuit, allongé sur le dos, l’homme attend et écoute.
Il attend que cessent les frémissements d'un corps qui sombre dans la sereine immobilité du sommeil. Il écoute la respiration de la femme qui s'endort paisiblement auprès de lui.

Les bras fermement maintenus le long de ses flancs, il retient son souffle à chaque gargouillis qu’émet la dormeuse. De petits ronflements, comme râles larvés. Une plainte qui semble s'étirer au ralenti de la vie vers la mort.

Il fixe un horizon haut et nu. Son regard court. Sur un chemin qui serpente dans un désert de sable, au-devant d'un convoi qui déroule un rituel funèbre vers un champ de croix plantées, sur une fosse béante dont le fond gargouille de boues souterraines, d'où remontent des vapeurs aux relents de décomposition. Et une lueur.

Un éclat lumineux qui ricoche au miroir de l’armoire. L'homme serre instinctivement le poing au-dessus du drap tiré. Il affirme sa prise, se rassure aux rudes aspérités qui s'impriment dans la moiteur de sa paume. Un fil aiguisé flotte dans l'ombre. Une image qui s’insinue dans sa conscience, qui s’impose à lui.

Sous une suée froide et poisseuse, l’homme frissonne, la main crispée, douloureuse.

Il guette.

Il entend un bruit. Un bruit étrange, une vibration profonde. Un son qui résonne en lui, longuement. Un glas. Très lent, sourd, lointain. De plus en plus sourd. De plus en plus lointain. Doigts serrés, son bras se lève et tremble et se fige, tendu.

Au matin, la femme s'éveilla très tôt.

Et hurla, au poing fermé, suspendu au-dessus d'elle et aux yeux ouverts de l'homme tout roide, à son côté.



L'approche n'est pas du tout la même. Alors... le premier qui me dit de tirer à pile ou face, je le boude.

Je crois que je préfère la deuxième version, la première me paraît plus alambiquée, je trouve qu'elle va moins directement au cœur du sujet.
Cela dit, dans les deux versions, la fréquence importante des relatives introduites par "qui" m'a gênée, j'ai trouvé la structure des phrases répétitives.

Mes remarques :
« Il attend que cessent les frémissements d'un corps qui sombre dans la sereine immobilité du sommeil » : je trouve la phrase lourde
« Un éclat lumineux ricoche au miroir voilé d'obscurité » : je trouve ce « au miroir » curieux
« Et hurla, à la lame suspendue au-dessus d'elle et aux yeux ouverts de l'homme » : idem, je trouve l’expression « hurler à » curieuse ici, même si on dit bien « hurler à la lune »

tu n'es pas drôle, Reginelle... j'ai lu les 2 et j'ai cru lire les 2 mêmes textes
difficile de distinguer l'un de l'autre sans les mettre sur papier et l'un à côté de l'autre !
mais c'est moi :-)))
donc ton "pile je gagne face tu perds" me va bien ;-)
que ce soit l'un ou l'autre, c'est assez glaçant. On dirait du Poe (compliment)

Je préfère les poings, qui amènent une intimité dans le drame. D'autre part, il n'est pas exclu par la suite qu'il se munisse d'un poignard. Imagine par exemple la scène démente ou un type n'arrive pas à ce décider quelle arme il va employer.

Je crois que je ne vais pas beaucoup t'aider...

Disons que je préfère la 2ème version.
Mais si je n'avais pas lu la 1ère avant, je crois que je n'aurais pas compris la scène...

Donc pour moi, la 1 est plus claire, mais je préfère la 2...

C'est possible ça qu'on puisse mourir avec le bras en l'air ?
J'ai du relire plusieurs fois pour essayer de comprendre l'intention du texte.

J'essayais d'imaginer la scène et n'arrivais pas à comprendre pourquoi la femme se réveillait avec une lame au dessus d'elle. J'ai bien compris que l'homme était mort mais je me demandais au sujet de la lame si elle s'était coincée dans quelque chose pendant la tentative de meurtre et comment, si l'homme avait monté une sorte de piège qui s'abattrait si elle bougeait.... , puis j'ai fini par comprendre que l'homme est mort le bras en l'air en tentant d'assassiner la femme... ce qui me laisse perplexe
toutes ces questions m'ont fait sortir de l'ambiance de l'histoire...


Le deuxième est incompréhensible à mes yeux. Si on n'a pas lu le premier on ne peut que se demander : mais pourquoi est il mort le bras en l'air, le poing en l'air ? On ne sait pas qu'il veut la tuer. En plus du fait que j' ai recommencé à me demander aussi si c'est possible et à imaginer un lit avec une potence ou le poing serait venu s'abattre et se coincer pendant que l'homme en train de mourir s'abattrait sur le lit....oui parce que je ne le vois pas donner un coup de poing en restant couché....il a du se mettre à genoux dans le lit au dessus d'elle sinon un coup de poing n'a aucune force donc il s'est abattu sur le lit mort et son poing serait resté en l'air !!!
Non je n'arrive pas à visualiser ça ou alors c'est une vision comique et je ne pense pas que ça soit le sujet.
Mais sans doute suis je trop cartésienne ou trop ignorante. Vais me renseigner.Ou alors c'est volontairement absurde et décalé. Mais je n'ai su le comprendre à la lecture même. Désolée donc.

En tout cas si tu veux qu'on comprenne qu'ils'agit d'un meurtre, ou d'une agression contre la femme , il faut maintenir la version 1, à mon avis. Avec le poignard , ya pas de doute...

Les commentaires ci-dessus me rassurent, j'ai cru un moment être la seule à ne pas comprendre cette histoire de bras tendu au-dessus de la femme, je veux dire à ne pas comprendre comment il tenait tout seul ce bras (chez moi, on dit "sky hooks" des crochets de ciel... c'est joli comme image).
Bref, détail à éclaircir. Mais je préfère la première version, le poignard est plus crédible par la violence qu'il implique et colle de tout de façon mieux à mes yeux au passage du désert de sable. De plus, j'imagine qu'en se réveillant la femme comprend tout de suite de quoi il retourne, à savoir qu'elle a été la victime potentielle d'un meurtre, alors que le poing me semble plus sujet à interrogation/interprétation (ce qui ne l'empêcherait bien sûr pas d'être saisie en ouvrant les yeux, je le concède).

PS : j'aime bien cette série de petits textes.

je n'y crois pas une seconde, c'est comme le bonhomme transpercé par l'ombre des piques, mais je manque totalement d'imagination.

Un homme veut donner la mort sans être vu, dans la nuit, quand sa victime est endormie, sans défenses, assez lâchement.
Les motifs de l’acte ne sont pas précisés, nous ne sommes pas dans la psychologie. Juste un acte, juste un événement.
Le meurtrier est arrêté dans son geste, par cela même qu’il veut donner : la mort.
La scène est peu vraisemblable, comme le fait remarquer Rebecca. Mais il s’agit, dans une image (celle d'un cauchemar, d'un fantasme) de figer un geste.
Aux yeux de la victime épargnée, et aux yeux de tous, l’homme est figé à jamais dans son geste agressif. Arrêt de son acte, arrêt sur image. L’homme est condamné pour toujours à n’être plus que cette main qui tient un poignard ou ce poing levé. La mort suspend le geste, et se tient là, dans une permanence d’épouvante. Elle ramène la vie de l’homme à un passé qui ne passera plus, la condense dans ce seul geste, pour toujours inachevé, qui l’emprisonne désormais dans une nature immuable de meurtrier.
Du point de vue du personnage féminin, cette main armée prête à s’abattre sur elle, c’est la permanence d’une menace, une mort en sursis, une épée de Damoclès qui va frapper, c’est un enfermement dans la position de victime.
Le texte fige le geste et les personnages dans une éternité. Rien avant, rien après.
Je ne vois pas de différence essentielle entre les deux versions du texte proposé. Je n’ai pas d’avis fondé sur celle qui serait la meilleure. Une légère préférence peut-être pour la première. Désolé, Reginelle, de ne pas vraiment t’aider dans ton choix.

Bonsoir,

J'ai été très pris par la double description très originale de ce drame dans les draps conjugaux !
L'écriture est souple et fluide. Je préfère la seconde version, plus aboutie me semble-t-il, et qui ménage le suspens et le mystère jusqu'à l'incompréhension, si on n'a pas saisi que le ricochet de lumière sur la glace de l'armoire est provoqué par une lame, et que le fil aiguisé qui flotte dans l'air est un poignard ...
Malheureusement l'installation de la raideur cadavérique qui n'est pas instantanée ne permettrait pas à ce bras armé de rester tendu au-dessus de l'épouse ...

Caresses et Bise à l'Oeil,
Midnightrambler

Merci à vous tous.

Je préfère aussi la première version. En fait, le couteau, c'était bien l'idée originale.

Pour ce qui est de la rigidité cadavérique, bien sûr que dans la réalité, le bras ne pourrait pas se figer aussi vite dans son geste meurtrier.
Mais dans ces petits textes noirs, comme pour les monstres qui se cachent dans les herbes hautes du jardin, l'ombre des barreaux, ou encore (pour d'autres textes jamais mis en ligne) le lierre qui devient carnivore la nuit, l'eau qui monte d'un sous-sol noyer les occupants d'une maison ou encore le chien qui voit la mort de ceux qui le caressent, l'irrationnel prend le pas sur la logique. Ici, c'est la mort, cette mort convoquée par le désir de se débarasser de sa femme, qui arrête l'homme, le figeant dans toute l'horreur du geste qu'il projetait. C'est la mort qui a choisi sa victime.

faut que je réfléchisse.

Je vais reprendre un peu tout ça. Mais il reste le titre. Si couteau il y a bien, si l'homme est éveillé, "rêve" ne tient plus la route.

Et encore merci pour vos avis...

Pour une cohérence de l'idée d'assassinat, qui est tout de même l'intention du texte, et qui horrifie par tout ce qu'elle sous-entend - assassiner son épouse dans son sommeil, et d'une manière aussi atroce ? - le premier texte fonctionne bien, et l'invraisemblance de la situation ne me semble pas plus gêner que chez Poe l'emmurée vive de la Maison Usher.
En peu de mots, un climat lourd et malsain est installé, et cela me semble remarquable.

Oui l'idée est bonne mais il y a un petit quelque chose qui fait qu'on a du mal à passer du rationnel au fantastique. c'est de ce côté là qu'il faudrait améliorer, je pense.
Ce geste interrompu par la mort, me fait penser à Pompéï et à l'homme figé alors que s'enfuyant des pièces d'or plein les mains.
Récemment, dans un reportage sur Haïti, on montrait un hôtel qui s'était écroulé et on ne voyait que deux paires de jambes qui dépassaient d'un bloc de béton, dans une position qui laissait à supposer qu'ils faisaient l'amour au moment où tout s'était écroulé. Et ils restaient comme ça, aux yeux de passants.