Exo live mardi 21 décembre 2010 à 20h30

Acouphène à coups tôt tirés

Ce matin, Le Soir titrait en première page :


Quitte à choisir, j'arracherai bien les oreilles de ma voisine Sabrina pour les lui greffer sous ses pieds. Elle appartient au clan des inutilisées sur Terre qui écoute une musique de barbare vraiment trop fort et ça ça le don de m'exaspérer ! Elle me barbe d'une force ! C'est pas qu'elle soit moche, non. Elle a tout pour plaire aux étudiants qui la regardent. Je fais partie de ceux-là, parfois. Elle, la miss, ne daigne pas lever les yeux lorsque je passe près d'elle sur le banc de l'académie des Beaux-Arts. Pinbêche ! Pisse-drue ! Broute menue ! Je m'emporte. Futilité ! C'est fort comme insulte Futilité, non ? Je m'emporte, pour rien, pour presque rien, un soupçon de soleil qu'aurait jamais voulu éclaircir les ombres qui me précédaient.

Durant les cours de sculpture nous étions placés l'un derrière l'autre. Dans son dos, je fixais les cheveux de Sabrina, attendant le moindre souffle lent, pour les sentir glisser sur sa nuque en soie blanche. La même délicatesse connue lors de cette histoire ancienne qui remontait, la même esthétique pour laquelle je plongeais, une identique finesse de grain dans laquelle je ne voulais pas mordre, dans laquelle je replongeais inexorablement. Est-il possible d'effacer définitivement trois années d'amour fou, si l'on vient te rappeler sans cesse comment c'était mieux avant ?

Ce fut la silhouette de Sabrina qui me titilla en premier. Je le sais ; je le sais, c'est trop bête de tout savoir et de ne pas pouvoir éviter l'inévitable.
Une manière radicale de couper les ponts. Tout l'attirail des bonnes résolutions fut nécessaire pour effacer jusqu'à son prénom. Non je ne me souviens plus très bien des gestes précis de ce corps gonflé d'amour agissant en véritable rupture de contrat d'avec l'éducation pudibonde des bonnes familles de son monde.
Oublié, jusqu'à ce que ma voisine aménage non seulement sur le même palier, mais en plus juste derrière la cloison de ma chambre, celle contre laquelle bute mon lit, et sûrement le sien vu le peu d'espace dont nous disposions dans nos "cellules à matières grises en formation".
Je refusais la réouverture d'une cicatrice.
Je refusais tout d'un bloc.
La personne responsable de ce chaos devait assumer mon mal être.

Sabrina n'aurait pas dû écouter la musique si fort. Si seulement elle avait eu le compas dans l'oeil, elle aurait vite compris à quelle distance raisonnable se tenir éloignée de mon couteau de boucher. Mais la musique avait déjà détruit les cellules ciliées auxquelles je m'adressais pour la prévenir du mal qu'elle provoquait chez moi et de celui qu'elle allait ressentir. Je l'ai toréé de si près qu'elle du lutter tellement j'avais soif de contact plus intime. La première oreille tranchée confirma ma piètre performance dans le domaine de l'affutage de couteau. Impossible de venir à bout de la seconde oreille si ce n'est en arrachant avec les dents la peau récalcitrante.
Après les cris, les hurlements, les plaintes et enfin le silence.

Cette nuit, Le Soir périra lécher jusqu'à la dernière ligne par les flammes de la cheminée.

Alex : J'ai déjà commenté ce texte sur ton facebook, mais à côté de ça je le redis, ta poésie est une des seules que je prends vraiment plaisir à lire. Le rythme me plaît, les images aussi... et je trouve chacun de tes poèmes meilleur que le précédent. Du tout bon !

Coline Dé : J'ai beaucoup aimé. Tout est amené progressivement, j'aime le contexte, l'histoire, la chute... vraiment une réussite pour moi ! J'ai aussi noté le « Ce n’est pas rien de recoudre celle qu’on voudrait déshabiller. », qui m'a beaucoup plu !

Elea : J'ai eu du mal à comprendre à quoi le texte allait mener, et les « hein » récurrents étaient un peu lourds à mon sens. Mais j'aime beaucoup la fin et le « laisse tes mains sur mes hanches », et à la seconde lecture, j'ai vraiment apprécié.

Easter(Island) : J'ai trouvé ce conte vraiment très joli. Par contre le début ne m'a pas inspirée avec le « Il était une fois dans un pays lointain un petit bonhomme qui avait un tic. Ou plutôt un toc. ». J'ai tendance à préférer qu'on dise la bonne chose une fois pour toute, et à renier les « plutôt ». Mais c'est tout à fait personnel bien sûr !

Kilis : Bien que cette histoire soit très correctement écrite, avec une belle langue etc.., je n'ai pas vraiment réussi à être un tant soit peu transportée... c'est ce qui manque selon moi : une jolie forme, mais le fond est un peu vain...

Lyra Will : J'ai adoré ! Je ne sais pas trop quoi dire de plus, mais ce texte est l'un de mes préférés de l'exercice ! La dernière phrase me fascine.

Abstract : Beaucoup d'idées que je trouve extrêmement intéressantes... mais j'aurais voulu que ça continue un peu, j'ai trouvé que ça se finissait trop abruptement. La forme est très plaisante.

Chako : Ca partait vraiment bien et puis... j'ai dû perdre le fil, même à la relecture au bout d'un moment je décroche, et je ne comprends plus la fin.

Bertand-môgendre : Ca m'a énormément plu ! Rien à redire. Chako noir a cité « Eternal sunshine of the spotless mind » pour le récit d'abstract, moi c'est plutôt ce texte là qui m'y ferait penser. Très plaisant.

Chako : il y a de la mélancolie et beaucoup de tendresse dans cette veillée en famille au coin du feu, quelque chose de doux et de plaisant. Je retiens cette impression et aussi celle d’un texte un peu mystérieux dont je n’ai pas dû saisir toutes les clés d’entrée.

Bertrand-môgendre : très jolie insulte "futilité", à l’image de ce joli texte, la folie qui s’empare d’un être pour des broutilles, des accumulations, des ressemblances. On commence en musique barbare pour finir par une scène barbare. Implacable.

Bertrand-môgendre : j'ai beaucoup aimé ce petit conte cruel, bien amené. Ca valait le coup d'attendre ton texte. De jolie trouvailles dans les insultes, faudra que je les réutilise de temps à autre.