Amours d'enfants (dialogue)

- Que caches-tu dans ta main ?
- Rien.
- Allez, dis-le moi!
- Rien, je te dis!
- C’est un cadeau ?
- Un cadeau...
- Pour moi ?
- Non.
- C’est une bague ?
- Quoi?
- Pour me marier ?
- Ne commence pas à...
- C’est quoi alors si c’est pas une bague ?
- Si je te le dis, est-ce que tu...
- Oui? Oui?
- Ah! Et puis, non!
- Dis-le moi! Je t’en supplie!
- Non.
- Avoue que c’est une bague de fiançailles!
- Je t’ai déjà dit que ce n’était pas une bague!
- Je ne te crois pas!
- Amélie Vachon, je n’ai pas envie qu’on se marie!
- Tu m’aimes pas ?
- Le mariage, c’est pour les grandes personnes.
- Qui a dit ça ?
- C’est moi qui le dis.
- Et quand nous serons grands comme eux, voudras-tu me marier ?
- Ne commence pas encore!
- Quoi ?
- Quand nous serons grands, nous ne nous aimerons plus.
- Pourquoi dis-tu ça ?
- Parce que l’amour, ça ne dure pas.
- Qui a dit ça ?
- Tout le monde.
- Qui ça, « tout le monde » ?
- Moi.
- Tu n’es pas tout le monde.
- C’est moi que tu veux marier ou non ?
- Oui!
- Alors je suis tout le monde et nous te disons non!
- Si tu ne me montres pas ce que tu caches dans ta main, je te quitte!
- Et tu ne m’aimeras plus ?
- Si.
- Menteuse.
- Je t’aimerai toujours! Même si je te quitte!
- Tu es drôle.
- Peut-être, mais c’est ça l’amour, non ?
- L’amour, c’est se quitter juste quand il faut.
- Tu dis n’importe quoi!
- Et l’amour, c’est aussi laisser à l’autre le droit de ne pas tout dire.
- Ce que tu as dans ta main...
- Oui ?
- Tu ne veux pas me dire ce que c’est ?
- Non.
- C’est un secret ?
- Non.
- Je ne comprends pas. Tu ne veux pas me dire ce que tu caches dans ta main, mais ce n’est pas un secret ?
- T’as tout compris.
- Ça ne fait pas de sens, ça!
- Mais, si!
- Un secret, c’est quelque chose qu’on ne peut pas dire tandis qu’ici, c’est quelque chose que je ne veux pas dire.
- Explique-moi pourquoi.
- Pourquoi quoi ?
- Pourquoi tu ne veux pas me le dire.
- T’as pas le droit de me demander ça!
- C’est quoi ça cette relation de merde ?
- Ce que tu parles mal, dis donc!
- C’est ma mère qui a dit ça à mon père quand elle l’a quitté.
- Eh bien! Elle avait tort ta mère! Et puis toi aussi, d’ailleurs!
- Dis pas de mal sur ma mère!
- Elles sont toutes pareilles! Elles ne veulent jamais laisser leur homme tranquille.
- T’aimerais que je te laisse tranquille ?
- J’ai pas dit ça.
- T’aimerais que je parte pour que tu puisses rester seul avec ta roche ?
- Quoi ? Comment as-tu deviné que c’était une roche ?
- Je t’ai vu la ramasser
- Impossible! Ça fait une heure de ça! Tu viens à peine d’arriver!
- Non.
- Non ?
- Non.
- T’étais où alors ?
- Derrière le chêne, là-bas.
- Qu’est-ce que tu faisais là ?
- Je t’observais.
- Depuis quand ?
- Depuis que tu es arrivé. Je t’ai suivi jusqu’ici dès que tu es sorti de chez toi.
- Comment savais-tu que j’allais sortir ?
- Je ne le savais pas.
- Pourquoi étais-tu là dans ce cas ?
- J’attendais.
- T’attendais quoi ?
- J’espérais que tu sortes avant le souper.
- Et si je n’étais pas sorti, serais-tu resté là à m’attendre inutilement ?
- Oui. Mais en voyant que je ne rentre pas à la maison, l’ami de ma mère serait venu me chercher. Il m’aurait obligé à rentrer.
- Tu l’aurais suivi ?
- J’aurais pleuré et j’aurais crié de toute mes forces. Et pendant ce temps, j’aurais gardé un oeil sur ta maison.
- Tu m’aimes gros comme ça ?
- Oui.
- Eh bien, moi aussi je t’aime, je pense, de la même façon que toi tu m’aimes.
- Elle est laide ta roche.
- Quoi ?
- Il y a des sillons partout. On dirait des rides de mémés.
- Tu n’aimes pas les mémés ?
- La mienne, elle sent mauvais. Je crois qu’elle fait pipi dans ses sous-vêtements.
- Toutes les mémés font ça.
- Moi, si je me faisais pipi dessus, on me punirait.
- Bah! C’est déjà une assez grosse punition d’être une mémé. Pas besoin de leur lancer des roches en plus!

Le garçon lance sa roche dans l’eau.

- Elle est trop ronde pour faire des bonds.
- Je faisais juste la lancer. Je ne voulais pas la faire rebondir.
- Je te l’ai dit tantôt, elle est laide ta roche! Et puis en plus maintenant on sait qu’elle ne sert à rien.
- Peut-être que son avenir est dans les fonds marins.
- Peut-être que le mien aussi.
- Ne dis pas ça!
- S’il n’est pas dans les fonds marins, je ne vois pas où il pourrait être. L’ami de ma mère dis que je suis une bonne à rien. Qu’est-ce que ça peut bien faire quand c’est grand, une bonne à rien ?
- Pourquoi dit-il ça ?
- Je ne sais pas.
- Il est peut-être un bon à rien lui aussi.
- Il boit beaucoup.
- Il boit quoi ?
- De la bière, voyons! Quoi d’autre ?
- Moi j’aime mieux le jus d’orange.
- Moi aussi.
- On est pareil.
- On pense pareil.
- On s’aime pareil.
- Viens-tu te baigner ?
- L’eau est sale.
- Baignons-nous tout nus!
- Quoi?
- Dis oui!
- Il fait trop froid.
- As-tu quelque chose à cacher ?
- Pourquoi dis-tu ça ?
- Est-ce que c’est quelque chose que tu veux pas me montrer comme tantôt ?
- Euh... Excuse-moi, mais je crois que j’ai entendu ma mère m’appeler. Ça doit être l’heure du souper.
- Il n’est même pas quatre heures.
- On soupe tôt.
- Quand est-ce que je vais te revoir ?
- Demain, je suppose.
- À quelle heure ?
- Je ne sais pas. T’as juste à m’attendre devant chez moi. Je vais bien sortir un jour.

FIN

Oops! J'ai oublié de mentionner que c'était un garçon et une fille et que ça se passait au bord d'une rivière. C'était dans la version originale, mais en copiant-collant, j'ai oublié une didascalie. Désolé!

c'est mimi tout plein. Par contre parfois je devais revenir en arrière car je me paumais. Mais c'est plein de délicatesse et de tendresse. J'aime beaucoup voilà !

C'est vrai que c'est très mignon. Je ne m'en suis pas lassé. Plusieurs pages comme ça ne m'auraient pas gêné du tout!
J'ai juste un peu de mal à situer l'âge des enfants. Au début je me suis fait une idée, puis quelques réflexions fortes m'ont fait changer d'avis, puis je suis revenu à ma première impression.
Par exemple:

- L’amour, c’est se quitter juste quand il faut.
- Tu dis n’importe quoi!
- Et l’amour, c’est aussi laisser à l’autre le droit de ne pas tout dire.

Difficile de mettre ces mots dans la bouche d'un gamin de 8 ou 10 ans par exemple.
Ou encore:

- Parce que l’amour, ça ne dure pas.
- Qui a dit ça ?
- Tout le monde.
- Qui ça, « tout le monde » ?
- Moi.
- Tu n’es pas tout le monde.
- C’est moi que tu veux marier ou non ?
- Oui!
- Alors je suis tout le monde et nous te disons non!

Autrement j'ai beaucoup aimé. Bravo.

Un dialogue comme je les aime entre mômes, empli de tendresse et de férocité. Tu rends bien ce langage, je trouve. C'est vrai que quelques réflexions peuvent surprendre, on les penserait plutôt issues de la bouche d'un adulte mais les enfants grandissent au milieu de tous grands, regardent la télé, écoutent les conversations (je n'ai qu'à prendre exemple sur mon marsu qui espionne tout!) et donc ils sont tout à fait capables, à 8-10 ans, de sortir ce genre de choses.
Un joli texte Jonjon, avec beaucoup d'humanité.

Il est vrai que certaines expressions font adultes mais je les verais bien dans la bouche d'un enfant de 8 ans. Ils reprennent beaucoup les expressions des adultes je m'en rend compte avec mes propres enfants et parfois ils me sortent des trucs qui me bloque net tant la répartie est grande.

Pour exemple, il y a quelques temps pour les 7 ans à ma fille ont réfléchissais aux invités. Son petit frère lui dit : "on invite Stéphane c'est ton chéri" et là elle lui répond "Non c'est plus mon chéri, Je ne l'aime plus. ça n'allait plus, je l'ai quitté !" (sachant qu'elle dit "z" pour les "j" c'était assez comique) !!! voilà juste une anecdote qui fais sourire !

evaetjean a écrit:je m'en rend compte avec mes propres enfants et parfois ils me sortent des trucs qui me bloque net tant la répartie est grande.

Tout pareil!

Beaucoup aimé Jonjon, c'est vif et plein de sagesse même si parfois j'ai eu du mal à m'imaginer aussi que tous les propos puissent être ceux d'enfants...mais j'en ai pas, alors l'avis des mamans m'a persuadée.

On m'a en effet fait le commentaire à propos de l'âge des enfants... j'ai donc ajouté une petite ligne glissée après l'un de ces phrases songées, où je dis simplement que le garçon a entendu ça à la télé.

Merci beaucoup pour les commentaires

C'est écrit avec beaucoup de tendresse et ça donne quelque chose de frais et agréable à lire. Quelques réfléxions sont posées simplement et en douceur parce que nées de la bouche d'enfants.
J'ai un peu moins aimé le passage à partir de " C’est quoi ça cette relation de merde ?" lorsqu'il est question des grands (parents, ami de la mère...). Quand la conversation ne tournait qu'autour des deux enfants le dialogue revétait une dimension beaucoup plus intime je trouve.

Et voilà! T'as tout compris Krystelle! Voici le monde des adultes qui interfère avec celui des enfants! tout à fait!

C'est mignon/touchant et plutôt "réaliste": on sent le caractère infantin, mais aussi qu'il y a qque chose d'autre que la simple innocence. En ce sens, la suggestion est bien vue...
C'est donc un beau dialogue; peut-être pourrais-tu pousser plus à fond le travail du dialogue (vu que tout ton texte repose formellement dessus) en accentuant bcp plus la dimension orale.

C'est mimi et ça rappelle des souvenirs... Un discours mêlé d'innocence et de questions par rapport au monde des adultes, par toujours compréhensible lorsqu'on est enfant. Le point de vue des enfants sur le mariage est touchant. L'enfance, à travers ce dialogue, est très bien rendue, bravo.

Je l'avais déjà lu quand tu l'avais posté et je me souviens avoir beaucoup aimé.
Là je relis, et j'aime encore, beaucoup.
Je trouve que c'est à la fois plein d'humour et de tendresse, et puis comme une pointe de tristesse de temps en temps, des réflexions qui commencent à naitre chez les enfants, des réparties qui se font plus subtiles, et c'est trés attendrissant. Ça me plait vraiment beaucoup, j'en aurais lu des lignes et des lignes. Je trouve en plus que tu as rendu le dialogue trés crédible, vraiment adorable.