Vos écrits
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le Deal du moment :
Cartes Pokémon : la prochaine extension ...
Voir le deal

Les mains d'un homme sur mon corps…

+13
Marchevêque
Janis
Rebecca
Calvin
Lizzie
Mirelie
bertrand-môgendre
Jano
elea
hi wen
Anne Veillac
Vigdys Swamp
midnightrambler
17 participants

Page 1 sur 2 1, 2  Suivant

Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  midnightrambler Ven 14 Jan 2011 - 1:10

Les mains d'un homme sur mon corps ... mains d'un homme sur mon corps les ... d'un homme sur mon corps les mains ...

         Au bout des vagues courtes et rageuses et de l'écume éblouissante, le roulement incessant des galets ne parvient pas à couvrir la voix qui répète inlassablement ces mots dans ma tête.
         Je les ai entendus pour la première fois au cinéma il y a plus d'un an déjà. L'un des personnages féminins d'un film dont je n'ai pas cherché à retenir le titre, une femme légère dans une robe courte encore plus légère, minaudait dans une des premières scènes, se dandinait et susurrait ces mots en se massant les seins et les cuisses, ironique et moqueuse, devant son ami du moment à qui elle se refusait, sûre de son pouvoir. Bruno, mon mari depuis plusieurs années, mon amour de toujours, était ce soir-là assis à côté de moi au fond de la salle. Il avait enfin obtenu une longue permission de deux semaines et avait pu revenir pour la première fois de la frontière avec l'Allemagne où il était en poste depuis plus de quatre mois et où il ne se passait rien.
         A Paris comme là-bas, c'était l'hiver, quelques jours avant Noël. Il faisait froid, très froid, sans neige.

         Paul, notre fils de cinq ans, était chez mes parents à Nantes où je l'avais conduit en train dès la déclaration de la guerre pour mettre quelques centaines de kilomètres de plus entre lui et les lieux habituels de la confrontation militaire que tout le monde croyait imminente. C'était la première fois qu"il voyageait en chemin de fer. Tout l'avait intéressé, intrigué et même émerveillé. La machine à vapeur, surtout, qui avait pris la relève de la locomotive électrique après Le Mans, puis les rails si longs qui luisaient au soleil et se rejoignaient au loin comme le ciel et la mer à l'horizon. Le compartiment non-fumeur enfin, véritable cocon pour un huis clos à huit, dans lequel nous avons passé les six heures du trajet en compagnie de trois autres voyageurs seulement : une jeune étudiante plongée dans ses livres de médecine, une belle aixoise d'origine italienne et un homme d'une quarantaine d'années, moustachu, qui n'avait pas cessé de nous épier tour à tour derrière son journal. Paul avait appris ce jour-là les quatre façons que la toute nouvelle Société Nationale des Chemins de Fer avait d'interdire l'usage du tabac : Nicht Rauchen - No Smoking - Non Fumeur - Vietato Fumare. La jolie provençale en face de lui l'avait bien aidé à prononcer les mots italiens dont la musique est très éloignée de celle des mots anglais et allemands qu'il connaissait déjà un peu.
         E Pericoloso sporgersi ... La voix douce et profonde avait gommé toute trace du danger que recelait cet autre avertissement.

         Nos corps s'étaient cherchés et reconnus au milieu du désordre de notre vaste appartement parisien surchauffé de la rue du Directoire. Nous nous étions poursuivis et devinés dans l'obscurité des couloirs et des pièces aux fenêtres et aux volets clos. Nous nous étions battus et étreints dans l'odeur de sexe et les relents de restes de nourritures sommaires abandonnés çà et là.
         Bruno avait soudain dégagé son bras de ma nuque et attrapé le journal froissé qui traînait sous la table de la salle à manger. Mes épaules avaient roulé sur l'épais tapis d'Orient et nos ventres tendus s'étaient frôlés.
         - Si nous allions voir ce film, là ... sur le journal ? Nous irions ensuite dîner à la Baie d'Along, ... comme d'habitude ...

         Ma main fermement sur sa cuisse et surtout mes ongles crispés sur sa peau à travers le lourd tissu du pantalon de son uniforme l'avaient peut-être empêché de pouffer ou de s'esclaffer devant cette scène très audacieuse mais aussi très vulgaire : ... homme sur mon corps les mains d'un ... sur mon corps les mains d'un homme ... mon corps les mains d'un homme sur ...

NOTE :  Il est 19 h 12. C'est tout ce que vous avez eu le temps de lire avant que le Libraire ne vienne ostensiblement tourner
           autour de vous en agitant ses clefs.  


Midnightrambler
midnightrambler
midnightrambler

Nombre de messages : 2606
Age : 71
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  Vigdys Swamp Ven 14 Jan 2011 - 1:53

midnightrambler a écrit:[center]

. Il avait enfin obtenu une longue permission de deux semaines et avait pu revenir pour la première fois de la frontière avec l'Allemagne où il était en poste depuis plus de quatre mois et où il ne se passait rien.

A Paris comme là-bas, c'était l'hiver, quelques jours avant Noël. Il faisait froid, très froid, sans neige.

C'était la première fois qu"il voyageait en chemin de fer. Tout l'avait intéressé, intrigué et même émerveillé. La machine à vapeur, surtout,

Nous nous étions battus et étreints dans l'odeur de sexe et les relents de restes de nourritures sommaires abandonnés çà et là.

Midnightrambler

A mon avis, l'essentiel se trouve ci-dessus.
Pour le reste, c'est bien aussi mais superflu.
J'attens la suite avec impatience, je me demande s'il fera froid, très froid, avec ou sans neige.

Vigdys Swamp

Nombre de messages : 57
Age : 47
Date d'inscription : 31/12/2009

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  Invité Ven 14 Jan 2011 - 6:14

C'est le début d'un récit plus long ? Si c'est le cas, c'est un bon début, pour moi. Ça plante une époque, un personnage, une ambiance. Si ce n'est pas le cas, c'est un texte qui ne se suffit pas à lui-même.

Encore difficile de se faire une idée. Pour ce qui est du style, à mon avis, ça fonctionnerait bien pour un roman. On prend le temps, la narration est fluide, il y a un vrai soucis du détail, de la vraisemblance...

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  Invité Ven 14 Jan 2011 - 9:58

Mise en abyme à la Auster. Je demande à voir.

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  Anne Veillac Ven 14 Jan 2011 - 17:18

Oui, tout paraît vrai. J'ai d'ailleurs regardé ton âge pour voir si c'était autobiographique ou non.
Il est vrai que l'on n'a pas tous les éléments (pas encore ?) mais c'est cela aussi qui est bien. A la fois une clarté dans ce qui est raconté, et puis des éléments de mystère.
Anne Veillac
Anne Veillac

Nombre de messages : 703
Age : 59
Localisation : a.veillac@laposte.net
Date d'inscription : 22/03/2008

http://anne-veillac.over-blog.com

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  hi wen Ven 14 Jan 2011 - 19:58

je pense que toutes les vignettes y sont et c'est importon, dans une vie,
d'avoir plein de vignettes et d'en faire collection.

hi wen

Nombre de messages : 899
Age : 27
Date d'inscription : 07/01/2011

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  elea Sam 15 Jan 2011 - 22:54

J'attends la suite, assez intriguée par le paragraphe en italique, plus même, il excite ma curiosité.

elea

Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  Jano Dim 16 Jan 2011 - 9:12

L'histoire ne m'emballe pas plus que ça mais je suis épaté par le style. C'est vraiment très bien écrit. Un véritable plaisir que de laisser ses yeux parcourir ces lignes.
Jano
Jano

Nombre de messages : 1000
Age : 54
Date d'inscription : 06/01/2009

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Les mains d'un homme sur mon corps ...

Message  midnightrambler Ven 21 Jan 2011 - 0:41

Nous étions sortis parmi les derniers de la salle de cinéma dans les bourrasques glacées, qui balayaient le large trottoir du boulevard des Maréchaux de France et nous avaient obligés à courir étroitement enlacés jusqu'à la voiture garée non loin, dans une petite rue adjacente. Nos rires s'étaient engouffrés avec nous de chaque côté de la voiture et s'étaient rejoints à l'intérieur dans un baiser violent, langues et dents contre lèvres, dents contre dents. Un peu plus bas sur le boulevard, devant le grand garage Peugeot, Bruno avait soudain tendu le bras droit vers la vitrine où était exposé le nouveau cabriolet 402 Eclipse qu'il avait l'intention d'acheter pour remplacer notre 601 déjà complètement dépassée par les progrès inouïs de l'industrie automobile.
- Ce sera la prochaine, avait-il lâché laconiquement sans quitter des yeux la rue devant lui.
- Tu parles de cette belle voiture j'espère, pas de celle qui me remplacera peut-être un jour ! avais-je joyeusement répliqué sans hésitation car j'avais justement aperçu la fine silhouette d'une passante qui se hâtait en rasant la vitrine.
Au lieu de reposer sa main sur le volant, Bruno l'avait fait claquer sur ma cuisse gauche et s'était mis à la pétrir sans ménagement. Cette petite revanche inattendue, en réponse aux traces que mes ongles avaient peut-être laissées sur sa cuisse ou à ma remarque ironique quelques secondes plus tôt, m'avait arraché un petit cri de surprise, mais tout de suite j'avais serré les dents pour qu'il ne sache pas combien ses doigts qui s'étaient glissés sous les pans de ma jupe fendue dans mes chairs serrées qu'ils pinçaient, pressaient et forçaient, m'avaient fait mal. Dans la nuit de l'habitacle, j'avais vu sourire impassiblement son profil qui se détachait sur le fond de lumière filtrée et tamisée, que distillait avec parcimonie l'éclairage public de la Ville Lumière, privée de ses fastueuses illuminations et décorations de Noël en raison de l'état de guerre déclarée. J'avais planté mes ongles - mes seules armes décidément - dans la peau fine du poignet qui n'avait pas quitté ma cuisse, entre le bord du gant de cuir noir que Bruno portait toujours pour conduire et le bout de la manche de sa veste d'uniforme relevée sur son bras en extension. Sa lourde main gantée, comme insensible, avait continué sa lente progression sur ma cuisse qui s'ouvrait et qui, malgré la douleur et l'inconfort de la situation, s'offrait à cette intrusion de plus en plus précise. Mes ongles rouges avait griffé le tendre épiderme, mais c'est dans ma bouche que j'avais soudain senti le goût du sang sur mes lèvres que j'avais mordues trop fort pour ne pas émettre le moindre son. Bruno avait soudain repris sa main droite et l'avait brièvement frottée avec l'autre avant de rattraper le volant in extremis, juste après qu'un cahot brutal sur les pavés inégaux n'eût failli provoquer une embardée vers la file de voitures en stationnement. La trajectoire rétablie, ses doigts gantés, imprégnés de l'odeur de mon sexe, n'avaient pas cessé de caresser sa lèvre supérieure jusqu'à ce qu'ils s'emparent soudain de la poignée du frein à main devant la Baie d'Along.
Bruno aimait la cuisine tonkinoise qu'il avait pu apprécier au cours de son séjour à Hanoï quelques années plus tôt, avant que nous nous rencontrions. Pierre, le maître d'hôtel originaire de Haïphong, qui tenait à ce prénom français, nous avait souri placidement et nous avait placés dans le coin le plus calme de la salle du restaurant presque pleine.
Nous avions rapidement décidé que les crevettes, le riz et le saumon caramélisé, accompagnés de suffisamment de choum, suffiraient à la satisfaction de nos papilles gustatives et de nos appétits. Sous la table, en attendant d'être servis, Bruno tenait mon genou droit serré entre les deux siens. Immobile, les coudes sur la table et le menton posé sur mes poings fermés, je détaillais son visage : les petites rides mobiles autour de ses yeux rieurs, les fines ailes de son nez qui palpitaient et sa bouche charnue qu'il ne parvenait pas à fermer complètement. Qu'observait-il, lui, de l'autre côté de la table, de mes traits qu'il connaissait si bien ?

... les mains d'un homme sur mon corps ... mains d'un homme sur mon corps les ... d'un homme sur mon corps les mains ...
La douleur sur ma cuisse a disparu depuis très longtemps, mais ce bout de phrase sans queue ni tête continue à m'obséder depuis presque un an, depuis que je n'ai plus aucune nouvelle de Bruno, depuis qu'il est mort sans doute.

NOTE : Il n'y en a plus que quatre exemplaires sur les dix qui formaient la pile il y a
trois jours ... un bon livre assurément qui mérite les quelques minutes qu'il vous
reste avant que vous ne soyez obligée de courir sur le chemin de la fac pour ne
pas être en retard au cours de droit constitutionnel ... le Libraire, soulagé, vous
voit sortir précipitamment.
midnightrambler
midnightrambler

Nombre de messages : 2606
Age : 71
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  Invité Ven 21 Jan 2011 - 11:32

Toujours aussi intrigant, dérangeant. Je me demande combien de temps il est possible de tenir cette tension.

accompagnés de suffisamment de choum, suffiraient à la satisfaction de nos papilles gustatives et de nos appétits.

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  elea Ven 21 Jan 2011 - 20:59

Accrochée à l’histoire, la relation entre les deux personnages se précise, leurs personnalités aussi et cela me donne très envie de la suite. Et j’ai toujours le même intérêt pour les notes, j’aime bien le procédé.
Mais dans cette partie, j’ai parfois trouvé certaines longues phrases gênantes, pas toutes, d’autres fonctionnent bien et se lisent sans problème, j'ai buté sur une ou deux du début.

elea

Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  bertrand-môgendre Dim 23 Jan 2011 - 10:48

Besoin de prendre l'air, de retrouver une respiration soulageante.
Heureusement l'intervention du libraire arrive à point nommé. Il revêt le costume de l'acteur qui souffle le texte aux personnages qui halètent des promesses du plaisir à venir.
Les actions multipliées dans une même phrase perturbent la lecture. J'aime à croire qu'elles reflètent le trouble provoqué par les retrouvailles des deux amants.
Ce n'est pas sans déplaisir que je poursuivrais l'aventure savamment préparée.
bertrand-môgendre
bertrand-môgendre

Nombre de messages : 7526
Age : 104
Date d'inscription : 15/08/2007

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  Invité Dim 23 Jan 2011 - 16:49

Le procédé du libraire qui fait prendre distance est amusant (coïtus interomptus). C'est le genre de truc que j'aime bien.
Quand aux textes eux même, je ne sais pas. Je sens ça comme un coup de frustration à répétition.
Quel film ! Ça va mal se terminer, je le sens, oh oui, je la sens !
Mais je me trompe, je lis trop vite : ce n'est pas "une passante qui se tâtait en rasant la vitrine" n'est-ce pas ? je lis trop vit.

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Les mains d'un homme....

Message  Mirelie Sam 5 Fév 2011 - 16:06

Un grand souci du détail m'évoque le début d'un roman.
J'aime beaucoup la boucle que fait l'idée de départ
Une écriture très élégante
Je m'essaie à la critique mais je suis un peu démunie car débutante dans le genre.

Mirelie

Nombre de messages : 45
Age : 69
Date d'inscription : 04/02/2011

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Les mains d'un homme ...

Message  midnightrambler Lun 7 Fév 2011 - 1:37

Bruno est mort !
D'autres mots ... Des mots toujours, trois petits mots !
Souvent je prends mon visage dans mes mains que j'ouvre tout à coup pour murmurer ces quatre syllabes en tournant instinctivement la tête sur le côté pour que personne ne puisse les entendre : Bruno est mort ...
J'essuie sommairement mes mains souillées de larmes et de salive sur ma robe et je les répète d'une voix normale comme l'on dit à sa voisine qu'il fait beau aujourd'hui ou à une amie que l'on a envie de s'acheter deux ou trois robes pour l'été et une paire de sandales aussi : Bruno est mort ... Bruno est mort.
Je finis par courir jusqu'au salon pour les crier à la grande glace au-dessus de la cheminée en marbre gris, puis je les hurle, les poings fermés et la bouche tordue par la véhémence : Bruno est mort ... Bruno est mort ! Bruno ist tot !
Je me précipite dans notre chambre. Je me jette en travers du lit, je hoquète, je sanglote en serrant le traversin entre mes cuisses.
Souvent aussi j'envisage méthodiquement toutes les façons de mourir lorqu'on est un jeune chef de bataillon plein de fougue et d'allant qui a toujours rêvé d'arrêter tout seul les armées ennemies : haché par une longue rafale de mitrailleuse dans son véhicule de commandement sans toît sur une route ensoleillée, soufflé dans un petit bosquet par un obus de gros calibre venu de nulle part ou écrasé au bord d'un chemin ombragé par les monstrueuses chenilles d'un char ennemi.
Où est Bruno maintenant ?
Que reste-t-il aujourd'hui de son beau visage un peu trop sérieux, de sa main élégante, de ses doigts puissants qui pétrissaient mon genou et ma cuisse ? J'imagine au fond d'un fossé boueux parmi toutes sortes de débris humains et de matériels militaires abandonnés, une main crochue desséchée au-delà de la putréfaction au bout d'un morceau de bras aux os saillants blanchis par le soleil, qui dépassent de la manche arrachée d'une veste d'uniforme d'officier, juste au-dessus des quatre galons d'or maculés de terre et de sang.
Homme sur mon corps les mains d'un ...
Lorsque la vie ralentit et qu'elle pourrait m'accorder un peu de répit comme à l'instant, sur ces galets face à la mer scintillante, ces mots jaillissent et défilent devant moi en commençant au hasard par l'un ou l'autre d'entre eux comme lorsqu'on lève soudain les yeux au sortir d'une bouche de métro sur un de ces messages en grandes lettres lumineuses rouges ou vertes, qui se répètent inlassablement sur la belle façade de pierres de taille d'un immeuble transformé à l'américaine en un immense panneau publicitaire. Corps les mains d'un homme sur mon ...
Je serre entre mes doigts à m'en faire mal la grosse clef de la porte d'entrée d'Etche-Ona, la maison de vacances de mes parents. Je leur ai repris Paul dès l'armistice de juin et nous nous sommes installés tous les deux dans leur villa normande depuis près d'un an, maintenant. L'école n'est pas encore obligatoire pour lui qui n'a que cinq ans. C'est mon fils. Je veux qu'il profite au moins de ce cadre encore estival dont je connais par coeur les bleus souvent tendres du ciel et parfois durs de la mer, l'ivoire vertical de l'impressionnante falaise et le vert profond des prairies qui la coiffent. Je veux qu'il en apprécie lui-aussi les parfums, l'odeur du varech au soleil et celle du vent salé. Qu'il en entende les bruits : celui des galets ronds qui roulent sous les pas et le cri strident des mouettes que la vitesse et le vent modulent d'une façon si particulière.
Etche-Ona.
Si je me retournais je la verrais derrière moi, toute blanche, baignée de soleil, au flanc de la paroi assez abrupte qui monte vers le haut de la falaise. Papa et Maman n'y sont pas venus depuis longtemps car ils n'osent plus, Papa surtout, quitter leur maison de Nantes de peur qu'elle ne soit réquisitionnée par les autorités allemandes. Leur présence attentive n'y changerait pourtant rien. Le risque n'est d'ailleurs pas tant qu'on leur prenne leur maison que d'être dans l'obligation d'héberger un ou même plusieurs officiers allemands. Avec eux, Papa pourrait parler à nouveau sa langue maternelle et sûrement y trouver du plaisir. Maman aussi qui avait fini par parler l'allemand assez bien.
Il est près de dix-neuf heures.
Assise sur les galets à quelques mètres de l'eau d'où monte la fraîcheur du soir, je frissonne soudain. J'enfile par dessus ma robe de plage bleu pâle, le gilet de grosse laine bleu marine que le printemps toujours un peu frais m'a fait mettre dans mon grand sac de toile écrue. Je frictionne convulsivement, l'un après l'autre, du coude à l'épaule, mes bras serrés contre ma poitrine. Depuis longtemps déjà, mes mains tantôt énergiques et fermes, tantôt douces et carressantes, sont les seules sur mes joues, sur mes cheveux, sur ma nuque, sur mes bras, sur mes seins, entre mes cuisses.
A droite de l'Aiguille Creuse, le soleil mettra encore un bon quart d'heure pour descendre jusqu'à la ligne d'horizon et quelques petites minutes de plus pour disparaître complètement. J'essaye de me concentrer sur la descente de l'astre du jour pour oublier ce morceau de script entêtant : mon corps les mains d'un homme sur ... d'un homme sur mon corps les mains ... Je ne veux pas me laisser surprendre. Je veux l'apercevoir enfin ce rayon vert que je jurais toujours avoir bien vu lorsque j'étais enfant à chaque fois que l'on me posait la question en riant ! J'aurais voulu comme je voudrais tellement aujourd'hui, avoir ce pouvoir que promet une légende nordique à celui qui a pu l'apercevoir juste au moment où le soleil disparaît derrière l'horizon : voir clair dans son coeur et dans celui des autres ...
Paul court joyeusement autour de moi sans oser s'éloigner. Il s'élance gaiement et saute. Ses chaussures de tennis s'enfoncent profondément dans les petits galets tout ronds à cet endroit. Il perd soudain l'équilibre, tombe légèrement sur les fesses et en rit aux éclats comme tous les enfants de son âge lorsque la surprise l'emporte sur la douleur. Il se relève d'un bond. Dans l'excitation il crie et j'ai peur tout à coup que les mots qu'il lance dans le vent ne remplacent la rengaine qui me tourmente : Papa, Papa ... reviens vite Papa, ... Bruno, reviens vite Bruno, Bruno ! Reviens vite, reviens, reviens, ... Bruno ... les mains d'un ...

Ce n'est pour l'instant qu'une minuscule forme noire au loin mais elle avance rapidement le long du bord de l'eau où viennent mourir les vagues courtes.


Le voler ? Cela serait facile, le Libraire n'est pas là !
Mais la solidarité féminine l'emporte !
C'est le dernier exemplaire et vous savez bien que le Libraire ne peut pas l'avoir oublié. Ce serait sa
jeune employée, qui justement vous tourne le dos, qui serait blâmée.
Quand même ... 22 euros !

midnightrambler
midnightrambler

Nombre de messages : 2606
Age : 71
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  Lizzie Lun 7 Fév 2011 - 8:41

Hello,

J’aime toujours autant le style, riche et généreux, la litanie « les mains… ». J’ai envie de lire la suite. J’aimerais bien en apprendre davantage sur l’indiscrète de la librairie, à présent, passer du confetti à la page de carnet… Je me demande quel équilibre tu vas choisir, ou si, dans une pirouette, tu vas clore en nous abandonnant en chemin.

Parce qu’il faut bien « broutilliser », quelques sensations qui accrochent ma lecture :
- « je prends mon visage dans mes mains que j'ouvre tout à coup » : j’ai fait un contre-sens de lecture, mais c’était comme si tu avais ouvert son visage et non ses mains. Du coup, bizarre. C’est ma faute, entame lue trop rapidement, mais peut être la formulation, voir avec les autres lecteurs… et puis à vrai dire, elle est un peu lourde à mon goût, cette phrase.
- parfois, j’ai trouvé quelques expressions trop « mises en scène » pour mon goût. C’était là : « je hoquète » « Assise sur les galets à quelques mètres de l'eau d'où monte la fraîcheur du soir, je frissonne soudain. (le "soudain", je crois)»

A bientôt,
Lizzie.

Lizzie

Nombre de messages : 1162
Age : 57
Localisation : Face à vous, quelle question !
Date d'inscription : 30/01/2011

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  Invité Lun 7 Fév 2011 - 11:22

Je dois avouer une légère déception à me retrouver (encore) face à un récit de guerre. Toutefois, je mise beaucoup sur le passage en italiques dont j'attends qu'il dévoile incessamment quelques secrets.

Toit (sans le chapeau pointu)

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  elea Mar 8 Fév 2011 - 23:25

Mon dieu ! Mais si c’est le dernier exemplaire comment va-t-on connaître la suite ? Devra-t-elle changer de librairie ?
Autant de questions à 22 € qui me font frémir d’impatience d’avoir la suite.

Et un peu plus sérieusement j'aime toujours et l'écriture qui m'emporte et l'histoire qui s'imprime petit à petit comme son leitmotiv.

elea

Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Les mains d'un homme sur mon corps ... BY.

Message  midnightrambler Mer 16 Fév 2011 - 1:01

Depuis près d'un an l'accès à la plage n'est malheureusement plus autorisé.
Lorsqu'il fait beau comme aujourd'hui un tout petit nombre de famille seulement, deux ou trois couples et quelques personnes seules comme cette jolie jeune femme à une cinquantaine de mètres de nous, osent braver cet interdit. Elle s'est peut-être baissée et glissée comme nous entre deux fils de fer barbelés malgré son sac plutôt encombrant - long et cylindrique comme dans la marine - et le petit siège de plage pliant qu'elle a réussi à installer dans les galets. Dessous, comme pour les cacher, elle a déposé ses chaussures : une paire de gros mocassins noirs à bout rond et à talon plat.
Je la regarde.
Une jupe grise très stricte ne parvient pas, bien qu'elle en tire machinalement sans cesse le bord, à couvrir ses genoux relevés qui lui servent de pupitre pour lire, malgré la brise qui ne faiblit pas en cette fin de d'après-midi, un journal qui menace à chaque instant de s'envoler. Un corsage blanc, éclatant, accroche les derniers rayons du soleil; déboutonné et ouvert jusqu'à la ceinture, il laisse entrevoir l'attache de dentelle entre les deux bonnets du soutien-gorge de la jeune femme. Elle a soigneusement roulé ses manches au-dessus de ses coudes pointus. Un chignon strict, heureusement très blond, complète la forte impression d'austérité magnifique qui émane d'elle.
En arrivant sur la plage au milieu de l'après-midi, j'ai remarqué en passant près de son siège qu'elle avait quitté pour faire quelques pas au bord de l'eau, l'énorme titre en lettres capitales qui barre sur cinq colonnes la première page de son journal. Un gros galet qui servait de lest contre le vent cachait le début de cette manchette dont je n'ai pu lire que les derniers mots : ... FLOTTE SUR L'ACROPOLE. J'ai tout de suite compris et j'ai revu en un éclair avec tristesse et nostalgie la Grèce de notre merveilleux voyage de noces huit ans plus tôt.
Après l'impressionnante haie d'honneur sabres au clair au mess des officiers du boulevard Vercingetorix, formée par la moitié de la promotion du Tafilalet, celle de Bruno bien sûr à l'Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr, et la soirée de notre mariage que nous avions quittée vers minuit sous les vivas, nous nous étions immédiatement plongés pendant plusieurs jours dans le délicieux raffinement de l'Orient Express. J'avais adoré, à l'aller comme au retour, ce wagon lambrissé et capitonné qui nous avait, sur plus de trois mille kilomètres, dévoilé par la vitre de notre compartiment-cabine tous les paysages de notre Europe aujourd'hui déchirée : plaines, collines et montagnes, lacs et bords de mer. Un personnel nombreux et attentif était aux petits soins pour nous, toujours prèt à nous apporter après avoir discrètement frappé à la porte derrière laquelle tout nous était permis, la tasse de thé que nous n'avions pas encore pensé à lui demander.
Bruno ne tenait pas en place.
Il lui arrivait d'arpenter les couloirs d'un bout à l'autre du train pour se donner un peu d'exercice. A plusieurs reprises il avait bien failli rester sur le quai de la gare de villes inconnues lorsqu'il profitait de l'arrêt du train pour aller me chercher un joli bouquet de fleurs fraîches, une glace italienne à la framboise coiffée de crême Chantilly ou un gâteau oriental trop sucré. Je suçais en riant ses doigts couverts de la glace ou du miel de ces pâtisseries qu'il avait serrées un peu trop fort tandis qu'il sautait sur le marchepied du wagon qui s'ébranlait déjà.
Le tour des Îles Grecques sur un voilier de luxe, le Kronos, une goélette dont je n'ai jamais oublié le nom à la résonance étrange aux oreilles d'un homme et d'une femme en pleine lune de miel, ni la fine silhouette au mouillage lorsque nous nous rendions à terre pour quelque visite de site historique, nous avait enchantés. La nuit, à l'ancre, il nous arrivait de plonger nus du bord du bateau dans l'eau qui ne parvenait pas à devenir sombre. Nous disions que c'était une eau claire de lune. Nos corps s'y rejoignaient et s'y mêlaient sous le regard, peut-être, de certains de nos compagnons de croisière pour la plupart britanniques. A maintes occasions Bruno avait pris en riant la barre des mains du timonier grec qui n'osait pas protester devant son autorité naturelle et son évident savoir-faire. J'avais, sans trop me faire prier, chanté un soir sur le pont accompagnée par le pianiste du bord, une suite de petites pièces lyriques anglaises que j'avais eu l'opportunité d'étudier entre deux rôles d'opéras italiens, pour une brève tournée outre-Manche quelques mois auparavant. J'avais entonné pour finir le Rule Britannia que nos nouveaux amis anglais avaient repris en choeur en battant des mains avec ferveur, comme à la fin du concert de clôture des Proms au Royal Albert Hall.
En regagnant notre cabine je m'étais, en passant sous la bôme, légèrement blessée à l'épaule. En guise de baume, Bruno avait déposé un baiser appuyé sur la plaie.
- Le sang a le même goût partout, ... sur tout le corps ... m'avait-il ensuite soufflé à l'oreille.
Je ne lui avais alors pas fait préciser le sens de cette étrange remarque sur lequel je m'interroge souvent depuis.

Des mains m'agrippent par derrière et glissent sur mon cou ... les mains d'un homme ... les mains de Paul ... Je me dégage un peu sèchement. Paul proteste mollement et s'éloigne aussitôt en sautillant, déjà happé par une autre forme de jeu.
Je n'en peux plus.
Soudain j'ai envie de me laisser tomber sur les galets, je le ferais si cette femme ne se trouvait pas là. Elle lève fréquemment les yeux de son journal pour me regarder à travers les verres tout ronds, très foncés, de ses lunettes de soleil.
La forme au loin s'est rapidement précisée en se rapprochant. C'est maintenant la silhouette d'un homme grand et svelte que je distingue parfaitement dans la lumière rasante du soir aux nuances oranges et rouges. Son uniforme noir accentue la blondeur de ses cheveux : un allemand, bien sûr.
Je ne le quitte pas des yeux.
Ce pourrait être par simple curiosité car il n'y a rien d'autre à regarder que la lente descente du soleil sur la ligne d'horizon, l'éternel va-et-vient des vagues sur les galets ou la course sans fin des petits nuages blancs dans le ciel rougeoyant. Il doit nous avoir aperçus lui-aussi : Paul, la jeune femme et moi. Pour lui, à cette distance et sous cet angle de vue, nous donnons sûrement l'impression d'être ensemble. Je pourrais m'intéresser à cette petite embarcation, une vedette rapide de la marine allemande qui vient, à ma gauche, de surgir de derrière la falaise dans un jaillissement d'écume éblouissant, mais non, j'observe cet homme qui vient vers moi. Je ne sais pas si mon regard insistant le guide ou le repousse, mais je le vois hésiter tout à coup. Le soleil est toujours au-dessus de l'horizon, tout rouge, c'est l'heure à laquelle il se laisse regarder. L'allemand continue d'avancer sur ma droite. Soudain sa trajectoire s'incurve et il ralentit comme s'il allait s'arrêter près de la jeune femme. En passant lentement il lui adresse un drôle de petit signe de la main.
La main de cet homme.
Connaît-elle cette jeune femme ?
Je m'aperçois avec stupeur que je suis déjà jalouse !

Vous n'êtes pas venue à la Librairie hier ... vous saviez bien que c'est aujourd'hui, mardi, qu'arrivent les commandes d'ouvrages. La jeune employée vous l'a dit l'autre jour. Six nouveaux exemplaires forment aujourd'hui une pile un peu plus modeste que la première fois. En saisissant le premier sur le dessus vous souriez, vous pensez à la petite fiche cartonnée que vous avez utilisée comme marque-page la semaine dernière et laissée dans l'exemplaire qui a été vendu vendredi après votre passage ... Dessus vous aviez crayonné l'esquisse d'une chevalière ... et griffonné votre numéro de portable ...
midnightrambler
midnightrambler

Nombre de messages : 2606
Age : 71
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  bertrand-môgendre Mer 16 Fév 2011 - 4:17

Lecture attentive.

Petites remarques :
... il laisse entrevoir l'attache de dentelle entre les deux bonnets du soutien-gorge de la jeune femme... Est-ce bien utile de préciser ?
... J'avais adoré, à l'aller comme au retour, ce wagon lambrissé et capitonné qui nous avait, sur plus de trois mille kilomètres, dévoilé par la vitre de notre compartiment-cabine tous les paysages de notre Europe aujourd'hui déchirée
Proposition :
J'avais adoré, à l'aller comme au retour, ce wagon lambrissé et capitonné qui , sur plus de trois mille kilomètres, nous avait dévoilé par la vitre de notre compartiment-cabine tous les paysages de notre Europe aujourd'hui déchirée.

Sur l'ensemble du texte, le soucis du détail mentionné par les nombreuses précisions alourdissent les phrases comme par exemple : Je suçais en riant ses doigts couverts de la glace ou du miel de ces pâtisseries qu'il avait serrées un peu trop fort tandis qu'il sautait sur le marchepied du wagon qui s'ébranlait déjà.
bertrand-môgendre
bertrand-môgendre

Nombre de messages : 7526
Age : 104
Date d'inscription : 15/08/2007

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  Invité Mer 16 Fév 2011 - 8:04

J'aurais la même réserve que Bertrand sur le souci trop appuyé du détail qui alourdit, ralentit, en première partie de texte surtout. Sinon, j'ai grand plaisir à lire, une écriture de facture classique mais pas trop, qu'on sent maîtrisée, et parfaitement renseignée. Et puis j'aime beaucoup ce je ambivalent, tout comme l'intervention en italiques, dont le mystère s'épaissit au fur et à mesure qu'elle se livre.

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  Calvin Jeu 17 Fév 2011 - 1:19

Bonsoir,

Ah, la poésie des pique-niques dominicaux écrite avec la force de caractère des nappes à motifs vichy...

Amicalement,
Louis!.

Calvin

Nombre de messages : 530
Age : 34
Date d'inscription : 22/05/2010

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  elea Jeu 17 Fév 2011 - 16:35

L’impression d’une écriture un petit peu moins ciselée, dans les longues phrases notamment. Enfin, en tout cas, ma lecture a été plus accrochée que d’habitude, du moins jusqu’à la fin du tour des îles Grecques.
Sinon j’apprécie le visuel, la scène sur la plage a des parfums de cinéma.
Et bien sûr l’italique fait toujours autant voyager mon imagination.

elea

Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty BJ.

Message  midnightrambler Dim 27 Fév 2011 - 2:48

Face à moi, la jeune femme n'a pas répondu à l'officier. Elle ne l'a entendu ou senti approcher derrière elle qu'au tout dernier moment. Elle se retourne assez lentement d'abord, puis en découvrant sa présence, elle se met brusquement debout dans une sorte de garde-à-vous étrange et gauche sur ces galets instables. Elle reboutonne fébrilement son corsage. L'officier lui fait un nouveau signe : un geste d'apaisement de la main dans laquelle il tient sa casquette noire, une sorte de revers comme au tennis pour balayer les mots maladroits que la jeune femme bredouille à son endroit. Sans un mot pour elle me semble-t-il à cette distance, il poursuit sa marche vers moi. Elle le suit des yeux jusqu'à ce que nos regards se croisent inéluctablement. C'est moi qui tourne la tête la première pour ne pas baisser les yeux. Je cherche autour de moi où l'officier va bien pouvoir aller. Je ne suis jamais venue m'installer aussi loin, tout au bout de la plage. Un réseau de fils de fer barbelés la couvre sur une grande partie de sa surface. Sur ma gauche, à une vingtaine de mètres, la falaise s'avance dans la mer et la marée montante ne permet plus de passer de l'autre côté sans se mouiller jusqu'aux genoux au moins.
L'officier allemand ne pourra pas aller plus loin.
Il hésite. Je sens qu'il m'observe en feignant de regarder au loin, bien au-dessus de ma tête vers les façades normandes du front de mer.
Il approche.
- Donnerwetter !
J'ai très bien entendu et compris cette interjection qui lui a échappé lorsqu'il s'est tordu le pied dans les galets malgré les lourdes bottes de cuir noir qu'il porte. Il se laisse tomber sur place comme s'il ne pouvait pas faire un pas de plus, ce que démentent son adresse et sa souplesse à s'asseoir sur une surface aussi peu agréable. Face à la mer, les jambes ouvertes et les bras largement écartés derrière lui, il tourne lentement la tête à gauche dans la direction de la jeune femme puis à droite dans la mienne avant de fixer devant lui la mer où la vedette vient de disparaitre à l'ouest, derrière une avancée de la falaise. Il prend possession des lieux : voies d'accès, points dominants, positions amies, lignes ennemies, itinéraires de repli ...
Il ôte sa casquette et la pose avec précaution à côté de lui. Il la retourne et la leste d'un galet de la grosseur de son poing pour que le vent ne l'emporte pas. Sa main saisit machinalement un autre galet, le pèse, le soupèse, le laisse tomber, le reprend et le jette au loin dans l'eau. Sa main ... ses mains ... mon corps se tend, il cherche, il s'interroge ... Je connais sa réponse, je la sens monter en moi.
J'observe l'officier allemand de profil. C'est ainsi que depuis quelques temps j'étudie les hommes seuls qui passent à ma portée et je me demande pourquoi leur trajectoire vient frôler la mienne ou même la couper. Je vois son visage long tendu vers la mer, son front très haut et son nez pointu qui surplombe ses lèvres fines, serrées.
Soudain il tourne à nouveau la tête vers moi. Un franc sourire à mon intention réchauffe toute cette sévérité. Je m'en veux de m'être laissée surprendre mais dans ma réponse je mets tout ce qu'il me reste de force de séduction, d'assurance féminine et d'appétit de vivre.
Il est jeune, guère plus de trente ans.
Une mouette s'enfuit mollement d'un battement d'aile distrait. En la poursuivant, Paul s'approche de l'officier.
- Paul, n'allez pas ennuyer ce monsieur !
L'uniforme noir me paraît tout à coup incongru sur ces galets blancs et gris, étrangement déplacé dans ce cadre un peu abîmé par la guerre, certes, duquel se dégage pourtant encore une forte impression de vacances et de loisirs. L'officier se lève brusquement comme s'il avait compris lui-aussi et me cache la jeune femme qui s'est assise à nouveau dans son petit siège de plage. Il réajuste consciencieusement son uniforme et remet sa casquette. Il attaque la pente de galets assez abrupte à grandes enjambées sans un regard pour moi ni pour la jeune femme qui nous regarde. Elle n'a pas pu voir tout à l'heure le grand sourire dont il m'a gratifiée. Elle ne regarde plus que lui.
Paul debout, immobile, la bouche ouverte n'arrive pas non plus à le quitter des yeux. Il me fait face interloqué :
- Maman ... Maman ... regardez comme le monsieur ressemble à Papa !
L'allemand se retourne brièvement comme s'il avait compris et reprend sa marche sans s'être véritablement arrêté.
- Oui ... oui, Paul ... c'est un officier comme Papa !
Je n'ose pas lui dire qu'il est presque plus beau que son père avec cette large casquette noire, qui est tellement plus élégante et impressionnante que ces affreux képis tout ronds dont sont affublés les officiers français, et dans cet uniforme noir si bien coupé.
L'allemand m'a entendue. Il marque encore un temps d'arrêt avant de reprendre sa progression rapide dans les galets qui roulent bruyamment sous ses pieds.
J'ai envie de m'élancer, de courir, de le rattraper, de lui prendre le bras et de le suivre. La remarque de Paul pourrait m'en donner le prétexte, mais autant que la présence de mon fils que je ne peux pas abandonner là sur la plage, le regard de la jeune femme et son attitude me clouent sur place. Elle se dresse soudain, longue et souple, et franchit rapidement la distance qui nous sépare, les bras légèrement écartés pour garder son équilibre.
Je la regarde s'approcher. Mon attention est immédiatement attirée par ce que je prends d'abord pour une broche à gauche sur son corsage.
Elle s'arrête à quelques mètres de moi et s'assoit délicatement à contre-jour, en amazone, sur un gros bloc de calcaire arrivé là le mois dernier ou il y a un siècle après s'être détaché du flanc de la falaise. Elle me tourne presque le dos, se penche en avant tout en continuant à me regarder de côté et tire décidément encore sur le bord de sa jupe tendue sur ses longues cuisses. Ce n'est qu'une façon pour elle de se donner une contenance, elle relève tout à coup la tête :
- Entschuld... excusez-moi ... Ich gehöre zur ... excusez-moi décidément, je parle pourtant parfaitement le français ... j'appartiens à la Kriegsmarine, la marine de guerre allemande ... je suis une Marine-Oberhelferin ... une auxiliaire féminine de la marine de guerre ...
Je la regarde. Elle est très belle.
Ces premiers mots ont certainement été difficiles à prononcer, mais ils n'ont provoqué chez la jeune femme qu'une toute petite rougeur sur le haut des pommettes et la voix n'a rien perdu de l'assurance qui se dégage de tout son être et lui permet d'assumer son rôle de vainqueur.
Elle me sourit et se force peut-être un peu à passer la main dans les cheveux de Paul qui, ne pouvant plus lutter contre sa propre curiosité, s'est approché. Il n'aime pas ça du tout, je le sais ! Il grimace et tord le cou pour essayer de se soustraire à la caresse. La jeune femme retire sa main de la nuque de Paul au bout de quelques secondes comme si elle n'avait rien remarqué de son attitude.
Je l'observe toujours. Elle me regarde franchement.
C'est donc un uniforme : ces chaussures plates, cette jupe bleu marine un peu trop longue, ce corsage blanc qui sait s'ouvrir malicieusement sur la naissance de deux jolis seins, avant d'être sagement refermé d'une main adroite pour remettre à sa place, bien en vue, ce qui n'est pas une broche mais un aigle aux ailes déployées tenant dans ses serres une croix gammée dans un cercle de métal. Une veste bleu marine elle-aussi, et un petit calot doivent complèter cet ensemble. Elle a dû les laisser là où elle était assise.
- Wie gut kennen Sie ihn ? lui demandé-je sans préavis au bout de quelques instants.
Elle frémit. Elle blêmit. Elle se redresse sur son rocher et se cabre comme une jeune jument piquée par un taon.
- Vous ... vous parlez l'allemand ... constate-t-elle enfin lentement en détachant bien les mots pour se donner le temps de réfléchir à ce qui la surprend le plus : le sens de ma question plutôt indiscrète ou bien le fait que je l'aie prononcée dans un allemand parfait, sans la moindre trace d'accent français.
Elle a été plus surprise que moi pour qui il est assez normal que certains membres allemands des troupes d'occupation parlent le français. Il est en effet plus étonnant pour elle qu'une mère de famille française assise au bord de l'eau sur une plage normande parle l'allemand comme elle vient de l'entendre.
- Oui ... couramment ... vous le connaissez bien ? insisté-je en espérant déjà qu'elle me réponde par la négative.
- Ja, ja ... oui ... enfin, un peu ... c'est un Sturmbannführer ...

Non... non... vous n'allez pas lui demander ça ! Il est là aujourd'hui bien sûr, il faut bien qu'il s'occupe de sa Librairie. Axelle, sa jeune employée ne peut pas tout faire ! Elle est bien jeune par rapport à lui, à peine plus âgée que vous ... vingt, vingt-deux ans ? ... et lui, cinquante, cinquante-cinq ans ? ... est-ce qu'ils s'entendent bien ? Tous les deux, toute la journée ! Il n'est pas si mal que ça, grand, encore assez blond, avec une superbe cravate rose sur une veste noire ! Il vous surveille, Axelle a dû lui dire que vous étiez souvent là pour lire le même livre, sans l'acheter ! Il se rapproche, non, ... non, ne bougez pas, de toute façon, il ne saura peut-être pas !
- Qu'est-ce que c'est qu'un Sturmbannführer ?
Sa main a frôlé la vôtre quand il vous a doucement pris le livre, vous l'avez laissé faire !
- C'est un officier SS, l'équivallent d'un Chef de Bataillon ...

midnightrambler
midnightrambler

Nombre de messages : 2606
Age : 71
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  Invité Dim 27 Fév 2011 - 10:20

Toujours beaucoup de plaisir à lire. On commence à mieux discerner la trame même si on est loin de tout comprendre. Ce qui m'intéresse particulièrement, c'est la construction du récit, j'aime comme les deux histoires s'imbriquent et j'en suis à me demander si et quand l'une (la "réelle") va finir par prendre le pas sur l'autre (la "fictionnelle").

Deux remarques de forme :

"une sorte de revers comme au tennis pour balayer les mots maladroits que la jeune femme bredouille à son endroit. Sans un mot pour elle me semble-t-il à cette distance,"

"- C'est un officier SS, l'équivallent d'un Chef de Bataillon ... "

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  elea Dim 27 Fév 2011 - 19:29

J’ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de ce passage, vivant.
Je suis accrochée à l’histoire, j’attends impatiemment l’épisode suivant et si j’ai un regret c’est qu’ils ne soient pas plus fréquents.
D’autant qu’ici avec l’arrivée de ces nouveaux personnages, l’intrigue est de plus en plus prenante.
Et j’ai aimé le parallèle avec l’histoire en italique et ce premier contact avec le libraire : le frôlement d'une main sur ma main...

elea

Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Les Mains d'un Homme ...

Message  midnightrambler Sam 5 Mar 2011 - 22:03

Bonsoir,

Merci à tous ceux qui ont lu les textes ci-dessus, la majorité me sont inconnus c'est normal !
Merci beaucoup à ceux qui ont lu et commenté ... j'ai noté les noms (rires !)
Un grand merci enfin à Easter et Eléa !

Je tiens à mon style, j'aime les phrases un peu longues pleines de subordonnées et j'adore les adjectifs et les adverbes pour une littérature pleine, riche et généreuse !

Vous seriez cependant surpris de constater, le texte n'étant pas figé, que je tiens compte de la plupart de vos suggestions ...

Merci encore,
Amicalement,

midnightrambler
midnightrambler
midnightrambler

Nombre de messages : 2606
Age : 71
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  elea Lun 7 Mar 2011 - 20:48

J’espère que ces remerciements ne signifient pas que nous n’aurons pas la suite.
Sinon je me trouverais une librairie pour aller lire quelques épisodes supplémentaires…


elea

Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Les mains d'un homme ...

Message  midnightrambler Lun 7 Mar 2011 - 23:59

Bonsoir Eléa,

Une dizaine de commentaires après un court silence !
Merci de penser, même si c'est sur le mode humoristique, que mes textes pourraient se trouver un jour dans une Librairie !
Le prochain épisode est prêt ... les suivants aussi !
Je les posterai très bientôt ici car je n'ai guère d'illusions sur l'éventualité ci-dessus ... c'est simplement une question de délai et de temps. J'attends une semaine ... et ensuite je n'ai pas le temps, comme hier soir, comme ce soir !

Amicalement,
midnightrambler
midnightrambler
midnightrambler

Nombre de messages : 2606
Age : 71
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Les mains d'un homme ...

Message  midnightrambler Mer 9 Mar 2011 - 0:47

La jeune auxiliaire allemande se lève soudain du rocher sur lequel elle était assise, comme si elle devait rectifier la position à la simple évocation de ce grade masculin qui la dépasse tellement.
Debout face à moi elle se met alors à se contorsionner afin de pouvoir frotter du plat de la main l'arrière de sa jupe marqué par de longues traces blanchâtres que le calcaire du rocher y a laissées. Je l'entends maugréer. A ce spectacle, je comprends l'importance du petit siège de plage pliant et je souris intérieurement. Elle creuse soudain profondément le ventre en bloquant sa respiration pour faire tourner sa jupe sur ses hanches. Je baisse la tête et me plonge soudain dans l'étude d'un très beau silex que je fais tourner entre mes doigts, pour qu'elle ne voit pas le sourire qui se dessine maintenant franchement sur mes lèvres. Je m'attends à ce qu'elle me demande si sa jupe lui va bien, comme si nous étions deux amies dans un salon d'essayage du Bon Marché. Lorsqu'elle reprend sa respiration sa poitrine gonfle le corsage et l'aigle semble battre des ailes pour prendre son envol. Après deux ou trois claques énergiques de plus, elle relève la tête et cherche des yeux derrière moi, mais il n'y a plus rien à voir. Je me retourne, tout est calme, en haut de l'escalier qui permet de remonter sur le trottoir qui longe le bord de mer, la sentinelle casquée veille. C'est ce qui m'inquiète tout-à-coup.
- Il est parti ... dit-elle un peu platement.
- Votre jupe n'est pas trop tachée ? demandé-je pour dire quelque chose.
- Non, ... ça ira ... je le croise souvent ... depuis quelques jours ... ici, sur la plage ... en ville, au mess des officiers ... je n'ai pas vraiment le droit d'y aller, mais nous sommes tellement peu de femmes que les hommes nous tolèrent ... ils prennent même plaisir à notre présence, c'est normal ! C'est comme un chef de bataillon dans la Wehrmacht ou dans ... dans ... l'armée française ...
- Oui ... je sais ... réponds-je un peu sèchement car j'ai nettement l'impression qu'elle a failli dire quelque chose comme : ... dans ce qu'il reste aujourd'hui de l'armée française !
- C'est une troupe spéciale ... précise-t-elle en baissant instinctivement la voix.
- Pourquoi me dîtes-vous tout cela ... demandé-je ... vous pourriez avoir des tas d'ennuis ?
- Je ... je ... je ne vous ai rien dévoilé de secret ni même de confidentiel ... je ne vous ai pas dit son nom, ni le mien ... ich bin eine Marineoberhelferin ... j'en porte l'uniforme, tout le monde peut le voir ! Ich ... ich ... je ne vous ai pas dit pourquoi il est ici en France, je n'en sais rien d'ailleurs ... je ... je ne vous ai pas indiqué à quel régiment il appartient ! ...
- Au régiment Der Führer ... calmez-vous un peu ! la coupé-je assez violemment ... je l'ai bien vu tout à l'heure quand il est passé près de moi ... en lettres gothiques ... sur la bande de bras qu'il porte sur la manche de sa veste d'uniforme !
Son regard incrédule se concentre sur moi. L'effort et la surprise amplifient tout à coup le léger strabisme que j'ai déjà remarqué quelques minutes plus tôt, la rendant encore plus attirante.
- ... la bande de bras ? ... ah, oui ...
Derrière elle le soleil n'est plus qu'à quelques centimètres de la ligne d'horizon. Tant pis, je ne verrai encore pas le rayon vert ce soir ! Mais la rencontre imprévue de cette jeune femme allemande remplace avantageusement l'apparition aussi improbable aujourd'hui que lorsque j'étais une petite fille de cet ultime trait de lumière verte à la fin du jour.
Je me lève d'un seul coup. Je ramasse mon sac de plage et j'adresse un petit signe de tête à la jeune allemande puis je commence à remonter la pente de galets.
- Paul mon chéri, ... nous rentrons ... lancé-je au jugé dans la direction où je l'ai vu courir quelques secondes plus tôt.
Je me retourne. Il s'élance pour me rattraper et tourne autour de moi comme un jeune chien. Elle est toujours debout près du rocher. Elle me fait face les bras le long du corps, la poche arrière de sa jupe sur le ventre. Une mèche de cheveux échappée de son chignon flotte dans la lumière cuivrée du soleil qui n'est déjà plus visible.
- Je ne sais rien de vous ... Gisela ... ich bin Gisela ...
Elle tend la main vers moi pour guider et accompagner ces quelques mots timides que j'ai du mal à comprendre à cause du vent et du bruit des vagues.
- Il nous reste beaucoup de temps je crois, m'entends-je lui répondre d'une voix assez forte portée par le vent.
Paul est déjà loin devant moi. Il hésite un peu avant de finalement retrouver l'endroit où, tout à l'heure, nous avons pu franchir sans trop de difficultés l'entrelac de fils de fers barbelés qui devait nous interdire l'accès à la plage. Il est déjà passé lorsque je me baisse à mon tour pour éviter les pointes de métal acérées. En haut de l'escalier de droite la sentinelle nous observe avec des jumelles mais n'intervient pas. Nous prenons celui de gauche pour ne pas passer à sa portée. Nous suivons les rues commerçantes au pied de la falaise, aujourd'hui presque désertes, puis nous entamons la montée vers la maison en longeant les hauts murs de briques et de silex des grandes propriétés du bord de mer. Paul court jusqu'au premier coin de rue et disparaît. Je le laisse profiter de ces quelques secondes de liberté. Il m'attend tout fier dans le jardin d'Etche Ona, sur la balançoire qui grince sous la poussée de ses jambes. Je referme consciencieusement le portillon qu'il a laissé ouvert.
Je rentre seule dans la maison.
Dans l'étroit couloir je m'appuie au mur et je me serre contre le gros radiateur. Le souffle un peu court après la montée, les yeux clos pour ne pas me voir dans le miroir en face de moi, les mains sur le métal froid et les fesses pressées sur les moulures de fonte je laisse mon corps se souvenir.
J'attends ... J'attends les mains de Bruno ... J'attends le bruit de la porte refermée d'un coup de pied en arrière et son genou entre mes cuisses qui triomphe de la résistance qu'elles ne lui opposent pas ...
J'attends ... mais il ne me reste que le froid du métal dans les mains et une douleur pointue au creux des reins.

Il ne pleuvait pas lorsque vous avez quitté votre appartement. Trente-cinq mètres carrés très agréables sur le boulevard François Villon. Sans parapluie comme la plupart des étudiantes, vous avez eu beau presser le pas et même courir, vous êtes trempée. Votre petit blouson de cuir ruisselle de pluie, la moquette bleu marine de la Librairie porte les traces mouillées de vos Doc's et vous tendez les bras afin que les gouttes d'eau qui tombent de vos cheveux ne s'écrasent pas sur les pages du livre.
Il s'approche silencieusement. Vous cherchez Axelle des yeux mais elle n'est pas là. Vous vous moquez de vous-même, mais vous avez peur, ne dîtes pas le contraire ! D'une simple réprimande ?
Vous posez délicatement le livre sur les deux autres exemplaires qu'il reste sur la table et vous vous dirigez vers la porte. Quand vous sentez sa main se refermer sur votre bras, vous poussez un petit cri de surprise.
- Vous n'allez pas repartir comme cela ! ... attendez que la pluie cesse ! ... Suivez-moi, je vous en prie ... venez vous sècher les cheveux !
Dans le petit bureau pourtant surchauffé, vous frissonnez en enlevant votre blouson sans vous rendre compte que votre petit débardeur de lin écru est bien court, bien décolleté et bien léger ! Vous croisez les bras sur votre poitrine tandis que la main droite du Libraire effleure votre coude gauche et vous pousse doucement vers la porte des toilettes. Il ne fait pas froid du tout, vous tremblez pourtant encore.
- Vous trouverez des essuie-mains propres sur l'étagère, prenez-en deux ou trois si un seul ne suffit pas.
Il s'excuse et va répondre à deux clientes qu'il a vues entrer.
midnightrambler
midnightrambler

Nombre de messages : 2606
Age : 71
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  Invité Mer 9 Mar 2011 - 15:33

Que de sentiments troubles agitent tous ces personnages ! J'ai aimé qu'on quitte la plage, j'ai aimé que la jeune auxiliaire allemande perde de sa raideur (sourire ici : "la poche arrière de sa jupe sur le ventre."), je trouve le travail sur le détail réussi (le passage contre le radiateur, par exemple).

Maintenant, côté moins laudatif, je me suis également et très vite fait cette remarque :
- Pourquoi me dîtes-vous tout cela ... demandé-je ... vous pourriez avoir des tas d'ennuis ?
, les confidences de la jeune allemande me semblant bien soudaines et peu prudentes. En même temps, il faut bien que le récit avance... (au passage : "dites", sans circonflexe. La faute est répétée dans la partie en italiques).

Et je trouve ici une incongruité avec ces deux phrases juxtaposées, tant le geste de la jeune pour couvrir sa poitrine me semble indiquer qu'elle réalise en effet bien que... :
vous frissonnez en enlevant votre blouson sans vous rendre compte que votre petit débardeur de lin écru est bien court, bien décolleté et bien léger ! Vous croisez les bras sur votre poitrine tandis que la main droite du Libraire

Je regrette aussi d'avoir à progresser par épisodes, ce n'est pas ma méthode de lecture préférée.


Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  elea Mer 9 Mar 2011 - 20:40

J’ai bien aimé que ce soit l’occupée qui prenne l’ascendant sur l’occupante, que la relation entre les deux renverse le rapport de force, l’une devenant timide, hésitante alors que l’autre la coupe et s’en va quand elle veut, marquant ainsi sa liberté.
Parallèlement, on retrouve un peu ce rapport de force entre "vous" et le libraire, du moins c’est comme ça que je le ressens.
Une remarque : personnellement j’ai trouvé étrange la moquette dans la librairie, celles que je fréquente n’en ont pas, ce qui me semble normal car c’est plus salissant ou difficile à nettoyer, c’est un détail je sais mais qui m’a interpellé.
Le plaisir de lecture est toujours au rendez-vous et j’ai aimé le passage dans l’entrée. Il y a des évocations sensuelles dans ce texte qui sont selon moi assez réussies car pas trop appuyées. J'apprécie aussi que l'italique soit de plus en plus développé tout en gardant une part de son mystère.

PS : quand il s'agit de suites il n'est pas nécessaire d'attendre une semaine entre chaque épisode, et je ne dis pas ça en tant que lectrice impatiente bien sûr ! :-)

elea

Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Les mains d'un homme ...

Message  midnightrambler Jeu 10 Mar 2011 - 20:37

Bonsoir Easter(Island),
Bonsoir Eléa,

Je comprends bien que la lecture par épisodes ne soit pas toujours très facile et soit surtout génératrice de beaucoup de frustration ... !
Pourtant je ne souhaite pas poster des textes trop longs car je trouve que la lecture sur écran n'est pas ce qu'il y a de mieux ! Que pensons-nous du livre numérique d'ailleurs ? Nous pourrions lancer un petit fil sur ce thème si cela n'a pas déjà été fait !
De plus, je ne veux pas décourager le lecteur qui a envie de lire attentivement pour commenter !
Enfin l'absence d'une fonction "brouillon" ne permet pas de "stocker" la première partie d'un texte pour ensuite la reprendre le lendemain ou le mois suivant, la complèter et l'envoyer.

Il y a de la moquette dans certaines Librairies, surtout celles qui ont voulu développer un caractère "cosy" et chaleureux ... bien différent de ces rayons ou centres culturels aux larges allées qu'on nettoie au jet d'eau et à la balayeuse autoportée !

Merci de lire et de commenter avec tant de précision !

Amicalement,
midnightrambler
midnightrambler
midnightrambler

Nombre de messages : 2606
Age : 71
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  midnightrambler Ven 6 Mai 2011 - 1:59

Quelqu'un, l'histoire familiale n'a pas retenu qui, l'a un jour baptisée "Etche Ona". En basque et en fines lettres rondes, noires sur une plaque de marbre bleuté, apposée sur la façade blanche entre deux fenêtres aux volets blancs eux-aussi dont la peinture commence malheureusement à s'écailler : "Notre Maison". Très normande, malgré ce nom.
L'unique fenêtre aux rideaux bleu nuit de la chambre que j'occupe s'ouvre sur la rue en pente assez forte ainsi que celles de la chambre d'amis, une longue pièce lambrissée meublée avec beaucoup de goùt, très accueillante et toujours très appréciée des invités des parents de Bruno. Paul dort en face dans une grande pièce où j'ai laissé s'installer un sympathique désordre, mi-salle de jeux mi-chambre à coucher d'enfant, dont les deux grandes baies vitrées donnent sur la mer. A côté, une sorte de cagibi habilement aménagé pour cela nous sert de salle de bains. La fenêtre de petites dimensions offre une vue privilégiée sur la plage pour peu que l'on accepte de se tenir debout dans la baignoire placée dessous pour des raisons techniques : facilité et commodité de raccordement aux canalisations d'alimentation en eau et d'évacuation.
- Maman, que faites-vous là ?
La question pourtant discrète et respectueuse de Paul, debout dans l'embrasure de la porte, m'a tellement fait sursauter ce jour-là que j'ai failli, en me retournant brusquement, perdre l'équilibre et glisser sur le fond de la baignoire qu'il aurait fallu essuyer consciencieusement après chaque utilisation.
- Paul ? ... Paul ? ... c'est toi, Paul ? ... Tu ... Tu ...
Je me mis à rire nerveusement parce que c'était lui bien sûr, parce que c'est mon fils évidemment, mon fils unique ; à toute autre personne j'aurais, pour me soulager, instinctivement lancé le premier objet qui me serait tombé sous la main : gant de toilette, savon, brosse à cheveux ou tube de dentifrice. Je me suis contentée de lui jeter ce tutoiement comme cela m'arrive trop souvent dans ce genre de situation, avant de me reprendre :
- Vous m'avez fait une de ces peurs Paul ! Qu'est-ce que je fais ? ... Je regarde par la fenêtre, Paul, mon chéri ! ... la mer est très belle aujourd'hui ! Venez voir !
Il est monté avec agilité sur le bord de la baignoire et s'est naturellement cramponné à moi. Je l'ai chatouillé en le tenant fermement contre moi. Il a ri aux éclats. J'ai senti la chaleur de son corps contre le mien et ses petites mains tièdes autour de mon cou, j'ai prolongé l'étreinte. J'ai tout fait pour qu'il ne reste de cet incident dans sa mémoire de jeune enfant qu'une sorte de jeu semblable à tous ceux auxquels nous avons l'habitude de nous livrer.
- Là-bas, ... Maman, ... il y a une dame sur la plage ... et un monsieur aussi ! Je vais regarder par la fenêtre de ma chambre !
Il s'est détaché de moi d'un seul coup, a sauté lestement du bord de la baignoire sur le carrelage blanc et a aussitôt disparu sur le palier puis dans sa chambre. J'ai tendu la main pour le retenir, pour l'aider, pour le protéger, inutilement.
- Paul, ... attention, ne vous penchez pas ... ai-je crié, vaguement inquiète ... n'ouvrez pas la fenêtre !
Ce n'était pas la première fois que je m'installais à ce qui est devenu ensuite pour moi un véritable poste d'observation. Moi aussi ce jour-là j'avais bien aperçu sur la plage le monsieur comme avait dit Paul ... et la dame aussi.
Je les vois souvent depuis.
Ils sont maintenant pratiquement les seuls à descendre sur la plage car l'accès en est définitivement interdit aux civils français. C'est la seule fois où Paul m'a surprise dans cette position un peu ridicule : debout dans la baignoire devant la fenêtre ouverte. Désormais je ferme doucement la porte de la pièce et je tourne la clef dans la serrure. J'en fais une sorte de cérémonial. J'emjambe le bord de la baignoire le coeur battant pour prendre position dedans, puis j'en ressors aussitôt pour aller vérifier que la porte est bien verrouillée. La forme de la grosse clef que j'ai du mal à tourner s'imprime profondément dans la paume de ma main.
Mes tentatives presque quotidiennes au début, plus espacées ensuite, de rencontrer le monsieur de la plage ensoleillée, l'homme du littoral, l'officier dans les galets gris sont restées vaines depuis plus d'un mois. Les grillages et les réseaux de fils de fer barbelés sont de plus en plus denses et ils sont toujours surveillés par des soldats en armes. En ville, mes heures de sorties sont par la force des choses les mêmes que celles d'un tout jeune enfant qui ne va pas à l'école. La présence de Paul à mes côtés n'est pas très propice à des rencontres entre adultes. Pas facile non plus dans ces conditions d'étudier des itinéraires à la minute près, de calculer des probabilités de rencontre ou de provoquer des coïncidences comme je savais le faire lorsque j'étais la jeune fille qui voulait que le bel étudiant, mèche blonde au vent et foulard bleu marine autour du cou, la remarquât parmi la foule des jeunes filles du lycée qui se répandait sous les platanes du boulevard Saint-Bertrand à Strasbourg.
Ils ne viennent jamais ensemble.
Je les guette et je finis par les apercevoir tour à tour au bout de la rue des Terre-Neuvas, notre rue. Je les suis des yeux sur deux ou trois cents mètres. L'un comme l'autre descendent l'escalier jusqu'aux galets et se font ouvrir par les sentinelles soudain empressées et respectueuses, une sorte de porte grillagée aménagées dans l'enchevêtrement de poteaux métalliques et de rouleaux de fil de fer barbelé et s'avancent jusqu'au bord de l'eau.
Il ne reste jamais très longtemps : pas plus d'une vingtaine de minutes.
Elle peut y passer toute une matinée ou l'après-midi entier.
Lorsqu'elle est la première installée, il se dirige tout droit vers elle et lui adresse un petit signe comme je l'ai vu faire, puis s'assied face à la mer à quelques mètres d'elle. Si, au contraire, il est déjà là lorsqu'elle arrive, elle ralentit et semble hésiter à passer à sa droite ou à sa gauche. Elle dépasse toujours largement l'endroit où il est assis en le frôlant à moins de deux mètres. Jamais il ne lève pour aller vers elle et l'aider à déplier son petit siège de plage qu'elle installe tant bien que mal dans les galets ronds à bonne distance.

J'ôte enfin les jumelles grises de mes yeux fatigués. Elles ont dessiné autour des cercles rouges que mes lunettes de soleil dissimuleront si nécessaire au regard vigilant de Paul lorsque je descendrai dans le petit jardin où je l'entends jouer.
Bruno les avait rapportées du front au début d'une permission et les avait posées sur la cheminée dans le salon de notre appartement parisien. Il n'en avait pas dit grand-chose et je ne l'avais pas beaucoup questionné lorsque je les avais saisies pour la première fois devant lui, soupesées, portées à mes yeux et dirigées vers la coupole du Sacré-Coeur soudain si proche.
Elles étaient de fabrication allemande.
Je n'ai jamais su si Bruno les avait confisquées à un officier allemand fait prisonnier au cours d'une de ces opérations de reconnaissance qu'il décidait pour rompre le climat d'oisiveté de la Drôle de Guerre que ses hommes et lui-même supportaient difficilement. Pas plus que je n'ai appris par la suite s'il les avaient récupérées sur un corps abandonné à proximité des lignes françaises dans son secteur. Seuls les officiers en étaient munis dans l'armée allemande comme dans les forces françaises. La sangle de cuir clair porte encore des traces brunâtres qui, j'en suis convaincue, ont d'abord été rouges, très rouges. Une relique pour lui comme pour moi aujourd'hui, plus qu'un trophée. Je les ai souvent utilisées à Paris, au théâtre ou à l'opéra avant que Bruno ne les apportât ici, en Normandie, où les horizons sont beaucoup plus vastes et ne les posât un jour sur le rebord d'une fenêtre, face à la mer.
J'aurais dû remettre ces jumelles aux autorités allemandes car il est formellement interdit d'en détenir. Je les ai conservées à toutes fins utiles. Aujourd'hui, mes mains dans lesquelles je les serre communiquent leur chaleur au métal froid. Je les presse contre ma poitrine car j'hésite à poser à nouveau mes coudes devenus douloureux sur le rebord de la fenêtre. Mes doigts lisent et relisent doucement les lettres et les chiffres gravés en relief dans la matière : CARL ZEISS - Jena D. F. 1917 6 x 42 71954. Le nom du fabricant et celui de sa ville en Allemagne suivis de deux lettres et de la date de fabrication qui jette un pont temporel entre la guerre de nos parents et la nôtre. Les années, les épreuves et les vicissitudes n'ont pas altéré le grossissement et la portée de ces jumelles semblables aux milliers d'autres que suggèrent les derniers chiffres. Seuls traces de ce passé : les quelques éraflures qui les ont marquées en surface. Sur la Ligne Maginot, d'évanescentes formes grises, furtives et courbées sous les rafales de mitrailleuses ont souvent traversé leurs lentilles. Les cercles de métal n'ont pas toujours été assez grands pour contenir les longues arabesques des danseurs de ballet de la Salle Gaveau et ce soir, dans le reste de lumière normande de cette chaude journée, les silhouettes sombres qui se détachent encore sur le gris des galets de la plage restent sagement en ligne avec la mire, hors de portée, hors de ma portée.
Je pose doucement les jumelles sur la tablette que Bruno a fixée un été sous la grande glace qui nous permet de nous voir de la tête jusqu'à la ceinture, au-dessus des deux lavabos de faïence blanche. Il a fait de cet ancien débarras une véritable salle de bains moderne. Du côté opposé à la fenêtre, il a installé une douche au-dessus de la baignoire et fixé une paroi et une porte de verre opaque.
Comme pour faire passer la sangle des jumelles au-dessus de mes cheveux il y a un instant, j'incline la tête vers l'avant pour ôter de mon cou les deux lourdes chaînes d'argent qui pendent sur ma poitrine. Je laisse filer entre les doigts de ma main gauche les grains de café. Ils forment peu à peu un petit tas scintillant à côté de la paire de jumelles tandis que le minuscule bouton de nacre qui ferme le col de mon corsage de soie beige résiste un peu aux doigts de ma main droite. Les suivants sont un peu plus gros et un peu plus dociles entre les doigts de mes deux mains réunies. J'écarte les pans de mon corsage. Je passe doucement un doigt sur la bordure des bonnets de mon soutien-gorge. Mon ongle accroche la fine dentelle noire, dérape et griffe tout à coup la peau souple de mon sein. J'ai un léger sursaut, mon corsage glisse en caressant mes épaules et mes bras et tombe à mes pieds. Aussitôt, entre mes omoplates, mes mains dégraffent mon soutien-gorge et mes seins ronds, un peu lourds, s'ébrouent au rythme des quelques mouvements que j'imprime à mes épaules pour achever de les libérer. Je glisse ma main gauche bien tendue dans ma jupe sur ma hanche, entre le tissu et ma peau. Bruno le faisait souvent. Je sens sur l'os l'ourlet élastique de ma fine culotte, mes doigts hésitent un instant ... à l'intérieur ? ... à l'extérieur ? ... à l'extérieur ! ils glissent sur le tissu soyeux. Je ferme soudain le poing et les trois boutons-pression sur le côté de ma jupe s'ouvrent simultanément avec trois petits déclics, en rafale. Je plaque à nouveau ma main sur ma hanche et ma jupe rejoint mon corsage à mes pieds avec un bruit mou. Je me penche vers la glace pour examiner une fois de plus les petites rides qui se forment autour de mes yeux, un frisson parcourt mon dos lorsque mon ventre entre en contact avec la faïence froide du lavabo. Je me retourne vers la baignoire. Sur mes hanches mes deux pouces accrochent sans hésiter le bord de ma culotte qui, un fraction de seconde plus tard dans un jeu de jambes un peu risqué, se retrouve elle aussi sur le sol : une tache noire sur les carreaux blancs. J'emjambe le bord de la baignoire et je me glisse derrière les parois de verre. Je m'étire sans excès dans cet espace plutôt restreint. J'ouvre le robinet en grand et je me tiens d'abord à l'écart du puissant jet. Après quelques secondes je me redresse et m'avance sous le pommeau. L'eau encore un peu froide me fait tressaillir et le bout de mes seins durcissent sous mes mains d'une façon qui étonnait toujours Bruno. Je grelotte les yeux clos jusqu'au moment où la température de l'eau dépasse celle de l'urine qui coule entre mes cuisses et sur mes jambes.
J'ouvre les yeux.
Entre les filets d'eau qui coulent sur mon visage, je n'ai pas besoin des jumelles pour voir la plage par la fenêtre ouverte. J'allonge pourtant soudain le bras pour les saisir sur la tablette et ma main mouillée manque de les laisser tomber dans la baignoire. Je les porte vivement à mes yeux. Là-bas, Gisela et l'officier allemand progressent pesamment dans les galets. Il la précède de quelques mètres. C'est la première fois que je les vois cheminer ensemble. Elle peine à le suivre et il ne s'arrête pas pour l'attendre. Il se retourne pourtant fréquemment comme pour l'encourager.
L'eau coule toujours sur mes épaules, sur mon dos, sur mes fesses, sur mes jambes ... l'eau chaude sur mon corps ... ersatz ... chaude sur mon corps l'eau ... piètre ersatz ... sur mon corps l'eau chaude ...

- Irez-vous à la Librairie ce matin ?
Il en est encore temps, elle ouvre à neuf heures quinze et votre cours d'histoire du droit ne commence qu'à dix heures, mais il faudrait songer à sortir rapidement de votre lit.
Vous rêvassez ... sur le ventre vous pensez au livre ... en position foetale sur le côté vous réfléchissez ... vous ne savez rien de cette époque ... sur le ventre à nouveau vous cherchez les réponses que ce livre ne vous donnera pas ... un coup de reins et vous êtes sur le dos ... les grands chiffres fluorescents rouges que votre réveil-matin projette au plafond vous narguent : 7:51 ... C'est votre frère Rodolphe qui vous a offert ce gadget hi-tec !
Vous rejetez le drap et vous bondissez. Vous passez nue devant l'armoire à glace qui contemple au pied de votre lit vos nuits plutôt calmes en ce moment, mais vous ne vous attardez pas. Vous êtes satisfaite de votre physique et vous n'avez pas le temps aujourd'hui de vous en persuader encore plus.
Sous la douche vous fermez les yeux. L'eau chaude coule sur votre visage, sur vos épaules et sur votre corps. Pas plus de trois minutes. Vous vous séchez conciencieusement y compris les cheveux avec, cette fois-ci, un immense drap de bain ...
- Tenez, je vous en fait cadeau, c'est le dernier !
Vous étiez en train de gagner la sortie, déçue de ne plus avoir trouvé un seul exemplaire du livre. Désappointée aussi de ne pas l'avoir vu non plus, lui. Il s'était glissé derrière vous après vous avoir vue tourner inutilement plusieurs fois autour de la table des nouveaux romans. Il vous tend maintenant le livre d'un geste ferme.
- Peut-on offrir un livre ?
Vous n'avez pas résisté, vous avez de la répartie et vous aimez ces questions en forme de sujet de dissertation de philosophie.
- On doit parfois prendre ce risque !
midnightrambler
midnightrambler

Nombre de messages : 2606
Age : 71
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  midnightrambler Ven 6 Mai 2011 - 2:08

Bonsoir,

Ce que femme veut ... Ce qu'elea veut !

Amicalement
midnightrambler
midnightrambler
midnightrambler

Nombre de messages : 2606
Age : 71
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  bertrand-môgendre Ven 6 Mai 2011 - 5:26

Peu de détails à souligner, si ce n'est l'utilisation du très parfois bien inutile, comme dans cette phrase :
L'unique fenêtre aux rideaux bleu nuit de la chambre que j'occupe s'ouvre sur la rue en pente assez forte ainsi que celles de la chambre d'amis, une longue pièce lambrissée meublée avec beaucoup de goùt, très accueillante et toujours très appréciée des invités des parents de Bruno.

Comme pour faire passer la sangle des jumelles au-dessus de mes cheveux il y a un instant, j'incline la tête vers l'avant pour ôter de mon cou les deux lourdes chaînes d'argent qui pendent sur ma poitrine. N'est-ce pas trop excessif ?

La volonté de préciser chaque fois l'origine d'un objet (la paire de jumelle) ou la situation dans l'espace d'un personnage (le petit garçon) ou d'un détail architectural (la fenêtre) trouble la lecture.

Sinon, la qualité de l'écrit me permet d'attendre la suite.
bertrand-môgendre
bertrand-môgendre

Nombre de messages : 7526
Age : 104
Date d'inscription : 15/08/2007

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  elea Ven 6 Mai 2011 - 16:10

Aussitôt réclamé, aussitôt eu. Merci !

Je retrouve le souci du détail et de la précision qui rend les descriptions si visuelles, la maison par exemple ou la salle de bain. Avec parfois, rarement mais parfois, le détail superflu, par exemple : pour peu que l'on accepte de se tenir debout dans la baignoire placée dessous pour des raisons techniques : facilité et commodité de raccordement aux canalisations d'alimentation en eau et d'évacuation.
Je pense qu’on peut s’arrêter à raisons techniques et à chacun d’imaginer lesquelles.

Sinon je suis intriguée par le manège des deux allemands sur la plage, qui ressemble, observé de loin avec des jumelles, à une parade d’amoureux. Et en parlant des jumelles j’ai aimé connaitre leur histoire et voir de quelle manière elles font surgir les souvenirs. J’aime bien ces petites digressions, ma lecture est agréable et je ne suis donc pas contre prendre le temps d’en découvrir plus.
Et puis les choses se précisent dans la librairie… vivement la suite.

elea

Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  Invité Dim 8 Mai 2011 - 19:17

Mené de main de maître. Je trouve que le parallèle entre les deux récits fonctionne toujours bien, en évoluant dans des directions différentes sinon opposées : plus de mystère d'une part ; et des détails propres à un début d'éclaircissement d'autre part.

Toutefois, comme les commentateurs précédents, je trouve parfois le détail lourd. Exemple : Du côté opposé à la fenêtre, il a installé une douche au-dessus de la baignoire et fixé une paroi et une porte de verre opaque.
Mais aussi parfois plus qu'utile ou nécessaire, il rend le récit très vivant, par exemple dans le passage où la narratrice se dévêt : Je ferme soudain le poing et les trois boutons-pression sur le côté de ma jupe s'ouvrent simultanément avec trois petits déclics, en rafale. Je plaque à nouveau ma main sur ma hanche et ma jupe rejoint mon corsage à mes pieds avec un bruit mou.


Quelques remarques de forme :
eux-aussi (sans tiret)
Seules traces de ce passé
une fraction de seconde plus tard dans un jeu de jambes un peu risqué,

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  Rebecca Dim 8 Mai 2011 - 20:08

Je lis depuis le début. Je commente moins en ce moment , de façon générale, donc je n'ai pas déposé de commentaires.
Mais je suis cette histoire avec plaisir et intérêt. Un vrai talent de narration.
Rebecca
Rebecca

Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  midnightrambler Dim 8 Mai 2011 - 22:42

Bonjour,

Merci à mes tous mes commentateurs ... les plus récents en particulier : bertrand-môgendre (je m'appelle Bertrand aussi), elea qu'il me coûte beaucoup d'écrire sans majuscule par respect de son pseudo, Easter(Island) et Rebecca.
C'est aujourd'hui mon anniversaire ... Vos commentaires sont mes premiers cadeaux !

Amicalement,
midnightrambler
midnightrambler
midnightrambler

Nombre de messages : 2606
Age : 71
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010

Revenir en haut Aller en bas

Les mains d'un homme sur mon corps… Empty Re: Les mains d'un homme sur mon corps…

Message  Contenu sponsorisé


Contenu sponsorisé


Revenir en haut Aller en bas

Page 1 sur 2 1, 2  Suivant

Revenir en haut

- Sujets similaires

 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum