Dialogue entre C et J

C aborde J au cours d'un dîner. J est habillé d'une élégante mais conformiste excentricité, C d'habits décalés, vulgairement peigné. La voix de C est forte, portée.

C - Comment vous nomme-t-on, vous autres, accoutrés pareillement ?

J - On nous appelle généralement dandy.

C - Un dandy ! Qu'est-ce qu'un dandy, sinon un fou assez sensé pour aller jusqu'à lécher du miel sur les doigts de la mort ! Vous n'avez rien d'un dandy, vous et vos compagnons.

J - Nous n'aimons pas le miel, nous y préférons la chair elle-même. Si la mort était une femme, une jolie femme, alors nous lui lécherions volontiers les doigts, mon cher.

C - Allons, trêve d'histoires. Vous n'êtes que de mauvais esthètes prétentieux. Même dans l'art mystérieux du mauvais goût, vous êtes bien trop peu soigné pour briller un tant soit peu. Vous n'avez rien d'original. Vous n'êtes que la pâle copie d'un vulgaire homme se voulant intéressant, et à part.

J - Quelle violence dans vos propos, cela me peine. Qu'est-ce qu'un dandy, vous demandiez-vous. Un dandy n'obéît à aucune règle, sinon les siennes.

C - C'est ce que vous croyez ? C'est ce que vous pensez ?

J - Oui, en effet. Et c'est dans cet état d'esprit que je marche canne au bras chaque matin.

C - Tout bon dandy ne marche avec sa canne que l'après-midi, voyons.

J - Et pourquoi cela ?

C - Parce qu'il est trop occupé à la lustrer le matin, cela me paraît évident.

J - Je n'ai pas le temps de chômer le matin, figurez-vous.

C - Un dandy n'a jamais le temps de rien faire, sinon être beau et se divertir.

J - Etre beau ne me prend que quelques minutes.

C - Etes vous humain ? Ou bien, savez-vous réellement ce qu'est la beauté ? Elle est l'effort, et l'attente de la mort.

J - Je fuis la mort, et crois en la beauté naturelle.

C - Que cela est superficiel, d'aspirer au naturel !

J - Le naturel est l'essence même de toute chose.

C - L'essence n'est intéressante que quand elle s'embrase.

J - Vous m'agacez. Votre bouc n'a rien d'élégant, et vos habits sont froissés, mal assemblés.

C - Oh, croyez-moi, je mets bien plus de soin à tailler mon bouc et choisir mes habits, que vous n'en mettez à faire de même.

J - On vous dirait levé et préparé à la va-vite, vous abusez de mauvaise foi !

C - C'est bien là que je vous surpasse. Le dandy est celui qui arrive mieux que personne à paraître négligé, et, croyez-le, cela demande toute une vie. Oui, c'est cela. Le dandy feint de négliger alors qu'il est conscient. Et sa conscience est cette essence qu'il embrase depuis le matin devant son miroir, jusqu'au soir dans ses draps.

RIDEAU

Une petite pièce sympa. Il serait intéressant de continuer à faire vivre ces personnages dans un autre acte. Les habillés d'une histoire mystérieuse par exemple. A vous de voir.