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Rédemption par le récit ?

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polgara
AliceAlasmartise.
Janis
Raoulraoul
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Rédemption par le récit ? Empty Rédemption par le récit ?

Message  Raoulraoul Mer 13 Juin 2012 - 9:24

REDEMPTION PAR LE RECIT ?

Pour ceux qui auront survécu à cet événement, j’écris cela, afin qu’ils gardent le souvenir de cette histoire, jusqu’à la fin de leurs jours.

« Nous avions alors tous beaucoup travaillés. Mais à chaque fois le résultat de nos calculs s’avérait inexact. Serguei était le plus convaincu. C’était lui qui fortement contribuait le plus à maintenir notre espoir. Grâce à lui, nous redescendions tous dans les soubassements de l’immeuble avec la même volonté de réussir. Sauf Oleg. C’était le plus agressif de l’équipe. Heureusement que Piotr le menaçait régulièrement de lui casser la gueule. Sans le courage de Piotr, je ne serais plus là pour vous raconter l’histoire. Merci Piotr, si tu m’entends encore de l’autre côté de ce monde.
Ce fut seulement au matin du quinze février que nos calculs nous éclairèrent sur la situation. Ce fut alarmant. L’intuition de Serguei se révéla hélas juste. « Nous ne sommes pas diplômés des grandes écoles pour rien », ironisait Piotr pour essayer de détendre l’atmosphère.
Mais l’heure était dramatique. Il fallait avertir très vite les habitants de la cité. Nous ne savions pas encore combien de temps l’immeuble tiendrait debout. La chute du bâtiment entraînerait celle des autres à coup sûr. Il fallait évacuer, mais sans précipitation. Trop de secousses accélèrerait l’inévitable. Boris prit en main l’opération. Son expérience passée dans les brigades de sécurité lui donnait un avantage.
En quelques heures toutes les familles se retrouvaient avec leurs valises dans la rue. Il fallut parfois aller chercher de force des personnes récalcitrantes qui ne voulaient pas quitter leur logement. Nous n’avons pas pu hélas empêcher le saut de quelques vieillards qui se sont jetés dans le vide du vingtième étage. Dans cette affaire c’était les enfants qui étaient les plus coopérants. Grâce à eux nous avons limité le nombre des suicides. Boris aussi fût remarquable pour acheminer la population vers les gares en un minimum de temps. Il sut trouver les arguments pour dissuader les fortes têtes, qui dans ce cas veulent toujours se distinguer en imposant des solutions extravagantes. On expliqua que l’écroulement des immeubles dégagerait des poussières toxiques sur plusieurs kilomètres. Le vent se chargerait aussi de porter le nuage sur des zones plus lointaines. Il fallait prendre de l’avance.
Les gens se massaient sur le quai. Les trains furent pris d’assaut. Tout le monde s’entassait dans les wagons avec une sauvagerie inquiétante. Des enfants en bas âges furent étouffés. Un homme trucida sa femme parce qu’elle était trop grosse et qu’elle bloquait le couloir. On flanquait les paralytiques dans les filets à bagages. C’était sûrement eux par ce fait qui furent les plus chanceux. Puis je perdis à cet instant mes compagnons de vue. Serguei, Piotr, Boris, et le brutal Oleg pour lequel je ressentis maintenant de l’indulgence.
Les trains partirent. Leur vacarme couvrit à peine l’explosion des immeubles qui intervint à ce moment. La foule poussa des hurlements de frayeur. Des murs entiers furent projetés dans le ciel à plusieurs centaines de mètres. Chacun en lui-même pensa à son histoire intime qu’il laissait dans cette catastrophe. Des événements heureux. Des quantités d’objets personnels qu’il n’avait pas pu emporter dans les valises. Il fallait aussi verrouiller toutes les fenêtres du train. La poussière toxique allait commencer à se répandre sur la ville et la campagne. Dans les wagons une chaleur suffocante incommodait les passagers. Je parvins à atteindre un petit bout de vitre qui me permit de voir le paysage. Il n’y avait plus de paysage.
Des nuées de fumée noire roulaient sur les maisons. Une course inégale s’engageait entre le train et l’avancée vertigineuse des rouleaux de fumée. C’était la mort qui nous rattrapait. Je priai pour que le train en sorti vainqueur. Nous roulâmes ainsi durant plusieurs heures. On traversa à toute allure la ville ouvrière de Pripiat. Les visages des gens s’étaient décomposés, livides, le regard absent ou plongé dans d’effroyables abîmes. Les teints jaunâtres, comme si les trépidations du train broyaient de l’intérieur les organismes. Parfois des visions insoutenables s’emparaient des esprits. Des fièvres suantes inondaient les visages. Des rires inextinguibles secouaient les corps. Puis des périodes de silence s’abattaient dans le wagon, aussi terrifiantes que les prémices de l’enfer.
Alors je me levai. Je m’extirpai de l’entrelacs des membres que formait la foule compressée. Je me dirigeai vers l’extrémité d’un wagon. Je reconnus sur mon passage ce brave Serguei. Je voulu lui transmettre un message. Mais il ne compris pas mes signaux comme moi tout autant je ne captais plus les siens. Je rassemblai toutes mes forces pour parvenir à une porte qui ouvrirait sur la voie. Le train ralentissait. C’était le moment pour sauter.
Mais lorsque j’ouvris la porte les passagers tentèrent de me retenir. Ils s’agrippèrent à moi avec une violence déconcertante. Je ne savais si je devais l’interpréter comme un élan de bienveillance ou une haine désespérée. J’assénai des coups de valise à tout va sur les têtes. C’était mon ultime chance pour sauver ma peau de ce convoi sinistre. Je glissai enfin sur le ballast. Le train frôla une paroi de rocaille. Je crus mes dernières minutes arrivées lorsque ma cage thoracique manqua s’écraser entre le train et la paroi. Je fus épargné par miracle.
Je ne comprenais pas mon acte insensé. Pourquoi avais-je sauté du train ? Le nuage de fumée mortelle flottait sur la campagne. Un vent le poussait à toute allure. Je me collai au sol, le visage dans la terre et je laissai passer le tourbillon de fumée qui escortait furieusement le train au loin.
Je me souvins seulement d’une pluie fine quand je me réveillai dans le lit d’une maison paysanne. Mes hôtes m’expliquaient dans un dialecte laborieux que le fermier m’avait recueilli de justesse avant que la herse de sa charrue ne vienne labourer mon corps. Et je souriais niaisement. J’avais la certitude que le train n’arriverait pas indemne à sa destination. Entre l’effroi terrorisant de tous ses passagers et l’attaque mortelle des fumées, j’avais choisi de mourir à l’air libre. »

Aujourd’hui je m’en sors. Et j’écris le récit de cette catastrophe. Je pense à mes amis, Serguei, Piotr, Boris, Oleg. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus. Je leur demande de comprendre ma lâcheté. C’est elle qui m’aura servi à trouver les mots pour rédiger maintenant la chronique de cette tragédie, et peut-être les dernières minutes d’existence de mes compagnons.
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Message  Invité Mer 13 Juin 2012 - 15:39

Encore un texte intéressant, surprenant.
Impression d’un texte suspendu dont on ne connaît ni les tenants ni les aboutissants ; d'une certaine étrangeté.
Outre l’indice des noms, on ne sait donc rien, ni où ni quand ni pourquoi. On imagine, on suppose et on se raccroche à des bribes d'évènements dévastateurs connus.
La menace plane sans être jamais précisée ou vraiment identifiée et pourtant bien réelle, l’absence de repères contribue à alourdir l'atmosphère, à la rendre inquiétante, à favoriser la peur.

Quant à la conclusion... ma foi, elle illustre parfaitement la propension de l’humain à trouver la justification idoine à tout acte de lâcheté.

Ci-dessous, ce que j'ai relevé d'erreurs de langue :

Nous avions alors tous beaucoup travaillés. (travaillé)
Dans cette affaire c’était les enfants (c'étaient)
Boris aussi fût remarquable (fut)
Des enfants en bas âges furent étouffés. (âge)
et le brutal Oleg pour lequel je ressentis maintenant de l’indulgence. (il me semble que l'imparfait serai plus correct ici)
Je priai pour que le train en sorti vainqueur. (sortit)
Je voulu lui transmettre un message. Mais il ne compris pas mes signaux comme moi tout autant je ne captais plus les siens. (voulus ; comprit ; captai ; et de toute façon " comme moi tout autant que" est bancal. Pourquoi pas tout simplement : " pas plus que je ne captai les siens" ?)

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Message  Janis Jeu 14 Juin 2012 - 8:44

ici aussi ça foisonne, et c'est bon

j'adore l'homme qui trucide sa femme parce qu'elle bloque le couloir, les vieillards qui sautent, les enfants qu'on étouffe, les infirmes qu'on fourre dans le filet à bagages.

L'écriture par le choix et l'agencement des mots, par le souffle qui l'habite, crèe ce dont elle parle : un moment de chaos, de panique, de destruction, où tout se déshumanise dans un sauve qui peut général.

J'ai passé un très bon moment.
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Message  AliceAlasmartise. Jeu 14 Juin 2012 - 8:44

Comme celle de tous tes textes, j'ai apprécié ma lecture. Ici tu ne t'embarrasses pas de lieux, d’époque, de temps, on a juste l'action et les personnages. Ça donne beaucoup de force au récit, je trouve. On rentre facilement dans l'action, et le narrateur est très humain.
Et puis la conclusion ne donne aucun indice sur ce qui est arrivé au train, le lecteur peut imaginer ce qui lui plaira.
Merci beaucoup pour le texte :-)
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Message  polgara Jeu 14 Juin 2012 - 13:42

c'est bon, très bon, suffisamment frustrant pour regretter que le récit n'aille pas plus loin sans forcement le vouloir pour autant. Malgré l'absence de descriptifs des personnages, tout est ciselé comme un film, les images se détachent nettement dans un flou savamment orchestré. Et puis cette folie humaine écrite / décrite comme une normalité : on trucide la grosse, les mioches ils étouffent et les handicapés hop dans les filets. normal quoi.

une jolie promenade macabre teintée d'une délicate lâcheté, j'adore.
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Message  Phoenamandre Jeu 14 Juin 2012 - 16:23

Un texte vraiment surprenant, comme le dit Easter, on ne comprend pas l'avant, on devine l'après, mais l'essentiel est là, les faits se déroulent et on est suspendu aux mots du narrateurs parce que l'écriture est très fluides.
On a quelques images bien connues qui nous sautent aux yeux, dans ces films, ces récits de catastrophes, mais impossible de les appliquer entièrement à ce qu'il se passe ici.

J'ai bien aimé !

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Rédemption par le récit ? Empty Re: Rédemption par le récit ?

Message  Louis Mar 19 Juin 2012 - 21:51

Le narrateur présente son écrit comme une lutte contre l’oubli, il prétend graver un événement dans la mémoire, pour l’éternité.
Mais qu’est-ce qui ne doit pas être oublié ?
Un événement catastrophique ? La fuite pour lui échapper ? Une amitié ? Un acte « lâche » mais salvateur ?
Comment les survivants de cette histoire pourraient-ils oublier ? Ont-ils besoin d’un écrit pour se remémorer les événements terribles qu’ils ont vécus ?
N’est-ce pas le narrateur qui, dans l’incapacité d’oublier, transforme sa faiblesse en force ?
Il écrit, non pour la mémoire, mais pour se libérer d’un passé qui le hante. Libération qui passe par la mémoire. Il écrit pour se délivrer, se racheter, en vue d’une « rédemption ».
Il se sent, en effet, en faute ; il a mauvaise conscience. Qu’a-t-il donc à se reprocher ?
Sa « faute » ne semble pas évidente.
Une « lâcheté » écrit-il.
Une lâcheté, oui, au sens d’une rupture avec le groupe, d’une rupture de solidarité ; au sens d’un acte individuel qui rompt un être-ensemble, un écart par rapport au sort commun ; au sens d’un lien brisé avec les autres qui sont « lâchés », délaissés, si bien que les individus ne tiennent plus ensemble. La « lâcheté » est ici un détachement, une séparation, un isolement, mais aussi un abandon.
L’histoire commence par « nous » et par « tous » : « Nous avions alors tous beaucoup travaillés », et se termine par « je » : « Aujourd’hui je m’en sors ».
D’abord un travail en équipe, des compagnons, une amitié, puis un sauvetage et une fuite, toute une population entassée dans des trains qui tentent de fuir la catastrophe et la mort.
L’acte « lâche » consiste à sauter d’un train, à ne plus partager la peur, l’effroi, la terreur des passagers ; à ne plus se laisser emporter avec les autres vers une mort probable. Pourtant, il ne s’agit pas d’un manque de courage pour affronter la mort ; en sautant du train, le narrateur l’affronte, risque sa vie, mais il le fait seul, en se détachant des autres, la population, mais aussi ses amis et compagnons. Il ne partage plus le sort commun, il se dégage de la multitude dans un acte individuel singulier, « Alors je me levai. Je m’extirpai de l’entrelacs des membres que formait la foule compressée ». La foule semble former un corps commun, un organisme dont chacun est membre, « l’entrelacs des membres », un organisme aux membres interdépendants ; le narrateur se détache, ne fait plus corps avec les autres, affronte son destin dans l’indépendance, en solo, solitairement.
Il survit, et il est peut-être le seul à survivre.
Il se sent coupable. Comme les survivants des camps de la mort nazis se sont sentis coupables.
Il écrit, non seulement pour exorciser son sentiment de culpabilité, mais pour se racheter, pour retisser le lien brisé avec autrui. L’écriture, en effet, est partage avec des lecteurs, elle est un lien particulier avec des lecteurs. Il écrit pour renouer un lien, pour reproduire un être-ensemble détruit par son acte « lâche ».
Bravo Raoulraoul pour ce texte fort intéressant.




Louis

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Message  lol47 Mer 20 Juin 2012 - 19:13

Celui-ci est dix fois meilleur que le précédent de toi que je viens de commenter.
Maîtrisé, même s'il me manque quelques pièces du puzzle.
Quant à la lâcheté, seuls les fous ou les imbéciles se comportent en héros.

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Message  Sahkti Ven 21 Sep 2012 - 9:30

Le fait que tu ne t'encombres pas trop de détails, de descriptions de personnes ou autres, me plaît beaucoup car au bout de quelques lignes, on se rend compte que ce n'est finalement pas indispensable pour comprendre et évoluer dans ce texte que je trouve rudement bien ficelé. Un univers intriguant dans lequel on s'immerge avec facilité, curieux de l'issue.
J'ai également un coup de coeur pour cette cruauté qui s'étale froidement, presque banalement et qui prendrait presque du sens ainsi présentée. Un bon moment.
Sahkti
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