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Je suis beau et intelligent

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Message  Raoulraoul Dim 23 Sep 2012 - 16:36

JE SUIS BEAU ET INTELLIGENT


Je suis beau. Je ne le sais pas encore.
Il n’y aurait que le monde pour le dire.
Si je rentre dans un magasin, ce ne sont pas les objets qui reflètent ma beauté. C’est le sourire des gens. Le regard des gens. Mais un sourire ou un regard n’est qu’interprétation.
Alors je vais dans les bals, les réceptions, les réunions de toutes sortes. Les corps peuvent se manifester. Un geste, des paroles, un silence suspendu… Les effets de ma beauté opèrent sur du « vivant ». Ma beauté, c’est la forme conforme à ce qu’on a ici l’habitude de considérer comme beau. Chez les Papous je passerai inaperçu. Au milieu des chats, des chiens, ou autres espèces, ma beauté est sans effet. Elles s’en foutent les araignées ou les lucioles de ma jolie figure.
Alors dans les villes de notre région je profite de mon allure exceptionnelle. Dans un salon, chez des amis, une fille a voulu connaître de plus près ma beauté. Elle a touché mon visage et même serré mon corps contre le sien. Elle a désiré aussi le voir sous mes vêtements. Ce n’est plus la même beauté. Des bras, des jambes, un tronc ne ressemblent jamais à un visage. Souvent, parce que le visage est accueillant, on a envie de savoir si le reste a le même attrait. C’est une bêtise.
Aussi, avec cette fille, une fois que mon visage et que mon corps lui ont été découverts, elle m’a regardé autrement. Dans les yeux, elle m’a regardé. Je ne sais pas ce qu’elle y a vu. Il a fallu aussi que mes paroles lui plaisent. Là, je ne sais plus où se loge la beauté. Toujours est-il que mes mots, mes soupirs, mes regards ne devaient jamais assombrir le visage de la fille. J’ai essayé de tenir cet accord. Rester beau aussi dans ce domaine de l’informe. Ca a du marcher.
La fille a voulu me revoir longtemps. Je lui suis devenu indispensable. Evidemment il fallait que je réponde à ses demandes. Lui signifier qu’elle était belle, plus belle que tout le monde et que jamais je ne pourrai me passer d’elle. Cela a duré un temps, qu’on peut juger trop long ou trop court. Qu’importe. La fin de ce temps a été repérable à partir du moment où mes soupirs, mes paroles, mes regards n’ont plus correspondus à ce que la fille attendait. J’ai regardé ailleurs.
Le visage de la fille s’est assombri. Son corps a bougé autrement, comme secoué, se repliant, émettant des sons inaccoutumés et violents. Ses paroles envers moi sont devenues des flèches piquantes. Ses gestes n’étaient plus un hommage à ma beauté. Qu’importe.
A présent je dois vérifier si ma beauté opère encore avec d’autres personnes. C’est toujours le cas. On m’ouvre facilement des portes, on m’invite, des bras m’enlacent, les lits pour moi se défont, je suscite la confiance, on m’admire, on me respecte.
Quand je pense à la première fille que j’ai quittée, je me dis qu’elle est fautive. Qu’elle besoin avait-elle d’espérer en moi ? Elle me fait rire.
Je me dis que ma beauté doit profiter au plus grand nombre. Alors j’élargis le cercle de mes connaissances. Je fréquente les réunions où se jouent le bonheur et l’avenir social. Je monte sur des tribunes. Je remarque que la beauté doit se compléter du courage. J’affronte de nombreux adversaires. J’ajoute de belles paroles à mon apparence. Derrière la beauté de mes yeux, de mes cheveux, ma silhouette, je développe courageusement la beauté des idées. Et comme je dis que le monde aussi doit être beau et meilleur, tout le monde vote pour moi. Puisque je suis beau et que j’ai le pouvoir, je peux maintenant alors agir. Aucun candidat, autre que moi, ne peut réunir de tels atouts.
Tout de go je décide de réformer ce qui ne me convient pas. Les insoumis se rassemblent devant les grilles de mon palais. Les images de ma personne placardent les murs. Je me montre souvent devant les caméras. Je souris et je dirige. Dans les rues, quand je me déplace, on me protège et on m’acclame. Des individus crient. Je suis obligé de les enfermer et de les punir. Beaucoup de femmes veulent de moi obtenir une audience. Je ne sais si c’est en raison de ma beauté. Elles m’insultent ou me font des louanges. Je ne comprends pas leurs insultes, car la beauté de mes actes veille avant tout à satisfaire l’ensemble de mon territoire. Comment ne pas être sensible à l’importance de mon poste, où je m’impose si aimablement pour le bien de tous ! Les prisons sont pleines et je dois les agrandir, sinon les agitateurs et les mécontents dépasseront le nombre de mes adorateurs.
Heureusement, le soir, dans les boudoirs feutrés de mon palais, des filles m’offrent des divertissements. Avec elles je ne prends plus la peine de soupirer, ni de chercher mes paroles et les regards les plus doux. Elles doivent m’obéir. Ma beauté leur suffit. Si l’une d’elles déroge à la règle, si son savoir-faire est défaillant, je m’autorise à l’humilier, puisque la beauté doit être toujours gratifiée sans mesure. Quelques unes ainsi, de ces filles récalcitrantes, ont assouvi l’appétit sexuel de mes chiens.
Les invités qui partagent mes soirées sont soigneusement choisis. Mais un soir, toutes les filles subitement me délaissent. C’est un autre que moi, ici dans les alcôves, qu’elles convoitent. Quel est donc cet homme irrésistible ? Diable ! qu’il est laid ! Barbu, velu, ses mains pataudes taillées dans le roc. Je l’observe, affalé sur les fauteuils. Il intéresse l’assemblée. On dit que c’est l’une des filles qui l’aurait introduit dans le palais. Elle la ramassé dans la rue, mais c’est un homme des campagnes, rustre, grossier, sans éducation. A le voir il vous remplit de dégoût. Il sentait fichtrement mauvais, avant que la fille ait troqué ses hardes contre un costume trois pièces et qu’elle l’ait partout vigoureusement shampouiné. Il pavane maintenant dans la lumière ocre de mes spots.
Je le convoque pour le lendemain. Je m’apprête à le jeter manu militari dans mes geôles pénitentiaires. Mais nous parlons d’abord un peu.
- Comment t’appelles-tu ?
- Enkidu.
- Ce n’est pas un nom d’ici. D’où viens-tu ?
Il me grogne un borborygme. C’est un étranger, sans patrie, sans toit ni loi. Et il se targue de vouloir partager la même chair fraîche que moi ! Je suis sur le point de signer son arrêt, quand une force étrange retient mon bras. Un force qui tempère ma colère. Une force paisible qui irrigue mes membres. Au milieu de la face velue de Enkidu brillent deux yeux, aussi perçants que des étoiles. Dans sa barbe de paria, une rangée de dents lumineuse éclaire son sourire. Dans sa broussaille pileuse il faut aller chercher ce trésor. Je succombe, aussi stupidement que les filles, l’autre soir. Je libère ce bougre de Enkidu.
Mais dans les semaines qui suivent des événements me chagrinent. Le peuple remue, les syndicats se rebiffent. Je ne peux déporter une population entière dans les camps d’internement. Je fais appel à l’armée pour calmer le pays. Rien n’y fait. La beauté de mon règne est salie, elle ne séduit plus.
Enkidu réapparaît alors. Il est boiteux, tordu, la gueule de travers, mais il resurgit à la porte de mon gouvernement. Avec sa difformité effrayante, il me dit des choses pour modérer la tempête populaire. Ses paroles sont si persuasives que je l’entends. Je les répète dans un discours pour la télévision. La colère des rues s’apaise. Mais Enkidu, avec des grimaces hideuses, insiste pour que mes paroles deviennent des actes. Alors, je baisse l’impôt, j’ouvre les prisons, je fais construire des usines. Les citoyens me disent enfin que le pays commence à avoir un visage nouveau. Il fait meilleur dans les cœurs et plus beau dans les esprits. Mes agissements réfléchissent la beauté de mes yeux.
Je ne sais comment remercier Enkidu. Nous devenons amis. Tous les membres de mon ministère adoptent Enkidu. A la grande table du Conseil, un monstre siège, c’est Enkidu. De cet homme aux allures de bête, issu des bois où il buvait avec les chacals dans l’eau des mares, de ce gnome analphabète, on écoute le verbe glapissant qui filtre de ses lèvres adipeuses. Tant et si bien que je ne peux faire une apparition publique sans que l’affreux Enkidu soit à mes côtés. Beauté et laideur réunies semblent satisfaire l’opinion, comme le nuit est nécessaire au jour pour équilibrer le temps.
Mais un matin, Enkidu est absent à la table du Conseil. J’apprends qu’il se tord de douleur, chez lui dans son lit. Je cours à son chevet. Les médecins diagnostiquent un empoisonnement dont ils ne connaissent pas le remède. Enkidu endure des souffrances atroces. Le sang suinte par tous les pores de sa peau. Ses poils ne sont que bouillie de viscères et d’intestins dégorgeant de son ventre. Il bave, éructe. Dans ce cauchemar de sang et de boyaux, Enkidu me chuchote encore des paroles de sagesse et de paix. Je lui tiens sa main tremblante où se recroquevillent des longues griffes de Loup-garou. Dans le fond de ses prunelles enflammées de douleur, je cherche à comprendre cette force qu’il m’a donnée, dès le premier jour de notre rencontre. C’est alors que dans ce désastre de la nature, à l’aspect immonde, je découvre une pépite, celle de la bonté.
Au terme de douze jours d’agonie, Enkidu meurt. Je sais que son empoisonnement est un assassinat. La bonté est le bouc émissaire des jaloux et des intrigants.
Je décrète des funérailles nationales en l’honneur de Enkidu.
Mais j’ai peur. Je ne veux pas mourir comme Enkidu. Il est faux de prétendre que les morts rejoignent les morts. Moi, je veux poursuivre, ici bas, l’œuvre de Enkidu.
Je décroche tous les miroirs de mon palais. Ma beauté est un fardeau. Devant les caméras, à présent, je me défie de mon image. La bonté de mes paroles se substitue à mes sourires. Je ne souris plus. J’aime mes concitoyens. Je débats sur leurs idées. Elles ne tolèrent pas le masque trompeur des apparences.
J’ai aussi épousé une femme et invoqué mon pardon auprès des nombreuses filles que j’ai outragées.
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Message  Lucy Dim 23 Sep 2012 - 18:14

Que voilà un texte qui est bien de notre temps : beauté, pouvoir, argent et la morale à la fin.

Good : j'aime bien l'ensemble, c'est rondement mené, dans un style qui t'est propre. C'est fluide, ça coule, le beau gosse est "méchant".

Pas good (symptomatique de "notre temps") : le "méchant" est, au fond, un "gentil". C'est un phénomène de plus en plus présent dans les films ou les séries télés qui nous dépeignent des ordures finies qui, quand même, ont une conscience et deviennent de plus en plus sympathiques à mesure qu'on avance dans l'histoire. J'aime les "méchants" et les "gentils" ambivalents. J'aime pas quand ils changent du tout au tout, comme dans un texte sacré dans lequel on rachète son âme pour filer au paradis ou dans les champs Elysées.

Ceci mis à part, je reviens sur la fluidité du texte et la qualité de narration que j'ai vraiment appréciées.
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Message  Invité Dim 23 Sep 2012 - 18:37

Je ne sais pas, je trouve que cette fois ça ne coule pas de source.

Par exemple, à mon avis, le passage avec la beauté de la fille tombe un peu comme un cheveu sur la soupe ; jusqu’à ce point on a été occupé de la beauté du narrateur (Gilgamesh), et tout d’un coup : “Evidemment il fallait que je réponde à ses demandes. Lui signifier qu’elle était belle, plus belle que tout le monde et que jamais je ne pourrai me passer d’elle. Cela a duré un temps, qu’on peut juger trop long ou trop court. Qu’importe.”, je ne comprends pas cette intervention, son sens par rapport au reste du récit.

De même je trouve que la façon dont le narrateur devient un personnage public pourrait bénéficier d’un meilleur traitement, c’est rude, pas éminement clair quant à ses motivations :
“A présent je dois vérifier si ma beauté opère encore avec d’autres personnes. C’est toujours le cas. On m’ouvre facilement des portes, on m’invite, des bras m’enlacent, les lits pour moi se défont, je suscite la confiance, on m’admire, on me respecte.
Quand je pense à la première fille que j’ai quittée, je me dis qu’elle est fautive. Qu’elle besoin avait-elle d’espérer en moi ? Elle me fait rire.
Je me dis que ma beauté doit profiter au plus grand nombre. Alors j’élargis le cercle de mes connaissances.”

En fait j’ai l’impression qu'une partie du début du texte est quasi inutile, ou pourrait être sérieusement écourtée, cela n’enlèverait rien à l’essence du récit.

Sinon, oui bien vu Enkidu en spin doctor et pas mal le travail sur le thème de grandeur et décadence ou plus précisément, grandeur et rédemption motivée par la peur.


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