La chair des hommes
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Nicolah
mitsouko
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La chair des hommes
Je repensais à tous ces textes peints à la nuit noire, celle des confidences, des folies...avec cet autre univers accroché au porte manteau, que l’on reprendrait plus tard, quand le jour se lèverait sur le fracas du monde.
Au matin, la ville nous avalerait, vibrante de certitudes, trimbalant ces masses silencieuses aux destins prévisibles. Nous savions cette issue inévitable, alors nous nous enfoncions dans le noir immense, profond, un puits sans fond où nous avancions à tâtons, puis peu à peu on s’habituait aux visions tactiles, aux pénombres accueillantes où les voix remplacent le regard, le toucher recrée les formes.
Nos nuits, nos vaisseaux fantômes, rafiots aux voiles déployées, l’œil vissé à la lunette pour voir se dessiner les contours encore flous de nos îles éternelles. Cette odeur de terre et d’humus, accueillant nos échouages, ces ventres chauds, ces matrices mielleuses où l’on planquait notre tendresse comme un butin dérobé à la vie, ces terriers enfumés de gauloises où l’on retrouvait les connivences animales de la race humaine.
« Etre seul c’est s’entraîner à la mort », disait Céline ….. fallait pas perdre la main, mais parfois le combat était par trop inégal. Alors nous hantions ces derniers refuges des villes endormies, nos comptoirs des Indes, nos vies à l’ancre où nous refaisions le monde. Les bocks de bière s’alignaient sur le zinc comme des menhirs dorés et des volutes de fumée dansaient dans les rais de lumières. J’avais toujours été surpris par cet étrange phénomène compensatoire, entre l’absorption de liquide ou de nourriture et la propension à se livrer, à offrir en pâture nos sentiments les plus profonds, nos failles, comme s’il fallait combler le vide de nos carcasses expurgées de tout ce que nous avions dans les trippes. Les bars étaient comme un drain d’où s’écouler nos défaites, nos puanteurs, nos chants d’amour.
Ces mensonges de matamores, ces aveux touchants, ces résolutions définitives et grandioses, baptisées à l’eau de vie et déjà reniées aux premières lueurs de l’aube. Les gens parlaient d’une voix traînante comme pour étirer le temps et prolonger la nuit ; bientôt débarqueraient les frangines de la rue du Calvaire, et tous ces plaisirs, ces frustrations, nichés entre leurs cuisses, l’œil du cyclone du monde, du sexe, tatouages de rimmel sur des visages de pluie. Moi dans mon coin, je parlais peu, j’écoutais, j’observais, je me remplissais de matière humaine, de regards, de larmes, de rires, toute cette glaise existentielle qui façonne nos frères humains….. Plus tard sans doute je m’en servirai pour noircir des carnets, les écrivains se nourrissent de tout, comme des sangsues, ils vous pompent jusqu’à la dernière goutte. Cette nuit là je savais que la pêche serait miraculeuse, comme ces vieux pêcheurs qui d’un reniflement ou d’un mouvement imperceptible de l’onde devine déjà la truite argentée enfouie sous la pierre.
Au matin, la ville nous avalerait, vibrante de certitudes, trimbalant ces masses silencieuses aux destins prévisibles. Nous savions cette issue inévitable, alors nous nous enfoncions dans le noir immense, profond, un puits sans fond où nous avancions à tâtons, puis peu à peu on s’habituait aux visions tactiles, aux pénombres accueillantes où les voix remplacent le regard, le toucher recrée les formes.
Nos nuits, nos vaisseaux fantômes, rafiots aux voiles déployées, l’œil vissé à la lunette pour voir se dessiner les contours encore flous de nos îles éternelles. Cette odeur de terre et d’humus, accueillant nos échouages, ces ventres chauds, ces matrices mielleuses où l’on planquait notre tendresse comme un butin dérobé à la vie, ces terriers enfumés de gauloises où l’on retrouvait les connivences animales de la race humaine.
« Etre seul c’est s’entraîner à la mort », disait Céline ….. fallait pas perdre la main, mais parfois le combat était par trop inégal. Alors nous hantions ces derniers refuges des villes endormies, nos comptoirs des Indes, nos vies à l’ancre où nous refaisions le monde. Les bocks de bière s’alignaient sur le zinc comme des menhirs dorés et des volutes de fumée dansaient dans les rais de lumières. J’avais toujours été surpris par cet étrange phénomène compensatoire, entre l’absorption de liquide ou de nourriture et la propension à se livrer, à offrir en pâture nos sentiments les plus profonds, nos failles, comme s’il fallait combler le vide de nos carcasses expurgées de tout ce que nous avions dans les trippes. Les bars étaient comme un drain d’où s’écouler nos défaites, nos puanteurs, nos chants d’amour.
Ces mensonges de matamores, ces aveux touchants, ces résolutions définitives et grandioses, baptisées à l’eau de vie et déjà reniées aux premières lueurs de l’aube. Les gens parlaient d’une voix traînante comme pour étirer le temps et prolonger la nuit ; bientôt débarqueraient les frangines de la rue du Calvaire, et tous ces plaisirs, ces frustrations, nichés entre leurs cuisses, l’œil du cyclone du monde, du sexe, tatouages de rimmel sur des visages de pluie. Moi dans mon coin, je parlais peu, j’écoutais, j’observais, je me remplissais de matière humaine, de regards, de larmes, de rires, toute cette glaise existentielle qui façonne nos frères humains….. Plus tard sans doute je m’en servirai pour noircir des carnets, les écrivains se nourrissent de tout, comme des sangsues, ils vous pompent jusqu’à la dernière goutte. Cette nuit là je savais que la pêche serait miraculeuse, comme ces vieux pêcheurs qui d’un reniflement ou d’un mouvement imperceptible de l’onde devine déjà la truite argentée enfouie sous la pierre.
mitsouko- Nombre de messages : 560
Age : 63
Localisation : Paris
Date d'inscription : 08/11/2008
Re: La chair des hommes
alors là!!
splendide.
ça me parle...
j'ai beaucoup de plaisir à découvrir ce style athlétique: essentiel et confortable.
merci!
splendide.
ça me parle...
j'ai beaucoup de plaisir à découvrir ce style athlétique: essentiel et confortable.
merci!
Invité- Invité
Re: La chair des hommes
Heureuse de te retrouver en prose, Mitsouko, avec ce ton bien à toi, cette noirceur, ambiance sombre, lourde, poisseuse ; tellement humaine.
Je reconnais là un de tes thèmes de prédilection, ce texte m'en a remis d'autres en tête, notamment "Au bout de la nuit".
J'isole ceci, qui m'a plu pour sa justesse : "J’avais toujours été surpris par cet étrange phénomène compensatoire, entre l’absorption de liquide ou de nourriture et la propension à se livrer, à offrir en pâture nos sentiments les plus profonds, nos failles, comme s’il fallait combler le vide de nos carcasses expurgées de tout ce que nous avions dans les trippes."
Je reconnais là un de tes thèmes de prédilection, ce texte m'en a remis d'autres en tête, notamment "Au bout de la nuit".
J'isole ceci, qui m'a plu pour sa justesse : "J’avais toujours été surpris par cet étrange phénomène compensatoire, entre l’absorption de liquide ou de nourriture et la propension à se livrer, à offrir en pâture nos sentiments les plus profonds, nos failles, comme s’il fallait combler le vide de nos carcasses expurgées de tout ce que nous avions dans les trippes."
Invité- Invité
Re: La chair des hommes
Ce texte me parle vraiment , bravo !
Nicolah- Nombre de messages : 120
Age : 32
Date d'inscription : 26/09/2012
Re: La chair des hommes
L'écriture est de celles qui, d'abord, inhibent. Si riche, si fragile, si belle qu’elle devient intimidante. Traversés par une énergie et une noirceur, les mots et la matière humaine semblent prendre vie sous nos yeux.
Un très beau texte.
Un très beau texte.
Invité- Invité
Re: La chair des hommes
Je n'ai pas tout compris, les images du début ne sont pas claires, mais la tonalité générale me semble bien envoyée. J'ai vu ce voyage dans la nuit comme un exutoire, une façon radicale «d'expurger tout ce que nous avons dans les tripes». Il est dommage, néanmoins, que le texte ne déroge pas à la règle, que les bars soient considérés, une fois de plus, comme lieux de refuges pour noctambules en mal de confidences. Pas très original.
Étonnante cette propension à faire des bistrots des salons de psychologie, voire des sources d'inspiration, quand on sait que l'alcool fausse tous les rapports, qu'il n'y a rien de vrai dans ces échanges vaporeux. Illusion du houblon ...
Étonnante cette propension à faire des bistrots des salons de psychologie, voire des sources d'inspiration, quand on sait que l'alcool fausse tous les rapports, qu'il n'y a rien de vrai dans ces échanges vaporeux. Illusion du houblon ...
Jano- Nombre de messages : 1000
Age : 54
Date d'inscription : 06/01/2009
Re: La chair des hommes
Je suis restée extérieure à ce texte que j'ai trouvé trop abstrait.
Pourtant, l'écriture est très belle.
Pourtant, l'écriture est très belle.
Re: La chair des hommes
Si ce texte avait été posté dans la rubrique exo anonyme, je t'aurais tout de suite reconnu Hervé.
Je te retrouve, attentif au désarroi des humains, empreint, pétri d'humanité.
Si tes personnages traînent souvent dans les bars c'est que ces lieux sont propices à débonder, à laisser voir sa vraie nature.
Tu as bien saisi cette réalité et tu sais si bien la décrire.
Très beau texte. Merci pour ce plaisir de lecture.
Invité- Invité
Re: La chair des hommes
C'est de la belle écriture
Cependant ce thème du bar, du vide et de la nuit revenant souvent (dans mes lectures en tout cas, ici et ailleurs), je me lasse un peu j'avoue.
J'y reviendrai je pense.
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: La chair des hommes
Bonsoir mitsouko,
Trop d'images ... L'oeil du caméléon pour une écriture à 180 ° pour le moins, à 360 ° peut-être même, qui donne une lecture à se cramer les derniers neurones de la soixantaine imminente !
Amicalement,
midnightrambler
Trop d'images ... L'oeil du caméléon pour une écriture à 180 ° pour le moins, à 360 ° peut-être même, qui donne une lecture à se cramer les derniers neurones de la soixantaine imminente !
Amicalement,
midnightrambler
midnightrambler- Nombre de messages : 2606
Age : 70
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010
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