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Message  jfmah Mar 9 Avr 2013 - 6:26

Bonjour. Je travaille depuis quelque jours sur ce début de texte, et je suis bien embêté.
J'ai fais plusieurs versions en variant le style, le ton, le narrateur, etc. Cette version-ci est celle qui me semble se lire le mieux... Mais il me semble que c'est plat, ennuyant, voire même nombriliste avec une narration au je...

J'aimerais beaucoup vos commentaires et suggestions: est-ce que je balance ça à la poubelle ou il y a quelque chose d'intéressant à en tirer? Tirer par où?

1. Pour en finir avec tout ça
Despair: form Latin desperare, from de- « down from »
+ sperare « to hope ».
Désespoir : du latin de- « sans » et sperare « attendre la
réalisation de son souhait ».

Il fait noir dans la chambre. Quelque chose qui bouge vient de me réveiller. Un bruit de clé. Mélissa ?

- Excuses-moi, je dois partir.
- Ah bon.
- J’ai perdu une chaussure.
- Ah.
- On perd toujours quelque chose. Tu ne l’as pas vu ?
- Non.

Je distingue dans la pénombre un corps rondelet, plutôt petit, des cheveux ondulés. La voix non plus n’a rien de familier. Mais le petit cri étouffé qui la découverte (« Hum ! trouvée ! ») me reviens tout coup, et le reste suit, ou à peu près.

- Alice ?
- On se texte.
- C’est beau. Comme tu veux.


*
* *

Flash back.

Fasciné et anéanti, je regarde Mélissa en finir avec moi, mettre un terme à nos dix ans de mariage, boucler la boucle comme on ficelle un colis. Elle se tient debout au milieu du petit salon, me faisant lui donner la réplique tandis qu’elle défait maille à maille la trame qui nous unis.

- Ça ne me dit pas plus que toi, Jérémie, mais tu as raison. Il faut en finir, passer à autre chose : j’étouffe, tu étouffes…
- Mais je t’aime !
- Et je t’aime aussi, on sait bien qu’on s’aime… et que ce n’est pas l’amour qui s’en va, c’est vrai. Tu es toujours aussi beau, sensible, intelligent. Tu as tellement de qualités. Mais ça ne nous touche plus, ça ne nous excite plus. Tu le dis si bien : on ne veut pas que ça change. On est comme mort sur place. Il faut repartir. Parce que moi en tout cas je ne peux pas te regarder sans voir exactement combien je t’aime, où je t’aime, comment je t’aime, et nous imaginer continuant comme ça toute notre vie !

Mon regard s’accroche à bibelot posé sur la petite table en bois du salon. Un Don Quichotte en porcelaine rapporté d’Espagne il y a huit ans : notre premier grand voyage. La table aussi évoque des souvenir, à commencer pas celui de l’après-midi où nous l’avons choisie ensemble. J’hésitais entre le bois et le verre. Inclassable quand il s’agit de trancher, Mélissa avait dit « on prend celle en bois. Moins dangereux quand on aura des petits ». Des petits ! J’ai tout misé là-dessus. Sur le tapis « sans tâches » et les housses de sofa. Mélissa est dans chaque détail de cet appartement, derrière chaque cadre, chaque livre, chaque bouteille. Tous ces objets que nous avons magasinés ensemble en discutant leurs qualités et la façon dont on les disposerait, chacun d’eux est comme un cri d’amour. En partant elle prend tout, elle m’enlève tout, m’abandonnant dans ce cimetière de mémentos, perdu, seul, dévasté. N’empêche qu’en cette seconde même, magnifique d’allure et d’esprit, le génie sourd qu’elle met à ruiner tout ça, j’en suis conscient, continu de grandir mon amour pour elle.

- Mais c’est beau, Mélissa, pourquoi…
- Voilà, tu as toujours le bon mot, Jérémie, toujours. C’est insupportable de savoir que je t’aime dans chaque mot qui sort de ta bouche ! C’est beau, c’est beau comme les marbres de Michel-Ange qu’on est allé voir cet été. C’est parfait, c’est intouchable, ça pèse des tonnes, c’est immuable, c’est fini. Pourquoi, Jérémie ? Je ne sais pas, tu ne sais pas…

C’était de toute manière perdu d’avance, dès le moment où Mélissa, me tirant de ma lecture, annonça la couleur en disant simplement : « Tu penses qu’il faut qu’on se parle ? ». Plus spectateur qu’autre chose, je suis la scène, qu’on croirait inspirée de Beckett ou de Jarry, que Mélissa joue avec une émotion pure, authentique. Une rupture à l’envers dont je suis convaincu qu’elle souffre autant que moi. Docteur en philosophie, professeur d’université (à 29 ans, j’ai été le plus jeune jamais engagé sur un poste permanent), je me débrouille généralement très bien quand il s’agit d’argumenter. Je démonte n’importe quel discours, j’en exhibe avec verve les faiblesses logiques ou rhétoriques ou conceptuelles… mais sur le terrain des sentiments, la pratique me manque. Je suis défense, tout de suite dévasté, battu comme un vieux tapis. Mais c’est quand même ma vie qu’elle est en train de foutre en l’air. Alors je me débats vainement, pantin d’un vieil instinct de survie particulièrement mal placé, parfaitement conscient que chacun de mes mouvements m’enfonce dans cette conversation en forme de sables mouvants :

- Mais on pourrait essayer, se donner une chance ? On peut voir un psy, un sexologue, il y a des groupes, tout ce que tu veux ! On ne mérite pas ça ? S’expliquer, se donner des moyens, déménager, prendre des vacances, ou même prendre une pause, peut-être, une semaine, un mois si tu le sens comme ça, c’est faisable. On ne peut pas…
- On ne peut pas, non, on ne peut pas, tu as encore raison. Mais ci, mais ça, mais, mais, mais, on est plein de contraintes, plein d’objections, on ne se voit plus, on ne s’entends plus, on ne peux plus se sentir. On a essayé de changer, on s’est dit cent fois qu’on allait faire attention au siège des toilettes, à la brosse à dent, à la cuisinière ne partant. On a fait le plus possible. Les psys, les groupes, comme tu dis, ça ne nous changeras pas tout seul, on se retrouverait encore à essayer de s’expliquer, de se donner des moyen, à tourner en rond sur nous même. C’est vrai, on ne mérite pas ça. J’ai tellement de peine, mais je comprends. Je t’écoute… et je comprends, même si ça me brise le cœur, même si, ok, ce n’est pas contre moi, même si tu m’aimes encore… je… je… je…

Mélissa exprime un long soupir, juste le temps de fermer les yeux, de reprendre contrôle d’elle-même. Renonçant aux paroles, je veux m’approcher, la toucher, déverser directement sur elle les litres d’amour en bouillie qui me remplissent la poitrine. Inutilement, j’aurais dû m’y attendre. Elle me repousse et quitte la pièce, parvenant cependant à donner l’impression c’est moi qui la refoule. Broyé, je me noie dans un coin du canapé. Un silence épais s’installe, auquel se mélange peu à peu un bruit de tiroirs, de vêtements, de petits objets qu’on range dans un sac. J’éclate.

- Non ! Pas question que tu me fasses une saloperie comme ça et que tu me la mettes sur le dos en plus ! Tu veux partir ? Tu ne peux plus me sentir ? Tu veux jeter aux poubelles dix ans de mariage ? Eh bien, vas-y, dégages, saccage, démoli tout ça, lâche-toi à fond, comme ça au moins une personne en profite ! Mais écoute bien ce que je vais dire : si tu t’en vas maintenant, si tu me quittes comme ça, il ne faudra rien, tu m’entends, rien espérer de moi ensuite. Pas de pardon, pas de cadeau, pas quartier. Tu pars en laissant la bague que je t’ai donnée en échange de ta promesse de m’aimer toute ta putain de vie. Et ça, tu te mets ça dans le cul vu que ça vaut de la merde pour toi !

J’ai fini en criant, arrachant d’un geste mon anneau jeté d’une claque sur la petite table. Sous le coup, le Don Quichotte de porcelaine roule par terre. Son bras arraché et sa tête de guingois me renvoient en pleine figure l’erreur que je viens de commettre. Mélissa dispose d’une mémoire auditive comme d’autres l’ont visuelle : à des années de distance, elle peut répéter mot pour mot n’importe quelle conversation qui l’a un peu marquée. Et la voici qui sort de la chambre, traverse le salon sans un regard, et quitte l’appartement sur trois mots, pourtant prévisibles, me faisant réaliser que ce que je prenais pour la fin brutale des espoirs de toute une vie n’est en fait que le prélude à leur lente et tortueuse agonie :

- Comme tu veux.

*
* *

Deux jours sans manger, sans me raser, sans me doucher. Et puis j’ai marché jusqu’à l’université, espérant que le froid de janvier me ferait quelque chose. Dans les couloirs, je croise deux ou trois visages connus. Je dois avoir l’air relativement normal, malgré tout. Ou bien simplement tout le monde s’en moque. Il n’y a que Sacha, une de mes étudiantes de troisième cycle, qui me suit du regard un peu plus longuement que d’habitude. Mais ça ne compte pas vraiment : elle m’a toujours donné l’impression de vivre les émotions à fleur de peau, les siennes comme celles des autres. Ça rendrait le travail impossible, mais elle sait faire preuve d’abnégation, alors ça passe. En tout cas, je m’en fous. Par chance, Miles est dans son bureau. Pour une fois je ne lui reprocherai pas sa porte « toujours ouverte » et son foutu canapé. Je verrouille.

- Elle est partie, c’est fini, Mélissa m’a quitté.
- What ? Are you kidding me ?
- J’essaie de me faire à l’idée, mais c’est comme si elle me fuyait elle aussi. Plus j’approche pour la saisir, plus elle s’éloigne : c’est tellement irréel. J'ai une boule là qui grandie, qui ne me lâche pas. Un stress incroyable. Tout fout le camp.
- Attend, attend, c’est peut-être juste une passe de merde en début d'année… Hold you horses. You know, Saint-Exupéry a écrit quelque part que « Dans la vie, il n'y a pas de solutions. Il y a des forces en marche: il faut les créer, et les solutions suivent ». Hein ? On va mettre quelques forces en marche…
- Comment tu peux être toujours aussi optimiste ? Non, je le sens, c’est tranché, c’est fini pour elle. Elle est partie, elle est déjà ailleurs. Là, j’ai juste besoin d’oublier un peu… le présent, le futur qui s’efface… J’avais tout misé sur elle, on est venu vivre ici pour elle, on a acheté un condo pour elle… Je suis fini. Je me décompose. C’est invivable. Le monde bascule, sans moi. J'ai tout perdu, vraiment tout.
- OK, pause, on n’en parle plus. On va trouver de quoi t’engourdir un peu. Donner du temps au temps. Come with me.

Il attrape son manteau et je cherche le mien un moment avant de réaliser que je l’ai toujours sur le dos. On prend par l’escalier de secours pour éviter d’être intercepté. Les cours ne reprennent que la semaine prochaine, mais tout le monde est déjà là, courant des imprimantes aux photocopieurs en passant par la bibliothèque, mettant une dernière main frénétique à finaliser leurs préparations. En temps normal, je serais des leurs, excité à l’idée d’une nouvelle session, de nouveaux visages (il y en a toujours un ou deux qui finissent par se détacher de la masse). Mais là, j’ai beau me rendre compte que ça bouge autour de moi, tout m’est égale. J’ai mal et c’est tout ce qui me reste. Les portes rouges pompier ont l’air de crier silencieusement tout au long de cette descente (aux enfers ?). Mais parvenant presque à couvrir le chaos cacophonique de mes pensées, le vacarme assourdissant de nos pas qui résonnent fini par me faire du bien.

Miles m’entraine par la « SORTIE D’URGENCE » dont l’ouverture déclenche une brève alarme. Urgence, alarme, sortie : tout ça est bien choisi. D’ici deux minutes, les gardes de sécurité vont venir constater que tout est en ordre. C’est ce qui me fait le plus défaut : en dix ans avec Mélissa, j’ai un à un congédié les quelques sentinelles chargées jadis de me protéger sur le plan sentimental. Plus de guetteurs, plus de carapace, je m’étais donné sans défense, en toute confiance. Et maintenant ça me revient en pleine figure.

Enfin, un premier vrai moment de paix depuis le début de mon cauchemar : dehors, un soleil terrible, reflété sur la neige, m’aveugle complètement. Ça dure un bon deux secondes, et puis déjà tout la merde me revient. Je n’arriverais pas à dire s’il fait froid ou non. À trois coins de rue, Miles me pousse à l’intérieur d’un bistro-bar dont l’enseigne, tout à fait de circonstance, est composée d’un trou sous-titré « Le Chas ». Je ne demande pas mieux.

- On vous sert ?
- Deux rousses. No, bring us a jung
- Pour oublier une blonde… Paf, disparue.
- And that’s not even the worst of it.
- Le pire ?
- How did it come to this ? Il y a des choses qu’on ne voit pas, c’est sur. Pour toi ça fait « paf ! » mais pour elle, ça c’est probablement construit petit à petit. And this was just the next step. And then, you start thinking back, and you see the clues, and you find yourself stupid : j’aurais du voir ça !

Oui, après coup on compose, on recompose. J’ai passé les deux derniers jours là-dessus. Le « pire », c’est quand tu découvres que tout ce que as donné s'est retourné contre toi. Par exemple, tous les efforts que j’ai mis pour aider Mélissa à trouver du travail : je lui ai refait son CV, acheté des vêtements et même un petit bracelet en or « pour se donner du courage », on a pratiqué ses entrevues, je l’ai accompagné jusqu’à la porte pour son premier jour… Le pire, c’est quand tout le passé s'émiette en même temps que le présent et l'avenir, c’est quand on croyait bâtir quelque chose ensemble… et puis on se retrouve tout seul. Est-ce que déjà elle avait décidé d’en finir ? On cherche en vain l’origine du désastre, découvrant plutôt qu’il n'y a plus un mot devant lequel on peut vraiment se reposer, avoir confiance.

- I still can't get my head around this...
- Elle a cessé d’y croire mais elle ne l’a pas dit. Est-ce que déjà elle n’avait plus d'envie ?
- Faut croire qu'il y a différentes manières de vivre ça.
- Moi quand ça bouscule, je m'accroche, et quand ça casse je répare…

Il y avait peu de monde, mais deux ou trois groupes d’étudiants sont arrivés coup sur coup, et maintenant c’est rempli, c’est bruyant, ça sent la bière renversée. Ça fait du bien. Ça et les pichets qu’on vide. Miles tiens mieux l’alcool que moi, et c’est parfait.

- You know, sometimes rien ne vaut un bon coup de gueule, un bon coup d'pied
- Un bon coup de couilles ! Fuck !
- That’s my boy.
- Regarde toutes ces jeunes connes qui veulent se faire aimer sans jamais rien donner. Ça passe trois heures à se déguiser devant le miroir en racontant ça, étape par étape, sur un téléphone plus intelligent qu’elle… Et ça s’indigne quand on leur dit de garder leur laideur pour elle.
- Thats the web generation


*
* *

- Chao.
- Chao.

La porte se referme sur Alice. À quoi bon me lever ? Je n’ai pas une idée très nette de son visage, et c’est aussi bien comme ça. Je reste immobile tandis qu’elle fini de jeter quelques affaires dans son sac, quitte la pièce, et sort doucement de l’appartement dont la porte se referme toute seule. Deux départs qui en apparence se ressemblent. Un observateur pourrait les classer dans la même catégorie, selon les critères qu’il se donne. Un autre en ferait un cas exemplaire d’antinomie, montrant comme de mêmes gestes et des mots similaires peuvent participer à quelque chose de tout à fait différent. Et que le concept de séparation (du latin separare « mettre à part, distinguer », comp. de se- préfixe marquant la séparation et de parare « préparer, arranger ».) n’a pas de fondement empirique valable.
Grâce à l’obscurité, le plafond a perdu sa texture. J’essai d’oublier le lit, les draps, l’oreiller qui, avec la voix de Mélissa, murmurent des souvenirs trop précis dont le mélange, avec l’odeur de bière et d’un parfum inconnu, me donne envie de vomir. L’alcool n’avait pas suffit à me faire oublier, mais déplacé la honte et la désarroi par une dose égale d’indignation et de désir de vengeance. Chose faite, je ne m’en trouvais pas tellement mieux. Le besoin de reporter à l’extérieur le bordel qui m’habite l’intérieur. Les mots de Miles me reviennent à l’esprit : web generation. Est-ce que je suis déjà si vieux ?

etc etc etc
(désolé, je ne sais pas comment remplacé les "-" par le bon symbole...)
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Message  Invité Mar 9 Avr 2013 - 9:23

Je n'ai pas trouvé ça ennuyeux du tout ! Tu décris parfaitement l'"effondrement central de l'être" où peut nous plonger ce genre de situation, et il y a des détails vraiment bien vus : l'escalier de secours, la " sortie d'urgence" ( pas besoin d'insister là dessus, ça parle tout seul !)
Peut-être resserrer un peu sur la descriptions de ses déceptions...
Bien sûr, le thème n'est pas d'une originalité folle, mais le personnage de Miles ajoute une note d'exotisme bienvenue, les motifs de rupture de Mélissa sont assez intéressants : rompre parce que c'est trop parfait, ça n'est pas donné à tout le monde ! ( A cet égard, les tubes de dentifrice et autres broutilles évoquées viendraient plutôt infirmer cette " perfection" !)
Suis preneuse d'une suite;

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Message  Invité Mar 9 Avr 2013 - 20:42

Ce n'est pas ennuyeux en tant que tel, c'est juste un peu longuet par moments, trop descriptif, la première partie du flash back en particulier - un peu l'impression que tu rumines l'idée.
Tu as tout intérêt à faire moins en quantité, et donc (normalement) plus précis, ça devrait t'ôter l'idée d'ennui, de plat.
Et puis faire attention à la frappe en anglais ("hold your horses", "jug") et à l'orthographe en français :-)

Et donc, une suite, pourquoi pas ?

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Message  jfmah Mer 10 Avr 2013 - 4:15

Merci pour ces commentaires!
Oui, je peux certainement resserrer les descriptions, si j'ai bien compris.
(ah oui, la foutu correction automatique de Word qui change les mots anglais, arrrgh!)

Avant la suite, qui pourra tout à fait venir, oui oui, j'aimerais retravailler, trouver le ton, etc.

En effet, le thème est banal. J'aimerais tranquillement y apporter un regard "nouveau", mais en le développant tranquillement à travers l'histoire. Par contre, il faut réussir à faire passer le lecteur par dessus cette banalité: pas simple. Une des idées a été cette "rupture à l'envers": elle le quitte, mais, dans le dialogue, faisant en sorte que c'est comme si c'était lui qui la quittait. Est-ce qu'on arrive à le voir? Qu'est-ce que je pourrais essayer d'autre pour rendre ça "prenant", "intéressant", etc.?

Pour essayer d'éviter le côté un peu "misérabiliste" qui vient avec le "JE", je suis très porté à ré-écrire le tout à la troisième personne...

Voici un petit bout modifié: qu'en pensez-vous maintenant?


VERSION 2

Il fait noir dans la chambre. Quelque chose qui bouge vient réveiller Jérémie N., 33 ans, toutes ses dents, mais un grand vide à la place du cœur. Un bruit de clé : Mélissa ?

- Excuses-moi, je dois partir.
- Ah bon.
- J’ai perdu une chaussure.
- Ah.
- On perd toujours quelque chose. Tu ne l’as pas vu ?
- Non.

Il distingue dans la pénombre un corps rondelet, plutôt petit, des cheveux ondulés. La voix non plus n’a rien de familier. Mais le petit cri étouffé qui suit la découverte (« Hum ! trouvée ! ») lui reviens tout coup, et le reste suit, ou à peu près.

- Alice ?
- On se texte.
- C’est beau. Comme tu veux.


*
* *

Flash back.

Fasciné et anéanti, Jérémie regarde Mélissa en finir avec lui, mettre un terme à dix ans de mariage, boucler la boucle comme on ficelle un colis. Elle se tient debout au milieu du petit salon, superbe d’allure et d’esprit, défaisant maille à maille la trame qui les uni.

- Pourquoi tu n’as rien dit ?
- Je n’ai rien dit… on bien tu n’as pas entendu, je ne sais pas. Je ne te reprocher pas de travailler tout le temps : tu aimes ça, tu vis de ça. Mais j’ai besoin de plus, d’autre chose, et toi non plus tu ne peux pas vivre avec quelqu’un qui t’empêche d’avancer. Ça ne me dit pas plus que toi, Jérémie, mais tu as raison. Il faut en finir, passer à autre chose : j’étouffe, tu étouffes. Si on ne dit rien ou si on n’entend rien, c’est un signe, c’est comme ça, c’est déjà fini.
- Mais je t’aime !
- Et je t’aime aussi, on sait bien qu’on s’aime… et que ce n’est pas l’amour qui s’en va, c’est vrai. Tu es toujours aussi beau, sensible, intelligent. Tu as tellement de qualités. Mais ça ne nous touche plus, ça ne nous excite plus. Tu le dis si bien : on ne veut pas que ça change. On est comme mort sur place. Il faut repartir. Parce que moi en tout cas je ne peux pas te regarder sans voir exactement combien je t’aime, où je t’aime, comment je t’aime, et nous imaginer continuant comme ça toute notre vie !

Son regard s’accroche à un bibelot posé sur la petite table en bois du salon. Un Don Quichotte en porcelaine rapporté d’Espagne il y a huit ans, lors de leur premier grand voyage. La table aussi évoque des souvenirs, à commencer pas celui de l’après-midi où ils l’ont choisie ensemble. Après discussion Mélissa, toujours efficace, avait dit : « On prend celle en bois. Moins dangereux quand on aura des petits ». Des petits ! Et lui misait tout là-dessus. Sur le tapis et les housses de sofa « sans tâches », sur chaque détail de cet appartement. Objets dont ils avaient longuement détaillé les qualités et les défauts, la disposition éventuelle, et qui suivant son départ laissait Jérémie, perdu, seul et dévasté, dans un cimetière de mémentos.

- Mais c’est beau, Mélissa, pourquoi…
- Voilà, tu as toujours le bon mot, Jérémie, toujours. C’est insupportable de savoir que je t’aime dans chaque mot qui sort de ta bouche ! C’est beau, c’est beau comme les marbres de Michel-Ange qu’on est allé voir cet été. C’est parfait, c’est intouchable, ça pèse des tonnes, c’est immuable, c’est fini. Pourquoi, Jérémie ? Je ne sais pas, tu ne sais pas…

C’était de toute manière perdu d’avance, dès le moment où Mélissa le tira de sa lecture, annonçant la couleur par un simple : « Tu penses qu’il faut qu’on se parle ? ». Plus spectateur qu’autre chose, Jérémie suivait la scène, qu’on croirait inspirée de Beckett ou de Jarry, que Mélissa joue avec une émotion pure, authentique. Une rupture à l’envers dont elle souffre autant que lui. Docteur en philosophie, professeur d’université (à 29 ans, il a été le plus jeune jamais engagé sur un poste permanent), il se débrouille généralement bien quand il s’agit d’argumenter. Mais sur le terrain des sentiments, la pratique lui manque. Sans défense, tout de suite battu comme un vieux tapis. Avec ici et là des regains de combattivité : c’est quand même sa vie qu’elle est en train de foutre en l’air. Alors il se débat vainement, pantin d’un vieil instinct de survie particulièrement mal placé alors que chacun de ses mouvements l’enfonce dans cette conversation en forme de sables mouvants

etc etc.
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Message  Invité Mer 10 Avr 2013 - 6:48

Oui.
Ça change d'emblée le ton.
Et c'est le bon.

Pour ce qui est du traitement original, bien sûr la possibilité renversée de " c'est pas moi, c'est elle" est une option.
Quoiqu'il en soit le choix de la construction du récit anti(ante)chronologique va déjà dans ce sens ; il y a aussi possibilité ambitieuse de travailler par chapitres patchwork ou morceaux de puzzle qui finissent par tous s'imbriquer -un peu dans le genre de ce que fait Inarritu au cinéma.

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Message  jfmah Sam 13 Avr 2013 - 1:14

Bon, je ne vois pas bien comment gérer les versions et les ajouts pour que ça reste "lisible" pour les intéressés (il y en a?). Voici donc une version retravaillée, ainsi qu'une suite (à l'avenir je mettrai seulement la suite, mettons?).




1.Pour en finir avec tout ça
Despair: form Latin desperare, from de- « down from »
+ sperare « to hope ».
Désespoir : du latin de- « sans » et sperare « attendre la
réalisation de son souhait ».

Il fait noir dans la chambre. Quelque chose qui bouge réveille Jérémie, 33 ans, toutes ses dents, et ce n’est pas l’éclatement de la grosse boule qu’il traine depuis 3 jours à la place du cœur. Un bruit de clé : Mélissa ?

- Excuses-moi, je dois partir.
- Ah bon.
- J’ai perdu une chaussure.
- Ah.
- On perd toujours quelque chose. Tu ne l’as pas vue ?
- Non.

Il distingue dans la pénombre un corps rondelet, plutôt petit, des cheveux ondulés. La voix non plus n’a rien de familier. Mais le petit cri étouffé qui suit la découverte de la chaussure égarée (« Hum ! trouvée ! ») lui reviens tout coup, et le reste suit, ou à peu près.

- Alice ?
- On se texte.
- Comme tu veux.

Il reste immobile tandis qu’elle fini de jeter quelques affaires dans son sac, quitte la pièce, et sort doucement de l’appartement dont la porte se referme d’elle-même.


*
* *

Flash back.

Marcher jusqu’à l’université dans le froid de janvier ne lui fit pas grand chose. Dans les couloirs, le voici qui croise deux ou trois visages connus. Sans doute a-t-il l’air relativement normal, malgré ses deux jours sans manger, sans se raser, sans se doucher. Ou bien simplement tout le monde s’en moque. Il n’y a que Sacha, une de ses étudiantes de troisième cycle, qui le suit du regard un peu plus longuement que d’habitude. Il le remarque, mais ça ne compte pas vraiment. Sacha vie toujours les émotions à fleur de peau, les siennes comme celles des autres. Ça rendrait le travail impossible, mais elle sait faire preuve d’abnégation, alors ça passe. En tout cas, il s’en fout. Par chance, Miles est dans son bureau. Pour une fois il ne lui reproche pas sa porte « toujours ouverte » et son foutu canapé.

- Elle est partie, c’est fini, Mélissa m’a quitté.
- What ? Are you kidding me ?
- J’essaie de me faire à l’idée, mais c’est comme si elle me fuyait elle aussi. Plus j’approche pour la saisir, plus elle s’éloigne : c’est tellement irréel. J'ai une boule là qui grandie, qui ne me lâche pas. Un stress incroyable. Tout fout le camp.
- Attend, attend, c’est peut-être juste une passe de merde en début d'année… Hold your horses. You know, Saint-Exupéry a écrit quelque part que « Dans la vie, il n'y a pas de solutions. Il y a des forces en marche: il faut les créer, et les solutions suivent ». Hein ? On va mettre quelques forces en marche…
- Comment tu peux être toujours aussi optimiste ? Non, je le sens, c’est tranché, c’est fini pour elle. Elle est partie, elle est déjà ailleurs. Là, j’ai juste besoin d’oublier un peu… le présent, le futur qui s’efface… J’avais tout misé sur elle, on est venu vivre ici pour elle, on a acheté un condo pour elle… Je suis fini. Je me décompose. C’est invivable. Le monde bascule, sans moi. J'ai tout perdu, vraiment tout.
- OK, pause, on n’en parle plus. On va trouver de quoi t’engourdir un peu. Donner du temps au temps. Come with me.

Miles attrape son manteau et Jérémie cherche le sien un moment avant de réaliser qu’il l’a toujours sur le dos. Ils prennent par l’escalier de secours pour éviter d’être intercepté. Les cours débutent la semaine prochaine, et tout le monde s’agite entre les imprimantes, les photocopieurs et la bibliothèque, mettant une dernière main frénétique à leurs préparations. Une période de l’année qui le remplie normalement d’énergie, de projets, d’envies, mais qui cette fois lui donne envie de s’enfuir : Il a mal et c’est tout ce qui lui reste. Les portes rouges pompier ont l’air de crier silencieusement tout au long de cette descente (aux enfers ?). Mais parvenant presque à couvrir le chaos cacophonique de mes pensées, le vacarme assourdissant de leurs pas qui résonnent fini par lui faire du bien. Miles l’entraine par la « SORTIE D’URGENCE » dont l’ouverture déclenche une brève alarme. Urgence, alarme, sortie : tout ça est bien choisi.
Enfin, un premier vrai moment de paix depuis le début de son cauchemar : dehors, un soleil terrible, reflété sur la neige, les aveugle complètement. Ça dure un bon deux secondes. À trois coins de rue de là, Miles le pousse à l’intérieur d’un bistro-bar dont l’enseigne, composée d’un trou sous-titré « Le Chas », accroche le regard de Jérémie. Il pense que c’était tout à fait de circonstance : « Je ne demande pas mieux ».

- On vous sert ?
- Deux rousses. No, bring us a jug
- Pour oublier une blonde… Paf, disparue.
- And that’s not even the worst of it.
- Le pire ?
- How did it come to this ? Il y a des choses qu’on ne voit pas, c’est sur. Pour toi ça fait « paf ! » mais pour elle, ça c’est probablement construit petit à petit. And this was just the next step. And then, you start thinking back, and you see the clues, and you find yourself stupid : j’aurais du voir ça !

Oui, après coup on compose, on recompose. Il a passé les deux derniers jours là-dessus. Le « pire », c’est quand on découvres que tout ce qu’on a donné se retourne contre soi. Par exemple, tous les efforts qu’il a mis pour aider Mélissa à trouver du travail. Le pire, c’est quand tout le passé s'émiette en même temps que le présent et l'avenir. Cette histoire de travail… est-ce que déjà elle avait décidé d’en finir ? Il cherche en vain l’origine du désastre, découvrant plutôt qu’il n'y a plus un mot devant lequel il peut vraiment se reposer, avoir confiance.

- I still can't get my head around this...
- Elle a cessé d’y croire mais elle ne l’a pas dit.
- Faut croire qu'il y a différentes manières de vivre ça.
- Moi quand il y a de la trubulance, je m'accroche, et quand ça casse je répare…

Il y avait peu de monde, mais deux ou trois groupes d’étudiants sont arrivés coup sur coup, et maintenant c’est rempli, c’est bruyant, ça sent la bière renversée. Ça lui fait du bien. Ça et les pichets qu’ils vident. Miles tiens mieux l’alcool que lui, et c’est parfait.

- You know, sometimes rien ne vaut un bon coup de gueule, un bon coup d'pied
- Un bon coup de couilles ! Fuck !
- That’s my boy.
- Regarde toutes ces jeunes connes qui veulent se faire aimer sans jamais rien donner. Ça passe trois heures à se déguiser devant le miroir en racontant ça, étape par étape, sur un téléphone plus intelligent qu’elle… Et ça s’indigne quand on leur dit de garder leur laideur pour elle.
- Thats the web generation


*
* *

Vendredi matin.

Les contours de la chambre apparaissent peu à peu. Se faire quitter, et se faire une fille ramassée dans un bar : Jérémie se trouve à des kilomètres de ce qu’il prenait pour « sa vie » il y a quelques jours à peine. Cette fille (Alice ?), il n’a pas une idée très nette de son visage, et c’est aussi bien comme ça. Il s’imaginait connaitre (et aimer !) Mélissa de fond en comble, mais jamais il n’eut envisagé qu’elle le quitte. Deux départs (Alice, Mélissa) en plusieurs points semblables et différents. Si un observateur les classerait sans peine dans la même catégorie, un autre les monterait en cas exemplaire d’antinomie. Les mêmes gestes, des mots similaires, peuvent participer à quelque chose de tout à fait différent. Il pense en moment noter ça :

Au final, le concept de séparation (du latin separare « mettre à part, distinguer », comp. de se- préfixe marquant la séparation et de parare « préparer, arranger ».) n’a pas de fondement empirique valable.

Mélissa avait raison : son travail prend trop de place, il bouffe tout en pénétrant chaque recoins de leur existence. On ne devient pas professeur d’université à vingt-neuf ans (le plus jeune de la faculté, spécialiste en philosophie de l’éducation) sans que sa vous foute en l’air. Et maintenant, à quoi bon tout ça ? Il se revoyait trois jours plus tôt, noyé dans un coin du canapé, tandis que Mélissa mettait fin à dix ans de mariage, défaisant maille à maille la trame qui les unissait.

- Pourquoi tu n’as rien dit ?
- Je n’ai rien dit… on bien tu n’as pas entendu, je ne sais pas. Je ne te reprocher pas de travailler tout le temps : tu aimes ça, tu vis de ça. Mais j’ai besoin de plus, d’autre chose, et toi non plus tu ne peux pas vivre avec quelqu’un qui t’empêche d’avancer. Ça ne me tente pas plus que toi, Jérémie, mais tu as raison : on ne s’est pas parlé, on ne se comprends plus. On s’empêche de parler. J’étouffe, tu étouffes. Il faut en finir, passer à autre chose. Si on ne dit rien ou si on n’entend rien, c’est un signe, c’est comme ça, c’est déjà fini.
- Mais je t’aime !
- Et je t’aime aussi, on sait bien qu’on s’aime… et que ce n’est pas l’amour qui s’en va, c’est vrai. Tu es toujours aussi beau, sensible, intelligent. Tu as tellement de qualités. Mais ça ne nous touche plus, ça ne nous excite plus. Tu le dis si bien : on ne veut pas que ça change. On est comme mort sur place. Il faut repartir. Parce que moi en tout cas je ne peux pas te regarder sans voir exactement combien je t’aime, où je t’aime, comment je t’aime, et nous imaginer continuant comme ça toute notre vie !
- Mais c’est beau, Mélissa, pourquoi…
- Voilà, tu as toujours le bon mot, Jérémie, toujours. C’est beau, c’est beau comme les marbres de Michel-Ange qu’on est allé voir cet été. C’est parfait, c’est intouchable, ça pèse des tonnes, c’est immuable, c’est fini. Pourquoi, Jérémie ? Je ne sais pas, tu ne sais pas…

Une sorte de rupture à l’envers qu’on croirait inspirée de Beckett ou de Jarry, que Mélissa joue avec une émotion pure, authentique. Plus spectateur qu’autre chose, il ne manque pourtant d’articulation bien quand il s’agit d’argumenter, mais sur le terrain des sentiments, la pratique lui manque. Sans défense, battu comme un vieux tapis, il avait tout de même eu quelques regains de combattivité, qui chaque fois l’avaient enfoncé dans cette conversation en forme de sables mouvants.

- Mais on pourrait essayer, se donner une chance ? Est-ce qu’on s’est tellement perdu ? On peut voir un psy, un sexologue, il y a des groupes, tout ce que tu veux ! On ne mérite pas ça ? S’expliquer, se donner des moyens, déménager, prendre des vacances, ou même prendre une pause, peut-être, une semaine, un mois si tu le sens comme ça, c’est faisable. On ne peut pas…
- On ne peut pas, non, on ne peut pas, tu as encore raison. Mais ci, mais ça, mais, mais, mais, on est plein de contraintes, plein d’objections, on ne se voit plus, on ne s’entends plus, on ne peux plus se sentir. On a essayé de changer : je travaille, et tu passes plus de temps ici. On a fait le plus possible, Jérémie. On ne va pas se mettre à se déguiser pour faire l’amour, et puis inventer toutes sortes de manières de ne plus se voir comme on est. Non, Les psys, les groupes, comme tu dis, ça ne nous changeras pas plus. On se retrouverait encore à essayer de s’expliquer, de se donner des moyens, à tourner en rond sur nous même. C’est vrai, on ne mérite pas ça. J’ai tellement de peine, mais je comprends. Je t’écoute… et je comprends, même si ça me brise le cœur… On s’est perdu.

Renonçant aux paroles, il avait voulu la toucher, déverser directement sur elle les litres d’amour en bouillie qui lui remplissaient la poitrine. Inutilement, il s’y attendait. Quittant la pièce, elle réussi encore à le repousser tout en donnant l’impression c’est lui qui la rejetait. Dans le silence épais qui suivi, se mélangea bientôt un bruit de tiroirs, de vêtements, de petits objets qu’on range dans un sac. C’est alors qu’il avait éclaté :

- Ah non, bordel ! Pas question que tu me mettes une saloperie comme ça sur le dos en plus ! Tu veux partir ? Eh bien, vas-y : vas-t-en ! Nos dix ans de mariage sont bons pour les poubelles ? Dégages, Mélissa ! Saccage, démoli, abandonne : lâches-toi à fond, qu’au moins une personne en profite ! Jette-moi comme une vieille chaussure ! Mais écoutes-moi bien : Tu me quittes alors tu n’as rien, tu m’entends, rien espérer de ma part ensuite. Pas de pardon, pas de cadeau, pas quartier.

Il avait fini en criant, donnant du point contre la petite table du salon. Encore porté par la rage, il n’avait pas réalisé tout de suite l’erreur qu’il venait de commettre. Mélissa dispose d’une mémoire auditive comme d’autres l’ont visuelle : à des années de distance, elle peut répéter mot pour mot n’importe quelle conversation qui l’a un peu marquée. Il lui fallu pour le comprendre les trois derniers mots qu’elle prononça, quittant l’appartement sans se retourner sur lui; trois mots qui dans ce contexte ne pouvaient que signifier que ce qu’il prenais pour la fin brutale des espoirs de toute une vie n’est en fait que le prélude à leur lente et tortueuse agonie :

- Comme tu veux.

Et le voilà qu’il remâche l’espèce de symétrie des deux scènes tandis que le lit, les draps, l’oreiller, tous les détails de cette chambre qui, mémentos de cet amour morts, en fait un cimetière déjà peu reposant, se mêlent désagréablement à l’odeur de bière et aux parfums nouveaux d’une inconnue de passage. Inutile au fond du lit, il pense qu’il comprend aussi mal le départ de Mélissa et son refus à même essayer de retrouver ce qu’ils ont peut-être perdu, que sa propre attitude en retour, cette fille dans leur lit, comme s’il lui fallait reporter à l’extérieur le chaos qui l’habite. Vie de merde, dedans comme dehors, les ruptures ça n’a jamais été son fort. La preuve étant, il le sent bien, qu’il est encore en train de lui-même s’enfoncer. Bordel ! comment sortir de là ?


*
* *

- On en était où ?

Distrait, Jérémie regarde du coin de l’œil l’écran de son portable, où l’entête d’un message envoyé par Mélissa vient d’apparaitre. Dolorès, toute petite, grands yeux noirs, fouille nerveusement dans ses papiers qui déjà s’éparpillent à la grandeur de son bureau à lui. Sans trop savoir comment, Jérémie s’est retrouvé là, à l’heure, et à peu près présentable. Et maintenant qu’il y est, il va oublier ce foutu message et se concentrer sur son étudiante.

- Le cadre théorique... je voulais… Il faut absolument contacter à la ética.
- Ah oui, toucher la question éthique. Mais ça ne colle pas tellement. C’est sec. Qu’est-ce que tu as trouvé ?
- Il y a Maturana qui a écrit … il s’appelle Biological Foundations of Morals and Ethics in Education.
- Ah oui, Biology of Love, hum…

Rien de tellement imprévisible, sinon le moment de ces retrouvailles avec les idées Maturana. Dolorès devint la seconde doctorante qu’il dirige le jour où il la trouva plantée devant sa porte, un sac à dos d’à peut près sa taille debout à côté d’elle, tout droit débarquée de Guadalajara. Il l’a connue là-bas un an et demi plus tôt, étudiante volontaire pour la tenue de la conférence à laquelle il participait. Brillante, décidée, elle rêvait d’une vision radicalement différente de l’éducation. Il lui avait parlé de relationalité, de la connaissance comme prétexte. Naturellement, les travaux de Maturana étaient dans cette ligne. « URGENT », c’était le titre du message. En majuscule.

- Oui. Parfois un peu superficiel, mais c’est une bonne piste. Va regarder d’autres textes de Maturana, remonte à 1978, il y avait déjà quelque chose. Fait un synthèse, et on verra comment ça ce place.
- D’accord. Mais pourquoi superficiel ? Je trouve que c’est très fort ! Écoutez ça :

Love is the domain of those relational behaviors through which another arises as a legitimate other in coexistence with oneself. Love does not legitimize the other, love lets the other be. We think that the creation of the relational space in which the children become human beings is the central task of education.

- Oui, sur le plan théorique c’est assez bien, mais c’est un regard de biologiste tu vois, qui repose sur des externalités plutôt que sur des relations. Ça sera l’élément à discuter. Mais c’est surtout la proposition éducationnelle qui est un peu naïve. En même temps, ça montre l’intérêt de creuser en tant que chercheur.
- Si si, je vois. La proposition n’est pas très… solide ?
- Concrète.
- Oui, c’est ça. Nous avons besoin de plus concret.
- Et de montrer les liens possible avec d’autres travaux. Maturana ne s’en occupe pas du tout.
- Oui, j’ai vu. Peut-être il a raison un peu. Ce qui compte c’est les idées.
- Mais ton travail ici, c’est de pousser les idées en faisant des liens.
- Mon travail c’est de changer le monde.
- …en poussant les idées, en faisant des liens.

C’est peut-être un peu de ça qu’ils avaient perdu, Mélissa et lui : ce besoin farouche de refaire le monde. En un sens, il le conçoit. À se comprendre si bien, il n’y a bientôt plus rien de neuf. Entre Dolorès et lui, une tension palpable les garde l’un et l’autre en alerte. C’est un combat de chaque instant même pour lui, malgré la familiarité de terrain de leurs échanges. Il ne s’ennuie pas. Mais si Mélissa finissait par s’ennuyer, comment lui trouvait-il encore leur relation plein de vie, de surprises, de défis ? Quelque chose d'autre devait jouer, indéniablement.

Il sent le téléphone, lourd dans sa poche. Urgent, du latin urgere, « pressant », mais aussi « pousser en avant, attaquer vivement, serrer de près, comprimer, peser sur, accabler, tourmenter ». Malgré l’envie de tout lâcher pour se noyer dans la douleur de cette rupture, il s’étire vers le livre laissé par Dolorès (« je vais en acheter une copie ») : The Origins of Humanness in the Biology of Love par H.R. Maturana et G. Verden-Zoller. L’idée de base est assez simple : Ce qui nous fait humain, même sur le plan biologique, n’est pas tant d’être des « homos sapiens sapiens » que des « homos sapiens amans ». Nous avons biologiquement évolué comme des êtres aimants, conservant cette émotionalité particulière comme manière d’être tout au long des 5 ou 6 derniers millions d’années. L’amour, en tant que coexistence basée sur une présence de l’autre légitime de facto, serait la relation de base de toute socialité. Socialité sans laquelle nous perdons notre humanité. Il n’est pas question d’amour au sens romantique, disons. Mais ce n’est pas sans rapport non plus. Mélissa ne veut plus de lui, présence illégitime. Elle le quitte sans haine, antithèse de l’amour, mais clamant son indifférence, déjà. Et quelque besoin « urgent », sans doute.

Platon lui fait de l’œil depuis le rayon de la bibliothèque. Qu’est-ce que l’amour ? Ou peut-être Kierkegaard sur l’angoisse ? Hippocrate sur la douleur ? Barthes sur le désir ? Pourquoi pas Lorca ? Il se lève, feuillette un livre après l’autre, de plus en plus amer : qu’est-ce qu’il cherche là-dedans ? Il vient de se faire jeter, ça n’a rien d’extraordinaire. Il a cru pouvoir faire confiance, il s’est donné sans méfiance, il s’est un peu laissé pourrir sur place, et elle s’en débarrasse. Un mélange banal, minable, mais qui le laisse quand même totalement dépourvu.

La noirceur s’installe encore rapidement en janvier. Sur un pan de mur, il a collé une série de cartes postales envoyées d’un peu partout dans le monde par des amis, des collègues. Pour bien faire, c’est celle de Dolorès qui se détache le mieux dans la pénombre : un de ces don Quixote que Picasso dessinait d’un trait. À l’intérieur, elle avait repris deux citations célèbres, il s'en souvient :

Demasiada cordura puede ser la peor de las locuras, ver la vida como es y no como debería de ser … yo sé muy bien quién soy y quién puedo ser si así lo elijo.

En gros, choisir de vivre la vie telle qu’elle devrait être plutôt de se contenter ce qu’elle est et de ce que nous sommes. Le téléphone en main, il hésite encore. La vie telle qu’elle devrait être, est-ce que ça suggère de supprimer ce message sans le lire ?


*
* *




QUESTION: je me demande si je ne devrais pas, même si ce n'était pas prévu du tout au départ, "suivre" un autre personnage en alternance avec Jérémie. Il me semble que ça fini par lasser un peu, manquer de rebond, de contraste. L'astuce de la rupture temporelle est bien, mais j'hésite à le faire coup sur coup. Si j'ajoute un point de vue, je laisserais peut-être tombé le flash back? Quoique j'aime pas mal ce début minimaliste...

Je ne suis pas certain d'avoir la carrure d'un Inarritu pour vous faire tout ça en patchwork et que ça tienne la route. Peut-être une fois ce premier acte posé je pourrai voir. Le défi est fort intéressant: je garde ça en note!

Encore une chose: je trouve que la scène de rupture est encore trop longue. C'est peut-être parce que ça fait 40 fois que je la révise?


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Message  Invité Sam 13 Avr 2013 - 9:03

jfmah, tu peux chaque fois poster les premiers extraits en spoiler et la suite de façon habituelle.

vois le Folco de Janis ou Les traqueurs de luluberlu.
http://www.vosecrits.com/t12780-folco
http://www.vosecrits.com/t11634-les-traqueurs

Spoiler:

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Message  Invité Sam 13 Avr 2013 - 16:38

Je suis d'accord, la scène de rupture est trop longue ! Voire ennuyeuse.
D'un autre côté, elle traduit bien l'état d'esprit de Jérémie qui rumine encore et encore les mêmes choses, c'est réaliste.

Pour ce qui est du point de vue d'un autre personnage, oui, ce serait une bonne idée.
Miles ?
Ou mieux encore, Melissa ?
Ce qui serait vraiment bien c'est que ces tranches de vie, de réflexion convergent vers un événement, une finalité commune aux personnages impliqués.

Ah oui, et le passage avec l'étudiante m'a semblé un chouïa long aussi, aride plutôt.


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