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Soleil (vert)

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Message  Final countdown Dim 18 Aoû 2013 - 13:09

Parfois, à l'école, le jour de la rentrée en général, vous ouvrez vos cahiers neufs, dans le calme, vous écrivez la date du jour sur la première page et vous racontez vos vacances.
Pas dans mon école.
Dans mon école, j'ai entendu dire qu'il y a des d'enfants si pauvres qu'ils n'ont même pas assez de bagages pour partir à l'autre bout de la rue. Marco Santos par exemple, mon ami portugais, habite à l'année dans une caravane. Je dis mon ami même s'il cherche souvent à me pousser au racisme, en traitant ma mère de pute. Je crois que c'est de l'humour de son pays, alors sans rancune.
En tout cas, à cause de tous ces enfants du tiers monde qui sont inscrits chez nous, les rédactions où vous devez raconter vos vacances sont interdites par décret. Je trouve ça injuste car on passe parfois de meilleures vacances dans une caravane, même sans pneus (il suffit d'avoir un bon ventilateur), que sur la Côte d'Azur, si tu te fais attaquer par un nuage de frelons (ou que ton père meurt noyé). Ça dépend. Donc, j'aimerais bien raconter mes vacances, ou plutôt, quelque chose qui m'est arrivé pendant les vacances, et qui a failli gâcher ma jeunesse. Encore heureux que c'est pas pour l'école car c'est une histoire très vulgaire, dans laquelle je serai obligé d'utiliser des mots tels salope, Ricard, kyste, chimiothérapie, et beaucoup de fois gueule. En plus, c'est triste. A l'école, tu ne peux pas raconter de choses tristes. Ou alors des poèmes, à la limite. Mais ils sont pas tristes triste. Ils sont juste craignos.

Soleil (vert)
Sous-titre : Fifi-fifti

Ce devoir d'expression écrite est dédié à la reine noire.


Courant du mois de juillet 1989.
Je ne me souviens pas le jour. Matthieu dit que c'est à cause du traumatisme.
Je lui ai demandé ce qu'il voulait dire par là, traumatisme, mais je suis tombé de mon vélo, au même moment, et il a fallu me faire des points. C'est la deuxième fois que j'ai des points. Huit, en tout.

Chapitre Un.

Papa conduisait notre voiture, une Fiat Tipo, qui est une marque italienne assez connue dans le milieu de la bagnole de sport. On roulait à cent, cent vingt. Notre voiture, toutes options confondues, était vendue avec des ceintures de sécurité, même à l'arrière. Mais j'ai pas trouvé la mienne. Je voulais être sûr, à cause d'un accident si vite arrivé. D'habitude, on roule à quatre-vingt de moyenne générale. Si on fonce dans un arbre, je pense que je vais me mettre en boule et invoquer la princesse Athéna, sainte patronne des chevaliers du Zodiaque (j'ai la chance d'être Sagittaire). Ma mère est assise à la place du mort, alors qu'elle va bien merci. Elle est même enceinte, tellement elle a la pèche. Elle ne porte pas sa ceinture de sécurité non plus, pour éviter d'étouffer ma petite sœur, qui devrait pas tarder, par voix basse, comme dit le médecin qui s'occupe uniquement de ce genre de problèmes. Papa, champion, appuie sur le champignon et double dans les ronds points pour des raisons de colère ancestrale. Il passe les vitesses sans arrêt. Il a des problèmes dans ses rapports. Papa pilote comme un chien enragé parce qu'on doit se pointer sans faute à un apéro, et que sa sœur, Claude, qui est ma marraine, et qui me sert de deuxième prénom, est invitée elle aussi. Avec son mari Eric, bien gratiné également.

Si je la voyais en train de crever au bord de la route, la gueule ouverte, je jure sur la tête d'Arnaud que je ne m'arrêterais pas.


Arnaud, vous l'avez devant vous. Mon père jure toujours sur ma tête, quand il fait des révélations sensationnelles. Je suis fils unique, ce qui explique très bien cela. J'aimerais mieux qu'il jure sur la tête de quelqu'un d'autre pour changer, et c'est pourquoi je suis content de devenir bientôt grand frère.

Digression numéro 1 : j'ai commencé à raconter cette histoire au passé, mais je continue au présent, pour des raisons de grammaire craignos.

Maman demande à mon père d'arrêter de dire des saloperies devant moi. Elle dit aussi qu'on est en retard à l'apéro. Et qu'on roule beaucoup trop vite, ce qui est contradictoire mais passons.

Définition numéro 1 : L'apéro est un événement hebdomadaire au cours duquel les adultes boivent pas mal de Ricard et fument un certain nombre de cigarettes au salon (ou sur la terrasse), pendant que nous, les gosses, faisons ce qui nous passe par la tête dans une autre pièce (ou dans le jardin). J'adore les apéros, personnellement, à cause de la liberté, des olives, des petits morceaux de fromages servis dans des coupelles, des différentes variétés de chips et tout ce qui fait un repas sans histoires. J'adore pareillement, à cause de la paix royale qu'on nous fout, du moment que personne ne se mette à saigner du nez, ou à renverser du Ricard.

L'apéro de ce soir , c'est chez Christine.
Même si je l'aime beaucoup, je ne peux pas mentir plus longtemps : Christine est institutrice. Elle a des cheveux rouges coupés très courts, presque en brosse, un peu comme Jeanne Mas, une chanteuse qui nous rabâche les oreilles. J'ai aussi une coupe en brosse. Je partage donc avec Christine un sacré sens de l'humour, mais surtout, elle me parle comme si j'étais quelqu'un. J'aurais voulu qu'elle soit mon institutrice officielle mais nous n'avons pas eu cette chance, elle et moi.

Flash-back : « Si je la voyais en train de crever au bord de la route, la gueule ouverte, je jure sur la tête d'Arnaud que je ne m'arrêterais pas ».

Je m'ennuie, en bagnole. J'imagine ce que ferait mon père s'il me voyait au bord de la route, en tant que fils unique, avec mon vélo épave et ma gueule en sang (peut être aussi de nouveaux points de suture (je voudrais passer la barre des dix et obtenir un badge)). Est-ce qu'il freinerait pour me foutre dans le coffre et me faire l'honneur des premiers secours ? S'il a décidé de ne pas s'arrêter pour sa propre sœur, comment je peux savoir dur comme fer qu'il acceptera de pourrir sa moyenne pour moi ?    
Claude et mon père se connaissent depuis plus longtemps, si on réfléchit. Et on réfléchit, quand on s’ennuie en voiture.

Quand papa a dit cette phrase que j'ai encore du mal à écrire sans rigoler tout seul, on passait devant un château d'eau. Dans une bonne rédaction (quatorze sur vingt), il faut mettre le paquet sur les sentiments avec des mots tels que douleur sourde, contrition ou nerfs en pelote. Mais je ne connais pas le mot pour mon sentiments exact, au moment où j'ai entendu cette déclaration de non assistance. Je sais juste qu'on passait devant un château d'eau. Un jour j'irai au pied du château d'eau et je ferai une prière indienne.

Définition numéro 2 : Pour réaliser une bonne prière indienne, il faut un morceau de papier, un stylo et des cailloux. Vous écrivez ce qui vous fait peur sur le morceau de papier, et vous le cachez sous un tas de cailloux, en forme de pyramide si possible. Pas besoin de danser sur place ou fumer le pemmican. Au bout d'un certain temps, il se passe que vous n'avez plus du tout peur de votre secret. Papi Marcel, qui m'a enseigné cette technique, a dit que si on lisait tous les morceaux de papier sous tous les tas de cailloux de toutes les prières indiennes du monde (ce qui est interdit par décret), on trouverait la mort partout. Au moins neuf fois sur dix. Moi, je suis trop jeune pour avoir peur de la mort mais il paraît que ça viendra. Il ne faut pas que je m'inquiète, surtout.


Digression numéro 2 : J'aime les indiens presque autant que les pilotes de chasse. Ce qu'il faut bien comprendre avec les pilotes de chasse, c'est qu'ils portent de grosses lunettes de soleil et frôlent la tour de contrôle en se marrant, au volant de leur MIG 27, parce qu'ils imaginent le commandant, bien planqué derrière ses radars, en train de renverser son café sur son uniforme. A cause des vibrations. Ils me tuent, ces mecs.

Comme je connais maintenant par cœur les motifs du tissu qui recouvre l'appui tête avant, je regarde par la fenêtre de la Fiat, pour changer. Je fais le serment comanche de ne jamais parler comme ça de ma petite sœur : la gueule ouverte et tout. Quoi qu'il arrive. C'est peut-être plus facile tant que les petites sœurs sont intra-utérines, et qu'elles ne sont pas encore devenues des folles furieuses, comme Claude.

Ma tante Claude est directrice d'école maternelle, ce qui est le record familial. Mon père, par exemple, est sous officier de l'armée de terre et il n'a pas encore connu la guerre. Ma mère est vendeuse de vêtements, parce qu'on s'en sort pas. Claude détient aussi le record de la plus grosse fumeuse, à ma connaissance. Elle est complètement dans le dénis du cancer du poumon. Mon père dit qu'elle fume également sous la douche, mais je ne peux pas le prouver. Elle a une voix de fumeuse senior, comme Hal, l'ordinateur de 2001, l'Odyssée de l'Espace, un film que m'a recommandé Matthieu mais sans succès. Elle enchaîne les longues cigarettes, qu'elle pioche dans des paquets dorés (les clopes les plus chères du monde, à peu près). En plus d'être directrice, elle fait la classe aux grandes sections de l'école maternelle. Elle a une réputation qui va jusqu'à Zanzibar. Il y a des élèves de Claude qui ont perdu tous leurs cheveux du jour au lendemain, quand on leur a annoncé qu'ils allaient partir en classe verte pendant une semaine non stop. Quand ils arrivent au cours préparatoire, les élèves de ma tante Claude n'ont pas du tout peur de la lecture, ou des tables de multiplication. C'est des gosses comme John Rambo, dans Rambo 1, quand il revient du Vietnam. Ces des gamins qui ne jouent jamais à la marelle et boivent leur pisse en cachette dans les toilettes. Il leur faudrait une putain de guerre (à mon père aussi).

Claude ne rate jamais une bonne occasion d'insulter son compatriote. C'est quelqu'un qui  pourrait vivre des années dans un embouteillage, par exemple. C'est encore à cause d'elle que j'ai appris que Madame Dupuis, mon institutrice de CE1, était une putain de la pire espèce. Je dis pas le contraire, attention, mais quand même, c'est vache.
Enfin, la coupe de cheveux de Claude a mal tourné. Ça ressemble à une perruque de Nancy Reagan, fabriquée par un stagiaire, sauf que c'est ses cheveux. Il faudrait tout couper et recommencer à zéro, grâce à la chimiothérapie pourquoi pas (comme dit souvent papa, de bonne humeur, en se resservant des lasagnes), mais même le cancer n'ose pas s'attaquer à elle.

Maman dit qu'il y a beaucoup de gens seuls dans ce monde, et c'est vrai. Mais ce qui rend les choses encore plus tristes, c'est que Claude est mariée. Eric, l'heureux élu, détient haut la main le record de la personne la plus diabolique de mon entourage. D'abord, il a cette bosse sur le front, pas parce qu'il s'est cogné, mais plutôt définitive, comme une corne. Quelque chose voudrait bien sortir, sous son crane. Je m'oblige globalement à ne pas fixer son kyste, par politesse (un peu) et parce que c'est dégueulasse (surtout). Parfois, je n'y arrive pas, à cause de la fascination. Eric est moustachu de naissance. Il passe sans arrêt sa langue sur sa moustache et ça fait chat de gouttière. Il a trois fusils de chasse, posés sur des présentoirs, dans son salon. Les fusils sont chargés en bonne et due forme, et à portée de main. Si on manque de respect à Eric, ou à un de ses chiens, il attrape une carabine au hasard et vise femmes et enfants à proximité, en cas d'apéro par exemple. Finalement, on ne se sent jamais en sécurité avec lui. On est toujours sur le point de battre le record du monde du cent mètres, détenu par Ben Johnson, en neuf secondes et soixante-dix-neuf centièmes (sous stéroïdes anabolisants).

Digression numéro 3 : J'adore l'athlétisme. Le saut à la perche, surtout.

Quand il me prend en flagrant des lits, à regarder sa corne, à cause de la fascination, Eric me demande : Tu veux toucher ? Ça te plaît ? Vas-y, touche, merdeux. Je te coupe la main, si tu t'approches. C'est douze salopards à lui tout seul, ce mec. Quand il s'endort sur le canapé, puant le Ricard, je suis à deux doigts de chercher un marteau au garage, m'approcher comme un sioux, et lui enfoncer sa corne dans la tête. C'est ce qu'on appelle la chirurgie esthétique .

Digression numéro 4 : Chirurgien esthétique est un métier d'avenir, selon maman.

Pour résumer, Claude et Eric sont un couple très cocasse. Il faudrait que je vérifie dans le dictionnaire mais en gros, ils sont cocasses. Ils passent leur dimanche à s'engueuler, entre eux ou avec les voisins, à décrocher les fusils pour voir, ou dire du mal de tous les gens qu'ils connaissent. Je ne crois pas qu'ils se sont déjà embrassés. Ils se sont sûrement connus pendant une bagarre d'ivrognes, ou au cours d'un combat de chiens.

La raison pour laquelle j'écris une bibliographie de Claude et Eric, c'est parce qu'ils sont invités également à l'apéro de Christine, ce soir. Mon père conduit dans le plus grand silence, ressentant une douleur sourde, alors qu'on est plus qu'à deux bornes.

Chapitre deux.

Il y a beaucoup de gamins de ma connaissance, et nous sommes tous en slip, rassemblés en tas dans une chambre à coucher. L'apéro classique. Si nous sommes en slip, c'est à cause du catch.
Le catch est un sport qui exige le port du slip et nous respectons ces valeurs. Mon meilleur ami, Matthieu, se tient debout sur la troisième corde, c'est à dire perché sur la commode, montrant son coude au public ; public composé d'enfants plus jeunes, eux aussi en slip. Je fais semblant d'être à la ramasse, couché sur le lit, sauf que j'ai un plan : éviter au dernier moment la descente du coude de Matthieu et lui réserver dans la foulée une prise de soumission. Ma botte secrète. Au catch, je suis un orphelin du bloc soviétique dit URSS, fils d'un pilote de chasse victime d'autisme et d'une mère indienne, par alliance. Mon père est mort en frôlant de trop près une tour de contrôle, pour déconner. Ma mère, Yakari, s'est jetée d'un château d'eau , m’abandonnant aux mains expertes d'un gouvernement collectiviste. On m'a appris à devenir une bête de guerre. Je peux ôter la vie à n'importe qui, n'importe quand, armé d'un coupe-ongles, si je me mets vraiment en colère. Heureusement, grâce à la sagesse indienne héritée de ma mère, je fais preuve d'un grand recul sur les saloperies de l'existence, pour mon âge. Je n'ai donc causé la mort que d'une demi douzaine de personnes, à ce jour, sur le ring ou en dehors. Je compte pas les animaux.

Matthieu atterrit sur le lit en défonçant la moitié des lattes, comme c'est la coutume. J'ai à peine le temps de rouler sur le côté et d'attraper son bras gauche, que je fais passer en un éclair derrière son dos. Ça s'appelle une clef, c'est une prise de soumission et ça fait un mal de chien. Botte secrète. Matthieu ne s'attendait pas à ce que je reprenne conscience si vite. C'est un bon coup de théâtre.  Il est comme un con. J’appuie avec mon genoux, sur son dos, en attendant qu'il abandonne. Il crie Mon bras, mon bras et c'est bien la question, effectivement.S'il résiste, je n'aurais pas le choix : je devrais lui péter en deux son bras, son bras. C'est à ce moment là que je me déconcentre. J'ai la ceinture mondiale dans la poche, mais je peut surtout entendre les voix, depuis le salon. La voix de mon père et celle de Claude, on les entend cinq sur cinq, alors qu'on est regroupés à l'autre bout de la maison. Ils hurlent l'un sur l'autre ; puis plus rien pendant un moment (je resserre ma prise de soumission) ; puis des hurlements, et des mots comme je vous disais tout à l'heure, toujours les mêmes. Ça sent pas bon mais Matthieu en profite pour attraper la lampe de chevet, et me frapper avec, à l'aveugle, par dessus son épaule gauche. C'est son genre, les coups bas.  

Digression numéro 4 : Il y a quinze jours, on se fritait au bord de l'étang municipal. Matthieu m'a aveuglé en me jetant une grosse poignée de sable dans les yeux. J'ai fait une infection oculaire, parce que le sable était de mauvaise qualité. Le médecin nous a appris que les chiens font leurs besoins n'importe où, de nos jours.

Bref, Matthieu c'est le roi des coups tordus, et il n'hésite pas à se servir des chaises de jardin, ou des lampes de chevet. Le public adore. J'en prends plein la tête mais je tiens bon ma prise. L'issue du combat est incertaine. C'est fifti-fifti. Je commence à en avoir marre des enfoirades de mon meilleur ami. Je m’apprête à le tuer de mes mains. C'est à ce moment précis que je sens qu'on m'agrippe, par derrière en plus.
Ma mère.
Pas Yakari, la vraie.
Elle a déjà regroupé mes fringues et elle me demande de me rhabiller en deux secondes, car on s'en va.

Pour une fois que c'est l'apéro et qu'on nous fout la paix, merci beaucoup. Je n'ai mangé qu'une dizaine d'olives et les autres gamins en slip n'ont pas l'air de devoir partir, eux. C'est quoi ce bordel ?je demande presque à ma mère. Mais quand je vois sa tête d'enterrement, je me dis qu'il y a quand même mort d'homme quelque part et je m'habille sans être une plaie. On passe forcément par le salon où les adultes font de leur mieux pour être bourrés. Papa est debout, le dos contre un mur. Il est trop loin des chips alors il se ronge les ongles. Ma tante Claude est assise dans le plus beau fauteuil de la pièce, en tant que directrice et responsable d'enfants chauves. Elle n'arrête pas de gueuler sur mon père en particulier, en faisant de temps en temps des concours de cul sec, toute seule, et en finissant les cigarettes de tout le monde. Ce qu'elle dit à mon père, je ne veux pas l'écrire ici, car j'aimerais bien oublier un jour, si ça vous dérange pas. Papa ne répond pas aux insultes. C'est le meilleur moyen de passer pour une couille molle, croyez-moi : comme quand Marco Santos me traite de fils de pute et que je réponds Ah ah, t'es un marrant Marco, et si on faisait un petit foot ? Parce que j'ai peur de la vengeance portugaise.

Digression  numéro 5: Tout le monde sait que les portugais ont un couteau planqué quelque part. Je ne suis pas raciste mais c'est vrai qu'ils me foutent la trouille. Je sais que je suis pas raciste parce que j'ai pleuré quand M. Greiner nous a montré le film Le Procès de Nuremberg, avec tous ces pauvres juifs qui prenaient le train à bestiaux et finissaient en tas, avec la peau sur les os. J'ai pleuré sincèrement.

Papa devrait rappeler à Claude que si elle était au bord de la route, la gueule ouverte, il ne s’arrêterait pas avec la Fiat Tipo pour les soins d'urgence. Ça la calmerait un peu. Mais il continue à se bouffer les doigts et ce n'est pas impressionnant. Même moi, je me bouffe les doigts si je veux. Eric, le mari de Claude, a l'air de bien s'amuser, à voir mon père être une couille molle en public. Je regarde vite fait si je vois un fusil accroché quelque part mais ça va, Christine n'a jamais chassé le faisan de toute sa carrière d'institutrice. Elle ne peut pas non plus envoyer tout le monde au coin, malheureusement. Elle va du salon à la cuisine, en portant des choses qui pourraient très bien rester là, et en s'arrachant des cheveux rouges. Elle est en plein contrition, à ce que je vois.
Maman et moi, on bouge pas, on est juste dans l'entrée, en attendant que papa termine ses doigts ou je sais pas quoi. Dans la chambre des gosses, Matthieu doit faire le drôle avec sa ceinture en carton, l'enfoiré. Au prochain apéro, je vais arriver dans un sacrée condition physique. Et on verra bien. Papa ramasse sa veste et cherche les clefs de la Tipo sur la table. Claude continue à le démoraliser juste parce qu'il n'a pas passé le concours d'officier. C'est vrai, c'est faux, moi je sais pas. Papa n'a pas la niaque mais je sais qu'avec lui, tant va la cruche à l'eau. Donc, je reste prudent. Il a la main sur ses clefs et il ne bouge plus du tout, penché en avant, je dirais sept secondes.  Sans prévenir personne, il attrape un verre au hasard et le balance sur ma tante. Claude se met à hurler. Elle tient son visage comme une grande brûlée. Elle vérifie que tout est à sa place, à peu près, en hurlant son agonie. Je me demande si quelqu'un était en train de boire de l'huile bouillante, ou du coca, mais c'est juste que sa coupe de cheveux est foutue, encore pire que d'habitude. Ça la bousille complètement. Sur ce nouveau coup de théâtre, nous partons (justice est faite), tous les trois, plus ma sœur dans le ventre, loin des olives anchoitées et des Apéricubes.
J'ai ce qu'on appelle un mauvais pressentiment indien. Ça m'étonnerait qu'on arrive à la Fiat sans coup bas. Je repense à la corne d'Eric et j'ai les jambes en mousse.

Digression numéro 5 : Parfois, je rêve que je suis dans une fête foraine et que je joue à ces machines où des espèces de râteaux poussent des pièces qui dégringolent de temps en temps, mais jamais les montres digitales.

Définition numéro 5 : (Chercher dans le dictionnaire le nom exact de ces machines à la con).

Digression numéro 5 (suite et fin) : Au bout de quelques minutes de rêve, je donne un grand coup de pied dans la machine, et c'est pas une montre digitale qui tombe, mais deux jambes en mousse. Quand les forains (qui ont tous un couteau planqué quelque part aussi) me prennent en flagrant des lits de vandalisme, je prends la fuite. Alors je dois courir le plus vite possible avec mes jambes en mousse. Et d'un, tout le monde rigole, et de deux, les forains et une femme à barbe se rapprochent. Quand ils me tombent dessus pour m'égorger, à chaque fois, je me réveille tout transpiré. Mon grand père dit que c'est tout à fait normal, que nous avons chacun nos phobies et nos tares. Il dit qu'il rêve souvent lui-même de tomber dans une piscine remplie de bananes trop mûres. Je vois pas en quoi ça fait peur, des bananes trop mûres. Maman dit que c'est bientôt Hal Zaï Meurt, de toute façon. Papa dit qu'on va sûrement pas le prendre à la maison, même si c'est autre chose.

Chapitre 3.

Vous le croirez pas, avec tous ces coups de théâtre, mais deux minutes plus tard, je suis devant un cahier de coloriages. Je sais que suis trop vieux pour ces conneries, comme dit Hannibal Smith. Je sais pourquoi ils font ça, les adultes qui ne sont pas dehors en train de se battre. Mais quand même, des cahiers de coloriage, c'est déconné. Pas le moindre joystick à secouer pour calmer nos nerfs en pelote. C'est pour détourner notre attention du jardin. On entend quand même assez bien les cris, les insultes, le bruit des gens quand ils tombent sur une voiture ou un volet. Certains gamins sont à la fenêtre, à regarder mon père se faire casser la gueule. Vous voulez vraiment pas faire des coloriages débiles? je leur demande. Y'a Jean-Paul qui tient ton père par derrière, pendant que Claude lui griffe les yeux répond Matthieu, qui voudrait une carrière de journaliste sportif.

Moi je sais plus ce que je fais. J'ai pris un stylo vert et je colorie un soleil. Le soleil est au dessus d'une sorte d'exploitation agricole. Au milieu, dans la cour de ferme, les principaux animaux d'élevage font la ronde. Plus crétin tu meurs sur place.

On a jamais pu arriver jusqu'à la voiture car Claude est sortie en trompe, avec ses cheveux dégoulinant de Get 27. Papa a dit plus tard qu'elle était verte de rage, j'ai compris la blague mais je me suis pas esclaffé non plus. Elle n'allait pas très vite parce qu'elle faisait du cloche pied. Elle essayait d'attraper une de ses godasses à paillettes. De toute ses forces, elle a balancé sa grôle en direction de mon père, mais c'est passé à dix mètres, facile. J'ai rigolé sur le coup mais quand Eric est sorti lui aussi, avec des fusils de chasse plein les yeux, j'ai serré les fesses autant que possible. Claude a encore dit quelque chose. A ma mère, cette fois. Ma mère avait rien fait de mal de tout l'apéro, juste aidé à couper les cakes, ou faire le plein de fruits secs. Claude a dit à ma mère qu'elle avait de la merde dans le ventre.

J'étais au tapis, tout comme vous.
Encore maintenant, j'essaie de croire que j'ai pu mal comprendre, qu'elle voulait dire que maman avait la mer dans le ventre, ce qui est très poétique, si on y réfléchit. Ou alors qu'on avait un truc dans le coffre. N'importe quoi mais pas ça. J'avais déjà  du pain sur la planche, en terme de prières indiennes. Il me faudrait beaucoup de cailloux, dans la vie.
Papa a tilté juste après ça. Nous avons eu droit à une partie gratuite. Il a couru vers Claude  en oubliant tout le reste (nous). Il l'a attrapée sous les bras, soulevée, fait trois tours sur lui-même, et avec un grognement de champion de javelot, il a jeté sa sœur dans une haie de cyprès. A cinq mètres, je dirais. J'étais en train d'applaudir comme un dingue quand Eric a volé au secours de sa femme battue, c'est à dire droit vers mon père, pour lui défoncer la tronche. C'était fifti-fifti au début, mais on m'a empêché d'encourager papa, en me forçant à rentrer à l'intérieur, où un cahier de coloriage à peine commencé m'attendait.
On m'a dit que c'était rien, que ça allait passer. Christine répétait qu'il ne fallait pas que je pleure mais mes yeux étaient secs et pas les siens. Je lui ai demandé, quand même, si y'avait pas un joystick qui traînait dans cette maison.
Voilà comment on se retrouve à dépasser largement autour d'un soleil vert, à l'âge de douze ans. Je vous avais prévenu que c'était une histoire triste.

Chapitre 4.

Je me suis levé pour aller voir à la fenêtre si mon père était vivant ou mort. Maman était restée près de la voiture. Elle hurlait sur papa. Elle arrêtait pas de répéter son prénom, surtout,mais c'était à peine perdu :papa n'entendait plus rien. Les invités lui sautaient dessus à tour de rôle, pour tenter une prise de soumission. Ils n'y arrivaient pas. Mon père est costaud, à cause du rugby. En plus, il a pas peur des coups, avec tous les matchs qu'il a fait, dans l'équipe honneur. Il faudrait l’assommer par derrière, sinon je vois pas. Eric s'approche en agitant un pied de parasol. Mon père ne tente même pas d'éviter le coup, il se le mange dans l'oreille, mais comme la distance est bonne, il
avance vers son adversaire moustachu, et il lui colle trois grosses mandales sur la corne, une, deux et trois grandes droites qu'on verra jamais à la télé (pas assez techniques (mais efficaces)). Eric est obligé de s’asseoir cinq minutes pour réfléchir à tout ça calmement. Tout le monde se lance alors sur mon père, qui parvient à être maintenu à l'horizontale, le nez dans le gazon. Claude, dont la coupe de cheveux est carrément devenue surnaturelle, s'accroupit devant papa et lui griffe la face sans problème. Je décide de regarder ailleurs. Dans le salon, les autres gosses commencent à se dissiper autour de la table basse. Les plus jeunes réclament qu'on leur file à bouffer. Je regarde une dernière fois par la fenêtre. Du côté de ma mère. Elle laisse plusieurs fois ses bras tomber sur ses hanches en soupirant, comme un gardien de but qui en peut plus de voir sa défense à la rue. Elle n’appelle plus mon père. Elle me voit à la fenêtre. Elle fonce vers la maison. Personne n'est assez con pour lui barrer le chemin. Elle est devenue la femme enceinte la plus dangereuse du quartier.  La reine noire, planquée jusque là, et qui traverse maintenant l'échiquier en diagonale, pour prendre son pion, c'est à dire moi, pauvre pion embarqué sans son manteau, par dessus le théâtre des affrontements, survolant la scène, tandis que nous traversons le jardin pour nous enfermer dans la voiture. Sains et saufs.
La partie est finie.
Gamme ovaire.
Ma mère, au volant, boucle sa ceinture. Sursaut du moteur. Le moteur cale. C'est comme dans les films d'horreur sauf qu'elle a juste oublié que la Fiat Tipo, c'est un diesel. Deuxième chance. On démarre pied au plancher. On fait cent mètres, avant que ma mère se mette à freiner sec. La porte passager s'ouvre, et mon père s'assoit, presque poliment. Comme un auto-stoppeur un peu timide. Nous partons. Un dernier choc fait exploser la vitre arrière. Je ne sursaute même pas. Pendant que nous rentrons chez nous, je me débarrasse des morceaux de verre éparpillés autour de moi, sur la banquette.
Le trajet jusqu'à la maison, c'est dans un silence à couper au couteau. Quand on arrive, ma mère fonce ouvrir notre porte d'entrée, comme si on était poursuivis par toute une bande. Mon père et moi, on remonte l'allée. On traîne les pieds. Il s'accroupit devant moi et me colle son visage sous le nez. On dirait Verdun, 1917. Il est couvert de sang et de brins d'herbe. Un œil reste fermé.Toute l'émotion passe par l'autre. Il me tient les épaules, pour capter mon attention et garder son équilibre. Ses mots sentent l'alcool et il me postillonne dessus sans se gêner, le mec.
Ce qu'il dit, je ne sais plus. Il n'arrête pas de répéter que c'est pas de ma faute, que j'y suis pour rien. Que je dois pas m'inquiéter surtout. Vraiment c'est pas de ma faute. Ça me parait évident, mais sans rancune pour les postillons et tout. Encore heureux que c'est pas de ma faute. J'imagine trois pages de « Je ne provoque pas d'émeute familiale. Je n'encourage pas les adultes à s'insulter et se frapper à coups de poings au bord de la route ».

Je suis perdu devant l'énorme visage de papa. On sait pas quoi faire. Je regarde les griffures, les bosses, la terre, la sueur, les croûtes de sang, les morceaux de gazon, son nez plié en deux, et je respire son odeur. Je pourrais rester là toute la nuit mais ma mère nous sort un carton jaune : il parait que j'en ai assez vu pour une seule journée. Elle siffle la fin du match nul. Tiré par la manche de mon T-shirt Waikiki, on m'enlève la belle gueule cassée de mon père.
On est rentrés perdants, tous les deux.
Moi, j'ai raté la ceinture mondiale, de peu.
Lui, il a plus de sœur.
C'est fifti-fifti, quoi.

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Soleil (vert) Empty Re: Soleil (vert)

Message  Invité Dim 18 Aoû 2013 - 21:08

Dire que je n'ai que deux mains pour applaudir !
J'envisage de me convertir : ptêt que Lakshmî distribue des bras supplémentaires si on est pieu au point de se confondre avec la clôture ???
Mais ça demanderait trop de temps : c'est urgent pour moi de te dire à quel point je me suis marrée et que j'en reveux, et bienvenue ici !

C'est foutraque mais vraiment drôle, la forme d'humour utilisée va génialement bien au récit d'un enfant, y a pas un poil de mièvrerie dans sa façon de voir les choses, j'ai eu Zazie, Billy the Kick et les gamins de Jacques Tati qui sont passés dans ma tête à titre de comparaisons, j'ai relu et, sûr : ils sont cousins germains avec le tien !
Bref j'ai adoré.
Et juste pour être désagréable : n'abuse pas des parenthèses, quand même...

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Message  Invité Lun 19 Aoû 2013 - 6:52

Epatant !
Le langage du Petit Nicolas, mais plus "hard".
La description de la bagarre est pourtant longue, mais on ne s'ennuie pas du tout.
Les trouvailles défilent, c'est du rire à répétition. Ah, que j'ai ri ! Merci, vraiment.

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Message  Invité Lun 19 Aoû 2013 - 11:15

100% en ce qui me concerne, un sans faute, en particulier la justesse de ton.
Bien sûr, j'ai également adoré les jeux de mots, l'orthographe fantaisiste (tiens, j'en ai une autre, dans le genre favorite et que je m'attendais presque à trouver ici : "le pied d'estale"), les coqs-à-l'âne, les digressions, l'enchaînement du récit, tout tout tout.
Et pour le plaisir, j'isole cette réflexion :
"Je dis mon ami même s'il cherche souvent à me pousser au racisme, en traitant ma mère de pute. Je crois que c'est de l'humour de son pays, alors sans rancune."
Et cellle-là, pour l'humour bon enfant que j'affectionne aussi :
"On dirait Verdun, 1917. Il est couvert de sang et de brins d'herbe. Un œil reste fermé.Toute l'émotion passe par l'autre."

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Message  Polixène Mar 20 Aoû 2013 - 8:49

Très drôle et léger, malgré l'ambiance dépeinte. C'est la fraîcheur du regard enfantin, utilisé judicieusement, qui crée ce délicieux contraste.
Belle réussite, bravo.
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Message  kolkhoze Jeu 22 Aoû 2013 - 23:37

Chouette soleil, j'aime bien ces formulations enfantines et sauvages, et aussi tout plein de justesse
J'ai beaucoup beaucoup aimé le catch, le kyste diabolique d'Eric et la fin aussi, ce duo de perdants
La remarque d'embellie est très juste, à propos du petit Nicolas


(je voulais savoir, pourquoi Fifi-fifti, dans le sous titre ? Je n'ai pas réussi à comprendre, d'autant que partout ailleurs, c'est bien fifti-fifti qui est écrit)
(et aussi le dénis ? Est-ce que c'est en rapport avec le prénom denis ?)
(pardon pour ces questions un peu prosaïques, mais ce sont des choses qui m'ont intriguée)
kolkhoze
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Message  Invité Ven 23 Aoû 2013 - 6:21

C'est drôlement bien, et drôlement triste. J'aime beaucoup les digressions qui passent en vitesse sur les scènes, et la diagonale de la reine noire, et le titre.

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