repas de noce 1

[outretemps]

La journée s’était passée rigolade.
Moitié copain copines, moitié famille qu’on s’ était retrouvés.
Pour secouer plus facile, faire plus drôle, on avait tout mélangé
La famille avait été bien surprise de se voir ainsi cernée.
Chacun sur sa chaise, assis autour des tables en fer à cheval , on venait juste de s’installer.
Mes copains, pas la peine de décrire, comme à l’habitude, faisaient les Huns.
Quand on s’était mis à grimper, toute la bande, vestes tombées, sur les dossiers des sièges, à peine arrivés les potages, à entonner :

-Fous la au lit, fous la parterre, fous la lui ou c’ tu voudras… ça l’ avait balancée, à s’étrangler ses soupes, ma vieille , les quatre fers en l’air, pire qu’ électrique branchée.
-Fous la lui où c’ que tu voudraaaas, tu voudraaaaas

C’était pas ça qu’allait la calmer, surtout que ça faisait que commencer !
Le curé, installé à quelques chaises de distance lui avait sauté d’ssus, sans plus attendre, toutes viandes mélangées.
Dans ces urgences à par quel bout la prendre, sauver des l’asphyxies et autres fausses routes, il se trouvait fort emberlificoté.

C’est qu’ il y tenait de plus en plus à ses paroissiennes, qui lui fondaient, neige au soleil depuis quelques années.
L’église n’était plus ce qu’elle avait été. On s’y employait de notre mieux , à la faire s’écrouler.
Celui-ci de curé, c’était, coup sûr tante Charlotte, la miraculée de la famille par alliance élargie, qui l’avait invité.

Toujours est-il que cela lui avait fait un bien énorme, à ma chère mère, de s’ faire tripatouiller par la soutane.
Elle s’en sentait toute bénie, de se voir ainsi ceinte de tant d’intentions.
Ce fut immédiat et radical, comme miraculeux, si j’ose dire, le traitement.
Du coup elle faisait elle aussi La la la la la la la lère la la la …avec les bras en marionnette.
Mais aux moments qu’on s’ attendait le moins.
C’était, pendant que les autres se rinçaient les gorges, se repuisaient du souffle, pour mieux entamer la suite, c’était entre les chansons qu’elle s’y mettait.
A elle toute seule, comme une sopranette: La la la, la la la… ça la prenait. Rarement faut bien le dire cela allait plus loin.
- Maria, maria, lui faisait le curé, lui passant la main devant les yeux, comme pour la tâter du reflexe, Ouh Ouuuh, Maria ???

C’était très surprenant , de lui entendre faire la chouette, à ce sombre corbac.
J’avais mon verre qu’était posé près d’elle, et au rythme où j’ éclusais, je suivais l’évolution de près.
J’étais Pline le jeune devant Pompei, 79 après Jésus Christ:

Entre la grande secousse et l’énorme éruption.
Mais là, c’était l’inverse qu’elle avait fait ma vieille.
Après l’éruptive renversade , c’était maintenant qu’elle tremblottait.
Les lunettes lui pendaient , comme des fenêtres , brisées zig-zag des branches, partout sur fond de teint , crevasses, lui fissurer les joues, à gouliner rimmel, en fleuves de lave, méandres.

Marie Françoise, ma fraiche femme, faisait agent dedans la liaison. Tentant d’ amalgamer les pâtes, publique relation.
Raccommodeuse d’humeurs, elle passait son temps de drôles de drames en pamoisons.
Elle folâtrait de groupe en groupe, triant sourires d’après couleur, passait pommades, vaselines…
Il lui fallait aussi distinguer éclats de rires de crises de nerfs, et tiqueter minutieux les urgences de graves premières, de celles à différer.

Alcool de menthe, susucre , sels ammoniacaux à volonté,….
Ma vieille, la menthe c’était sa Coramine glucose, son tonique cardiaque décisif.
A réveiller les morts c’était cela qui marchait mieux.

Si toute fois on exclut l’eau bénite, universelle panacée, thériaque du pauvre qu’on avait pas pensé à emmener.
-Michel, Michel quand même, elle soupirait ma mère tout en pompant son sucre, Michel regarde un peu.
Elle agitait, pendant sa râlerie un bras épouvantail, indiquant, gestes vagues, une table par là bas au lointain dans le noir.

-Regarde donc, Michel, regarde, Monsieur Camille, les états qu’ ça le met, tes copains imbéciles à chanter pareilles fredaines et chansons dégoutables !
Camille c’était sûr pour l’heure ne portait pas bien fier.

Voulant éviter le pire, les sept filles qui lui restaient maintenant , l’avaient comme encerclé , à secouer serviettes pour dissiper au mieux les vapeurs méphitiques qu’il lâchait de partout quand on le contrariait.
- Tu f’rais mieux de t’occuper des états de mon père et de faire comme lui, au lieu de regarder Camille.
-Mais fais donc comme papa, que j’insiste, me haussant de la voix comme on fait des épaules… tu me le donnes assez en exemple, depuis que je suis au monde, à longueur de journées !

– Pa pa pa papa ? qu’elle se réveille alors, papapapapa où c’est qu’il est passé ?
- Papa il est là ! Regarde sous la table.
- Ssous sous sooooous…

-Ben oui là dessous que je susurre sadique en me cadrant l’ oreille pour qu’elle entende plus:
- C’est là-dessous qu’ il est, Regaaarde.

Et tirant sur la nappe, comme magicien dévoile, l’ chapeau dans lequel, y a lièvre dedans.

-Papaaa , y a maman qui te cherche…
-Ju Ju Ju Justin qu’est ce que tu fais là, qu’elle s’écroule complet, pour de se mettre au niveau.
Le curé se désempêtre les paluches des graisses maternelles et fissa se débine, se faire ouailler ailleurs.

Parce que si on voulait le trouver, le Justin, c’était sous la table qu’il fallait regarder, puisque c’était là qu’il était.

Mais à moitié seulement.
L’autre moitié, elle, flottait dans les étoiles.
Recroqu’villé plié, torsadé rigolade, il se tordait la tripe, tellement il était loin.
Quand il eu vu ma vieille, sa tête de gargouille, au lieu de se calmer comme à son habitude ça l’a redémarré, comme envoyé en l’air avec toute la table sous laquelle il s’était planqué. HA HA HA…

C’était d’un barouf pas ordinaire!!!
Les copains général tollé : Ouais….. Ouais…..

Les autres membres de la tribu qu’au début fallait leur dire quand c’est qu’ils devaient rigoler, tellement ils tenaient prête l’ alarme à la paupière, s’en trouvaient du coup comme libérés.
Après tout c’était pas eux qui paieraient les pots qui cassent, et l’attraction que venait de leur faire mon vieux, les avait déridés.

Tonton Ficelle c’était à peine s’il avait remarqué.

Perdu dans ses pensées, il s’agrippait les restes que la mine lui avait laissés, toujours après le guidon.
Ce n’était plus celui de son vélocipède , mais de la chaise à roues dans laquelle attendait ma bonne vieille tantante, une mort qui se refusait.

On me l’avait pomponnée pire que momie Ramsès pour la faire présentable et ne l’avait déplacée que sur mes volontés : « que jamais en dehors de sa présence, je ne me marierais ».
Si d’aventure elle devait en mourir, au moins sur place , on avait en curé et en sacrement bien plus qu’il n’en faudrait.

C’était ce soir, ou bien jamais que pour la dernière fois, elle serait la plus belle pour aller danser.

A nous voir, mes copains et moi piétiner les potages de par dessus les tables ça lui avait donné à elle aussi envie, envie d’une dernière ivresse, envie de s’envoler.

Alors je l’ai prise, tournez, tournez manèges par le guidon, des mains de mon Tonton, arrachée, vire volée au travers l’assistance jusqu’à de l’autre côté.
L’autre côté de la danse ou mes copains complices me la renvoyaient.
Tantante riait tout fort à perdre ses haleines, à s’ étouffer jusqu’aux derniers soupirs.

Et moi j’étais aux anges, comme sur ses genoux assis quand j’étais môme à regarder nos enterrements passer,là, pour une dernière fois.
C’était pour elle les derniers jours, alors autant qu’on lui les passe en cascades.

Ehhhh Hop… d’un bout à l’autre, d’un bout à l’autre de la piste
Ehhh Hop… on me la renvoyait.

C’était Ben Hur, ils avaient retenu la leçon.
La course dans les arènes, les chars dans le tournant où s’accrochent les roues.
Derrière les dossiers des chaises, rempart- gradin, toute la famille s’était planquée.
Manquait plus que la Blandine, pour faire pire qu’au ciné.

De toutes leurs mains jointes, et de celles de leurs voisins, ils se cachaient les bouches, les nez jusqu’aux oreilles comme si c’était par là qu’ils regardaient, si tant ça les berluait.
En chair en os en sang qu’était la gladiatrice pire que cinémascope elle s’approchait. Tout en tournis couleur, encore mieux que nature, et si bas cela volait que tout le monde en criait.


(A suivre, demain?)

[Invité]

J'ai trouvé que cela peinait un peu à démarrer, qu'au début c'était noces ripailleuses, tristes et cruelles sous la fausse gaîté, comme on a déjà vu ailleurs.

Tout a basculé pour moi à partir de : "Tonton Ficelle c’était à peine s’il avait remarqué." Là oui, je vous ai retrouvé, cette inimitable gouaille tendre, là j'ai lu ce que je ne lis nulle part ailleurs...

[apoutsiak]

Pour mézigues, c'est illico presto que j'ai fait mon entrée dans la ronde jubilato-méphitico-piqueratesque d'Outre-tant et tant qu'il se noit dans l'Illinois, cherchez pas c'était juste pour la musique. Amen la caisse !

[mentor]

quelle gouaille et quelle invention dans les mots et tournures, c'est jouissif
je ne parle même pas du dynamisme de la scène, c'est d'un visuel remarquable, on y est
bravo et vivement la suite ;-)

[à tchaoum]

Rhâââ que c'est bon.
En trébuchant sur le piqueratesque d'Apoutsiak, je m'suis tapé le front :
Picaresque !
Oui, c'est une fameuse et goûteuse restitution, un précieux témoignage sur l'époque et sur le milieu, ce milieu de partout où chacun est nombril du monde et où tous peuvent se reconnaître (au moins tous ceux du papy-boum). Pour moi, ça sent la Seine & Oise dans les années 60... et c'est très agréable de m'y retrouver parce qu'alors je n'savais pas encore combien ça pue partout dans le monde.
Merci Outretemps, t'es plus vraiment un écriveur, t'es déjà écrivain.

Pour picaresque, tu le comprendras comme un putain de vachté d'gros compliment, limite flagornerie mais néanmoins et nonobstant en deçà.

[Arielle]

Comme Socque j'ai été ravie de retrouver tonton Ficelle. Toute émue de découvrir que la tantante avait bien vieilli et qu'elle en était à ses derniers tours de manège... mais quels tours! La tendresse sous la grosse rigolade, c'est une corde de plus à ton arc Outretemps. J'aime moins tes rancoeurs et tes sarcasmes filiaux.

[Invité]

Lu bien entendu, un style qui virevolte au-delà de mes préférences littéraires, mais la matière et le talent sont là. Après un long travail de tri s'impose, et je rejoins Arielle. La sélection s'annonce pénible entre ta ruée vers le dire et ce qui est amplement nécessaire.

N'empêche, maman qui fait les marionnettes, j' en redemande.

[Sahkti]

Hé hé! Quelle aventure! Une bonne dose de déjanté mais pas trop, un langage vif qui apporte beaucoup de dynamisme, un bon rythme, une écriture fluide... que demander de plus?
J'ai particulièrement apprécié le côté un peu fourre-tout du texte, toutes ces péripéties que tu arrives à glisser dedans et qui donnent une touche rocambolesque à l'ensemble, ce qui me plaît bien.

[ninananere]

Désolée, je n'accroche pas. Y a trop de gouaille, trop décousu...

[outretemps]

Hé hé! Quelle aventure! J'ai particulièrement apprécié le côté un peu fourre-tout du texte, toutes ces péripéties que tu arrives à glisser dedans et qui donnent une touche rocambolesque à l'ensemble, ce qui me plaît bien.

Merci Sahkti de ton commentaire, mais j'ai pas beaucoup de mérite à digresser, vu que si t'enlèves ça, y a plus rien. C'est une façon d'accomoder les restes (les souvenirs); l'épouse, ma femme qui est fine mouche, en lecture aurait, elle tendance à me reprocher la chose, mais je crois qu'elle a tort. je ne sais que penser?

[bertrand-môgendre]

outretemps, je te soupçonne d'être sacrément éméché pour écrire ce genre de roman photo. Ton reportage est vivant, dynamique rebondissant. J'ai peur que tu ne prennes goût à ces beuveries. Exercice bien rendu.

[outretemps]

Hélas totalement à jeun, parole, pas que j'en fasse pas partie, je crache pas sur la picole du tout et n'ascèse en rien, mais là alors vraiment rien, je t'assure. Et pourtant si tu me voyais au naturel t'aurais vite compris que je ne rebondis plus énormément, quant au dynamisme, encore juste un peu dans les doigts. Mais ça va y a pas à se pleindre, le pire est à venir. Alors merci encore pour tes lires et tes dires et à la tienne.-:)

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