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Péroraison grabataire

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silene82
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Message  silene82 Dim 7 Juin 2009 - 10:28

PETIT RECUEIL PRETEXTE DE COURRIERS DIVERS

Faisons court, un accident d’autant plus malencontreux qu’il est irréversible me cloue ad nauseam aeternam sur un grabat qui n’est à présent que d’hôpital, sans aucun bénéfice collatéral, la paraplégie qui m’affecte depuis ce fâcheux tête-à-queue m’empêchant , avec une insistance tout à fait regrettable, de lorgner sous la blouse des infirmières, qui ont la bonté et l’amabilité de me plaindre beaucoup. Pensez, un grabataire forcé qui n’est incontinent que par manque de circulation de l’influx nerveux, lui.
Ne pouvant plus faire grand chose, hormis parler, je vais donc dicter des lettres adressées à toutes sortes de personnes, depuis les proches et familiers jusqu’aux instances de la nation. Un vieil ami se tient à mon chevet, qui me servira de scribe ; il va de soi que, soupçonneux comme jamais, je vérifierai la retranscription d’un œil critique : trop peu de fonctions me restent pour que l’on puisse me contester la mise en service de celle-là.
Il n’y aura d’ailleurs pas forcément que des lettres : pourquoi ne donnerais-je pas mon sentiment sur telle ou telle situation, si cela me plaît ? Ou sur telle ou telle personne ? Qui ira chicaner le droit d’un invalide à exprimer tout ce qui lui passe par la tête, puisqu’il ne lui reste guère que ça ? Et s’il me plaît de me remémorer des images de temps anciens, les émotions de temps disparus, de tenter de retrouver la force et la saveur des émotions vierges, avec leur puissance émotionnelle, tellement intenses qu’elles pouvaient provoquer un petit choc cardiaque, accompagné de tremblements, et parfois même de spasmes, qui m’en critiquera ? Je ne peux plus vivre que par procuration, et dans mes souvenirs : la vie vécue est passée, il ne me reste que la vie fantasmée, le vie recomposée par le prisme kaléidoscopique de la mémoire, qui filtre et réagence souverainement, comme il lui plaît. Et si somme toute c’était la vraie vie, et que ce soit Proust qui aurait eu raison, dans sa recomposition et sa réécriture de la vie, et que ce soit la littérature qui soit la vraie vie ?
Peut-être m’autoriserai-je des tons différents, jouant sur divers registres : qui m’empêchera de revêtir plusieurs défroques, qui me permettront de varier l’angle d’attaque de mon outil ?
Aussi bien, assieds-toi, scribe, et écris !
Je veux invoquer d’abord, en rite propitiatoire, le souffle qui m’habitait, et que je voudrais sentir m’animer. Mistral, Frédéric Mistral, le bien nommé, provençal ardent et à la parole de feu, place cette invocation au début de Mireio : « enfioco mi paroulo et douna mé d’alen », enflamme mes paroles et remplis moi de souffle, aussi, lui faisant écho, je dirai

-Mon bon ami,

trop d’années à ne faire de ta vie que ce que le coercitif héritage judéo-évangélico-bien-pensantique te permettait de réaliser. Certes tu avais transgressé, tôt, et avec une ardeur qui me mettait la joie au cœur. Mais, trop vite happé par le prégnant héritage sus-nommé, tu as bien mignonnement rangé ton attirail au vestiaire, que dis-je, au secret.
Aussi ne puis-je te souhaiter qu’une chose, mon beau castré, que tu retrouves la fougue véhémente, brouillonne et iconoclaste de tes jeunes années, même si une certaine prudence consciente des conséquences de tes provocations t’habite à présent.,

Ton double gémellaire. –

Aussi, d’abord, dire un peu de beau.
Et arpenter avec Georges Perec les allées et frondaisons du souvenir, en se plaçant sous l’invocation incantatoire, et complémentaire, du « je me souviens ».

Je me souviens: étage.
L'étage craquait sous les pas: sous la moquette sombre, il y avait un parquet dont les lames jouaient comme toutes les lames de parquet, si sensibles aux variations hygrométriques et si aisément attaquées par la moisissure ou les insectes xylophages. Parquet pourquoi d’ailleurs, lors qu’un revêtement sudiste, tel que la brique pilée mêlée de chaux qui couvre la quasi-totalité des sols des plus beaux édifices de Venise, aurait bien mieux convenu ; il est vrai que sa pose demande main-d’œuvre qualifiée et abondance de manœuvres, et que c’est vraisemblablement un savoir-faire qui s’est perdu, du moins tel qu’il était à l’origine. Les revêtements d’entrée de logements bon marché en sont la piteuse réactualisation, connue sous le terme de granito.
L'escalier descendait en tournant en U au milieu, des marches en marbre blanc, assez commun, une main-courante en bois poli, peut-être en noyer, des barreaux de fonte coulée, avec des motifs en rehaut en bas, au milieu et en haut, un modèle que l'on voit fréquemment dans les bâtisses de cette époque, début du 20ème, prospérité, industrie métallurgique à son apogée, exposition universelle, pavillon de Brighton, prodiges des dentelles de métal aériennes, ô Baltard, ô Eiffel, concepteurs grandioses, architectes industriels, créateurs d'une esthétique nouvelle.
Et aussi, en filigrane, France remboursant la dette de septante en un temps record, et les 50 années jusqu'à la der , empire colonial dégorgeant ses richesses sur les quais de Marseille, du Hâvre....Marqueteries françaises embellissant les bordels d'Arizona, machines à coudre cousant des années-lumière de calicot d'Aden à Bombay, de Beyrouth au Tonkin. Ouvriers agités de spasmes de changement, profondes secousses d'un monde en mutation, prolétaires conscients d'être une classe, et d'être indispensables à la prospérité.
Derrière les épaisses portes de bois -dans les temps où fut équipée cette partie centrale de la bâtisse, une bonne qualité avait été retenue , bonne qualité voulant dire dans ce cas panneaux épais, bois franc, exempt de défauts. Ce n'était pas qu'il n'existât pas de qualité inférieure: simplement, le fonds commun de référence sur la qualité des éléments employés faisait que le commanditaire était parfaitement à même de contrôler la fourniture et le travail.
Réduit à ma condition de chrysalide, euphémisme qui m’évite l’emploi du vocable larve, dont la sonorité même évoque quelque chose de veule, d’inaccompli, je jouis d’une toute-puissance inattendue, et peux me transporter en esprit , et me transformer en qui me plaît, commanditaire de l’ouvrage, maître d’œuvre qui l’exécute, tâcheron ou manœuvre. Tiens, pour voir, je vais revêtir la peau du donneur d’ordres.
Scribe, note donc ce que je veux souligner au maître d’œuvre :

Monsieur ,
je tiens par la présente à vous remercier du soin que vous avez apporté à la construction de l’aile nouvelle que je vous ai commandée. Présent chaque jour sur le chantier, j’ai pu vérifier que vous aviez scrupuleusement utilisé les matériaux prescrits, sans tenter d’en économiser : vous savez que je n’approuve pas les économies apparentes, sous la forme de chaux sous-dosée ou de pierre défectueuse. La dépense n’en est que médiocrement diminuée, et la pérennité de la bâtisse en est, elle, grandement affectée. J’ai vu que vous avez également pris soin de choisir des bois pour la charpente et les parquets qui soient sains et sans défauts, bien secs, sans signes de vrillage ou de flambage.
J’ai examiné également toutes les menuiseries que vous avez livrées, avant que les peintres ne commencent à imprimer : la qualité en est tout à fait satisfaisante.
Je continuerai donc à suivre le chantier, et vous tiendrai informé de mes remarques,
salutations.


Je rêve ; mon esprit vagabonde, baguenaudant d’une pensée l’autre –j’ouvre une parenthèse, pour le plaisir de faire le cuistre, et agacer qui le veut, quand Céline écrit « D’un château l’autre » c’est évidemment peu argumentable syntaxiquement. Je le paraphrase donc pour le plaisir de provoquer.
Etendu comme un gisant, je jouis d’une liberté étonnante : il m’est loisible de me diriger où je le veux, d’évoquer avec une précision cinématographique tel moment de mon existence, d’appeler à la vie tel spectre, être qui a croisé mon chemin dans telle moment particulier, moment vécu que je peux rappeler, contempler, et revisiter.
Ainsi l’épopée louisianaise ….mais j’en parlerai plus loin, il me revient le souvenir de quelques courriers adressés assez récemment, et que je veux partager. Ils l’ont été pour le compte de l’une de mes lioncelles, et j’ai plaisir à retrouver les termes dans lesquels ils avaient été formulés, ainsi, au conseiller d’orientation :

Il est probable –et, en tout état de cause, des plus souhaitable- que l’élève Tabitha S….. continue d’être répertoriée sur les tablettes de l’Education Nationale comme une élève lambda d’une obscure classe de seconde.
C’est d’autant plus souhaitable qu’il s’agit en fait d’une couverture, masquant des activités infiniment plus exigeantes : non contente d’être une sujette de Sa Très Gracieuse Majesté, d’arriver à dissimuler sa parfaite connaissance du théatre élisabéthain sous une apparence d’ignorance désinvolte, déguisant jusqu'à son accent, ayant mémorisé de grossières fautes pour contrefaire la française, et d’envoyer ses réflexions de visu à un grand journal britannique qui l’a mandaté à cet effet, cette demoiselle, qui feint donc d’être scolarisée à BAC – 2, travaille en fait à une thèse de doctorat en sciences sociales, sous l’intitulé « Du labret au piercing , analyse phénoménologique de la fonction de mutilation chez les Karens et son appropriation à Bagatelle».
Or vous n’êtes pas sans savoir que les Karens, gambadant peuple des hauts plateaux, habitent les confins du Laos, et plus précisément le nord de la Thaïlande.
Un tel travail de terrain, nécessitant analyses, mises en perspectives et autres techniques anthropologiques, demande ordinairement à tout le moins plusieurs mois d’immersion. Consciente des enjeux que sa poursuite d’un Bac fort dévalué, mais néanmoins existant, impliquent, la chercheuse sus-mentionnée n’effectuera donc qu’un rapide survol de son terrain d’étude, un repérage en quelque sorte.
Avec un remarquable sens tant de l’à-propos que du timing, cette étude se déroulera du 24 octobre au 16 novembre, lui permettant par conséquent de partager avec ses condisciples le fruit de ses observations dès le 19.

Ou cette autre, où je tentais de récupérer une hypothétique bourse pour le compte de la même demoiselle :


Madame, monsieur,



c’est un fait patent, les jeunes filles ayant dépassé les 17 ans connaissent toutes les subtilités des procédures nécessaires pour bénéficier d’une aide allégeant l’effort financier que représente le coût des stages menant au BAFA . Voyez plutôt : par précaution, et de crainte qu’un rôdeur nocturne et mal intentionné ne leur vole subrepticement les formulaires, elles les dissimulent avec une ruse qui espanterait le monte-en-l’air le plus chevronné. Suite à quoi, elles peuvent produire lesdits documents a posteriori, en s’enorgueillissant de les avoir si bien celé. Certes, il eût fallu envoyer ces formulaires avant d’accomplir les stages ; mais l’important n’est-il pas de les avoir si bien caché que nul ne savait plus qu’ils existaient ?

Je viens donc vers vous avec une requête que vous subodorez peut-être : Jeunesse et Sports ne peut me verser l’aide à laquelle je pouvais prétendre, puisqu’il fallait en faire la demande avant les stages ; cependant, si les CEMEA acceptaient de me rétrocéder le montant de l’aide, soit 151 eur, Jeunesse et Sports leur ferait un virement du même montant.

Cela concernant la ravissante et non moins inventive Tabitha S….dont le n° d’inscription était le 15946 pour le formation générale, et le 16174 pour l’approfondissement.




Dans l’attente d’une réponse que j’espère magnanime, et tout en continuant à m’émerveiller de cette si belle capacité à gérer les affaires courantes qu’ont les post-adolescentes, en vous remerciant d’avance,


Ayant bissé, ne trisseré-je point ? Certes je le ferai, et pour le plaisir de montrer toute l ‘éloquence que j’étais à même de déployer en faveur de mes descendants :


Ah ! je les vois déjà, fébriles et anxieux
Cherchant l’ombre de Tabi sans espoir dans la cour…
(Que les mânes de Brel me pardonnent)

Monsieur le professeur,

j’entends bien : sa disparution, manifeste, éclatante, s’imposa avec évidence, comme lorsque le doux ramage de la gent ailée se tait subitement, le long de l’Orénoque, au passage du jaguar, ou que la cacophonie multitonale de la cité s’interrompt brusquement du fait d’un événement d’une puissance surnaturelle.
Ses thuriféraires propagèrent le bruit qu’elle avait été enlevée au firmament car les angelots fessus des églises baroques la voulaient contempler de plus près.
Plus réalistes, d’autres admirateurs la voyaient soignant de ravissants petits noirs aux grands yeux écarquillés de l’émerveillement de la voir si blanche.
Ceux qui la jalousaient firent courir la rumeur qu’elle avait ouvert un tripot à Macao, et que, roulant des épaules comme marin en bordée, le mégot pendant sur la lippe, elle haranguait dans un portugais mâtiné de castillan de minuscules chinois parcheminés agglutinés le long d’un comptoir de teck.
C’est qu’elle laissait un grand vide : la classe où elle avait coutume de tenir salon, et où elle menait avec son brio naturel force controverses mêlées de diatribes, retomba, d’un coup, dans un silence sidéral. Seuls se pouvaient ouïr les crissements ténus des pattes des araignées, pelotonnées de froid et serrant leur mantille.
Des recherches furent lancées : dans toutes les vicinités de Tarn et Garonne s’étalaient des affiches où son beau visage classique posait des yeux qui ne cillaient point sur le passant saisi ; il est vrai que pour susciter l’implication du quidam, ses nobles géniteurs avaient inventé leur trésor, la prunelle de leur yeux, une photo d’elle où, à l’âge de 3 ans, ayant été spoliée de ses droits au biberon par sa puînée, elle lançait au monde le long regard intense empreint de mélancolie de celle qui toujours se battra contre ce qui lui déplait.
Coupons court, heureuse nouvelle, elle a été retrouvée, coule des jours de joie parfaite et de transgression délicieuse, n’entrevoyant de réintégrer son centre de formatage qu’une bonne semaine passée le retour officiel ; il est vrai que les aéronefs chinois sont fort lents, volant à la bière de riz.
Aussi réjouissez vous avec elle, ô mortels, de ce qu’en ce pays endolori, contracté, constipé, raide comme sa justice à force vitesses, une ravissante, exquise, brillante, revendicative, justicière et redresseuse de torts petite damoiselle, ait eu l’honneur et l’avantage d’aller représenter le pays qui s’enorgueillira de l’avoir enfanté, quelque jour, en des contrées lointaines et plus particulièrement visités par ses compatriotes à des fins comparatives sur les vertus curatives et thérapeutiques des actes de kinésithérapie communément désignés sous le vocable « massages ».
Qu’on se le dise !
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Message  silene82 Dim 7 Juin 2009 - 10:55

Louisiane, disais-je, Louisiane où j’atterris un beau matin : l’expression est convenue, car s’il m’en souvient bien, il faisait gris et froid et ce n’était pas la Louisiane mais le Texas. La première impression de l’Amérique pauvre était que les lieux dévolus aux classes défavorisées étaient sordides, à la limite du misérable. Chichement pourvu en papier vert à l’effigie des pères de la nation lorsque j’arrivai, les bus Greyhound, utilisés principalement par la population pauvre, noirs, mexicains et latinos, et blancs journaliers se déplaçant à la recherche d’emplois précaires, étaient le moyen de transport logique pour aller du Texas en Louisiane. Les toilettes des stations baignaient dans une lumière glauque, faiblarde, les miroirs des lavabos étaient fréquemment cassés ou ébréchés, les carrelages étaient pisseux, des portes manquaient aux box fermés, des déchets de toutes sortes emplissaient les urinoirs.
J’aurai plus tard la même sensation d’abandon de toute une catégorie d’hommes sur une plate-forme d’extraction de pétrole dans le golfe du Mexique. C’est un des aspects par lequel l’Amérique dévoile une dureté, une inaccessibilité à la pitié, et la profondeur d’un racisme lié à la couleur et à la condition sociale ; les mêmes choses se vérifient dans les reportages sur les prisons américaines, où quelque chose d’impitoyable transparaît. L’évangile cohabite sans le moindre état d’âme avec ce monolithisme, l’esprit même de la variante américaine du puritanisme anglo-saxon étant la responsabilité individuelle, et par conséquent, dès l’âge défini comme de raison, une loi inaccessible à la pitié, et qui ne croit guère à l’amendement, et à plus forte raison, la rédemption, de l’individu coupable de transgression. La perception européenne des facteurs déterminants qui façonnent les classes pauvres, tel que la sociologie entre autre en donne lecture, l’évidence de ce que le cumul des handicaps culturels et raciaux donne, sinon des excuses, du moins une grille de compréhension des enjeux, n’existe pas dans le système cohérent qui façonne et corsette tout un pan de la société américaine. Mes souvenirs sont anciens, ce qui était vrai en 79 ne l’est peut-être plus que partiellement à ce jour, les populations latinos ayant sans doute passablement changé la donne.
Ne vivant plus que par la pensée, n’ayant plus de corps que comme réceptacle, et enveloppe, je suis libre de laisser mes pensées vagabonder, et évoquer tel ou tel aspect d’une expérience que j’ai vécue, du temps que j’étais encore ingambe.
Il me revient des bouffées de réflexions du temps où j’officiais comme régulateur et pacificateur des tensions sociales, plus communément désigné sous le vocable d’éducateur. S’y adjoignait la qualification bonifiante de technique : dilettante de toujours, mon parcours a inclus la pratique de l’ébénisterie, à un niveau suffisamment professionnel pour que je m’en détourne au moins comme gagne-pain, et ne l’utilise plus que comme support éducatif, et source éventuelle de revenus annexes. J’utiliserai sans cesse ce regard croisé que donne le contact de la matière, et passerai tout à tour de l’angle de vision du concepteur et opérateur de formation qualifiante à celui de l’ouvrier, conscient des enjeux de la dépossession de son savoir-faire au profit d’une uniformisation linéaire. Pour illustrer ce propos, ce ne sont plus les esthètes, et depuis beau temps, qui dessinent les courbes d’une pièce tournée, mais les gestionnaires, qui raisonnent en durée de coupe d’outil, et en coût d’affûtage.
Il me revient certain courrier que j’eusse dû écrire, et qui ne le fut point : il est toujours temps de réparer, même sur le tard.
Il se fût adressé à un imaginaire directeur de centre d’hébergement, pour l’informer de ma désapprobation des principes régissant l’octroi des pécules dans l’activité que j’encadrais.

Monsieur le Directeur et argentier du royaume,

permettez moi de formuler quelques remarques sur certaines incohérences que je constate dans le système de gratification qui s’applique dans l’atelier que je dirige, et qui me semblent affaiblir considérablement la portée et l’intérêt de ce qui s’y travaille.
En effet, la structure dans laquelle j’ai l’honneur et l’avantage d’officier se propose un but de remobilisation de personnes en grande difficulté, n’ayant plus exercé d’emploi depuis parfois très longtemps, soit du fait de pathologies que vous connaissez fort bien, addictions diverses puisque le politiquement correct nous enjoint d’utiliser à présent ce vocable en place de termes trop connotés, paraît-il, tels que alcoolisme ou toxicomanie- soit comme résultante d’une inadaptation sociale, notamment à la tenue d’un emploi.
Or c’est là que réside toute l’ambiguïté : l’atelier est décrit comme un lieu de remobilisation, dont la consonance évoque, vous en conviendrez, une démarche thérapeutique ; auquel cas, on ne voit pas très bien au nom de quoi le fait d’être bénéficiaire d’un tel dispositif devrait ouvrir droit à une forme quelconque de rémunération. Sauf à poser le principe que tout malade en cours de rééducation ou consolidation doit être rémunéré pour sa présence et sa participation à sa propre guérison : la pente pourrait en être dangereuse, et d’aucuns pourraient tomber malades pour pouvoir être payés à guérir.
Si d’un autre côté on définit l’atelier comme un lieu de formation adapté, très en amont de formations de type AFPA, qui pourraient en être la continuation logique, ouvrant donc droit à une rémunération, il est indispensable de définir un parcours formatif avec des exigences et des passages obligés : le pathétique exemple du RMI et de son inutilité absolue comme outil d’insertion ne fait que conforter ce propos. Qui dit passage obligé dit évaluation, celle-ci permettant ou pas d’accéder à l’étape suivante, de rétrograder, ou d’être exclus. Notre système européen fonctionne ainsi, quel que soit le domaine auquel on fait référence. Il n’est certes pas dans l’air du temps des antiennes sociales d’estimer que lorsque une part significative du budget d’un pays, alimenté par les contributions importantes des actifs, est consacrée à des investissements de cette nature, la moindre des choses est d’en exiger des comptes, et d’évaluer si le coût est justifié par le résultat. Ce dont je doute fortement personnellement.
Je souhaite par conséquent que nous entamions une réflexion sur les enjeux présents dans cette notion de pécule, et sur quel versant nous comptons nous situer, en gardant présent à l’esprit que le fait d’être exclus de formation n’est pas anodin, et suscite tout naturellement des conséquences sur la prise en charge globale, notamment au niveau de l’hébergement : pour reprendre l’inusable référence de l’AFPA, si vous êtes débarqué, vous perdez automatiquement votre hébergement, ce qui est du strict bon sens.

Dans l’attente de vous lire, etc….

Autant la lecture des Dépossédés, exploration affective, vécue en empathie par l’auteur et le photographe qui l’accompagnait, des classes ouvrières anglaises, irlandaises et écossaises laminées par le thatchérisme, survivant dans une précarité de survie d’une difficulté et d’une dureté inouïes, où se retrouve toute la mécanique implacable et la logique mortifère du discours moralisateur des classes possédantes, provoque un choc, tant la bonne foi –et l’absence de révolte- de ces bons pauvres est à l’opposé de ce que nous pouvons observer dans le système français, où nous voyons apparaître depuis une vingtaine d’années une catégorie nouvelle de professionnels des transferts sociaux qui, bénéficiaires depuis sa création du RMI, ayant parfaitement intégré l’absurdité d’un système dans lequel travailler est moins avantageux que bénéficier des minimas sociaux dès lors qu’ils sont complétés d’avantages annexes –gratuité des transports, CMU, accès aux structures caritatives de distribution de nourriture gratuite, attendent paisiblement que les premiers retraités RMIstes apparaissent d’ici à quelques années, grands gagnants d’une redistribution qui prélève sur les travailleurs à faibles revenus, accroissant ainsi le ressentiment et l’incompréhension.

Il me revient des images issues de Vol au dessus d’un nid de coucou, traduction à mon sens exécrable de One flew over the cuckoo’s nest, expression parfaitement repérée en anglo-américain, qui n’a aucun sens décryptable en français, le coucou n’étant en rien associé à la folie, mais bien plutôt à une particularité qui ne peut qu’hérisser le poil du sédentaire franco-français lambda, l’occupation sans titre de l’habitat, même sommaire, d’autrui. Le squatteur ailé, en somme.
On se souvient d’une infirmière provoquant, par la seule évocation de la réaction que pourrait avoir sa mère en voyant ses agissements, des symptômes très violents de régression chez un des jeunes internés.
Aussi ne puis-je m’empêcher d’écrire à cette mère fantasmagorique, qui constitue en quelque sorte l’archétype et le parangon d’un certain habitus wasp, une vision du monde façonnée par une lecture de la bible d’où est expurgé le remugle des chameaux, l’odeur lourde des cuirs tannés imparfaitement, celles des chevreaux plus faibles gardés sous la tente, le temps qu’ils puissent broûter, de la cuisine grasse, dans un chaudron unique, où chacun met la main, les habits maculés, patinés d’une crasse lentement et savamment édifiée durant des mois.

Madame,

bien que particulièrement attentif et respectueux de toutes les qualités remarquables dont vous faites constamment preuve, incluant un dévouement inlassable que chacun peut vérifier, je me sens néanmoins contraint à vous faire part de certaines observations que j’ai pu faire.
Tout le corpus auquel vous vous référez n’est qu’un manuel, un mode d’emploi : non seulement il le revendique, mais, différant radicalement en cela d’autres manifestations révélées de mystères sacrés, il ne prétend pas que la vibration sonore, l’incantation, soit porteuse de puissance ou de révélation. Pas de mantra donc dans votre dogme, encore que ce soit le rabbin divulgateur aux nombreuses êpitres qui rompe avec une tradition bien établie dans la synagogue, et qui elle laisserait à penser que la prononciation effective de la Thora, en ce qu’elle est parole révélée, sinon recrée le monde, du moins le maintient : d’où l’effroi sacré des juifs devant le nom divin et qu’il est interdit de prononcer.
Mais nous postulerons, dans la foulée de l’apôtre voyageur, que seul l’esprit de la doctrine soit important, et que par conséquent la langue dans laquelle elle est exprimée n’ait qu’une importance tout à fait secondaire : ce qui explique surabondamment les destins très différents du judaïsme et du christianisme, lequel est par nature prosélyte.
Je n’épiloguerai pas sur nombre d’incohérences, tant historiques que dans la trame même du texte, qui ne vont pas sans laisser une certaine inquiétude : ou un texte est révélé, et il n’est pas le seul à revendiquer de l’être, et alors le moins que l’on puisse en attendre est sa fiabilité sans faille, ou on admet la possibilité d’erreurs de retranscription, donc d’écart par rapport à une norme.
Mais ce n’est pas là que réside le véritable problème : la civilisation dont vous êtes issue s’est approprié le texte de référence, et l’a ajusté à ses besoins d’hégémonie politique, culturelle, et évidemment religieuse.
Il est en effet pour le moins piquant que vous puissiez mentionner comme un détail d’une certaine hauteur spirituelle qu’une certaine autorité de votre connaissance, enseignant appointé de la doctrine dans un des centre de formation plus communément connu sous la dénomination d’école biblique, n’hésitait pas à se gausser de la plainte des israélites dans le désert regrettant les oignons et les aulx d’Egypte, en relevant qu’ils souffraient du manque de ce qui pue. Il serait oiseux de dévider les innombrables bienfaits desdits alliacés, amplement répandus dans les inestimables chroniques dont regorgent les magazines féminins ; ce détail, pour anecdotique qu’il soit, me paraît révélateur d’une reconstruction du monde selon votre idéologie dominante, et d’autant plus inquiétante qu’elle est article de foi pour la grande majorité d’un peuple. Peuple dont tous ceux qui en ont eu quelque pratique vantent l ‘appétit d’ogre, joint à la volonté d’imposer sa culture universellement : résurgence par delà les mers de quelque chose de ce qui animait la pax romana. Cette certitude béate de sa propre excellence porte aussi en germe ce qui amène sa chute : il est heureux pour votre peuple qu’ayant fait découvrir les délices de l’abrutissement alcoolique aux peuples qu’il a spolié pour nourrir son expansion sans limites, ceux-ci s’y soient laissé emprisonner, au point de ne rien susciter, ni créateurs protestataires, ni juristes éminents, qui, vous prenant à votre propre piège, sur la base de votre propre constitution, vous oblige à leur restituer les terres que vous ravagez depuis des siècles, après en avoir exterminé les espèces animales.
Universels donneurs de leçons, du haut de votre arrogance, vous regardez avec condescendance les petits peuples que vous asphyxiez et à qui vous expliquez, comme vous l’avez toujours fait, ce qui est bon pour eux.
Mais revenant à vous, chère madame : vos engagements ont ceci de pathétique qu’ils mélangent tout. La remise de toutes choses aux mains d’un juge autorisé, quoique immatériel, et dont l’avènement se fait attendre, vous dispense de tout engagement personnel militant véritable. Vous compatissez certes à la souffrance des opprimés, mais jamais on ne discerne chez vous une volonté d’en finir avec la tyrannie. Et les tyrans. Car nous touchons là à un domaine clos, un terrain délicat : vous réussissez avec beaucoup d’entregent et de talent à préserver la lueur diaphane de votre auréole, en donnant à voir que seule une spiritualité hors normes peut permettre de supporter les conditions d’existence au quotidien que chacun peut vérifier : les barrissements d’otarie de votre faire-valoir et comparse vous crédite délicieusement de points de bonification, du moins dans le pré carré où vous officiez. Prudence tout de même, car il n’est pas garanti que le préposé aux récompenses célestes applique une grille de lecture aussi grossière, et que des paramètres plus fins ne soient appliqués. De même que les peuples ont une vision géographique du vaste monde qui se déploie par rapport à eux-mêmes, ce qui déforme curieusement et singulièrement les autres, votre outil de référence est étalonné Canaanless, ce qui vous fait voir toutes choses à travers le prisme déformant de votre culture de dominants.
La respectabilité constatable et opposable à tout tiers et la conformité à la norme de votre obédience vous suffisent, et n’impliquent nullement une adhésion personnelle ou un engagement coûteux sur les thèmes de base. Lors même que votre dogme exhorte à l’empathie, donc à l’engagement, vous distanciez, vous, et remettez toutes choses à celui qui a toute autorité : or, tous les progressistes de votre bord ont été des lutteurs opiniâtres, qui bien loin de s’en remettre à une hypothétique et lointaine parousie, se colletaient avec acharnement face à toute injustice.
Mais, constatant que vous baîllez, je reviendrai sur tout cela dans un prochain courrier, avec des exemples concrets,

avec mes salutations

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Message  Invité Dim 7 Juin 2009 - 11:06

C'est à un redoutable épistolier que nous avons affaire ici. Quelle imagination, quelle verve ! L'idée me plaît énormément de ces destinataires (et syles) changeants au fur et à mesure que l'esprit et les souvenirs vagabondent.

Tant et si bien que je me fais toute petite pour indiquer :

d’appeler à la vie tel spectre, être qui a croisé mon chemin dans telle moment particulier,

Suite à quoi, elles peuvent produire lesdits documents a posteriori, en s’enorgueillissant de les avoir si bien celé. Certes, il eût fallu envoyer ces formulaires avant d’accomplir les stages ; mais l’important n’est-il pas de les avoir si bien caché que nul ne savait plus qu’ils existaient ?

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Message  Invité Dim 7 Juin 2009 - 11:33

Je n'avais lu que la première partie. Le ton change en deuxième partie, plus grave, plus militant. Certains passages me vont droit au coeur, même si je dois admettre avoir un peu décroché sur la dernière lettre, mes connaissances dans ce domaine ne sont pas à la hauteur. J'admire comme vous passez sans heurt d'un sujet à l'autre, comme la mécanique parfaitement huilée de votre écriture fait s'enchaîner les idées sans affreux grincement.
Toutefois, il me semble que le paragraphe commençant avec "Autant la lecture des Dépossédés" souffre d'une proposition avortée... J'ai lu et relu ces lignes sans arriver à me convaincre du contraire, je ne vois pas la deuxième partie attendue de l'argument.
Quelques bricoles orthographiques par ci par là, que vous repérerez.

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Message  Invité Dim 7 Juin 2009 - 12:14

J'aime beaucoup l'idée de départ, et la solennité ironique de votre écriture, mais ces trois missives successives, aussi drolatiques soient-elles, sur les aventures d'une personne qu'on semble pouvoir qualifier de "petite branleuse", me paraissent trop étoffées pour la minceur de l'argument.

Je vous donne ci-dessous quelques remarques de langue avnt de lire la suite :
"qui m’empêchera de revêtir plusieurs défroques, qui me permettront de varier l’angle d’attaque de mon outil ?" : la suite des deux "qui", lesquels ont des fonctions différentes, m'a déroutée, rend la phrase un peu maladroite à mon avis.
"une certaine prudence consciente des conséquences de tes provocations" : je trouve la formule lourde, peu heureuse phonétiquement.
"sur les quais de Marseille, du Havre (et non "Hâvre")"
"théâtre élisabéthain"
"envoyer ses réflexions de visu à un grand journal britannique qui l’a mandatée à cet effet"
"elles peuvent produire lesdits documents a posteriori, en s’enorgueillissant de les avoir si bien celés"
"mais l’important n’est-il pas de les avoir si bien cachés"
"celle qui toujours se battra contre ce qui lui déplaît"
"Aussi réjouissez-vous"

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Message  Invité Dim 7 Juin 2009 - 12:24

J'ai la même remarque qu'Easter(Island) sur la phrase "Autant la lecture des Dépossédés (...)", il manque le pendant au premier "autant", je pense.

Sinon, j'ai le regret de vous dire que cette deuxième partie m'a ennuyée, au point que j'ai décroché au deuxième tiers ou troisième quart de la lettre à l'infirmière de "Vol au-dessus d'un nid de coucou" : les remarques contenues dans les lettres sont sans doute justes, mais dénotent un militantisme soudain qui étonne, après le début, et que je trouve assez lourdaud. Le texte a beaucoup perdu de son humour plaisant et acéré, selon moi.

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Message  Sahkti Lun 29 Juin 2009 - 15:40

Je retrouve avec plaisir cette densité dans l'écriture, ce rythme soutenu qui donne pas mal de charme (et de force) au texte.

J'aime également cette immixtion de détails terre-à-terre, tel le soin apporté à des travaux, et des considérations plus existentielles, presque lyriques. Non seulement, cela crée des digressions-aérations bienvenues mais en plus, ça donne le sourire.
J'admire également cette capacité à donner vie à l'hétéroclite. Chaque lettre est une histoire à elle toute seule et ce mélange des genres (et des contenus) m'a intéressée.

Mon seul bémol sera plutôt une question de présentation. De la sorte, ça paraît trop touffu et très dense, mais c'est la mise en page du site qui n'aide pas, je le sais.
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Message  silene82 Lun 13 Juil 2009 - 10:26

L’infirmière a  ouvert les fenêtres et le soleil entre à flots dans la chambre. Des ondes chaudes courent sur la peau de mon visage : je ne vis plus qu’à travers lui, en ce moment précis. La chair est-elle vraiment de l’énergie retombée à un niveau vibratoire faible, comme l’enseigne la médecine ayurvédique, recoupant certains enseignements du christianisme primitif, et la physique quantique ? Si donc j’étais un yogi accompli, je pourrais mentaliser la reconnection des faisceaux lésés de ma moelle épinière, les étirer, chacun de son côté, les renouer en une épissure : s’il est possible d’arrêter son flux sanguin, et de stopper la circulation dans un membre à volonté, s’il est possible de dérouler ses intestins hors de son corps, de stopper son cœur et le refaire démarrer, de mettre ses fonctions vitales en sommeil, sans amener de lésions cérébrales, alors je peux m’autoréparer. 

  Quel tourbillon que les pensées qui vagabondent ! Il faut que j’apprenne à les mener en troupeau serré et compact, vers un point précis que j’aurai décidé : à les laisser cabrioler à leur guise, beaucoup disparaissent, happées par les cavernes qui béent de part et d’autre des patûrages que nous traversons. Pas de chien, intelligent et fidèle, pour regrouper ces mignonnes enjôleuses –dis papa, t’as vu les nuages, c’est la tête d’un géant, et pourquoi les nuages ils ont des têtes de gens ?- la méditation m’aiderait à apaiser ce mouvement brownien permanent, à entrer dans le lac froid, pur et calme, cristallin et acéré. Mais je ne sais pas comment y parvenir, et je me borne à galoper en braillant, ridicule berger d’alpage à la galopade derrière la débandade de mes pensées, de mes souvenirs, de mes espoirs, de mes désirs inassouvis. Ce qui me reste, c’est savourer les potentialités, rejouer infiniment le cours de mon existence, nier que j’aurais pu être autre que celui que je suis.    Fallait que je passasse….    
Cette bribe de vers de mirliton que j’avais écrits pour me présenter, quelque part, me fait me remémorer l’état des lieux liminaire, narquois, que j’avais fait à la vieille C…, retrouvée après tant d’années, par la grâce de ces sites dont le fond de commerce est la mise sur le marché et le croisement d’infos personnelles, comme si l’angoisse existentielle de cette dissolution planétaire dans un magma inidentifié, binarisé, où l’histoire de vie des individus s’atomise, et devient si relative que…  Que  ce que cet individu rencontré lors d’un  ces conseils d’administration d’une de ces associations qui avaient fleuri sur le terreau généreux du socialisme étatisé, et qui  proposait un lieu de vie, où des enfants autistes, psychotiques, et handicapés mentaux étaient accueillis, dans la mouvance de pensée et la volonté de poursuivre la quête de Fernand Deligny, m’avait dit, avec netteté, et qui m’avait tant horrifié, et déstabilisé, que je l’avais gardé de longs jours en moi comme une tumeur. Que nous étions tous pareils. Que nos histoires de vie étaient toutes les mêmes. Qu’il suffisait de reculer d’un pas pour voir que la fourmilière n’était que fourmilière, et l’individu, stéréotypé. Et je balbutiais, le cœur battant à grands coups  « mais les artistes, tu oublies les artistes, ceux qui réécrivent le scénario où tout est inéluctable, ceux qui argumentant âprement à la face des dieux, leur volent le feu et le jettent dans les draps et les coussins, qui foulent les précieux tapis de Samarkande de leurs bottes crasseuses…. » Et l’individu fixait son œil froid, sans répéter sa thèse, mais continuant à la soutenir, narquois et imperturbable, par son attitude.
 Fallait que je passasse
Par toutes ces vallées
Que je me dégoûtasse
D’avoir atermoyé Fallait que je vivisse
Comme bœuf à l’enclos
Pour que je réagisse
Et déclare forclos
La morne tempérance
Et la diplomatie
Tout ce qui sent le rance
Et l’un peu trop recuit
Le train du quotidien
Et les soucis du jour
L’ennui du lendemain
Le travail sans amour
Il partait bien pourtant
Sur son esquif joyeux
L’Ulysse conquérant
L’artiste valeureux
Comme arc une guitare
Comme flèches ses mots
Qu’est ce qui l’arrêta, quel dard
Figea sa course de héros ?…. 
J’écrivais donc à cette vieille amie perdue de vue depuis tant d’années –je revois tes bottes de daim, ô belle squaw, hélas qui ne fut point mienne, ta jupe assortie, avec tant de netteté, à trente ans de cela, que j’en pourrais compter les franges, preuve que nous enfermons en nous, sous format compressé, notre vie, nos amours, et par extension, le monde même. Et la seule chose que Proust ne savait pas, c’est que l’odeur, pour l’un, l’air de l’aria, pour l’autre, déverrouille le fichier enfermé, et réactive, aussi palpable et vrai, au-delà des années, la réalité de la vie. 
 
Quel plaisir, délicieuse C……..,
que de lire un ton léger, enjoué, fin: tu n'as pas changé, et je t'en félicite.
Mes allusions à un voeu de pauvreté ne sont pas que simple boutade: une partie de ma vie s'est passée à l'ombre tutélaire certes, mais fort peu rémunératrice, d'une -secte-? assemblée christiano-évangélique, où la préoccupation essentielle était l'eschatologie, donc la venue sur les nuées du messie. Il va de soi que dans une telle attente, on ne fait pas grand chose d'autre que prier, engendrer (puisqu'on n'a pas la télé) et autres innocentes distractions. Qui plus est, étant le produit d'un couple exceptionnellement hétéroclite, avec une mère missionnaire baptiste américaine venue prêcher la bonne nouvelle non, comme il se doit, aux grands yeux écarquillés de petits noirs reconnaissants, mais à d'honnêtes français, méconnaissant sans doute que ce sont les huguenots chassés par Loulou XIV qui furent les fondateurs de l'Amérique, et d'un père tendance latin jouisseur, le choc ne pouvait être que violent. Je m'en soigne encore.
La modestie faisant partie des attributs -je n'aurais pas la cruauté de dire oripeaux- du disciple sus-évoqué, pense à Witness, j'ai donc modestisé pas mal d'années, avec une activité d'ébéniste restaurateur d'objets d'art. Noble tâche, fort mal payée. Si l'on y ajoute que, vivant dans le trou du cul du sud-ouest, car j'aime à me doter d'handicaps, la clientèle était clairsemée et parcimonieuse, tu saisiras les raisons de mon impécuniosité.
Mais je m'en soigne: rejetant un jour l'étole et le cilice, j'entrai en formation, jeune et fringant quadra, et au terme d'une formation de 3 ans, me retrouvai éduc spé, ce qui me permet à l'heure présente de veiller sur mes ouailles -pardon, mes usagers- au sein d'un atelier de réinsertion pour mecs largués -et filles, j'ai rien contre mais il y en a peu.
Ambitieux de surcroît, votre très humble serviteur brigue présentement un poste de chef de service, dont son entregent et les menus cadeaux qu'il dispensera habilement lui faciliteront l'accès. Lol.
Découvrant, mais un peu tard, les vertus de l'argent, notre ex-puritain en voie de sanctification vend à tout va sur ebay, et utilise insolemment son argent non à faire le bien, mais à partir vers des contrées exotiques, ce qu'il fait pas plus tard que demain, où il visite son aîné, autre casseur de briques, qui s'entraîne à la boxe thaï au milieu d'indigènes qui le font eux, parce que c'est un moyen d'échapper à l'usine. J'emmène une de mes 2 bambinettes (17 ans et demi), l'autre étant un peu trop pétardo-toxico pour me permettre un voyage paisible en sa compagnie. Ma fortune est encore trop peu assurée pour que je la dilapide en honoraires d'avocats marrons pour lui éviter la pendaison ou l'incarcération à vie, comme cela se pratique si communément dans ces contrées où les petits crétins d'étrangers s'imaginent bénéficier de l'immunité diplomatique.
Copropriétaire avec la petite basque d'un grand vaisseau de pierre, une ferme quercynoise agrémentée d'hectares en friche, restaurée splendidement avec un goût très sûr, comme le commente sobrement l'agence où elle est en vente, je compte, si vente se fait à mon prix -splendidement élevé-, investir dans de l'immobilier (non seulement j'ai appris à tout faire, mais je sais comment faire faire) puisque ce n'est pas ma retraite d'ex-moinillon qui risque de me permettre de vivre mes années à venir d'une manière à peu près décente. Malgré le faible taux de la roupie et du bath.
Parallèlement, suivant une formation en systémie, je compte, dès que je serai diplômé, ouvrir un cabinet de psychothérapie familiale à mi-temps.

 Sur ce, belle dame -j'imagine que tu l'es restée-, à bientôt,
P…
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Message  silene82 Lun 13 Juil 2009 - 10:34

J'ai besoin de toi, scribe, pour que tu notes quelques courriers à destination de mes descendants, car j'entends marquer de loin en loin un état des lieux, et leur témoigner de ce que je ressens par rapport à leur  parcours

Mademoiselle ma fille, 
  souffrez que je vous félicite ci-après de l’excellent dessein que vous conçûtes autrefois de naître dans l’estimable baronnie de Peyronnet : vous n’auriez pu trouver lieu plus propice aux grands projets que vous formates dès qu’advenue en ce monde, capture de têtards, prise de grenouilles et expériences in vivo afférentes. 
Votre intelligence se développant à proportion de vos intérêts pour les sciences naturelles, vous étudiates avec une ardeur impétueuse tout ce que le génie humain avait produit, et qui pouvait nourrir et accroître votre curiosité pour la culture : rien de ce qui était humain ne vous était étranger, et c’est ainsi que l’on vous vit dévorer, avec une précocité troublante, la série complète des Martine, talonnée de près par le Club des Cinq, flanqué du Clan des Sept. Vous administrant avec une économe sagesse qui vous poussa, fort tôt, à faire votre l’adage 
après l’effort, le réconfort, 
 vous aviez la sagesse de relâcher de temps à autre cet intense assimilation  et vous divertir d’oeuvres plus légères, mais édifiantes cependant, Oui-Oui notamment, et quelques ouvrages d’un certain London, vagabond de son état, et accessoirement ami des bêtes. L’écrit vous fascinait déjà, c’est un fait. 
Abondance de bien ne nuit pas : rarement l’adage fut-il aussi mérité que pour vous, qui vous éveillates non point casquée comme Athéna, mais la main agitée de soubressauts impétueux : ce que les incrédules prenaient pour des manifestations du petit mal, et les soupçonneux pour une forme domestiquée de la danse de Saint Guy n’étaient que les prémisses à de bien plus grandes délices : vous peindriez, que diantre ! 
Et à dater de ce jour, ce ne furent que fresques déroulées sur tous les murs du manoir, bisons écumants ventre à terre dans le salon, hiératiques égyptiens figés dans les retraits, et observant d’un oeil glacé, à défaut de cacodylate, les pénibles contorsions des constipés domestiques. 
Vos enthousiasmes suivaient vos avancées picturales : vous franchites plusieurs millénaires de création avec des bottes de sept lieues, et passates, sans coup férir, du tribal art au collage onirico-surréaliste. 
Etant à l’âge des choix sinon réfléchis, du moins coup de coeur, vous vous entichates de certaine toile aperçue dans l’arrière-boutique d’un obscur prêteur à gages de Toulouse. Devant votre émerveillement rafraîchissant, Shylock lui-même n’eut pas le coeur de briser votre joie en vous informant de ce que le petit bijou avait été peint une nuit sans lune par un vieillard catatonique s’inspirant d’images qu’il copiait dans la Redoute : il se contenta de vous voler le plus gentiment du monde, et eut même assez de remords pour vous consentir un rabais. Ce qui vous persuada à tout jamais de votre génie pour la finance, tant il est vrai qu’une expérience réussie laisse une empreinte durable  -et parfois rémunératrice-. 
Contemplez donc à loisir ces abîmes que vous choisites, vous pourrez toujours retourner la toile quand vous en serez lassée : et laissez moi encore vous féliciter pour la faculté de choix que vous démontrates en cette occasion, et à laquelle nous n’étions plus accoutumés


Enrichissant mon brouet de ce qui peut faire ventre, -cela me rappelle un détail d'une de ces histoires publiées dans ce triomphe de l'édition, tout au moins par ses vertigineux volumes de vente, qu'était la Sélection du Reader's Digest dans son fascicule mensuel à destination des foyers. Je pense qu'un historien sociologue aurait la base d'un ouvrage essentiel par l'étude de l'idéologie véhiculée par ce média hors pair, probablement le plus gros tirage intérieur américain, et décliné dans une infinité de versions réacculturées à la sauce du pays cible. Avec tout de même un gros fond commun purement américain, mais dont tous les détails trop spécifiques étaient gommés. Ce rouleau compresseur éditait également l'Album des Jeunes, qui regorgeait de ce à quoi je faisais allusion plus haut, des histoires fantasmagoriques et parfaitement invérifiables dont j'étais venu, avec le temps, à être convaincu qu'elles étaient forgées de toutes pièces. Par des tâcherons payés au kilomètre, comme cela se pratique dans ces contrées où l'écriture est une technique monnayable au même titre que la mécanique ou la couture. Celle là racontait, en donnant des noms, selon la marque de fabrique de ces récits, tous construits strictement sur le même modèle, histoire d'un gamin devenu ami -disons vaguement copain- avec un gitan coureur des bois, qui savait tout des moeurs des animaux et avait une relation quasi organique avec eux. Et ce garçon expliquait que son mode de cuisine était simple, il mettait cuire -clin d'oeil à Peyrefitte- tout ce qui lui tombait sous la main dans le même chaudron. Cela me plaît, et va me permettre d'ajouter et interférer, au gré du fil de ma pensée.

Et justement, ayant parlé de Pérec plus haut, qu'il me soit permis de glisser cet abécédaire paillard avant de réécrire d'autres lettres

Au boulot, cochonne : dote en foutre gluant herpéfuge,  illico, jacassante korrigane, la moule nauséabonde ouverte par quelque religieux salace très urgemment venu, walkyrie xénophile, youpine zélée

ou encore

Alors, bordel ! chatte doctement enfilée, fion garni, hagarde immodeste, jument kamikase la moins naze ou paraissant, queutée raide sous ton uhlan vicieux wisigothique, xylolatre yodleuse, zonzonnes ?

Mais je mentionnais auparavant quelques courriers festifs que je pourrait émettre, lors d'occasions signalées; dans ce type de ton

Très cher B…….,
  je suis bien aise de la venue cadorifère de la bonne factrice, et de surcroît qu’elle ne soit pas grecque : cette pédante subtilité pour montrer qu’il reste plus de citations dans cet auguste crâne que d’ornements pileux dessus. En effet, un lyonnais illustre, Edouard Herriot, grand dévoreur de volailles et trousseur de jupons, la main libre désenmaillotant expertement le muselet d’un grand cru champenois, affirmait doctement, entre deux crises de goutte, que
« la culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié ».
Digression qui ne nous détournera pas du proverbe auquel je faisais allusion plus haut : en latin, on apprend que 
« timeo danaos et dona ferentes», 
 ce que l’on traduit, et c’est une règle de grammaire : 
  «Je crains les grecs, surtout quand ils m’apportent des cadeaux». 
  Fermez la parenthèse de la cuistrerie. 
  Je suis donc bien aise, disais-je, de ce que la bonne V……….. ne soit pas moustachue, ce qui autorise de bonnes supputations de non-hellenisme. 
Et plus encore que l’expéditeur des ouvrages dont tu vas faire tes délices succulentes, et qui a, lui, un pseudo des plus grecs  -peut-être est-ce une discrète allusion à ses moeurs, je l’interrogerai à ce propos-, ait envoyé ma commande juste à point. Elle avait tout de même été posée voilà une grande semaine, mais en des temps où les grèves fleurissent comme l’acné au front des prébupères, on pouvait s’attendre à tout. 
  Bonne plongée aux tréfonds de l’âme humaine, ces livres sont de ceux dont on ne se départ -ni se sépare- point, d’autant que l’édition de la Pléiade est le nec plus ultra du plaisir de lire, hormis l’édition originale. Mais l’édition originale est une joie de bibliophile, et les bibliophiles sont des amoureux de la chose, plus que de son contenu : aussi souffrent-ils même lorsque l’on feuillette leurs précieux ouvrages. 
  Tu as déjà compris qu’un seul chef-d'œuvre est préférable à cent quintaux de verroteries : le Prince en est un exemple frappant, le grand Fédor en est un autre. Il n’a que peu écrit, mais le génie n’a pas besoin de longues redites,
bonne lecture donc.
 
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Message  silene82 Lun 13 Juil 2009 - 10:36

J'ai levé les yeux au plafond de la chambre, et les taches de lumière y dansant m'ont transporté en un éclair en un temps très ancien.

Je suis dans mon berceau; je parle aux feuilles.

Il  a décidé qu’il vivrait. Il est né bleu, asphyxié, le cordon étroitement serré autour de son cou. La sage-femme, galvanisée par sa maman, a pratiqué le bouche-à-bouche le temps nécessaire pour qu’il se mette à respirer. Il est à la maison. C’est l’été. La saison est en train de s’installer. Grand remue ménage du haut vers le bas : la transhumance estivale fait descendre à la salle à manger d’été, en plein jardin, ouverte mais couverte d’un toit qui protège du soleil tous les impedimenta nécessaires à la traversée de la saison, les lourdes assiettes de faïence sobrement décorées d’un marli et d’un monogramme au nom de la maison, les couverts, de métal argenté en ces temps, d’inox ensuite, la cohorte interminable des théières de terre brune, d’une sobre forme cylindrique, des tasses, des soucoupes, des verres. Une armée en campagne, installant ses quartiers.
 
Les tables, rangées précautionneusement dans les réserves -il y en a de nombreuses, dans les entrailles du grand bâtiment- se regroupent dans la salle à manger d’été, qui était salle de bal dans les temps plus anciens de l’établissement. Elles seront sélectionnées et disposées à des places précises, dépendant de leur morphologie : certaines ont eu les pieds retouchés, pour pallier une usure d’années de service. Les circulaires ne posent pas de problèmes particuliers, puisqu’on ne tente pas de les apparier ; ce sont les rectangulaires pour lesquelles se pose cette difficulté, d’arriver à ce que deux tables coïncident sans hiatus.
 
Les chaises descendent aussi, modèle Thonet, certaines pourvue d’assises cannées, d’autres avec un galette de hêtre avec un motif embouti. Elles ont été peintes, comme les tables, d’un beige passe-partout ; les nappes sont à grosses fleurs rouges, recouvertes d’un plastique transparent, qu’arriment des pinces à ressort : le vent peut être violent sous le bâtiment , carrelé de granito, après avoir eu longtemps une dalle de ciment poussiéreuse.
 
La salle est très agréable, au milieu de massifs de fleurs et d’arbres presque centenaires : palmiers, nombreux, pins parasols devenus immenses, et qu’il faut élaguer fréquemment, car, ayant poussé dans la direction du sud, vers la mer, et la lumière, leurs grosses branches risqueraient de les faire basculer lors des vents violents qui frappent souvent en octobre et novembre. Cela arrive d’ailleurs de temps en temps, malgré les précautions. Quand les élagueurs entament leur ouvrage, c’est un émerveillement pour les enfants de voir l’homme fixer des crochets de fer à ses mollets par des bandes de cuir, et monter avec une corde entourant le tronc, jusqu’au plus haut des palmiers et des pins. Les arbres, toilettés après l’intervention, ont l’air de sortir de chez le coiffeur.
 
 Le coiffeur de la rue, à côté de l’épicerie, la grande épicerie marseillaise, paradoxalement tenue par des suisses, avec ses trésors débordant de sacs de jute, à l’entrée à gauche les fruits secs, dattes, figues, abricots, raisins, noix, noisettes, sacs aussi hauts qu’un enfant. Bonbons en vrac dans le même coin. Le grand comptoir qui contourne un pilier central, fromages à gauche, avec les meules entières de gruyère que deux hommes roulent pesamment et posent sur un caillebotis. On l’entame avec une espèce de sabre à deux poignées, et on en prélève d’énormes portions qui sont posées sur l’étal des fromages. Fromage frais s’égouttant en lâchant une eau maigre et blanchâtre. Gorgonzola persillé de bleu. Camemberts fleuris, brie à point. Peu de variétés, quelques grandes spécialités régionales dont l’approvisionnement se fait aisément. Les fromages sont tous prêts à être consommés, sans que les épiciers en éprouvent le besoin ou l’envie de se dire fromagers ou affineurs, comme ce sera la mode plus tard, où de petits négociants se baptiseront maître-fromager, voire maître-fromager affineur, comme si cette précision justifiait les prix pratiqués.
 
Épicerie populaire, fréquentée de tout le quartier. A droite, les multiples variétés de pâtes en vrac, lasagnes, spaghettis, macaronis, farfalle, penne rigatti, nous sommes en terre sudiste, voisins immédiats de l’Italie, qui il n’y a pas cent ans n’ était qu’à 10 kms. Les noms à l’école en portent l’empreinte, de ce Piémont et cette côte ligure si proches, Ricciarelli, Riccone, Malatesta. La caisse surélevée, à droite en entrant, d’où le maître de céans, maigre face de jésuite, sec et scrupuleux, contrôle, note, consigne. Beaucoup ont des comptes, que l’on apure en fin de mois. Les grandes maisons jouissent de crédits encore plus considérables : les comptes se font à l’année. A l’extérieur, les périssables à brève échéance, fruits et légumes. Uniquement de saison. Les abricots et les pêches embaument si fort qu’on les hume à plusieurs mètres. Ils attirent des guêpes nombreuses, friandes de sucre. Avec la chaleur estivale, les abricots se délitent rapidement en une bouillie délicieuse, mais invendable. Les petites mémés modestes les rachètent à bas prix pour faire des confitures.
 
A côté est le coiffeur. Tel que ceux qui n’ont pas vécu en ces temps peuvent le voir dans les films de cette époque, ou l’évoquant. Les grands fauteuils de skaï pourvus de mécanismes astucieux, comme ceux des dentistes. Les grands lavabos à colonne, le grand miroir piqueté au dessus. Les odeurs d’Eau de Cologne bon marché. Les discussions de coiffeur. Les coupes de ce temps, brosse ou bien dégagé autour des oreilles et nuque passée au coupe-choux, première découverte de ce que sera le rasage, la morsure de l’acier sur la peau, et la fraîcheur de l’alcool par-dessus.
 
Il y a plusieurs coiffeurs ; c’est un petit métier, souvent tenu par des déclassés ou des exilés, pied-noirs, espagnols, voire carrément pieds-noirs espagnols du Maroc ou italiens de Tunisie. Juifs aussi. Tout le monde va au coiffeur, même si la maîtresse répète que l’on va chez lui. Ca ne sonne pas très logique : si l’on va chez le coiffeur, c’est qu’il vous a invité alors ? Le conformisme de l’époque gaullienne donne du travail à toutes ces petites gens. Ils se plaignent en passant du coût de la patente, mais n’y croient pas plus que ça. On n’a pas d’idées de grandeur : peu de gens ont des voitures. Les loyers sont bas, la nourriture est abordable. Un petit métier suffit pour vivre tranquillement, et élever des enfants. Pas trop, bien sûr, mais il n’y a pas de très grandes familles, sauf chez les gitans, dont on a peur, car les vieilles disent la bonne aventure avec des regards inquiétants, et les jeunes, contraints d’être scolarisés de loin en loin, quand il n’y a pas d’obligations plus pressantes, sont d’une fierté perpétuellement ombrageuse. Pour un regard ils cherchent querelle, et quand ils cognent, font mal. Des mythes de sédentaires circulent sur eux, chuchotés aux récrés : ils se marieraient à nos âges, ce qui nous plonge dans des abîmes d’envieuse perplexité, alors ils ont le droit de voir leur femme toute nue à notre âge ? Nous sommes pour la plupart si niais que nous n’envisageons même pas qu’il puisse y avoir des perspectives plus affolantes encore.
 
Un des coiffeurs séduit particulièrement, car sur la table basse, à l’entrée, se trouvent de nombreux numéros de Lui, qui, dans ces temps de toute-puissante censure, sont souvent la première révélation de ce que érotisme peut signifier. Et de fait, cramoisis, souffle court, bouche sèche, nous tremblons d’excitation en feuilletant nerveusement des pages où des femmes de rêve, adultes, se dénudent avec des accessoires qui alimenteront nos insatiables frénésies nocturnes. Le porte-jarretelles de ces temps particulièrement, sans rapport avec le ridicule accessoire pour pornochic qu’il deviendra dans ses avatars successifs, privé de sa fonction initiale, et pour tout dire, vidé de son sens, sinon de son contenu. Le porte-jarretelles de ces temps a une fonction, les bas existent, et ont une réelle utilité : même dans le sud, même au bord de la mer rieuse, l’hiver peut être glacial. Les collants commencent à se répandre, certes, mais dans un vieux pays, il faut du temps pour que les nouveautés s’installent. De nombreuses femmes par conséquent en portent sous leurs jupes, nous le savons, nous le devinons, et cela alimente nos fantasmes. Les bas gainent la jambe avec une sensualité que le collant n’a et n’aura jamais, du fait de sa texture ; la couture arrière met une note de raffinement, et souligne l’élégance d’une jambe nerveuse et musclée, sans excès. Les talons hauts collaborent, faisant saillir les fesses, tendant la jambe et accentuant la cambrure. Il n’est pas surprenant que les féministes en aient fait un de leurs chevaux de bataille, en y voyant l’image de l’asservissement sexuel de la femme, objet de désir et de fantasme. Il est peut-être plus juste de le voir, dans l’éternelle guerre entre Aphrodite et Arès, comme une des armes les plus imparables, que la merveilleuse intelligence prospective des femmes a su mettre à contribution pour l’enjeu primordial de la collecte du lait d’orge.
 
 
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Message  Invité Lun 13 Juil 2009 - 13:39

Comment dire ? Je suis à la fois fascinée, charmée et accablée - grande fatigue estivale - par la densité de ces textes, j'éprouve toujours en filigrane la crainte d'omettre un détail significatif, une allusion, une trouvaille, ce serait dommage, ce qui me contraint à lire très lentement. Je note toutefois une volonté de bien garder les moutons sous ta houlette de grand pâtre, ne serait-ce la digression sur Herriot.
Je ne peux pas commenter dans le détail, aussi dirons-nous que :
-La lettre à C, la première, est celle que j'ai préférée, la plus abordable, de par l'écriture et le sujet. Dans celle-ci j'ai noté à un moment un recours fréquent aux "Que", plus précisément dans le passage commençant par : "Que ce que cet individu rencontré lors d’un ces conseils d’administration d’une de ces associations qui avaient fleuri sur le terreau généreux du socialisme étatisé [...]"
-Je me demandais l'effet que cela ferait à une jouvencelle de recevoir une lettre de la teneur de celle qui est ici.
-Le dernier texte est celui qui m'a paru le moins pertinent, c'est-à-dire le moins enlevé, appréciation toute relative. Si j'ai trouvé ce retour en arrière plaisant, je n'en ai pas trop compris la finalité. Et je me suis étonnée de "Un petit métier suffit pour vivre tranquillement, et élever des enfants. Pas trop, bien sûr, mais il n’y a pas de très grandes familles" parce que j'ai précisément côtoyé dans les années 60 des familles de 8, 10 ou 12 enfants, assez couramment.

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Message  Invité Lun 13 Juil 2009 - 13:41

Précision : lorsque je dis ne pas saisir la finalité du dernier texte, c'est parce qu'il ne me semble rien apporter de très novateur, je crois même que c'est l'un de ceux où la griffe de Silène est la moins visible.

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Message  silene82 Lun 13 Juil 2009 - 13:55

C'est un mille-feuille, où s'entremêlent diverses choses
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Message  Invité Lun 13 Juil 2009 - 14:08

N'empêche que je reste sur ma faim :-)
Silène, tu mets la barre très haut, normal que le lecteur fasse montre d'exigence. En soi, c'est une excellente chose (un compliment). Sans compter que je ne perds jamais de vue, ôoooo grand jamais, combien la critique est aisée indeed !

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Message  Invité Lun 13 Juil 2009 - 17:44

J'ai adoré le ton alerte, la belle ironie de la lettre à C... ; le début, en revanche, l'introduction à cette lettre, m'a paru un peu poussif. (Je crois que le plaidoyer pour "les artistes", qui sortiraient du lot m'a agacée ; il est si clichéteux ! Et faux, en plus, selon moi.)

"pâturages"
"Fallait que je vécusse" : c'est sans doute volontaire de votre part, mais vraiment ça me fait mal quand on maltraite ce pauvre imparfait du subjonctif qui s'obstine à se balader en robe de bal XVIIIème siècle au milieu des jeans avec le string qui dépasse !
"un vœu de pauvreté" : alors, cœur et œillet ont le droit et pas vœu ? Quel ostracisme !

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Message  Invité Lun 13 Juil 2009 - 17:51

Comme Easter(Island), je retrouve moins votre patte dans ce deuxième texte, mais il a quand même bien de la gueule !

"certaines pourvues d’assises cannées, d’autres avec une galette de hêtre avec (les deux "avec" me paraissent un peu proches l'un de l'autre, alourdissant le membre de phrase) un motif embouti"

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Message  silene82 Lun 13 Juil 2009 - 18:11

socque a écrit:J'ai adoré le ton alerte, la belle ironie de la lettre à C... ; le début, en revanche, l'introduction à cette lettre, m'a paru un peu poussif. (Je crois que le plaidoyer pour "les artistes", qui sortiraient du lot m'a agacée ; il est si clichéteux ! Et faux, en plus, selon moi.)

"pâturages"
"Fallait que je vécusse" : c'est sans doute volontaire de votre part, mais vraiment ça me fait mal quand on maltraite ce pauvre imparfait du subjonctif qui s'obstine à se balader en robe de bal XVIIIème siècle au milieu des jeans avec le string qui dépasse !
"un vœu de pauvreté" : alors, cœur et œillet ont le droit et pas vœu ? Quel ostracisme !

Que ferais-je sans vous!
Pour le cliché des artistes, ma foi, les pensées du bonhomme baguenaudant à divers âges, il peut très bien être clichéteux, voire carrément con, le cas échéant. C'est expérimental, donc empirique et de plus, je ne sais pas vers où je vais. Ce qui m'angoisse et m'excite à la fois.
Pour le vivisse, c'est évidemment voulu; pas exquis, dites vous? Je vous l'accorde.
Pour ces jolies ligatures encore oubliées, mille pardons. J'essaie de tout revoir, mais l'indécence émanant de leur condition siamoise, étroitement imbriqués comme ils sont, fait que, dévidant un chapelet d'ambre en tâchant de ne point trop en voir, il arrive qu'elles me feintent. Vous m'accorderez, cependant, qu'on observe un mieux.
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Message  silene82 Lun 13 Juil 2009 - 20:41

Mais je suis étendu ici et maintenant, en ce lieu qui n'est pas mien, lieu d'exil, d'où les accents du passé prennent une puissance d'évocation d'autant plus grande que je suis réduit à n'être plus que rêve, et souvenir. L'infirmité m'a frappé en terre étrangère, où j'étais en occupant toléré, quoique sous observation, et sous contrôle. Un horsain.
Gilles Perrault, auteur du Pull-over rouge, enquête de journaliste-écrivain qu’il avait menée, pour le compte d’un journal ou le sien propre, je ne sais plus très bien, sur l’affaire Ranucci, un des derniers condamnés à mort exécuté, Giscard n’ayant pas eu ce jour-là la petite gâterie qu’il escomptait d’une dame, ou s’étant cassé un ongle, c’est tout comme, avait commis un livre, pas éblouissant, mais lisible, sur ses expériences et aventures de horsain.
Il y expliquait avec force détails et références, remarquablement documentés, outre l’alcoolisme chronique propre à cette région enchanteresse, partie de Normandie, peut-être Cotentin, cette notion essentielle et bouturable à l’infini qu’est celle de horsain. Dialecte normand peut-être, mais tout à fait entendable : est horsain celui qui n’est pas du lieu. De temps immémoriaux. C’est quelqu’un du dehors, qui a toutes les apparences du citoyen régulièrement résident d’un territoire, mais qui n’en fait partie qu’en surface. Il ne sait et ne saura jamais rien des entrelacs infinis des parcelles changées de main, des bornes nuitamment déplacées, qui alimentent des haines transgénérationnelles et justifient des sorts jetés par l’entremise d’un sorcier local, fréquemment incarné en un vieillard crasseux dans une bauge empuantie, sombre, au milieu du capharnaüm sordide et répugnant de l’homme accoutumé à vivre seul et sans femme depuis des lustres.
Il va de soi que le horsain qui cumule ce handicap avec celui de ne pas être français ferait mieux de se regrouper en communautés : ce qu’ont compris, dans le riant sud-ouest, messieurs les anglais, qui s’organisent en confréries, et réussissent le tour de force, quand ils sont en nombre suffisant, de vivre 25 années au beau pays de France sans en avoir appris la langue. Mais soyons justes, à l’exception du regretté Rudyard Kipling, élevé par une nourrice indienne et parlant par conséquent l’hindi et le mahrati, les occupants britanniques de terres de Sa Gracieuse Majesté ne se sont jamais préoccupé de posséder la langue des natives.
La France rurale, avec ses 36000 communes, est une gigantesque pépinière à horsains potentiels : tout le monde, à un degré donné, est le horsain de quelqu’un. La bonne chose étant que l’enraciné, la vieille race ancrée dans le sol de ce territoire, pour certains, depuis bien avant les romains, ne bouge pas : mouvements centrifuges lors des parades nuptiales, pour chercher femme, avec des cibles préférentielles.
J'aimerais qu'une étude scientifique pourvue des instruments adéquats mette en lumière ce que j'ai toujours soutenu, à savoir que le squelette, et particulièrement le crâne de mon voisin, décoré du délicat surnom de Libellule par ses voisins, eu égard à sa taille exquise, projetés en cliché superposé à celui de l'homme de Bartavel, les recouvriraient dans les moindres détails, fondant l'évidence que les lignées de ce vieux pays sont millénaires, que les reproductions suivent des rites ancestraux, incluant et programmant peut-être même des bâtardises, pour renouveler le sang.
Le terroir précis auquel je pense, confluent de 3 départements maintient des liens irrationnels au regard de la logique ordinaire, avec des territoires particuliers ; on va chercher femme dans les montagnes du département d’à côté, à plus de 50 kms quand il serait infiniment plus aisé d’en faire 20 en plaine pour aller au grand bourg voisin. Mais voilà, le découpage administratif, et en l’occurrence ce fut le petit tondu, promu par autosacre, empereur, qui le réalisa, superpose d’artificielles séparations que les atavismes méconnaissent. Situation somme toute pas si éloignée des ces pays d’Afrique créés par les puissances coloniales, par l’écartèlement des ethnies et des peuples.
Il est d’ailleurs assez piquant qu’après plus de deux siècles de découpage révolutionnaire, dont le but était de fondre dans le mythe du creuset national tous les particularismes historiques et culturels, par conséquent, au delà de l’historicité pure, tout ce qui est de l’ordre de l’appropriation d’un espace par un groupe humain donné, et l’évidence de l’inefficience de ces frontières invisibles, il soit question de revenir aux provinces qui redeviendraient, à peu de choses près, ce qu’elles étaient sous l’ancien régime.
Ce qui aura permis, bon an mal an, d'entretenir pléthores de degrés administratifs, avec leurs chefs, sous-chefs, fifres, sous-fifres et galoubets, qui représentent, somme toute, le quart de la masse laborieuse du pays.
Le horsain prend forme dans le regard de l'autre, dans la manière de lui demander « un tel, tu le connais, non? » tant il est évident que si l'on n'a pas d'histoire repérable dans le lieu,
inscription sur les listes de conscription, pour les vieux spécimens, souvenirs d'école en commun, fantasmes enfantins sur la beauté de la petite Babet, dont tout l'éclat a été consumé dans son alliance avec le fils P...., et sa vie ingrate de paysanne aisée, qui n'amène en dot, à défaut de terres et de biens, que son ardeur au travail, on n'est pas du lieu, on est horsain. En plus, il va sans dire, parlant de Babet, de la couche moelleuse et du repos du tractoriste, agrémenté de polissonneries, car la campagne se civilise et, désenclavée et mobile, loue du pornochic aux bornes automatiques, qui requinque le potentiel fantasmatoire des aspirants débauchés.
Coup de génie des hommes, et montrant surabondamment qu'ils sont moins sots que les femmes ne le croient, la guerre de 14, qui décora si élégamment les places de tous les villages de monuments du plus bel effet, avait révélé que le pays, contre toute attente, se passait magnifiquement bien des hommes, puisqu'ils étaient tous au front, et que la vie continua. Sans qu'on remarque grand chose de changé. Comme l'on sait, elle permit également d'envoyer les femmes à l'usine, les sommités médicales ayant juré, le coeur sur la main, que le biberon équivalait au lait maternel, quand il ne le surpassait pas. Les récoltes eurent lieu, lors que le partage des tâches, admis depuis la nuit des temps, établissait que seule la force de l'homme permettait les labours profonds, ainsi que les moissons et engrangeages rapides. Comment firent les femmes, il n'est pas trop compliqué de l'imaginer: comme en Afrique, comme au Maghreb, comme partout: elles pallièrent leur puissance musculaire moindre par l'entraide et l'ardeur au travail. Elles avaient des bouches à nourrir, malgré le malthusianisme empirique que les études ethnosociales démontrent en France dans les populations rurales, volonté de ne pas émietter le patrimoine, et réalisme terrien.
Le coup de génie consista évidemment en ce que, revenus en leurs terres, du moins pour ceux qui n'étaient pas trop morts, ou éclopés, et constatant que les propriétés, ma foi, n'avaient plutôt pas trop mal traversé leur absence, ils réussirent à détourner et s'approprier la mécanisation, qui eût dû modifier totalement la donne, à leur profit, en renvoyant Margot à sa basse-cour, ses mioches et sa maison. Lors qu'un tracteur ne demande qu'un très petit potentiel physique, sans rapport avec la conduite d'un attelage de lourds chevaux de trait.
Le horsain, autre raison de méfiance, bouleverse l'ordre du monde: il n'est assujetti à rien, ni ce qui se fait, ni ce qui ne se fait pas. Il ne sait pas, en terre parpaillotte, que les catholiques sont des bourriques et les protestants des savants. Que rien n'est jamais à personne dans cet espace en apparence ouvert, balisé par des siècles d'habitus, où chaque pierre de bord de champ a une histoire particulière, connue de tous, qu'une geste continuelle se dit et s'élabore, dans laquelle les ancêtres de chacun sont des entités puissantes, qui imprègnent, marquent et orientent les choix et les comportements. Libellule agit ainsi parce que son grand-père, en telle occasion, avait fait cela: prévisibilité totale des comportements, éclairés par la connaissance immatérielle que la communauté a du caractère tutélaire, et parfois totémique, du clan familial.
Mes descendants sont du lieu, et échappent par conséquent à la malédiction horsaine, nés tous sur le territoire, et ayant, de surcroît, inversé, de par leur fréquence, la tendance entropique qui se manifestait quand nous jetâmes l'ancre; Un tout petit bonus excédentaire sur les avoirs et les débits, les morts poussant les vivants vers la lumière, vous vaut une certaine estime en des lieux où les fermetures d'écoles se jouent à l'enfant près.
Le hameau qui donne son lieu-dit à notre lieu de résidence, fragment d'une commune immense, la bagatelle de 22000 hectares pour 1300 habitants, avait au début du siècle 90 foyers qui alimentaient une école à classes uniques certes, filles et garçons, mais abondamment garnie. Les maisons existent toujours, vidées de leurs habitants immémoriaux, remplacés par des néo-ruraux tels que nous, qui nous approprions, par la vertu de la terre bradée et des maisons en déshérence, la continuation d'une histoire millénaire; pas très différents, somme toute, du légionnaire que Caligula récompensait par une petite vigne en ces lieux mêmes, au bord d'escarpements calcaires dominant la rivière.
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Message  Invité Lun 13 Juil 2009 - 20:51

Décidément, quelque chose ne va pas chez moi ce soir ; à part celui d'avoir appris le mot "horsain", très évocateur, je n'ai pas eu de plaisir à lire votre texte et ai d'ailleurs arrêté avant la fin pour cause de désintérêt. Je ne vois pas ce qu'il apporte, et votre écriture me paraît moins vôtre que d'ordinaire, si j'ose dire, je n'y trouve pas cette fois la densité allègre (eh oui) que j'y apprécie tant.

Ce qui me fait dire que le problème vient de moi ce soir, c'est que j'ai décroché très vite du dernier texte de CROISIC, pourtant fort honnête apparemment ! Je ferais mieux d'aller me coucher, tiens.

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Message  Invité Lun 13 Juil 2009 - 21:08

Que d'informations intéressantes, de réflexions pertinentes dans ce passage ! Mais cela reste pour le moment assez abstrait, je préfère quand tu nous régales de l'un de tes pittoresques personnages.
Je cherche où j'ai déjà rencontré ce terme de horsain...

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Message  silene82 Lun 13 Juil 2009 - 21:47

socque et easter

Je comprends très bien que mes considérations puissent vous sembler longuettes, mais ayant toujours eu une vocation rentrée de prof pédant, j'ai un peu de mal à résister à ne pas en refiler quelques louches de ci de là. Au moins je l'aurai posé, et pourrai passer à autre chose.
Et comme je le dis, je ne sais pas où je vais avec cet écrit, et c'est ça qui m'amuse; tout en constatant qu'il se pourrait bien que je fusse le seul.
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Message  Peter Pan Lun 13 Juil 2009 - 22:07

J'ai beaucoup de mal à te lire silene82,

pour comprendre tes nombreux écrits, non seulement il faudrait que j'ouvre sans cesse mon dictionnaire mais en plus, il faudrait aussi que je me rachète une culture générale. Ce n'est pas une critique, vais quand même pas te reprocher de bien écrire et d'être cultivé (ça m'a fait la même chose quand j'ai lu l'élégance du Hérisson), mais je tenais à ce que tu saches pourquoi je commente plus que rarement ton œuvre.
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Message  silene82 Mar 14 Juil 2009 - 6:36

Peter Pan a écrit:J'ai beaucoup de mal à te lire silene82,

pour comprendre tes nombreux écrits, non seulement il faudrait que j'ouvre sans cesse mon dictionnaire mais en plus, il faudrait aussi que je me rachète une culture générale. Ce n'est pas une critique, vais quand même pas te reprocher de bien écrire et d'être cultivé (ça m'a fait la même chose quand j'ai lu l'élégance du Hérisson), mais je tenais à ce que tu saches pourquoi je commente plus que rarement ton œuvre.

Tu es adorable, entre autre par ton naturel et ta spontanéité que notre culture franco-française nous pousse ordinairement à refouler, ou à annihiler.
Si tu as vraiment l'âge que tu annonces, l'explication est simple: je suis de la galaxie Gutenberg, comme Gobu, socque, easter, et quelques autres. Tu es de la nébuleuse Linux -j'espère-, sinon Gatesosoft. La lecture a été mon pain et mon air pendant les années de mon enfance, sans que je fusse pollué par mille divertissements au sens pascalien du terme -tu vois, je recommence-.
Ayant quasiment tout oublié, -eh oui, l'abus de substances hallucinogènes, après l'euphorie de l'envol, amène de très sérieux courts-circuits neuronaux- fait que ne surnage que ce qui a été fortement et anciennement imprimé.
Nous sommes donc une cohorte grimaçante de mandarins chenus et inutiles -les dames, je l'espère, plus plaisantes à l'oeil que nous, barbons édentés-, maintenant le culte d'une langue et d'une culture qui se meurt, car dans le monde cybernétique et l'instantanéité des échanges, ce lent processus d'assimilation n'est plus possible.
Si encore, comme au Japon, l'Etat, sentant sa décadence, parcourait, lanterne en main, les forums littéraires, pour sacrer Auteur National Vivant les misérables moustiques que nous sommes, et leur concédait une petite rente -rats de bibliothèque, nous vivons de peu-, on pourrait avoir quelque espoir. Mais l'entropie est inévitable, et il faut se résigner au lent naufrage d'une culture et d'un monde. Comme le bâtiment est d'importance, il mettra du temps à couler. Mais il coulera: je suis étonné que la réforme grammaticale n'ait pas encore été proposée, avec deux langues juxtaposée, la démotique, et la hiératique, cella que nous prétendons maintenir.
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Message  Invité Mar 14 Juil 2009 - 8:55

Je réfléchis mieux la nuit et parfois trouve des réponses à mes questions ou en tout cas des éléments pour me mettre sur la voie...
Donc, la nuit dernière, je repensais à ce "horsain" et tout d'un coup je me dis "Maupassant" ! Puis, dans la foulée : "non Maupassant, c'est Le Horla".
N'empêche, je recherche un peu internet, pour découvrir que je n'étais peut-être pas si loin puisqu'une des hypothèses émises quant à l'origine du mot "Horla" serait justement que Maupassant se serait inspiré de "horsain".
Pendant que j'y suis, j'apprends aussi qu'il existe un livre : Le Horsain. Vivre et Survivre en Pays de Caux de l'abbé Bernard Alexandre.
Voilà, tout ça pour rien, juste pour partager mes interrogations.

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Message  silene82 Mar 14 Juil 2009 - 10:26

Easter(Island) a écrit:Je réfléchis mieux la nuit et parfois trouve des réponses à mes questions ou en tout cas des éléments pour me mettre sur la voie...
Donc, la nuit dernière, je repensais à ce "horsain" et tout d'un coup je me dis "Maupassant" ! Puis, dans la foulée : "non Maupassant, c'est Le Horla".
N'empêche, je recherche un peu internet, pour découvrir que je n'étais peut-être pas si loin puisqu'une des hypothèses émises quant à l'origine du mot "Horla" serait justement que Maupassant se serait inspiré de "horsain".
Pendant que j'y suis, j'apprends aussi qu'il existe un livre : Le Horsain. Vivre et Survivre en Pays de Caux de l'abbé Bernard Alexandre.
Voilà, tout ça pour rien, juste pour partager mes interrogations.

Coucou, Easter, mais l'origine est cauchoise, je le dis très clairement au début, où j'expose que Perrault a écrit son bouquin, dont je ne donne pas le titre, mais qui s'appelle Les gens d'ici, où il déroule ce que le concept renferme. J'ai le bouquin de l'abbé aussi, mais ne me souvenais même pas qu'il l'avait dans le titre.
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Message  silene82 Ven 17 Juil 2009 - 8:07

Je me souviens. Sensation d'escalier.
L'après-midi était brûlante. En se levant de sa sieste, dans cet état d'hébétude que le sommeil de la mi-journée procure, où l'on éprouve un sentiment d'irréalité, de distance et d'étrangeté, car les sens ne reconnaissent rien autour d'eux qui établisse clairement que c'est l'heure normale, programmée depuis toujours, du lever, il descendit l'escalier et eut en face de lui le flamboiement du soleil à travers les vitres dépolies, comme un projecteur d'une puissance infinie qui aurait éclairé d'une manière presque excessive: tous les recoins de l'escalier qu'il descendait, et qui tournait en U, apparaissaient avec une netteté chirurgicale, comme sous les halogènes d'une salle d'opération, comme il aurait plus tard l'occasion d'en connaître.
Arrivé au bas de l'escalier, il hésita devant la carte suspendue au mur, puis s'avança tout droit à travers le grand salon qui paraissait obscur après l'éblouissement de l'escalier. De fait, enfoui dans les profondeurs de la bâtisse dont des arbres de grande ramure ombrageait la façade, le salon, vaste surface lambrissée à mi-hauteur de boiseries chocolat, donnait toujours l'impression, lorsqu'on y entrait du dehors, la pupille réduite  une mince fente par l'intensité lumineuse qui faisait vibrer couleurs et atmosphère, il fallait plusieurs secondes pour que l'œil, admirable système automatique de correction diaphragmatique des lumens exploitables par le nerf optique à des fins de décodage par le cerveau, s'accoutumât à cette quasi-pénombre, qui paraissait presque glauque, avec les taches plus sombres des canapés et des tables basses, comme les entrées des grottes sous-marines qu'on distingue à peine dans la mouvance bleue du fond marin.
Les ancêtres; en voilà à qui j'aurais des choses à dire, par le canal de l'écriture. Le papet.
 Je me souviens.
Ce n'est qu'une image fantasmée, née de souvenirs qui ont percolé doucement, pendant l'enfance, pendant l'adolescence; ces souvenirs d'autrui, qu'il te raconte en y mettant ce que lui entend derrière les mots. Sa pudeur, ses blocages, ses freins; tout ce qui colore la réalité du filtre atténuateur, ou embellisseur, de ce qui arrive à la conscience, dans un premier temps, et est encodé ensuite, et considéré comme parfaitement fiable, de toute bonne foi: j'y étais. Le témoin se récrie, indigné même que l'on puisse émettre un doute sur la fiabilité de son témoignage: il y était. Il fait donc nécessairement un compte-rendu fidèle, détaillé, circonstancié, de ce qu'il a vu, auquel il a assisté. Qui pourrait le faire démordre?
Il aura fallu tout le travail clinique de l'école de Palo Alto, entre autres, pour mettre en évidence que le témoin ne ment pas quand il se trompe; simplement, son univers intime a conditionné ses structures mentales à ne recevoir et encoder que les informations qui s'avèrent compatibles avec sa vision du monde. Et sa propre perception de lui-même. Et sa perception de lui-même en interaction avec le dehors, les autres, le décor;
La représentation que j'en ai, au travers de ce qu'on m'en a rapporté, bribes éparses, anecdotes décousues, -les vivants n'évoquent pas les morts, dans nos cultures, dans des moments privilégiés qui pourraient être des moments forts de rattachement aux racines, au sens de la destinée de chacun-, est celle d'un petit homme sec comme un sarment.
J'ai encore dans les yeux le portrait qu'en avait fait son fils, et qui fut malencontreusement volé à l'endroit où il était exposé: perte fâcheuse d'un portrait d'ancêtre, qui, abstraction faite de ses qualités picturales propres, qui étaient bien réelles, le fils en question étant un peintre de grand talent, enlève un support d'évocation pour le clan, et accentue la descente de celui dont il était l'effigie vers la dissolution, l'oubli et le néant.
Somme toute, les effigies des ancêtres, dans les cultures que l'arrogance colonialiste décrivaient, il n'y a pas cent ans, comme primitives, et dont il est à l'honneur de la France, à travers les travaux de Lévi-Strauss et ses suiveurs, d'avoir révélé la richesse et la complexité structurelle, et montré que toute société humaine, car c'est probablement le trait qui signe le plus nettement le fait d'être humain, élabore une explication mythique du monde, dans laquelle elle agrège et hiérarchise les éléments de la réalité visible, seraient -ils pas des supports, comme nos photos sépia, plutôt que de prétendues idoles, qui horrifiaient tant les bons pères, blancs notamment, mais ne les empêchaient néanmoins pas d'en faire commerce?
Le fils, mon grand-père, avait choisi un mode de portrait ingrat, et difficile, celui de Jean le Bon, exposé au Louvre: plein profil, rien qui flatte, même pas l'éclat de l'œil. Fut-ce à la demande du portraitisé, je ne sais, il avait été marin au long cours, l'hagiographie familiale le tributant de 3 tours du monde. Sur des navires marchands, je suppose. J'en extrapole qu'il n'était pas homme d 'affèteries, cherchant à se faire passer pour ce qu'il n'est pas.
Je commence à ressentir une certaine souffrance à réaliser que bientôt, à la disparition de mon père, je deviendrai le griot de ma lignée, le dernier dépositaire vivant du rameau provençal de mon arbre, et que j'ai écouté et emmagasiné, certes, mais comme le font les enfants, convaincus qu'ils ont l 'éternité devant eux. Je n'ai jamais trouvé que les récits du passé fussent ennuyeux; simplement, mes propres centres d'intérêt étaient autres, aux temps où j'eusse pu collecter davantage, de ceux qui savaient, qui me rattachaient à ce monde si lointain et si proche en même temps, d'avant la Belle Epoque.
Sans doute ma perception de ces temps est-elle paradoxalement plus exacte, car je les contemple avec le recul de l'historien, d'une certaine manière, et les dimensions soudain modestes de ce qui paraissait titanesque dans l'enfance n'agit pas en tant que prisme déformant, et la multitude de témoignages croisés dont je dispose, car j'ai toujours, depuis de nombreuses années, mis en synergie et en confrontation le legs oral familial, dont je sais qu'il est partial, et le regard d'observateurs extérieurs au cercle, et, non pas plus objectifs, car je ne me soucie pas d'objectivité, qui me semble une donnée sans aucun intérêt, mais attentifs à d'autres choses, et marqués par d'autres détails: c'est tout le talent du romancier de mettre dans la bouche de la petite bonne, ou dans sa pensée, l'allusion qui donne toute sa véracité à ce qu'en fait, il a créé.
Quand Hugo, cette carrière inépuisable de génie, d'images et de poésie, explique ce qu'est la privation graduelle de tout, le dénuement véritable, quand Fantine se dépouille, sous la hideuse extorsion des Thénardier, de tout pour Cosette, et, qu'au bout du bout, il montre que vient un moment où les graines de chanvre du serin sont un luxe et une dépense superflue, on est saisi de la puissance de l'image. Or dans la vie réelle, voit-on jamais cas semblable? Le serin est-il de trop, on l'embroche et on le mange; veut-on le garder, les graines ne manquent pas, pour qui sait chercher.
Petit homme sec donc; de ce côté avunculaire, nous tenons de la Sardaigne. Morphologie classique de ces contrées, comme en Corse, de petits hommes nerveux et vifs, tout en tendons, nerf et peau, la peau brunissant au premier soleil. Pêcheurs de côte, toujours comme les cousins corses, mais pas trop marins: on a plutôt l'impression de peuplades pastorales arrivant au bord de la mer car les pâturages ne sont pas extensibles, et, ma foi, de fil en aiguille bricolant de frêles esquifs pour s'aventurer sur l'eau, que d'amoureux de l'inconnu, avides de se lancer à l'aventure, comme l'on put faire les Vikings par exemple.
Les trous sont innombrables: si près et si loin en même temps. Trois générations à peine, et la trace est modeste, et se perd. Donc il était marin paraît-il, ayant navigué; bien; je le connais pêcheur, c'est ainsi que la saga familiale le présente, sans donner de détails sur la période intermédiaire. Tout au plus me souvient-il d'une allusion à un coffret en bois des îles que l'aïeul aurait ramené, ce qui accréditerait la thèse de voyages circumplanétaires, sans plus de précisions.
Pêcheur au petit port du village; sa femme boulangère. Petites gens, qui engendreront mon grand-père. La boulangerie était non loin de l'église, elle-même non loin du port: il fallait donc qu'il eût sa barque, le pointu ventru que l'on retrouve sur tout le pourtour de la Méditerranée, bien dessiné et stable, apte à engranger une moisson conséquente des prairies de la mer.
La légende orale transmise familialement rapporte qu'il trouva un jour des individus rôdant autour de sa barque. Guère de précisions sur les circonstances: les gamins du quartier du port sont toujours à jouer au milieu des bateaux à sec, et nul ne s'en préoccupe. La barque est un bien personnel, qui de surcroît est le gagne-pain d'une famille: tout le monde a l'œil dessus, les pêcheurs sont une confrérie, une communauté, probablement une des plus anciennes du lieu. Il faut donc que l'incident ait eu lieu avec des étrangers à l'endroit: il n'aurait venu à l'esprit de personne de monter dans la barque de quelqu'un d'autre, ou de farfouiller dedans. J'incline donc à penser soit qu'il trouva des individus explorant les recoins de la barque -ils sont vite visités, les pointus étant non pontés, seule une espèce de caisse, à l'arrière, assujettie sur les membrures, servant de coffre; était-elle gréée, comme c'est probable -ou comme il me plaît de l'imaginer, mon esprit préférant un aïeul apte à tirer des bords plutôt qu'un empuantissant le clair matin des teuf-teuf de son diesel. Pas de cabine, pas de taud: outil rustique, élémentaire, de journalier de la mer.
Peut-être s'agissait-il de gens de la ville, espèce entre toutes méprisable, pour ces gens simples et travailleurs, qui pour avoir un centime étaient obligés de le sortir de la mer à la sueur de leurs bras: la ville avait cette aura mythique d'un lieu où des masses énormes d'argent circulent sans qu'on arrive vraiment à comprendre quels en sont les mystérieux circuits; à la ville également, s'exercent des métiers dont on ne savait même pas qu'ils existaient, métiers liés à l'administration, à la gestion, à la comptabilité. Pour des gens frustes, simples, qui ont été un peu à l'école, mais guère – mon grand-père a été engagé volontaire en 1916, son père, peut-être, n'avait pas bénéficié de Jules Ferry et son école laïque, obligatoire, et surtout gratuite: effective vers 1884-5, dans des temps où les hommes se mariaient tard-, la ville représentait symboliquement le pouvoir, l'argent, et une certaine arrogance connue comme typique « des gens de la ville ».
Que s'est-il vraiment passé donc? J'inclinerai à dire rien du tout, sinon une querelle qui a dégénéré, le sang du sud bouillant facilement. En effet, qu'est-ce que des individus qui ne sont pas du lieu peuvent bien faire à farfouiller autour de la barque d'un patron-pêcheur, membre d'une communauté puissante et solidaire, qui au premier désagrément arrivant à l'un des siens, va se mobiliser comme un seul homme, et arriver en masse?
J'imagine plutôt ceci, par conséquent: averti de ce que des individus en costume de ville traînent autour de la barque, il va y voir et tombe sur un groupe qui le prend de haut, voire se moque de lui. Il répond, probablement avec le ton de propriétaire d'un patron-pêcheur qui trouve un peu fort de café qu'on se foute de lui dans son fief même. Le ton monte, peut-être esquisse -t-on un geste de menace à son endroit, lui jette-t-on un objet? Toujours est-il que, pris de fureur, il attrape -là, la mémoire me fait défaut, et je ne sais plus si c'est une bouteille ou autre chose, morceau de bois traînant dans le pointu et inflige une telle correction aux individus qu'il les envoient à l'hôpital, d'où ils ressortent au bout de quelques jours, et portent plainte.
Convocation devant le tribunal de police. L'affaire est plaidée, se sentant dans son droit, il explique amplement les raisons de son geste, qu'il revendique. Il est condamné. Évidemment, ce doit être à une amende qui sanctionne le geste, peut-être des dommages et intérêts. Peut-être même, ce qui doit être violent pour un homme sûr de son bon droit, qui n'a, dans son esprit, causé de tort à personne, mais simplement défendu son honneur et son bien, une peine assortie de sursis, 15 jours. Qui sait.
Toujours est-il que, sorti du tribunal, au milieu de la foule venue le soutenir, petites gens des quartiers du port, et les patrons-pêcheurs, les plus à même de le comprendre, le voilà qui livre son sentiment sur le jugement rendu:

- si j'avais su que ça allait tourner à cette cagade, je les aurais cogné plus fort.....
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Message  Invité Ven 17 Juil 2009 - 8:53

J'ai adoré l'intelligence et la tendresse de votre texte ! Vraiment il m'a séduite. Fort belle écriture.

Deux ou trois remarques :
« la pupille réduite (à ?) une mince fente »
« homme d 'afféteries »
« il les envoie (et non « envoient ») à l'hôpital »
« je les aurais cognés plus fort »

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Message  silene82 Ven 17 Juil 2009 - 10:12

merci so..cque

J'ai de plus en plus de mal à en rester à un mode strictement fonctionnel avec vous. Outre que vous êtes une lectrice exceptionnelle, d'une vélocité stupéfiante, et qui, non contente de lire, pointe, argumente, étaye son propos...Et qui de plus écrit, et avec brio.
Vous comprendrez aisément que mon texte empruntant de plus en plus d'allées amenant à des incursions dans l'intime, ce qui est peut-être, somme toute, la quête ultime du travail d'écriture, les avis sur ce qui est livré ont un grand poids. Je veux dire en cela, que je ne cesse de répéter, que contrairement à l'affirmation de l'Ecclésiaste,- je n'aurais pas la pédanterie de le citer en hébreu-, ce n'est pas le nombre de conseillers qui amène le salut, mais leur qualité. Leur compétence. Et qu'en l'occurence le votre est d'un grand intérêt pour moi, comme celui de quelques autres qui se reconnaîtront.
Et encore merci de vos corrections, que j'applique immédiatement.
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Message  Invité Ven 17 Juil 2009 - 10:25

Une simple remarque, silene82 : me permettrez-vous de ne pas m'étonner outre mesure des compliments extravagants que vous me dispensez, quand mon avis sur vos textes est si souvent élogieux ? (Une émoticône pour faire bonne mesure, avec le clin d'œil qui va bien.)

A part ça, je ne sais plus si vous venez à Crozon fin août, il me semble que non... Si oui, je serai ravie de vous voir !

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Message  Invité Ven 17 Juil 2009 - 10:29

La route est tortueuse qui mène à l'objet de la visite : une (plusieurs !) excellente occasion de faire provision de bon, de beau, d'intéressant au passage.
La phrase que j'ai trouvée la plus émouvante :
"Je commence à ressentir une certaine souffrance à réaliser que bientôt, à la disparition de mon père, je deviendrai le griot de ma lignée,"

La chute, gentiment belliqueuse m'a fait sourire, je n'en attendais pas moins.

Une petite interrogation ici : "il n'aurait venu à l'esprit de personne de monter dans la barque de quelqu'un d'autre"

La construction avec "avoir" est-elle possible ? Ce n'est pas plutôt, et uniquement : "il ne serait venu à l'esprit de personne" ?

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Message  silene82 Ven 17 Juil 2009 - 11:24

socque a écrit:Une simple remarque, silene82 : me permettrez-vous de ne pas m'étonner outre mesure des compliments extravagants que vous me dispensez, quand mon avis sur vos textes est si souvent élogieux ? (Une émoticône pour faire bonne mesure, avec le clin d'œil qui va bien.)

A part ça, je ne sais plus si vous venez à Crozon fin août, il me semble que non... Si oui, je serai ravie de vous voir !
Ah, enfin, elle buggue: je savais bien qu'elle n'était pas parfaite.
Transcription: comme ji fi tri louli li coumentair sur toi, ci por ca ki ti fi pareil.
C'est bien ce que vous voulez dire? Je vous moutarde parce que vous me sénéyez? C'est mal me connaître. Avec les gens que j'apprécie, si je trouve nul à chier, je m'invente une occupation pressante. Ou je commente ailleurs. Si la production antérieure est de qualité, je m'enquiers:
- bobo? Pas bu son lolo? Loupé son loto?
comme il est normal en pareil cas. De même que les haridelles gagnent rarement les Grands Prix, sauf magouille, quand un auteur de valeur nous englue dans un pathos, il y a toujours une raison
soit il a mal aux dents, et la moindre des choses est de s'en enquérir, afin de compatir, ce qui n'édulcore rien, mais fait plaisir
soit le sujet est trop violent pour lui, et ses affects le paralysent.
Je n'évoquerais évidemment pas, pour ménager votre pudeur, illustre depuis les faux sonnets, la petite secrétaire opportunément embusquée sous le bureau, et qui se livre à des manoeuvres de diversion parfaitement malhonnêtes. Fantasme qui peut.
Alors, je m'enquiers: qu'avez vous voulu dire, in fine?
Quant à Crozon, compte tenu de la distance, si j'y vais, c'est pour écrire. Je me tâte, j'ai bloqué des jours, mais je trouve dommage de réunir des auteurs pour baguenauder dans les prés. Ca peut très bien se faire à d'autres moments. Voilà ma position, donc jusqu'au dernier moment, il est possible que je surgisse, ce qui est plus d'un diablotin que d'un silène, mais qu'importe.
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Message  Invité Ven 17 Juil 2009 - 11:26

Je repense à votre texte, silene82, et je me dis que vous vous régalerez probablement à la lecture du dernier Pierre Jourde, Paradis noirs. Lui aussi parle de mémoire, lui aussi possède une écriture dense et belle (selon moi, dans cet ouvrage il a dépassé Proust, et je n'aurais jamais cru dire cela un jour), lui aussi a des choses fortes et intelligentes à dire. Bon, pour tout dire, selon moi il est plus fort que vous, hein, vous comprendrez... Honnêtement, je pense que ce livre pourrait vous plaire.

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Message  silene82 Ven 17 Juil 2009 - 11:29

Easter(Island) a écrit:La route est tortueuse qui mène à l'objet de la visite : une (plusieurs !) excellente occasion de faire provision de bon, de beau, d'intéressant au passage.
La phrase que j'ai trouvée la plus émouvante :
"Je commence à ressentir une certaine souffrance à réaliser que bientôt, à la disparition de mon père, je deviendrai le griot de ma lignée,"

La chute, gentiment belliqueuse m'a fait sourire, je n'en attendais pas moins.

Une petite interrogation ici : "il n'aurait venu à l'esprit de personne de monter dans la barque de quelqu'un d'autre"

La construction avec "avoir" est-elle possible ? Ce n'est pas plutôt, et uniquement : "il ne serait venu à l'esprit de personne" ?
C'est effectivement un oubli, mais c'est une tournure populaire et fréquente aussi dans le sud. Cela dit, comme le narrateur pontifie et philosophe, c'est un fait que ça n'a rien à faire
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Message  Invité Ven 17 Juil 2009 - 11:29

Et pour votre question d'au-dessus : ce que j'ai voulu dire ? Mais je vous demande de réitérer vos compliments, slave a de soi ! Depuis quand serais-je exempte de vanité ?

Pour Crozon, si vous voulez passer et me voir, je ne serai là qu'au début, du 25 au 27 matin.

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Message  silene82 Ven 17 Juil 2009 - 11:36

socque a écrit:Je repense à votre texte, silene82, et je me dis que vous vous régalerez probablement à la lecture du dernier Pierre Jourde, Paradis noirs. Lui aussi parle de mémoire, lui aussi possède une écriture dense et belle (selon moi, dans cet ouvrage il a dépassé Proust, et je n'aurais jamais cru dire cela un jour), lui aussi a des choses fortes et intelligentes à dire. Bon, pour tout dire, selon moi il est plus fort que vous, hein, vous comprendrez... Honnêtement, je pense que ce livre pourrait vous plaire.
Ca y va la provoc, miss socque. Plus fort que moi, rien que ça! Minute, je commence à peine à écrire. Si vous le recommandez, j'y cours.
C'est pas un de vos pseudos, des fois?
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Message  silene82 Dim 19 Juil 2009 - 21:46

Note, scribe mon ami; assis sur la margelle, j'ai saisi la corde à puiser; supportera-t-elle mon poids? Il va falloir que je descende en ce puits, et je sais déjà que la lumière diminuera graduellement au fil de ma descente, que levant la tête je verrai au dessus se découper une zone claire, un fragment de ciel. Que la pénombre augmentera insensiblement tandis que je descendrai, que les bruits du monde s'atténueront progressivement, comme dans un caisson d'isolation sensorielle. Des images risquent de surgir, jaillissant du trop-plein de moi-même, masques grimaçants pour certains. Ma descente ressemblera à une mise au tombeau, à l'égyptienne, dans une crypte tenue secrète pour que les voleurs n'emportent pas mon double.
Alors écris, scribe, et curons le puits: l'eau est claire, mais de la vase est au fond, et il faut l'évacuer.
A la compagne, écris sous ma dictée, ô scribe

Compagne inlassable des jours de ma jeunesse, énergie vivifiante qui marcha à mon côté, tant d'années, j'ai peur d'avoir absorbé une grande part de ton rayonnement dans mon trou noir. Tu te souviens, c'est hier. Le vagabond musicien sensuel et drôle. Qui entrouvre une porte, peut-être, vers un ailleurs. Puisqu'il est d'ailleurs. Ce n'est pas qu'on ait son peuple en si haute estime. Ça non. Mais il est autre, et de plus c'est un sang mêlé. Issu d'une mosaïque. Ça n'engage pas à grand chose de le suivre. En cas de souci, tu sais que tu as les tiens.
Ce clan si puissant et si rassurant. Que je t'en dise quelque chose. Ils sont attendrissants comme les Valeureux: ils ont mis toute leur vie dans leur surgeons, et n'attendant rien pour eux-mêmes, se réjouissent de se voir vivre à travers ceux qu'ils ont amenés au jour. Ils ont voulu décliner tandis que montait la sève dans les jeunes rameaux. Ils sont prêts à tous les sacrifices, et ne connaissent, ni ne comprennent le sens de ce mot: pour eux, c'est le flot vermeil du cœur, voilà tout, est-il même besoin d'en débattre?
Ayant vécu de terribles tragédies, car il n'en est pas un, proche ou lointain, qui n'ait éprouvé le deuil, non celui provenant de la disparition normale, après une existence sereine, d'un être cher, mais l'affreuse frustration d'une perte provenant d'un pouvoir dictatorial et arbitraire. Et malgré la haine et les efforts d'un tyran, ils ne se sont jamais résolus à ramper, ou à baisser leur tête ou leur poing. Ce que vous avez à présent, toi et ta nation basque, c'est votre courage et votre constante persévérance, votre ardente patience qui vous l'a rendu et vous a rétabli dans votre position de seigneurs de votre terre.
Ma petite pottoka, ponette libre des étendues herbeuses del monte, on ne t'approche que si tu y consens, nul ne peut te contraindre à l'étable; tu as choisi de partir avec le vagabond, et tu as abdiqué même une grande part de ta liberté. Tu l'as fait sans calcul, car tu ne calcules jamais, tu donnes, ou tu t'en vas.
Tu as cheminé une longue route en ma compagnie, infatigable et pleine d'allant, joyeuse longtemps. Les vents ne nous ont pas épargné, ni la disette, ni les nuisibles. Nous nous sommes appuyés l'un sur l 'autre, et nous avions nos lionceaux à entourer.
Nous avons l'un et l'autre fait le deuil de tant de choses, qui étaient parties de nous, et qui étaient nous, et dont nous n'aurions jamais cru pouvoir faire l'abandon. Abandon heureusement temporaire, mise en attente pour une durée, longue certes, mais qui au terme d'années refleurit en bouquet.
Ce que tu es, ce que tu portes, le temps et les épreuves n'ont rien pu y changer. Nous entrons à présent dans des eaux plus propices, tu le vois, tu le sais. La maturation qui s'est faite sans même que nous en ayons conscience nous permet maintenant d'être distincts tout en étant proches. Nous avons dépassé cette fusion des années fondatrices, où chacun de nous disparaissait dans l'autre pour qu'en naisse cette entité composite qui nous a accompagné longtemps.
Le temps d'apprendre à vivre, il est déjà trop tard,
Que pleurent dans la nuit nos cœurs à l'unisson?
Le poète parle vrai, ces années parcourues paraissent si rapides. Quoi, déjà? Encore quelques instants, maître...
Nous nous fixerons nos nouvelles règles, pour peu que nous décidions de poursuivre la route en compagnie l'un de l'autre.
Pour ce qui est de moi, j'aimerais t'avoir à mon côté, redevenue insouciante et joyeuse, examinant avec attention l'éclosion des œillets de poète, et soupçonneusement l'invasion des limaces.
Il ne tient qu'à nous.

Scaphandrier de moi-même, je veux explorer le positionnement géodésique de ma relation aux autres, et tenter de fixer, par la trace écrite, ce que j'ai ressenti et conservé de ceux dont j'ai maintenu la mémoire, par devers moi, et au dedans.
Je me souviens.
L'abondance inouïe que mettait ma tante sur la table du restaurant qui était, plus que la partie hôtelière, commodité nécessaire pour retenir les clients quelque temps de plus, mais qui ne l'intéressait guère, le cœur même de son activité.
Gentedame, car il faut bien un pendant au terme gentilhomme, elle en avait tous les attributs: maîtresse femme très tôt, aînée d'une fratrie dont la mère, elle-même régente avisée, avait géré une considérable affaire dès ses quatorze ans, sa mère étant décédé et son père pris par une multitude d'autres affaires, elle mettait son point de fierté à recevoir superbement.
L'hôtel qu'elle administrait lui avait été attribué en dot, à son mariage, à 18 ans, avec le fils unique d'une antique famille provençale du lieu, fort établie depuis force générations. Probablement petites gens au départ, qui par d'habiles et prudents achats, dans des temps où la terre n'avait de valeur qu'agricole, au 19ème, s'était constitué un joli patrimoine de terrains à l'arrosage, où poussaient primeurs et fleurs. Gens durs à la tâche, le soleil du midi accomplissant des miracles, sur cette terre fertile, pour peu qu'on se lève aux aurores.
Le rejeton, mon oncle, s'était dirigé vers l'hôtellerie, par la voie royale, faisant ses classes de maître d'hôtel au Savoy, sur, je l'imagine, la recommandation du père de celle qui deviendrait sa belle-mère, cuisinier d'envergure, ami et collaborateur d'Auguste Escoffier, le véritable fondateur de la grande cuisine française et maître de tous les grands chefs d'avant-guerre.
Mon grand-père, artiste magnifiquement doté, musicien capable de diriger la fanfare municipale et, surtout, lui faire aborder un répertoire un peu plus relevé que ce qu'elle était accoutumée à exécuter,
peintre de grand talent, à telle enseigne que les artisans amenés à travailler pour lui voulaient souvent être payé en tableaux, ainsi que fresquiste et dessinateur remarquable, avait de surcroît un œil d'architecte. Fils de gens modestes, boulangère et patron-pêcheur, je rêvasse parfois en songeant au destin qu'il aurait pu avoir en d'autres temps. Encore qu'éblouir une héritière considérable, ni borgne ni bossue, et s'en faire épouser, constitua évidemment une ascension sociale considérable. Le beau-père étant un self-made man entreprenant, ambitieux et capable, qui réussit, en quelques courtes années, à rembourser un emprunt considérable qui lui permit de doubler la capacité d'accueil de son établissement, en plus de lui adjoindre toutes les commodités -nous sommes aux alentours de 1900, toutes les chambres sont équipées de salles de bain et de toilettes séparées, l'hôtel dispose du téléphone, numéro 9, il dispose d'un véhicule pour aller chercher les clients étrangers à la gare.
La clientèle est principalement anglaise, venant sur la Côte d'Azur en hiver, 6 mois durant. L'hôtel n'est d'ailleurs ouvert que durant ces 6 mois: le reste de l'année, on voyage, on chasse, on pêche, on visite ses amis.
Ce n'est pas un palace, nous ne sommes ni à Nice ni à Cannes, mais une maison de bonne tenue, qui est fréquentée par une clientèle aisée: professions libérales, artistes -beaucoup d'artistes, toujours: Renoir y passe presque un an, Monet vient le visiter et y loge, ainsi que Matisse. Beaucoup d'écrivains, également. Les repas sont des temps forts de la journée, dans la plaquette de l'hôtel, il est précisé que la tenue de soirée est de rigueur le soir.
Cuisine française de haute volée, avec une mise en avant des goûts du terroir et des magnifiques produits disponibles: rougets de roche, loups aux dents carnassières, daurades, soles. Gibier abondant en saison, sanglier, chevreuil, perdreaux, lièvres, faisans, gelinottes. Légumes exceptionnels, l'incomparable tomate de Nice, la courgette ronde, merveilleuse en farcis. L'artichaut local, les asperges. Les fruits dégoulinants de jus.
Mon grand-père, tout musicien -il est violoniste, entre autres- et peintre qu'il soit-, n'est accepté comme gendre possible qu'à la condition expresse qu'il apprenne la cuisine. La vraie. Pour un chef de gare, qu'il est à ce moment, c'est une reconversion. L'enjeu doit en valoir la peine puisqu'il s'y astreint, avec talent selon de nombreux témoins , dont ma mère, qui lui doit certaines de ses recettes et tours de main, effectivement remarquables.
Cet homme si talentueux a, disais-je, un œil d'architecte: il est fort ami avec l'un d'eux qui a construit au cours des années folles des villas considérées comme des exemples particulièrement aboutis de l'art de construire français. Ses réalisations sont publiées dans les revues d'amateurs d'art de l'époque.
Mon grand-père voit cette frange côtière déserte -sur les photos de ce temps, une grève caillouteuse interminable, jusqu'à Antibes- et se dit que l'avenir est là. Il achète un bout de terrain, qui ne doit pas valoir bien cher: la route pour accéder est derrière. Il veut créer son établissement de bains, qui lui permettra, peut-être un jour, entrevoit-il, d'avoir une clientèle estivale. Pour l'instant présent, le but est de permettre à ses clients de s'amuser à la mer, qui est devant, à 50 mètres. Il a un bateau, les clients peuvent faire une partie de pêche, et manger leur poisson sur place à midi. Gros succès. Ce qui n'est qu'un cabanon, les premiers temps, devient, par le crayon inspiré de son ami, un établissement conséquent, salle de restaurant de 150 couverts d'un côté, partie hôtel, une trentaine de chambres, de l'autre. Le tout dans un style provençal enjoué, dehors et dedans. Crépi jaune génois en façade, balcons à claustras, deux jolies treilles sur le devant. Un tennis à l'arrière, je disais bien que la clientèle est anglaise, majoritairement. Dedans, une merveilleuse harmonie venant de grands carreaux noirs et blancs , rythmant un espace qu'enfant je ressentais comme magique, avec une cheminée, des meubles provençaux, des rideaux d'indienne, une grande hauteur sous un plafond
sur solives: une gentilhommière provençale.
Quand ma tante vend son bien, il y a peu, la municipalité impose au promoteur de bâtir l'hôtel de luxe avec casino qui en est le nouvel avatar en intégrant impérativement la façade, sans y toucher: la ville considère que c'est un élément du patrimoine local.
Ma tante reçoit donc cet établissement en dot à son mariage, en 39. Passons sur les années de guerre, où les plus gros dégâts, pour la relation qui m'en a été faite, sont venus de l'armée italienne, arrogante et pillarde, et de l'aviation américaine dont les bombardements, en 44, manqueront leurs objectifs avec une constance qui force le respect, détruisant nombre de bâtiments mineurs, sans couper les voies de communication et les ponts, censés être l'objectif.
Ma tante tient table ouverte comme cela se pratiquait en d'autres temps; sans doute a-t-elle entendu énoncé par son grand-père l'aphorisme d'Escoffier, qui affirmait, avec l'autorité du pape culinaire qu'il pouvait s'enorgueillir d'être, que la bonne cuisine était la base véritable du bonheur.
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Message  silene82 Dim 19 Juil 2009 - 21:48

On ne vient chez elle que pour la table: l'hôtel existe certes, mais ne l'intéresse guère. Belles et grandes chambres à la construction, en 1930, il commence à vieillir après guerre. Elle répugne à investir ailleurs que dans l'alimentaire; peut-être aussi, dans une lecture psychanalytique, manifeste-t-elle sa dévotion filiale en maintenant tout en l'état, exactement tel que l'a pensé et réalisé son père en 1930. Dans les années 60, quand je commence à pouvoir observer et retenir ce qui alimentera mes souvenirs présents, je m'émerveille, avec la naïveté admirative de l'enfant, des énormes pains de glace que des livreurs amènent plusieurs fois la semaine, et qui tapissent la glacière sous le comptoir du bar, lieu magique, avec ses hauts tabourets paillés, particulièrement pour de petits parpaillots élevés dans l'horreur des lieux de perdition, les bars en étant de particulièrement exemplaires.
En effet la sainte femme ne peut, et ne pourra, jusqu'à la fin, se résoudre au remplacement de la glacière par un frigo. Non plus qu'au remplacement de la chambre froide, au fonctionnement impeccable certes, mais coûteux, les moteurs des années 30 ne recherchant jamais l'économie d'énergie. Ou le piano de la cuisine, vénérable antiquité, qu'il fallut tout de même, sur l'ultimatum du chef, équiper au gaz, son départ en cas de non-modernisation étant en jeu. Il fallait, j'imagine, que ce fût un bon chef pour qu'elle acceptât de passer du charbon au gaz. Nulle avarice en jeu dans cette conservation obstinée, quelque chose, selon ma lecture, de l'ordre du religieux.
Brillante professionnelle -elle était sortie major de sa promotion de l'Ecole Hôtelière de Grenoble, une des plus prestigieuses en ces temps-, il me semble qu'elle a voulu perpétuer quelque chose d'un art de vivre, et de recevoir, qu'elle a connu dans son enfance.
Une abondance inouïe: le cher Albert Cohen ironise dans Belle du Seigneur sur un couple d'ouvriers
se récriant sur l'abondance des hors d'œuvre, qu'ils se repassent avec mille afféteries; ma foi, je veux bien que l'œil d'Ariane ait ce dédain lointain. Quand on installe des toilettes individuelles...Pour Solal, j'ai du mal à croire que le cousin de Mangeclous puisse se formaliser de semblable enthousiasme. Toujours est-il que le chariot de hors d'œuvres, chaque fois que j'eus le privilège, car je le tenais pour tel, de déjeuner au restaurant, provoquait chez moi l'émerveillement incrédule du petit mendiant gratifié d'une grosse coupure. Non que l'on manquât de quoi que ce soit en la maison de mon père: restaurateur lui aussi, mais davantage hôtelier, à l'inverse de sa sœur. Les hors d'œuvre, chez nous, tenaient sur un plat, et, trop fréquemment à notre goût, comportaient la sinistre trilogie des céleris rémoulade, betteraves vinaigrette et carottes râpées. Triste entrée en bouche, et redoutable casserole pour d' innocentes légumineuses, qu'il me faudra de nombreuses années pour parvenir d'abord à supporter, puis à aimer. Il est vraie que l'idéologie parpaillotte de la consommation obligatoire -et reconnaissante- des bienfaits que le Seigneur, dans son Infinie Bonté, a répandu sur terre -et, hélas, sur la table- n'est sans doute pas le vecteur idéal dans la découverte gustative de saveurs inhabituelles.
Un chariot entier, charcuteries diverses,terrine de volaille maison, pancetta, coppa, saucisse du haut-pays, jambon cru. Puis les petits oignons doux à la grecque, les champignons à la provençale, les coeurs d'artichauts marinés. Olives, crudités, asperges. Petits feuilletés, pissaladière, pizza. Et la merveille pour laquelle je me serais fait damner, les calamars froids à l'américaine, dans une sauce piquante.
Entrée ensuite, pour se mettre en train; la truite meunière ou en papillote; ou bien les talmouses au fromage, ou le soufflé St Hubert; les quenelles de brochets en gratin, pourquoi pas, ou les beignets de fleurs d'aubergines, ou de courgettes. Ou une friture de pays. Souvent du poisson, de première fraîcheur, mon oncle connaît tous les pêcheurs par leur petit nom, ils lui portent le beau en primeur.
Rougets à la provençale, sardines farcies à l'épinard -j'en ai encore le goût à la bouche, petit loup au fenouil. Ou une jolie bouillabaisse, un peu raccourcie, car c'est d'ordinaire un plat unique, et qu'il faut garder de la place pour le plat de résistance.
Viande. Un repas sans viande ne serait pas un repas. Le poulet est tout juste admis comme viande, sous réserve que l'entrée ait été suffisamment consistante. Carré d'agneau haricots plus fins qu'extra-fins, les primeurs mignonnettes du grand jardin maraîcher, devant la villa qu'il a héritée de sa mère, en face du port, et qu'il fait cultiver par un paysan. Tout y vient magnifiquement, et plus encore les fruits: le paysan taille les pêchers, abricotiers, cerisiers, poiriers en artiste: récoltes magnifiques de qualité et quantité.
Ou l'aloyau de bœuf ; ou bien une recette du cru, daube provençale -j'en salive de l'écrire-, osso bucco, lièvre ou lapin à la barigoule.
Puis la valse des fromages, tous affinés et choisis, 6 ou 7 variétés, couvrant le spectre de saveurs et des paricularités. Un chèvre ou deux, un comté, un gorgonzola -nous sommes presque italiens- un ricotta de pays, une tomme, un brie puissant.
Dessert. Le chef est pâtissier de métier, comme celui de mon père. Il se régale à démontrer sa virtuosité et son savoir-faire, à travers de petites pièces qui permettent des assortiments, mini éclairs et religieuses, babas et choux à la crème. Tartelettes aux fruits, frais, sur pâtissière parfumée à l'amande et au rhum; forêts-noires en portions individuelles.
Café avec quelques bricoles, craquelins aux amandes, tuiles et langues de chat, ce biscuit de prince, avec sa texture légèrement craquante et son goût si fin.
Ma tante l'ignore, mais elle pratique le mécénat; elle veut un restaurant plein. Elle supporte difficilement qu'un plat revienne sans être terminé. Si d'aventure des audacieux l'osent, il vaut mieux qu'ils soient prêts à justifier, dossier médical à l'appui, les raisons qui les font dédaigner le mets. Les gros mangeurs sont applaudis, et n'ont qu'à manifester leur joie pour se voir proposer un petit revenez-y.
Tout cela pour le prix d'un routier. Voire moins. Une des joies de ma tante, c'est de voir sa salle pleine à craquer, et de devoir refuser du monde. Ce qui arrive sans arrêt, dans les années avant 80, voire un peu après, avant que plus personne n'ait envie d'être gros. Le culte du corps, les corps dénudés exposés partout, la diététique vulgarisée des journaux féminins porte un rude coup à la fourchette joyeuse et décomplexée. La vieille garde s'accroche, mais peu à peu, part en mouroirs à petit feu, expédiée par l'avidité des héritiers. Le restaurant n'est plus si plein. Le chef joue les divas, exige un salaire de plus en plus pharaonique. Pour bien montrer son pouvoir, certains jours d'affluence, il téléphone pour signaler qu'il est malade. En cuisine, on a le droit d'être malade pour mourir. Et encore, après le service. Et en ayant prévenu, si possible. Ces jours là, mon oncle se retrouve en cuisine. A près de 70 ans. Il s'en sort très honorablement, c'est un professionnel. Mais dire que ça l'amuse serait mentir.
Ma tante ne démord pas. Un repas, c'est ça, un point c'est tout. C'est son affaire, et c'est comme ça qu'elle entend la gérer. Pavillon haut. De temps en temps, mon oncle vend un de ses terrains. Il en a beaucoup, les promoteurs allongent, cela renfloue, un temps.
La deuxième danseuse de ma tante, c'est de recevoir. Elle tient salon en déjeunant vers 4 h de l'après-midi, après la fin du service, en recevant ses amis, qui viennent la voir. Elle a tout son temps, jusqu'à la remise en place pour le soir. Ses amis, nombreux et d'horizons divers, lui font la chronique des évènements locaux et lointains. Sans jamais bouger de chez elle, car quitter sa maison équivaut, dans son esprit, à l'abandon d'un bâtiment par son capitaine, elle est au courant de tout, et comme elle est très vive d'esprit, elle a un jugement incisif et pointu sur à peu près tout.
Elle renoue avec les conversations de salon du grand siècle, qui n'ont pas lieu dans sa ruelle, mais à sa table.
Les amis sont encouragés, évidemment, à grignoter un petit quelque chose: ce n'est tout de même pas une petite quenelle qui va leur faire peur, quand même; ils se récrient, ils sortent de manger. Ils ne couperont pas à la tarte à la frangipane, et sa pâte délicatement parfumée à l'oranger, avec le café et le digestif. Là, il n'est plus possible de refuser, l'offense serait impossible à rattraper. Il est possible, en le justifiant de manière circonstanciée, d'éviter les quelques boules de glace -maison- qui eussent dû égayer le dessus de la tarte. Mais c'est la seule concession.
Chère tante! Pour les petits parpaillots ahuris que nous étions, mes deux sœurs et moi, c'était l'Ile aux plaisirs de Pinocchio couplée avec le palais de Dame Tartine. Chez nous, austérité protestante commandant, les fantaisies coûteuses n'étaient pas de mise: les boissons si plaisantes quant au goût, pour de jeunes et , je le reconnais, peu raffinés palais, coca-cola, orangina, et autres splendeurs bulligènes constituaient le fonds de commerce, et la Bible déconseillait fermement de dilapider son fonds.
La prodigalité proprement sardanapalisante de ma tante, dont la seule préoccupation, lorsqu'elle nous accueillait, était de savoir quel gâteau nous allions manger, et quelle boisson allait l'accompagner, nous semblait à ce point de l'ordre du féerique que nous nous complimentions l'un l'autre, petits imbéciles que nous étions, en nous confirmant que nous allions chez tatie.
Certes, les regards de ma mère eussent dû tempérer cet enthousiasme; mais nous regardions ailleurs, et ma tante était maîtresse chez elle, et distribuait ses largesses sans se préoccuper de qui que ce soit.
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Message  panasonic Lun 20 Juil 2009 - 1:17

Bonjour,

J'ai lu la premiere et la deuxieme partie, tantot avec plaisir et tantot avec un "je m'en bats les couilles" grimacant. Verve et erudition au rendez-vous comme je vous l'ai deja dit, sans doute. Richesse du vocabulaire aussi, on a de quoi apprendre. Mais c'est trop. Faut aerer, sculpter et surtout, sur ce texte-la, concevoir une ligne directrice car jusque la ou je me suis arrete dans ma lecture je n'en n'ai vu point. Et les references fusent elles aussi, directement et indirectement. Trop.
Ceci pour la technique.
Ce qui en degage de tout ca? ( car c'est cela et rien que cela qui m'importe ) J'ai cru deviner chez vous une pointe d'ironie tres plaisante stoppee, etouffee aussitot par un souci d'un lyrisme serieux voire d'un intellectualisme qui vous rassurerait. Ce n'est pas desagreable du tout. J'ajouterais que j'ai pu flaire chez vous un penchant pour l'absurde.
Il parait que vous ne faites que commencer votre aventure litteraire. Eh bien, ma foi, je ne peux que vous encourager de continuer, si j'ose dire.

Je reprendrai ma lecture plus tard.
A+
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Message  silene82 Lun 20 Juil 2009 - 6:13

panasonic

Je tente une expérience, parallèle à d'autres textes construits et existants en eux-mêmes et par eux-mêmes. De laisser vagabonder, telle que la pensée va, au fil d'associations tout à fait arbitraires, comme les pensées le sont. De fait le propos se referme sur des souvenirs persos et des thèses qui me tiennent à coeur; so what? J'expérimente; nous verrons bien ce qui en sort au bout.
D'autre part je revendique le droit de ne pas toujours être intéressant: quel que soit l'auteur, il y a des creux, et des passages plats, comme les plaines fastidieuses avant que les entrelacs de la montagne ne réapparaissent.
cela dit, merci de votre commentaire.
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Message  Invité Lun 20 Juil 2009 - 6:33

J'ai de beaucoup préféré le dernier texte, avec sa générosité, sa manière de s'épandre, à l'avant-dernier, qui m'a paru un peu crispé ; le lyrisme de la partie en italique est fort plaisant, mais ensuite j'ai l'impression que vous avez voulu peindre à fresque, et trop vite : vous avez rassemblé toute une saga familiale en quelques paragraphes. C'était trop pour moi, trop dense, le mets m'a pesque étouffée. Je pense que la matière de cet avant-dernier texte gagnerait à être délayée...

Quelques remarques :
« Ce que vous avez à présent, toi et ta nation basque, c'est votre courage et votre constante persévérance, votre ardente patience qui vous l'a rendu(e ? Vous parlez de la terre ? Ce n’est pas très net) et vous a rétablies (« toi et ta nation basque », puisque votre adresse est à une femme) dans votre position de seigneurs (du coup, ce qualificatif de « seigneurs » est un peu bizarre dans l’éconimie de la phrase) de votre terre »
« cette entité composite qui nous a accompagnés longtemps »
« Gentedame, car il faut bien un pendant au terme gentilhomme, elle en avait tous les attributs: maîtresse femme très tôt, aînée d'une fratrie dont la mère, elle-même régente avisée, avait géré une considérable affaire dès ses quatorze ans, sa mère étant décédée »
« Probablement petites gens au départ, qui (…) s'étaient constitué un joli patrimoine » « Le beau-père étant un self-made man entreprenant, ambitieux et capable, qui réussit, en quelques courtes années, à rembourser un emprunt considérable qui lui permit (la construction est maladroite, je trouve, avec ses deux erlatives successives introduites par « qui ») »
« il est précisé que la tenue de soirée est de rigueur le soir » : je trouve la construction lourde, avec ses deux « est » très rapprochés
« les cœurs d'artichauts » : vous avez laissé échapper celui-là
« devant la villa qu'il (qui ça ? ce n’est pas évident… l’oncle, sans doute) a héritée de sa mère
« Ces jours-là »

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