Propos de cabane

[silene82]

Tac tac tac. Le claquement des talons dans le couloir. Arrêt devant notre cellule. Clac. Le bruit métallique de l'œilleton. Quand le maton le fait coulisser pour nous mater, on dirait que ça amplifie les bruits du couloir. Doit être 3 h du mat'. J'suis comme dab', dans un état intermédiaire. J'dors pas. J'suis pas réveillé. Je somnole sur mon lit.
J'suis à la couchette du haut. On est trois, ça va. Le portugais de deux cellules plus loin, iy dit qu'y faut écrire à la Cour Européenne parce que la France elle a signé des accords européens et qu'on devrait être en cellules individuelles, sauf si on veut être avec quelqu'un qu'on connaît. Y dit qu'on n'a même pas les couilles pour demander ça qu'on a droit. Qu'en plus c'est des lettres comme les courriers d'avocats, y ont pas le droit de les ouvrir.
J'ai le plafond à 60 cms au dessus. Les couchettes du haut, c'est pas pour les mecs trop grands: s'y se redressent d'un coup, y s'assomment.
Avec les deux autres, ça va. Ça vaut mieux, quand on s'entend pas, ça finit toujours mal. Soit on plante, soit on se fait planter. C'est toujours pour des petits trucs, des conneries. Un qui dort pas, et qui passe la nuit à regarder des films de cul. Qui fait chier l'autre.
Les gens au-dehors, y en a qui trouvent un peu fort qu'on ait la télé. On l'a vu dans un reportage. Si on avait pas la télé, et les pétards, ça péterait toutes les semaines dans les prisons. Avant que la défonce circule un max en France, c'était la fiole. Tu prenais 10, 15, 20 cachetons le soir. Pour tomber en coma. Tous les vieux en parlent. Ceux qui étaient en cabane ya, j'sais pas moi, 20 ans, 25 ans.
Le mec là, la couchette en face, y venait voir son père au parloir. Et déjà son père, y visitait son père à lui. J'déconne pas, c'est Spatznick qui me l'a dit, ça fait 24 ans qu'il est là. Putain, 24 ans maton, faut aimer.
Y'en a avec qui ça peut aller. Un maton, c'est jamais cool, faut pas déconner. Ceux qui seraient sympas s'y pouvaient, les autres les surveillent, et s'y font quoi que ce soit contre le règlement, genre arranger un mec en y laissant un peu plus de parloir, les autres y le loupent pas. Y'en a, tu le sais, première heure, ronde nickel, deuxième heure un peu moins troisième heure tu te rends compte le mec y commence à tanguer. Après c'est la grande déconnade, le petit là, Delpech, y braille dans les couloirs, tu lui dis « Chef, un peu moins fort » y te répond « Ta gueule, me fais pas chier, j'ai envie de chanter »
Des fois passé 3h, y fait plus les rondes, y doit cuver.Si ya un mec qui se taillade, il est mal barré. Bon, les mecs qui s'ouvrent, c'est aux veines. Je dis toujours celui qui veut s'expédier, il a qu'à s'ouvrir à la fémorale. Le temps que le maton réalise, t'as giclé les ¾ de ton sang sur le mur. Si ya pas le SAMU dans les 5 minutes, t'as aucune chance.
Les mecs y se pendent surtout. C'est pratique. Il te faut juste une cordelette, tu te la fais fastoche avec un bout de drap. Même yen a plein qui ont des ceintures. Accrochée au lit du haut, et hop.Yen a un paquet qui l'ont fait. Mais faut être seul, sinon le mec il te décroche et il appelle, même si tu lui as dit que non.
Sans déconner on s'habitue à tout. La prison c'est pas la mort, faut pas déconner. Ça craint quand t'as pas pour cantiner, là OK c'est la galère, quand t'es comme un mendigot à demander pour le tabac, pour tout. Pas de thunes qui arrivent, t'es mal. Si t'arrive à aller sur une formation, encore, mais yen a pas tout le temps. C'est ça qu'est chiant, quand tu prends des petites peines, t'es toujours en Maison d'Arrêt, et dans les Maisons d'Arrêt, des formations, yen a pas bésef.
En plus, les formations, c'est une fois, après c'est cuit. Les matons, si y t'ont dans le nez, y disent de pas te mettre en formation. Bon, ça, c'est les grandes gueules.
Ce qui est chiant, c'est que t'attends pour tout. Tu veux sortir, t'attends. T'as envie d'aller à la douche, t'attends. Et encore, si c'est ton jour. T'y vas pas comme tu veux, qu'est ce tu crois. Certains si, y z'y vont quand y veulent.
Yen a y disent ça doit être long. Bof, tu sais, ici, les matons, y te foutent en promenade toute la journée, comme ça y sont peinards. Y te lourdent à 8h, retour à 11h, y te relourdent à 1h30, retour à 6h. On a un putain de terrain, les mecs qui zont été ailleurs y disent qu'y zont jamais vu ça. Plus que deux fois un terrain de foot.
Des fois on est consignés pasque les copains de mecs d'ici y leur balancent des balles de tennis avec du chichon dedans, des fois des portables. Quand un maton s'en aperçoit, jte dis pas. Retour aux cellules, y ratissent dehors avec les clebs, après, y fouillent les cellules.
Y trouvent pas tout. Ya des mecs qu'ont des portables. Le chichon surtout, y cherchent pas trop à le trouver. Y savent que les mecs, sans chichon, y seraient moins cool.
Avant, yavait de l'alcool, bière et tout. Je sais pas pourquoi y zont arrêté. Je pense que les mecs y z'étaient plus agressifs.
Aujourd'hui j'ai infirmerie. Demain psy. Après demain école, je vais passer un truc de niveau jsais pas quoi faut lire écrire compter, un truc comme ça. L'insti't y dit que c'est pas évident mais je crois que c'est pasqu'on est tous des tocards. A part les géorgiens sans papiers et l'escroc qui a fait péter 300 patates à un notaire avec une embrouille. Paraît que c'est un juif y s'appelle Benchemoul moi j'aurais cru que c'était un reubeu.En tous cas il est fort.
Après ah ouais, bibliothèque, je vais continuer le Vent des Dieux. Après c'est le weekend, j'ai personne qui vient au parloir.
Ben j'ai ma petite semaine organisée, moi.

[Invité]

Pas mal. Un peu lourd dans le registre parlé, je trouve, j'ai l'impression que vous y êtes moins à l'aise. Mais j'ai trouvé l'ensemble intéressant, comme un documentaire... sans plus.

[silene82]

Tout à fait d'accord. Je voulais un truc plat et uniforme, dévidé de manière neutre, sans affects.

[Invité]

J'ai presque trouvé le ton naïf, je me serais attendu à un registre plus costaud (innocente Easter...).

[silene82]

Manifestement, je suis à côté. Je voulais montrer le côté répétitif, concon, abêtissant de la détention. Visiblement, ça n'intéresse pas. Mais la vie n'est pas que des choses extravagantes. Il y a des quotidiens mornes et chiants. J'avais juste envie de rendre ça, un quotidien borné et sans rêves.

[Invité]

Je n'objecte pas au contenu, mais au ton employé pour rendre ce contenu, qui me surprend par le côté gentillet, bien peu agressif il me semble. Maintenant, je ne connais rien de ce milieu, je m'appuie sur des clichés.

[silene82]

Quand je vous dis que je m'englue...j'ai bossé deux ans comme formateur en maison d'arrêt, et ce qui m'a le plus sidéré, c'est le nombre de pauvres bougres pour qui, à la limite, c'est un domicile. Vous ne pourriez pas imaginer le nombre de gars qui, libérés le matin, se débrouillent pour se faire cueillir en flag' pour être de retour dans leur cellule le soir, après comparution immédiate. Ils n'ont pas d'autres endroit où aller. Je vais voir si en rebricolant j'arrive à rendre compte de ça. Peut-être en faisant parler les matons. On verra.

[Peter Pan]

Merci beaucoup silène82, je n'ai nul eu recours à un dictionnaire en te lisant.
Et en plus j'ai bien aimé ! Par contre j'ai plutôt eu l'impression que c'était un gamin en maison de correction qui parlait plutôt qu'un gars en prison (une part de vécu ?)

Je te relirai plus tard, ça c'est sûr, il faut toujours lire plusieurs fois et à des moments différents, ça change tout parfois... (désolé de ne pas avoir su étoffer mon commentaire)

[Mure]

Ah ben dis donc !
Manquait rien pour que je m'y crois.
Le taulard qui raconte l'horreur avec une indifférence telle, comme si ma voisine me parlait de sa semaine de retraitée... "la routine quoi !"
J'ai bien aimé ce texte silene82, même si les "zont", "ya" et autres "zy" sont un peu lourds... ils viennent un peu comme un rappel.
Mon passage préféré :

Des fois passé 3h, y fait plus les rondes, y doit cuver.Si ya un mec qui se taillade, il est mal barré. Bon, les mecs qui s'ouvrent, c'est aux veines. Je dis toujours celui qui veut s'expédier, il a qu'à s'ouvrir à la fémorale. Le temps que le maton réalise, t'as giclé les ¾ de ton sang sur le mur. Si ya pas le SAMU dans les 5 minutes, t'as aucune chance.
Les mecs y se pendent surtout. C'est pratique. Il te faut juste une cordelette, tu te la fais fastoche avec un bout de drap. Même yen a plein qui ont des ceintures. Accrochée au lit du haut, et hop.Yen a un paquet qui l'ont fait. Mais faut être seul, sinon le mec il te décroche et il appelle, même si tu lui as dit que non.

Merci silene. ;-)

[bertrand-môgendre]

Dans le genre je préfère la prose de Nan Aurousseau.
Après quelques lignes je quitte ton ambiance pourtant bien décrite.
En fait, j'ai l'impression d'y être et je ne veux pas que l'on m'enferme.

J'admire le travail d'écriture produit t'autorisant à passer du monde du compas et de l'équerre à celui plus sauvage des geôles.

[silene82]

Ah ben dis donc !
Manquait rien pour que je m'y crois.
Le taulard qui raconte l'horreur avec une indifférence telle, comme si ma voisine me parlait de sa semaine de retraitée... "la routine quoi !"
J'ai bien aimé ce texte silene82, même si les "zont", "ya" et autres "zy" sont un peu lourds... ils viennent un peu comme un rappel.
Mon passage préféré :

Des fois passé 3h, y fait plus les rondes, y doit cuver.Si ya un mec qui se taillade, il est mal barré. Bon, les mecs qui s'ouvrent, c'est aux veines. Je dis toujours celui qui veut s'expédier, il a qu'à s'ouvrir à la fémorale. Le temps que le maton réalise, t'as giclé les ¾ de ton sang sur le mur. Si ya pas le SAMU dans les 5 minutes, t'as aucune chance.
Les mecs y se pendent surtout. C'est pratique. Il te faut juste une cordelette, tu te la fais fastoche avec un bout de drap. Même yen a plein qui ont des ceintures. Accrochée au lit du haut, et hop.Yen a un paquet qui l'ont fait. Mais faut être seul, sinon le mec il te décroche et il appelle, même si tu lui as dit que non.

Merci silene. ;-)

Petite, tu m'as fait bien plaisir. T'as exactement compris ce que je voulais rendre, tu sais aussi que c'est une forme d'expression que je n'utilise quasiment pas, d'où les lourdeurs. Mais honnêtement, le mec qui parle, y sort pas de la cuisine à Jupiter, faut pas déconner.
Fais gaffe quand même aux posts que tu me mets, quand on me fait du bien comme là, où je me dis "ah, y'en a une...", je tombe assez aisément amoureux. Virtuellement, bien sûr, en tout bien tout honneur.

[silene82]

Dans le genre je préfère la prose de Nan Aurousseau.
Après quelques lignes je quitte ton ambiance pourtant bien décrite.
En fait, j'ai l'impression d'y être et je ne veux pas que l'on m'enferme.

J'admire le travail d'écriture produit t'autorisant à passer du monde du compas et de l'équerre à celui plus sauvage des geôles.

Merci collègue; j'ai pas été au ballon dans ma chair, mais j'ai passé tellement de temps à parler avec les mecs en cellule -tu peux pas savoir le prix que ça a pour un mec de pouvoir t'offrir un kawa qu'il a cantiné: tu lui rends quelque chose de son humanité en l'acceptant, il devient ton hôte- que j'ai l'impression d'y avoir vécu.
Merci pour tout ton commentaire, ça me va droit au coeur.

[Mure]

Petite, tu m'as fait bien plaisir. T'as exactement compris ce que je voulais rendre, tu sais aussi que c'est une forme d'expression que je n'utilise quasiment pas, d'où les lourdeurs. Mais honnêtement, le mec qui parle, y sort pas de la cuisine à Jupiter, faut pas déconner.
Fais gaffe quand même aux posts que tu me mets, quand on me fait du bien comme là, où je me dis "ah, y'en a une...", je tombe assez aisément amoureux. Virtuellement, bien sûr, en tout bien tout honneur.

Lorsque j'ai écrit : "J'ai bien aimé ce texte silene82, même si les "zont", "ya" et autres "zy" sont un peu lourds... ils viennent un peu comme un rappel. "
C'est bien pour dire qu'ils ont leur place, qu'ils viennent en "rappel" du narrateur du genre : "Ne me prenez pas pour quelqu'un d'autre, je suis un taulard et rien que ça."

L'insti't y dit que c'est pas évident mais je crois que c'est pasqu'on est tous des tocards.

Rien à changer, selon moi, dans ton texte.

En tous cas, je suis assez contente d'avoir compris ce que tu voulais "dire" dans ce texte, je fais des progrès... même en critique ! :-))))

[silene82]

Bzzzz...Maison d'Arrêt de N... - oui que désirez-vous?
- Je suis le nouveau formateur en remise à niveau
- Votre nom?
- Hégesippe Victor
- Votre nom c'est quoi? Hégesippe ou Victor?
- Victor
- Je vous trouve pas sur les accrédités. Je demande.

Portail à l'entrée de la prison. Pareil qu'une entrée de bahut, n'importe où. Sauf que là, les grilles, elles font 7 mètres. Enfin, 6,90 exactement. A droite, tout un pan de la grille coulisse électriquement quand il y a des transferts. Un transfert, c'est soit un détenu qui comparaît devant le tribunal ou devant le juge d'instruction, soit un détenu qui est amené d'une autre juridiction. C'est la Gendarmerie qui assure les transferts, sauf pour les procès sensibles, genre ETA ou grosses pointures maffieuses, où c'est le GIGN, encagoulé et fusil d'assaut, comme dans les films.

Le surveillant au poste de contrôle, in petto
Encore un de ces formateurs à la mord-moi-le-noeud. Ils comprennent rien aux taulards, ces petits cons. Regarde-le celui là, avec sa barbe de prophète, encore un raté de mai 68. Encore un des ces idéalistes de merde qui croit que les taulards c'est des mecs qui ont pas eu trop de choix. Le dernier empaffé, là, y me parlait de « déterminisme social ». Je t'en foutrais, moi, du déterminisme social. Tous en Guyane, oui, avec les moustiques.

- Tiens Spaznick, jette un oeil, s'te plaît, tu le connais le zig, là, au portail?

Nous sommes dans le poste de contrôle, point névralgique de la prison. Endroit stressant s'il en est, quoi qu'on dise: qui le contrôle contrôle tout, ouvertures des portes de sas, ouverture des portillons, de la grande porte coulissante des transferts, accès aux parloirs à l'étage. Si des gros bras lance une opération, il est probable que c'est là que ça risque de se jouer. Il suffit qu'il y ait des mecs d'ETA ou des Corses détenus pour que des complices tentent de les délivrer. Surtout que dans une Maison d'Arrêt, c'est quand même vachement plus facile que dans un CD (centre de détention). On protège moins les Maisons d'Arrêt, en théorie c'est pour les peines inférieures à 1 an, et les détentions provisoires. Sauf que pour les reconstitutions, on amène le prévenu sur les lieux de la reconstitution, et bien sûr, on le loge à la prison la plus proche. Il suffit qu'il ait eu une affaire dans le coin, et une pointure peut très bien être là. Ses potes qui sont dehors, depuis quelques années, ils n'ont plus peur de rien: hélicos, il y a encore plein de prisons qui n'ont pas les filets anti-atterrissage, charge de plastic ou explosif plus performant dans les murs d'enceinte, tirs de roquettes militaires, il ne manque que le lance-flammes, à ma connaissance pas encore testé. Donc le surveillant de garde, s'il a deux sous de jugeotte, il sait qu'en cas de raid un peu professionnel, il va se retrouver en 10 secondes avec un 11,43 sur la tempe, allongé par terre en se pissant dans le froc, c'est humain c'est normal, c'est un acte réflexe, et en se disant une fois de plus que pourquoi il a pris ce boulot de con.

- Fais voir...ouais, c'est le nouveau formateur, ouvre
- Encore un éduc, non?
- Ben ouais, comme dab.
- Comment il est?
- Comme tous. On le connaît pas, il débarque à peine. Sonia dit qu'il est bien (Sonia, c'est l'assistant sociale, qui a un rôle complexe et délicat d'interface entre des intérêts passablement contradictoires; elle essaye de maintenir le lien entre détenus et familles, d'aider les indigents -c'est le terme carcéral, sans blague-, tout en étant en bons termes avec les matons, qui sinon pourriront la vie des mecs. Faut des couilles, -bon, des ovaires-, du charisme, et de la persévérance. En plus d'une incurable dose d'optimisme quand elle voit revenir les mecs pour la 6ème ou 7ème fois pour les mêmes délits foireux)
- On verra bien; s'il nous casse les burnes, on le mettra vite au pli

Dernière porte, à l'entrée du poste de contrôle. Comptoir à droite, vitré. Portique en face, comme dans les aéroports.

- Bonjour messieurs
- Bonjour monsieur Victor. Vous mettez tout dans le panier s'il vous plaît, vous enlevez tout ce qui est métallique, portable, montre. Pas de pièces non plus. Ah au fait le mieux est de mettre votre portable dans les casiers à clés, vos papiers aussi. Ça vous évitera de vous les faire chourer
- Hein? Mes papiers?
- Qu'est-ce que vous croyez? On a des pickpockets, ici, ils vous enlèvent une montre en parlant avec vous, vous vous êtes rendu compte de rien...Bon, vous avancez doucement en passant le portique...
- Ça sonne...je comprends pas...
- Vous n'avez rien oublié?
- Non...ah, attendez, j'ai deux broches en inox dans les jambes, ça pourrait être ça?
- On va voir, on va vous passer au détecteur....effectivement, ça sonne où vous dites
- Qu'est-ce qu'il va falloir faire?
- Le mieux, c'est une attestation d'un radiologue; au moins les collègues recommenceront pas chaque fois le bintz
- OK
- Vous ouvrez votre serviette s'il vous plaît? C'est quoi ces documents?
- Mes documents de travail; je viens pour faire des remises à niveau
- OK, vous pouvez passer. Vous allez au fond du couloir, et vous attendez que je vous ouvre le sas

Au fond du couloir, peu éclairé, qui longe les locaux administratifs (greffe, qui administre l'argent qui entre, et permet donc de cantiner, que ce soit tabac ou cigarettes. Endroit très sensible, le responsable est un des personnels les plus haïs de la prison, accusé de voler les mandats, de les détourner, de faire de l'argent sur le dos des détenus...tout ce que de pauvres bougres relégués, sans moyens, sans défense, peuvent imaginer comme explication de la guigne qui les poursuit, parfois depuis leur naissance)
Il ne faut pas être claustrophobe en prison. Le couloir, long, sombre, bas, est peint d'un jaune pisseux qui accentue ses dimensions étouffantes. Le sas, c'est la totale: immobilisé entre deux portes blindées comme dans un ascenseur en panne. Des fois, le surveillant -on ne dit pas maton, quand on est formateur, même si on le pense très fort- vous oublie, ou a un truc à régler à l'entrée. Et vous poireautez de longues minutes, entre les deux portes, avec une paroi de béton de chaque côté. Des fois, c'est peut-être pour vous faire chier.

Accès à la détention. Qui c'est aujourd'hui? Rien que l'équipe qu'on trouve, on sait déjà comment va être la journée. Ils se mettent sur les gardes par affinités. Logique. Les pochtrons ensemble. Les fachos pareil. Les cools aussi. Idem pour les branleurs.

- Bonjour messieurs, ça va comme vous voulez
- Ca ira encore mieux le 12 mars?
- Pourquoi le 12 mars?
Son collègue se bidonne

- Parce que le 12 mars, pour lui c'est la quille...
- Ouah...
Une des raisons du succès de la profession -oui, c'est de l'humour- tient aux avantages inhérents à la fonction. Salaires sans rapport avec les compétences -les vieux matons étaient à, genre, bac – 5, retraite à 50 ans, à un taux pharaonique. C'est le moyen qu'une nation trouve pour susciter des vocations de ce type. Ça n'empêche pas qu'il y ait des types bien, qui sont rentrés pour les conditions, et qui sont clairs là-dessus, mais qui prennent du temps pour parler avec les gars, sans a priori. N'en déplaise aux amateurs de manichéisme, les choses sont complexes en milieu carcéral, c'est un écosystème.

[Invité]

Bon, soyons clairs : le sujet ne m'intéresse que moyennement, ce qui ne m'empêche pas de trouver que votre texte "sonne" vrai, j'ai eu l'impression de regarder un bon documentaire.

La phrase : "N'en déplaise aux amateurs de manichéisme, les choses sont complexes en milieu carcéral, c'est un écosystème." m'a énormément plu !

[Invité]

Le récit tel quel me plaît, forme et fond.

Juste une question : le formateur, c'est un bleu ?

[Gobu]

Continue, Silène, je veux voir où ça va !

[Invité]

y'a un cafouillage pas clair ici :

genre arranger un mec en y laissant un peu plus de parloir

.
M'est avis que ça mérite correction.

[Invité]

« Ta gueule, me fais pas chier, j'ai envie de chanter

»
Y'a pas besoin du "me" en vrai.

[Invité]

Oui, continue, continuez, enfin j'en sais plus rien moi de qui est en ez.
Je m'en bas les couilles du reste. Le début est bien car il ne prend pas parti, le texte flotte dans le documentaire engagé des deux cotés, ce qui revient au même. Ouais, qu'est ce qui se prépare ? J'ai noté la proximité de "gros" ce qui épice le truc. Et s'il existait aussi un "super maton" ? Genre le geôlier public n°1 ? à voir.

[silene82]

J'ai été embauché par une boîte de formation qui répond aux appels d'offres. La France est mal vue à la Cour Européenne des Droits de l'Homme. Pour le pays qui a inventé un manifeste tel que la Déclaration des Droits de l'Homme, affirmation d'une certaine idée de la nature et de la dignité humaine, qui a amené, de fait, une prise de conscience universelle des conséquences logiques de ces prédicats, ça la fout un peu mal de loger ses détenus habituellement à 3 dans 9 m2, souvent, quand il y a surchauffe, à 4, et ça peut aller à 5. A l'époque dont je parle, il y avait 54 000 places et 60 000 détenus. On dira, avec raison, mais cela ne fait que 1, quelque chose . Qu'est-ce qui ne va pas alors?
D'abord que toutes les prisons modernes, donc récemment construites, ont des cellules individuelles, notamment les centres de détention, qui ont la plupart du temps des ateliers, où de généreux commanditaires, dont l'Etat, bénéficient d'une main-d'œuvre captive taillable et corvéable.
Remarquez, au US, pour ceux qui fantasment dessus, un shériff du Fucking Deep South a été réélu parce qu'il a diffusé des flyers expliquant qu'il dépensait moins en nourriture pour les détenus de la prison du comté que pour les clebs des patrouilles, et que donc il était très respectueux de l'argent du contribuable. Ça a vraiment plu, la preuve, réélection, pour la 3ème ou 4ème fois consécutive.
Donc beaucoup de mecs sont en cellule by themselves, ce qui laisse les autres, ceux des Maisons d'Arrêt justement, qui attendent des fois 2 ans la fin de leur instruction, en violation des lois, soit dit en passant, à tourner en rond, dans des piaules surpeuplées. Plus les vieilles prisons, qui ferment les unes après les autres, c'est vrai, mais il y en a encore pas mal en activité. La palme, c'était Clairvaux, abbaye cistercienne transformée en prison au 19ème, comme le mont St Michel, et quelques autres. Murs de pierre. Cachots d'époque. Ces salauds de détenus qui se plaignent alors qu'il ya des gens qui paieraient des fortunes pour y passer quelques jours. Genre chefs-d'œuvres en péril.
Passe encore le décor et le surpeuplement. Ce qui est vraiment dur à vivre, c'est être sans revenus, parce que si tu n'as pas un bon pote, ou ta chérie dehors qui t'envoie de la thune, il n'y a pas photo:
soit t'as des capacités de caïd, mais alors comment ça se fait que tu reçoives pas de thunes?
soit tu rends des petits -ou des gros- services de l'ordre du confort et du service à la personne, partant de l'assistance masturbatoire en passant par la fellation, et, bien sûr, si t'es mignon, la fonction de giton. Pas forcément ça, entendons-nous bien. Les intellos fauchés peuvent rédiger des lettres, écrire des poèmes -très prisé, le poème, j'ai vu des mecs échanger à des caïds une cartouche de bonnes, des Winston, pas des Fortuna, contre un sonnet à destination de leur chérie. Et encore, fallait pas regarder les rimes de trop près. Les manuels doués fabriquent de petites merveilles d'invention à partir d'un stylo, d'une bobine radio HS, et d'un clou. La bobine, alimentée par une pile, devient un électro-aimant, et génère un mouvement circulaire, transformé par une bielle bricolée avec une épingle à cheveux, qui permet un mouvement alternatif de machine à coudre au clou qui coulisse dans le tube à encre du stylo. Encre noire obtenue au noir de fumée, vous avez un outil de tatoueur, base de votre fortune si vous êtes doué en dessin. Vous pouvez aussi, avec des bouts de ferraille glanés, et c'est là qu'il faut du talent, puisqu'en théorie rien ne traîne en prison, fabriquer un toto, une résistance thermoplongée, strictement interdite du fait de sa dangerosité évidente, et dont tous les gars redoutent les effets redoutables, par l'action catalytique sur l'émail de leurs dents, mais qui se négocie très bien.
Me serais-je un peu perdu? Que non pas. La France, disais-je, convaincue d'avoir donné la liberté au monde, est bien obligée de feindre de s'intéresser à l'après-incarcération. L'Etat finance donc un certain nombre de formations pour publics très peu qualifiés -bas seuil d'entrée, terme pro- , qui n'ont, à ma connaissance, que peu de répercutions sur l'employabilité des personnes qui en bénéficient. Mais c'est au moins un espace à part dans le temps carcéral, et à ce titre, je me réjouis que cela existe.
Soyons clairs: je ne prétends pas analyser les tenants et aboutissants de données complexes; ayant lu avec attention les textes fondateurs de l'Observatoire International des Prisons, j'apprécie la stature de Me Levy, qui, en ne versant jamais dans le misérabilisme ou les poncifs éculés, bataille pour un respect de la personne humaine incarcérée, point barre;
Il est néanmoins évident, dans le microcosme carcéral, que ce sont toujours les mêmes qui trinquent: le savoir joint à l'argent permet d'allonger indéfiniment les contre-expertises, dans les affaires de mœurs par exemple. Les petites gens pas trop dégourdis ont du souci à se faire s'ils tombent entre les mains de la justice. Et encore, le renouveau opéré par le grand nombre de femmes ayant fonction de juger a, à mon sens, amélioré une situation difficile; les femmes sont plus ouvertes à la négociation, et plus consensuelles. Elles comprennent en général très bien que l'enjeu sociétal est que des marginaux trouvent autant que faire se peut une place qui leur permettent d'exister au dehors, sans trop de nuisances collatérales.
En prison, ils y a beaucoup d'intérêts contradictoires en jeu; la direction veut un fonctionnement fluide, pas de vagues; un mec qui se pend, c'est la cata. Mauvais points sur ton tableau d'avancement, eh oui, ça marche comme ça. La logique d'un directeur de petite Maison d'Arrêt, en général un surveillant qui est monté petit à petit, c'est comme ça que ça marchait jusqu'à l'avènement des technocrates et des diplômés, elle est très terre-à-terre: qu'est-ce que c'est que cet enculé qui se pend au moment où j'allais prendre du galon?

Il y a déjà des matons avec qui le courant passe. Un grand costaud, baraqué. Mellah. On est pays. Enfin, si l'on peut dire. En lui serrant la louche le premier jour, je lui glisse « Shalom, ata médaber ivrit? » salut, tu parles hébreu, histoire de mettre au clair. « Pas un pet, même pas les prières », il me répond, « je sais même pas comment j'ai fait ma bar-mitzvah ». C'est sûr que pour un juif pied-noir, ça la fout un peu mal: d'habitude, c'est les plus bigots, et yeshivah par çi, et Israél par là.
En tous cas il me met vite au parfum.

- Tu sais, c'est pas compliqué. Les mecs, je les connais. Depuis que je suis rentré dans la Péni, je garde des mecs avec qui j'étais pote enfant. Je leur mets les pendules en place, il me respectent, je les respecte. Je leur fais pas de coup en douce, genre fouiller la cellule quand ils sont en promenade; le chichon, je m'en bats les couilles. Ceux qui veulent faire les barbeaux, par contre, ils me trouvent.

Vu la carrure du bonhomme, 1,95m, 120 kilos, j'aurais pas envie de faire le barbeau, moi, en tous cas.

- Tu me les envoies à la salle?
- Ça roule ma poule

L'Administration Pénitentiaire m'a attribué une salle en bout de bâtiment, après les cuisines et la buanderie. Salle à tout faire, un étage au dessus qui sert de chapelle. On vire les tables et on se présente. Il y a de tout. On ne mentionne évidemment pas le motif d'incarcération. Je sais que j'ai dans le groupe des mecs qui sont là pour mœurs, y compris pédophilie. J'estime ne pas avoir à le savoir, sauf s'ils veulent m'en parler. J'ai mis les choses au clair dès le début.

- Messieurs, je ne sais comment vous voyez les choses, mais personnellement je ne fais pas de différence entre vous. Je suis là pour essayer de vous aider à optimiser vos acquis.

Rétrospectivement, je réalise que ça a été une sacrée gageure; j'ai eu des durs de banlieue condamnés pour meurtres -celà dit, des mecs bien, droits dans leur système de valeur, qui me regardaient dans les yeux, ce qui d'ailleurs, ne veut rien dire- qui n'hésitaient pas à dire froidement qu'un pédophile, ils n'auraient pas une once de pitié, et qui en étaient entourés dans la salle. Mieux, qui ont appris petit à petit que certaines catégories de détenus qu'ils méprisaient avaient peut-être des choses à dire, et même, parfois, intéressantes.

Les surveillants étaient sidérés de ce que je ne prenne pas le talkie au cas où. Pour ce qu'il m'aurait servi, en cas d'action concertée...On en rigolait ensemble

- Vous savez que le lorrain, là...
- Quel lorrain?
- Ouais -intervient un autre-, celui qui est raide, là, tu sais, avec les lunettes qu'on dirait un SS
- Ah ouais...
Le lorrain il m'a dit « vous n'avez pas peur, avec la bande que vous avez ». je lui ai répondu « vous savez, si ça ne se passe pas bien, c'est pas le talkie qui risque de changer grand chose
- Msieur?
- Écoutez, on se vouvoie, parce que je veux que les surveillants voient que j'ai du respect envers vous, mais on s'appelle par nos prénoms, ça vous va?
- OK
- Toutes façons, même en vous séquestrant, ça changerait quoi....
- Y z'enverraient le GIGN....
- Et y vous flingueraient, msieur, la vie de ma mère. Style ouais, balle perdue...les putains d'bâtard'leur mère, après macache pour les formations. Ils les sucreraient partout.

Une autre fois. Je me suis attiré l'inimitié des surveillants en amenant du café soluble dans ma serviette. Le surveillant était un pote, il a laissé passer. Mais certains de ses collègues l'ont mauvaise. Pour eux, les détenus, c'est pas complique, faudrait les gazer. Quand je leur demande d'un air innocent ce qu'ils feraient comme boulot après alors, ils me regardent avec une sale gueule.

- Msieur...
- Je croyais qu'on s'appelait par nos prénoms, Yan -il s'appelle Gnégnegbé, prononcez Gnagnagba. Un bété de Côte d'Ivoire. Un corps d'athlète à dégoûter à jamais du culturisme.
- Philippe, j'ai entendu deux matons qui parlaient de vous. Ces fils de putes, ça leur reste en travers que vous nous apportiez du café et des biscuits...
- Et alors?
- Ils disaient « celui-là on va lui niquer la gueule il va pas comprendre »
- Qu'est-ce que voulez qu'ils me fassent? Je rentre pas des armes, non?
- Écoutez, moi, c'que je sais, c'est qu'y sont vicieux, comme les condés, même pire. Y sont capables de vous mettre un truc dans le cartable pour vous faire plonger...
- Allez, vous exagérez...
- Moi je vous dis, quand ils ont quelqu'un dans le nez, ils se débrouillent pour lui pourrir la vie, ou pire
- Bon, ben je vérifierais mon cartable avant de partir, alors. Qu'est-ce que vous voulez qu'ils me mettent, je l'ai en principe avec moi...
- Ah oui? Et quand on va à la bibliothèque, vous le laissez bien là, non?
- Vous croyez qu'ils feraient ça?
- C'est vous qui voyez..Moi, je serais vous, vous nous le montreriez. Nous on est des spécialistes, on choure des autoradios toute la journée. On va voir direct s'ils vous ont mis un truc...
- On verra, les gars, on verra...

[silene82]

Le récit tel quel me plaît, forme et fond.

Juste une question : le formateur, c'est un bleu ?

Ouais, en tout cas là; il se pourrait qu'il évoluât

[Invité]

Oui ! C'est vivant, enlevé, je retrouve votre ton.

La phrase "Elles comprennent en général très bien que l'enjeu sociétal est que des marginaux trouvent autant que faire se peut une place qui leur permettent d'exister au dehors, sans trop de nuisances collatérales." me paraît lourde.

[Invité]

Le général ET le particulier, oui.

[mentor]

lu les 3 épisodes d'un coup
pas trop aimé la longue tirade au début du 3. Trop d'infos, même si intéressantes
je préfère nettement le récit avec les détenus, les gardes et l'éduc
j'ai rigolé 2 fois :
"Tous en Guyane, oui, avec les moustiques." ;-)
et
"En prison il ne faut pas être clautrophobe" :-))))))))))
ben dis, t'es parti pour un truc de longue haleine là, on sent que tu en as encore pas mal sous la pédale, surtout si tout ou partie est du vécu comme j'ai cru le comprendre en lisant les échanges
donc : la suite !
;-)

[abstract]

D’habitude j’attends qu’un texte soit complet pour le lire mais cette fois je n’ai pas résisté. De tous tes textes, c’est de loin celui que j’aime le mieux. C’est vrai qu’il y a un petit côté journalistique, reportage mais c’est justement ce qui me plait. Je suis un petit peu plus réservée sur la troisième partie j’ai eu l’impression qu’il y avait eu un changement dans le ton. Je me suis aussi demandé pourquoi Victor s’appelait maintenant Philippe à moins que quelque chose m’ait échappé (parfois ce qui se passe dans ma tête est assez nébuleux).

[silene82]

Le général ET le particulier, oui.

T'es vachement élusive, quand même. Qu'est-ce que tu veux dire?

[silene82]

D’habitude j’attends qu’un texte soit complet pour le lire mais cette fois je n’ai pas résisté. De tous tes textes, c’est de loin celui que j’aime le mieux. C’est vrai qu’il y a un petit côté journalistique, reportage mais c’est justement ce qui me plait. Je suis un petit peu plus réservée sur la troisième partie j’ai eu l’impression qu’il y avait eu un changement dans le ton. Je me suis aussi demandé pourquoi Victor s’appelait maintenant Philippe à moins que quelque chose m’ait échappé (parfois ce qui se passe dans ma tête est assez nébuleux).

C'est moi qui suis con à péter de honte. Effectivement, je nomme mon clampin d'une manière, et il change en cours de route. Je m'appelle vraiment Philippe, tout est vrai dans ce que je raconte. Les seuls apports persos sont mes opinions sur la Justice y otras cosas. Par contre, ça me fait bien râler que pas mal de gens aient l'air d'aimer ce style, qui pour moi ne me plaît pas. Moi, j'aime les Dithyrambes (et pourtant, je ne suis pas zoophile hi hi hi)

[silene82]

Je reçois les mecs en entretien individuel. La formation a été annoncée par flyers: c'est là que le relationnel de Sonia joue un rôle déterminant. Sonia, on s'est entendu d'emblée. Elle a un patronyme basque, en tout cas pyrénéen, c'est une petite bonne femme carrée, très gentille, tenace et persévérante. Elle sait parfaitement évaluer les urgences, et ce qui peut attendre. Je veux dire, elle a 30 ans de CIP (conseillère d'insertion et de probation) dans les pattes. Elle a connu les taules immondes, indignes. C'est toujours pas Eurodisney, mais il n'y a plus de ratasses d'un kilo qui se baladent dans les cellules. La détention est beaucoup moins une zone de non-droit, grâce, entre autres, à l'Observatoire.Elle sait les vraies urgences, les mecs qui vont mal, les petits jeunes qui pourraient très bien au moins se taillader, voire pire; Elle passe sa vie en heure sup' non rémunérées non récupérées. Une de ces religieuses laïques comme il y en a de ci de là, qui bricole et pallie les trucs un peu violents du rouleau compresseur judiciaire.
Les matons font ce qu'ils veulent; nul n'a autorité sur eux en détention, sauf le dirlo, qui est un ancien maton, et qui sait que s'il veut la paix dans sa cagna, faut les laisser gérer leur truc. Il a l'avantage de bien connaître les implications des interactions. Quelqu'un a vu Midnight Express? Ah ouais, quand même...bon, ben au physique, c'est le sympathique geôlier. Oui oui oui, le grand et gros, si mal récompensé de ses attentions qui n'étaient rien d'autres qu'amicales, à la fin. Le dirlo, donc, c'est ça. Sauf que le turc, il faisait peur moyen. Lui, il fait peur peur. C'est une armoire, doué d'une force herculéenne -je l'ai vu soulever un détenu, un chaud en plus, un marocain immense et mauvais comme la teigne qui venait d'essayer de planter un de mes gars avec une fourchette, d'une main à la gorge, et le plaquer contre le mur; le reubeu, qui terrorisait à peu près tout le monde, sauf Yan, le bété, étouffait sous la poigne, et lui disait « arrête, directeur, arrête »-. Le dirlo, il avait exactement l'expression du produit de l'accouplement du capitaine Crochet avec son alligator: une putain de dentition que s'il te mord, tu crèves direct. D'infection. C'est un sadique, pervers de surcroît. Je sais de quoi je parle, je suis formé en spychologie, sans dec. Il me raconte, quand il me coince dans le sas, l'enculé, ses exploits du temps qu'on inspectait les lits des mecs -les lits, tu parles. Même maintenant c'est pas des lits, c'est 5 cms d'une mousse de merde, et inflammable en plus-. Que pour le moindre faux-pli c'était tout jeté à terre. Recommence! Au moindre geste de révolte, la schlague à coups de matraque. Il en parle avec des étoiles dans les yeux. En ces temps, monsieur, la prison, ça voulait dire quelque chose. Croyez-moi, ils n'avaient pas envie d'y retourner. Maintenant, ils s'en foutent: la télé, vous vous rendez compte, on m'oblige à leur mettre la télé. Bon, ça rapporte, je dis pas. Tu parles que ça rapporte, c'est un vrai pactole oui, je me souviens plus exactement, c'était quasiment 35 euros mensuels. Pour le coup, c'était intéressant d'être à plusieurs dans la piaule. En attendant, t'es indigent, t'es indigent. Comme le nom l'indique, t'as rien. Même pas un clou pour te gratter le cul. C'est là que Sonia fait des miracles. Elle contacte le Secours Cat' -alors qu'elle est athée- qui lui fait passer des fringues. Quand elle me dit « celui-là il faudrait le prendre,il n'a rien », je sais que c'est pas du flan.
Les matons, ils font ce qu'ils veulent. S'ils veulent distribuer les papelards aux mecs, ils le font. S'ils veulent pas, personne peut les obliger. Il faut donc confier le taf à des mecs bien, qui vont pas éliminer la moitié des gars parce qu'ils peuvent pas les saquer.
Réunion d'info collective. On explique le pourquoi du comment. Longuement. De toutes façons, on sait qu'il faudra recommencer individuellement. Le cerveau fonctionne sur un mode particulier en milieu carcéral. Outre que les mecs s'anesthésient, ce qui se comprend assez aisément, à tout ce qu'ils trouvent, ils n'ont pas une vivacité normale. Comme si la chape de plomb de ce tombeau sensoriel les abrutissait. C'est une constante: des mecs intelligents, voire brillants, ont de grosses difficultés à mémoriser. Je passe mon temps à répéter. Rien ne fait trace, ils sont dans quelque chose de mou, d'apathique. Leurs jours s'étirent. Un peu la chanson des Vieux, du lit à la fenêtre et puis du lit au lit. De fait, bon nombre ne sortent jamais, prostrés sur leur lit de douleur, fumant continuellement. Mélancolie dépressive. Qui se résout souvent par le nœud coulant.

[Invité]

On revient davantage vers le ton de reportage ; intéressant mais pas vibrant, sauf : "Il me raconte, quand il me coince dans le sas, l'enculé, ses exploits du temps qu'on inspectait les lits des mecs -les lits, tu parles. Même maintenant c'est pas des lits, c'est 5 cms d'une mousse de merde, et inflammable en plus-. Que pour le moindre faux-pli c'était tout jeté à terre. Recommence! Au moindre geste de révolte, la schlague à coups de matraque. Il en parle avec des étoiles dans les yeux."

[mentor]

pourtant, je ne suis pas zoophile hi hi hi)

moi non plus, chuis pas zoophile du tout
je préfère voir les animaux en liberté
:-)))

bon, m'en vais lire la suite

[mentor]

bonne suite, ce coup là, même si un peu dense, ça redevient intéressant tous ces détails
je peux comprendre ce mental à vivre juste l'instant, ou à la rigueur le passé
un peu comme altzheimer

[silene82]

pourtant, je ne suis pas zoophile hi hi hi)

moi non plus, chuis pas zoophile du tout
je préfère voir les animaux en liberté
:-)))

bon, m'en vais lire la suite

T'as pigé la vanne au moins? C'est un fragment de charade à tiroir...

[silene82]

Les cycles de formations durent 5 mois. J'ai négocié avec la chargée de formation de changer d'offre. La remise à niveau doublonne avec ce que fait déjà l'instit'. Et surtout, les mecs décrochent, être assis sur des chaises, ça leur va pas. Il leur faut du concret. Je suis éduc technique spécialisé, on peut bâtir une formation crédible que le SPIP (Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation) va financer. On se fixe sur Hygiène et Maintenance des locaux. Je n'y pipe rien. Coup de bol, j'ai un pote de formation d'éduc dont c'est le domaine. Je pars me former, vite fait. Dans l'intervalle entre les actions, on arrive à acheter le matos. Je suis pas au top pour entretenir le Carlton, mais pour la Maison d'Arrêt, ça devrait le faire. Pas mal de mecs sont sur les rangs quand la formation est annoncée. Ils ont capté qu'ils vont pouvoir se balader dans les couloirs, blaguer avec les potes, se faire inviter à des kawas quand il y aura des matons cools.

Les cages de verre où les avocats les rencontrent. Luxe, calme et volupté: facilement 1m2 en serrant les fesses. Pour fermer la porte, tu passes de l'autre côté de la table. Question confidentialité, plan d'enfer: heureusement qu'il n'y a personne à côté, on entend les mecs au bout du couloir. J'ai du mal à croire que les avocats acceptent de recevoir leurs clients -même si les 9/10 ont l'aide juridictionnelle- dans des conditions pareilles. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils sont pas très revendicatifs sur les droits des détenus. Bref

- Racontez-moi...
Un grand gaillard, une tête de plus que moi. Belle tête, expressive, sensible. Des yeux superbes, bleus délavés. Un fond de tristesse dans le regard.
- Quoi donc?
- Ce que vous voulez. Votre vie. Qu'est-ce que vous aimez?
- Les voitures. Les BMW. Série 3. Les chevaux. Les chevaux de course.
- Les chevaux de course? Pourquoi?
- J'ai été formé pour être lad
- Avec votre taille?
- Lad, c'est pas jockey
- Vous aimez les chevaux?
- Mais msieur, je viens de vous dire que je suis lad...
- Et alors? Il y a plein de gens qui font des choses qu'ils n'aiment pas. C'est vrai qu'avec les chevaux, c'est difficile. Si vous ne les aimez pas, ils le savent tout de suite, et ils vous pourrissent la vie
- Comment vous savez ça?
- Ma sœur en élève. Elle a un centre équestre

On parle un bon moment. Quand il parle de chevaux, son regard s'illumine, il redevient un gosse passionné et amoureux d'un des plus beaux animaux qui soit

- Et les voitures?
- Ah, les voitures...c'est elles qui m'ont amené là...
- Ben tiens, elles vous ont posé devant la porte...
- Je les aime trop; je joignais le rentable à l'agréable...
- Ah ouais, comment?
- En vidant les concessionnaires...
- Ah ouais...
- Toutes les clés au tableau dans le bureau. Pas d'effraction sur les caisses. Les cartes grises dans le tiroir. Un pote avec un plateau, 6 caisses dessus. Direction la frontière espagnole. On y est en 2h.
En fait, il ne me racontera ses hauts faits que petit à petit, dans le cours du temps. Je condense.
- Mais quelles genre de voitures?
- Le dernier coup, 4 Ferraris, 2 Maseratis.
- Vous vous foutez de moi...
- Je vous montrerai les coupures de journaux...ils m'ont déjà collé 24 ans, ils refusent les confusions de peine
Effectivement, il a un book. Comme la plupart des mecs. Avec tous les articles les concernant, les reconstitutions, les condamnations, les comptes-rendus après les coups. Dans son cas, il y a bien des coups à la Arsène Lupin
- Avec une des Ferrari, je me pointe dans un Château Hôtel. J'avais une fille splendide. Vous pensez, avec une Ferrari, vous avez pas besoin d'argumenter longtemps. C'est elles qui sautent dans la voiture. Je vous dis pas déjà au début. J'arrive comme un gland pour faire le plein. Je sors, je cherche le bouchon. Putain, pas de bouchon. J'inspecte partout. Rien. Je regarde partout dans l'habitacle. Que dalle. Le mec de la station commençait à me mater grave. Heureusement, je m'étais mis un peu à côté de la pompe, je lui sers un truc bidon, je repars en espérant qu'il va pas sonner les poulagas. Je m'arrête, je regarde à fond partout. Vous me croirez si vous voulez, c'est un putain de bitoniau, ils l'ont planqué vous pouvez chercher 3 h. Ca démasque une trappe.
- Et après?
- Le château. Restau le soir, évidemment, repas fin, Château-Petrus
Il me mime le gastronome à qui le sommelier sert le vin. Ca passe très bien. Comme il me l'expliquera plus tard, aux questions sur son taf, il explique qu'il court en 4x4 pour un championnat BMW. Comme personne n'en a jamais entendu parler, qu'il a potassé le sujet, qu'il connaît les caisses, c'est sa passion, jusque là il ne s'est jamais fait démasqué. De toutes façons, il a un aplomb inouï
- Le lendemain, je descends pour partir, j'ai le chéquier du concessionnaire que j'ai barbotté dans le bureau. Belle addition, la fille vérifie le chèque au central, elle a ordre de le refuser. Je lui fais mon plus beau sourire, quel con je suis, j'ai oublié d'approvisionner le compte dont je ne me sers pas beaucoup et lui explique que je vais aller chercher du liquide avec ma carte, je laisse mes bagages. Elle me laisse partir avec la fille
- Un peu gros, non?
- Je vous jure. Les gens sont aveuglés par la Ferrari. Pour eux, tout est normal. J'ai un sac Vuitton. La fille, c'est un mannequin, pas une radasse. J'ai que des fringues de couturier, mon jean, c'est un Armani édition limitée. Les filles, elles voient ça en un clin d'œil. Je vous jure, c'est passé comme une lettre à la poste
Tout à fait plausible. Il a le look, c'est vrai. Sapé classe, il passerait encore mieux que Dutronc dans le rôle d'Arsène. Plus tard, en feuilletant son book, je verrai qu'il a joué des tours pendables, comme faire monter des pneus spéciaux sur un 4x4 qu'il vient de sortir de chez le concessionnaire la même nuit, pneus que la femme du vendeur de pneus va chercher à 50 bornes, c'est une cote introuvable, prix genre 14000 francs le jeu, et paye avec un chèque du concessionnaire à qui il a tiré le 4x4. Dans l'entrefilet, on lit effectivement le récit.

[mentor]

moi non plus, chuis pas zoophile du tout
je préfère voir les animaux en liberté
:-)))

T'as pigé ma vanne au moins ? C'est un bout de marrade, commode et sans tiroirs

[mentor]

sympa ton Arsène Lupin des Ferrari
et tu dis que tout est vrai
variée, la population

[Invité]

Oui, toujours bien. Bon, les coups à l'Arsène, je m'en bats un peu les ovaires.

[Invité]

J'aime bien que l'anecdote, le portrait viennent illustrer le reportage, faire vivre le texte.

[silene82]

Oui, toujours bien. Bon, les coups à l'Arsène, je m'en bats un peu les ovaires.

C'est que vous ne l'avez pas connu. Il a un charme tel qu'il circoncirait un pape.
Vous savez, en prison, on est bien aise de trouver un pareil phénomène, ça change du quotidien

[Mure]

Bon, il y a beaucoup à lire et manifestement, je n'y parviendrai pas ce soir.
J'ai lu le second post que je trouve assez bien, dans la mesure où il nous invite à en savoir plus. A connaitre les aventures de cet éduc. qui arrive dans ce milieu hostile, sûrement peu préparé à ce qui l'attend.
Puis, au troisième post, j'ai décroché.
Vlan ! Cassage d'amour virtuel, je le sens venir...
Mais, le début de ce post, avec l'État mis en port-à-faux est un discours qui me fatigue bien vite.
Je verrai tout ça demain ou plus tard, si je me sens d'attaque. ;-)

[Contenu sponsorisé]