Propos de cabane

Mure a écrit:Bon, il y a beaucoup à lire et manifestement, je n'y parviendrai pas ce soir.
J'ai lu le second post que je trouve assez bien, dans la mesure où il nous invite à en savoir plus. A connaitre les aventures de cet éduc. qui arrive dans ce milieu hostile, sûrement peu préparé à ce qui l'attend.
Puis, au troisième post, j'ai décroché.
Vlan ! Cassage d'amour virtuel, je le sens venir...
Mais, le début de ce post, avec l'État mis en port-à-faux est un discours qui me fatigue bien vite.
Je verrai tout ça demain ou plus tard, si je me sens d'attaque. ;-)

Oh la chochotte, l'Etat mis en porte-à-faux, eh, elle, j'en dis trois mots.
Mais je serai magnanime: allez, Mure, je ne vous hais point.
Mais faudrait voir à manifester un peu plus d'entrain

Mure a écrit:Puis, au troisième post, j'ai décroché.
Vlan ! Cassage d'amour virtuel, je le sens venir...
Mais, le début de ce post, avec l'État mis en port-à-faux est un discours qui me fatigue bien vite.

comme moi

et moi au moins je suis sûr de pas séduire un mec
:-)))

J'ai lu les trois premieres parties. Texte a l'ecriture toujours aussi ample, ronde- malgre sa simplicite- mais qui peine a decoller. En fait, je crois savoir pourquoi : tu expliques trop. Et c'est vrai que, sur ce coup-ci, on a plus l'impression d'assister a un documentaire qu'autre chose, bien qu'a la troisieme partie ca prend un peu plus de vie. Mais ca reste trop explicite. M'est avis que quand on s'attelle a ecrire simple l'ellipse doit etre de mise.
A+

panasonic a écrit:J'ai lu les trois premieres parties. Texte a l'ecriture toujours aussi ample, ronde- malgre sa simplicite- mais qui peine a decoller. En fait, je crois savoir pourquoi : tu expliques trop. Et c'est vrai que, sur ce coup-ci, on a plus l'impression d'assister a un documentaire qu'autre chose, bien qu'a la troisieme partie ca prend un peu plus de vie. Mais ca reste trop explicite. M'est avis que quand on s'attelle a ecrire simple l'ellipse doit etre de mise.
A+

Mar'haba pana,
tu as une belle acuité dans tes commentaires, j'ai beaucoup de plaisir à les lire, que ce soit sur moi ou sur les autres. Mais ça n'a rien de surprenant, tu es doué et fin.
Tu sais, ça n'est pas ma vraie écriture, là. Moi, j'aime faire le prof, faire asseoir les enfants et leur raconter ma vision du monde. Et en profiter pour faire le paon, dès fois qu'une jolie mignonne trouve que je fais bien la roue. Non que je ne sois pas déjà très abondamment pourvu quant aux délices féminines avec ma compagne, mais j'aime être aimé. Il n'est donc pas exclu que quand je serai grand, mais je risque de défuncter avant, j'arrive à un autre stade, ayant jeté ma flamme. Mais pour l'instant, c'est ainsi.

- Allez les mecs, on s'y colle...
On a passé des jours et des jours à faire joujou dans la pièce du fond avec les bécanes -une monobrosse, une laveuse, la panoplie de produits. Ça a surtout été des moments intenses d'échanges informels, où je les questionne. Des variétés très diverses de bonshommes, avec des visons du monde très différentes. Deux beaux-frères, rigolards, de Normandie. Pour eux, c'est juste un arrêt momentané, comme quand t'es en carafe sur la route. Ils trafiquent sur les caisses
- On a mis au point une combine pas dégueu; on loue une caisse chez un bon loueur, genre Avis ou Hertz. On prend toutes les données, carte grise, n°de châssis...on connaît des roumains qui arrivent à chourer des cartes grises dans les préfectures, on leur en achète quelques unes, on refait une carte grise avec les mêmes renseignements
- Ouais, vous faites une doublette, coupe un des toxicos, fastoche...
- Sauf que nous, on en fait 4
- Attendez, j'ai pas suivi dans les détails. Vous avez une carte grise, et après?
- Après? On tire 4 caisses avec les mêmes caractéristiques. D'une autre couleur, c'est mieux, comme ça on repeint, c'est neuf
- Qui repeint?
- Ben nous, tiens; on fait tout...
- Tout? Quoi, tout?
- Ben on refrappe les n° de la caisse « officielle » sur les autres, on repeint parfait. Toutes façons, elles partent en général à l'export. Mais là, elles sont nickel: le mec, il peut toujours interroger le fichier, la caisse, elle existe. Les condés, même topo. Ils peuvent toujours contrôler, elle est clean
- Quelles voitures?
- Ça dépend pour où et pour qui. Laguna. Golf.
- Vous n'avez pas peur de moisir longtemps en cabane?
- On s'est pas fait serrer sur des trucs comme ça; une petite connerie de deal de chichon, une merdouille. On va prendre quelques mois...peinards.

J'ai quelques mois de bouteille. J'ai lu des bouquins internes à la Pénitentiaire, je connais les classifications. Ce sont des « délinquants d'habitude ». Ils n'envisagent pas une autre vie. Ils m'expliquent que dans la famille, tout le monde vit comme ça depuis toujours. Quand on part au ballon, le clan est derrière. Pareil pour les gitans.
Il est beau comme un saint en extase peint par le Greco. Maigre à l'excès, pâle. Le manque d'UV. Un regard d'un intensité et d'une force inouïes. Il est en cuisine, ne sort jamais. Alors évidemment, même gitan, on pâlit. Très vite il m'a cherché du regard. Je n'ai pas affaire à lui, mais je passe 10 fois par jour devant la cuisine. Je lui parle en espagnol. Son regard s'illumine. Il est de Perpignan.
- Comment ça se passe?
Il me regarde, comprend qu'une question aussi con, c'est pour dire autre chose
- C'est mes parents...les pauvres. Ils sont vieux. Il faut qu'ils viennent chaque fois...
- Te gusta Camarron(tu aimes Camarron -gitan mythique, mort en pleine gloire, qui avait renouvelé le chant flamenco, avec Paco de Lucia à la guitare)
Il me regarde comme si j'étais handicapé
- Camarron? Qui c'est qui aime pas Camarron?
- Tu as des CD?
- Non; j'ai pas de lecteur
- Tu as quoi?
- Un lecteur de cassettes
- Je vais t'amener des cassettes
- Tu pourras pas...
- Pourquoi?
- C'est interdit: il pourrait y avoir des messages dedans
- Merde alors...Mais il te sert à quoi alors ton appareil?
- A lire des cassettes « officielles »
La semaine suivante, je lui mets dans la main une cassette que j'ai enregistrée à son intention. Un mix de trucs qui vont lui plaire.
Je n'avais pas d'idée derrière la tête en agissant ainsi. Simplement, je sens que pour tenir en cabane, il faut de la nourriture affective.
Probablement il me fait ma pub. Des mecs que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam viennent me serrer gravement la pogne, sans dire un mot, quand ils me croisent. Il est très respecté, connu pour un courage qui frise la folie. C'est banal chez un gitan, chez qui l'honneur et la dignité valent plus que la vie. Chez lui, c'est exacerbé.
Un autre. Tête d'indien. Pareil. Vieille pomme ridée, tout petit, tout sec. La parenté évidente entre indiens et gitans m'avait toujours interpellé, notamment avec les vieilles diseuses de bonne aventure de ma ville natale: les sœurs de Géronimo, pareil. Et lui, c'est Géronimo himself. Il met même le bandeau autour de ses longs cheveux, c'est dire. Il fume du chichon jour et nuit, allongé sur son pieu. Il est espagnol, il ne communique pas avec grand monde, il parle un mauvais français, ça doit être un effort pour lui.
Il me raconte des trucs que je ne lui demande pas. Il a planté au couteau un légionnaire qui était venu avec ses potes pour lui casser la gueule. Il recommencerait demain dans la même situation. Le mec a eu du bol, il n'y est pas resté. De peu. Il risque 6 ou 7 ans. Il délire sur les matonnes. Ils ont fermé la section féminine, et rapatrié les matonnes

- As visto el culo de esta cerda (t'as vu le cul de cette salope)
- Callete flaco que no quiero entretenerte en eso. Te callas o me voy (boucle-la, j'ai pas envie de parler de ça. Tu la fermes ou je décampe)
- De que hablaremos entonces?(on parle de quoi alors)
- Pues no sé; de lo que te apetece (j'en sais rien; de ce qu'y te plaît)
- Lo que me apetece son los conos y los culos (ce qui me plaît c'est les chattes et les culs)
- Pues arreglate solo (démerde toi tout seul alors)

Je ne sais pas... j'aime moins, j'ai l'impression d'une galerie de portraits un peu sèche, qui manque de liant ; des "choses vues" intéressantes certes, mais pas très gouleyantes.

Les interactions deviennent intéressantes quant à l'élément perturbateur que représente la formation au sein de la détention. Comme je le disais plus haut, c'est un écosystème. Tout élément nouveau rompt l'équilibre, et oblige par conséquent à en recréer un autre. Suivant qu'on est combattif ce jour-là ou pas, qu'on a envie d'en découdre ou pas, on se positionne. Les données sont simples: la formation est une commande de l'Etat. Ce qui veut dire que contents ou pas, estimant que c'est une connerie de plus ou pas, les matons sont bien obligés de jouer le jeu. Mais où ça se corse, c'est que si l'on fait un bras de fer avec eux, c'est forcément les éléments les plus fragiles du groupe qui vont morfler. Bien que persifleur par nature, je mets un sérieux bémol: je ne veux pas que les matons se vengent sur les plus faibles de mes gars.
Comme dans toute société humaine, il y a des passe-droits. Permanents et innombrables. Il y a des gars qu'on voit se balader les mains dans les poches à tous moments dans les couloirs: où a-t-on vu jouer ça? C'est une Maison d'Arrêt, pas un Centre de Détention, où les mecs ont la clé de leur piaule. Soit ils sont en cellule, soit ils sont dans un lieu précis, promenade, bibliothèque, infirmerie, toubib. En aucun cas, selon le règlement, ils ne devraient se balader.
La position des matons est ambiguë: copinage, très mauvais; pour l'avancement, vis-à-vis des collègues, nul sur toute la ligne. Dangereux même, manipulation probable à terme. Trop ferme, pas bon, faut avoir la carrure: il y a des allumés qui se battent les couilles de tout, très capables de vous planter avec une fourchette ou pire. Laxiste, dangereux aussi: la direction va pas aimer. La place de chacun est donc difficile à trouver, déterminée par un modus vivendi qui s'est parfois établi depuis longtemps, en d'autres lieux. Les matons, comme la plupart des fonctionnaires subalternes, sont affectés au bon vouloir de l'Administration, encore qu'il soit évident que des arrangements existent toujours dans ces parcours. Certains redescendent plus vite que les autres -nous sommes dans le sud, on monte sur l'Ile-de-France, où tout le monde passe, les bons plans, Laon, Amiens, Beauvais, Bourges, Chartres. Reims. Pour des sudistes -la plupart le sont- les endroits pour parricides et matricides.
Au cours de leurs affectations, ils ont tous connu des situations qui auraient pu dégénérer gravement. Ils sont donc toujours sur le qui-vive en service. Ils savent qu'une action concertée, qui bénéficie de l'effet de surprise, est presque imparable. Les formations sont par conséquent très problématiques: une horde de mecs -j'en ai souvent 12- trafique dans les couloirs, en profite pour parler à Pierre et Paul, qui va l'un à la douche, l'autre au docteur. On ne peut pas les empêcher de parler, on ne peut pas les bâillonner. C'est violent pour les matons qui aiment que ce soit carré. Qui plus est, la formation est absurde, de par sa nature

- Mais ils branlent rien la plupart de vos gars: regardez, ils blaguent entre eux...
- Il n'y a qu'une monobrosse; j'arrive déjà à en employer 4, un qui la conduit, un qui prépare devant, un qui serpille derrière, un qui suit avec le fil...
- Pourquoi vous leur faites pas astiquer les murs du couloir?
- Parce que c'est une formation, et qu'ils l'ont déjà fait hier: l'idée n'est pas que la prison ait l'entretien gratos, mais qu'ils acquièrent des rudiments de savoir professionnel
- Ils bosseront jamais...
- Cela me semble un peu réducteur....
- Vous verrez...

Ma foi, sur les 42 gars que j'ai formés, 5 ont trouvé du boulot dans ce domaine à la sortie, dont 2 qui sont sortis en probation parce qu'ils avaient suivi la formation. Un des deux a monté sa boîte de nettoyage. C'est à peu près les chiffres qu'obtiennent les opérateurs de formation dans ces champs professionnels-là. Rien de miraculeux, rien de ridicule non plus. De surcroît, le nettoyage a une mauvaise image dans ce microcosme très empreint de clichés machistes: boulot de gonzesse, de tantouze. Périodiquement, Flo, l'amateur de Ferrari, avec ses poings de boxeur et sa haute taille, ou Yan, l'athlète noir, demandent d'une manière très douce, car tous deux manient une ironie pince-sans-rire, quand il leur revient qu'un suicidaire a évoqué les jupons qu'ils devraient porter dans les couloirs:

- T'sais pas c'que j'ai entendu? Ça doit être un mec qui t'en veut...
- Quoi Flo? Le mec, je le vois se décomposer. Je suis sûr que le long de sa jambe, il y a un petit filet qui coule
- Je trouve pas cool de sa part...raconter que t'as dit ça
Le mec baisse les yeux. Donc c'est vrai.
- Mais...j'ai rien dit Flo...
- J'te dis, tu devrais voir; le mec qui dit que t'as dit ça, il veut ta mort
- Mais j'ai rien dit...
- Remarque, peut-être qu'il est jaloux
- Sûrement...
- Dis-lui quand même de ma part...si tu le vois...qu'il fasse un peu gaffe. Les jupons, c'est dangereux. Il y a des mecs qui s'étranglent avec...

Et ils reprennent leur activité, imperturbables.

Yan, les matons ne s'amusent pas à le provoquer, depuis qu'un l'a menacé du doigt, comme on fait à un enfant turbulent, à qui on signifie : « tu vas voir », ni une ni deux, il s'est planté en face du radiateur en acier au milieu du mur, qui va de bas en haut et il lui a rentré un direct. Il a fallu changer le radiateur. Lui s'est fracturé deux phalanges. En salle de muscu, il lève 140 kilos en développé- couché. Pour un mec de 1,72 pour 66 kgs, c'est pas mal. Il était champion de boxe.

Mes gars du haut sont déjà là -il y a un étage-. Ceux du bas attendent derrière la grille. Le maton ouvre. Un éclair traverse le couloir tellement vite que personne n' a le temps de rien voir. Il file comme une torpille sur un de mes gars, un demi-sel impliqué dans une sale affaire d'enlèvement suivi de meurtre. L'éclair arrive sur lui. Stoppe, lui décoche un coup d'une violence incroyable. Le mec décolle et part contre le mur. Je m'avance pour m'interposer. Flo me chope au passage

- Laissez, Philippe, c'est entre eux

Je le regarde sans comprendre. Parce que c'est entre eux, faut le laisser étriper l'autre?

Le maton a fini par arriver, c'est un petit taureau massif qui bloque le mec dans un angle. Feinte, le mec se jette à terre, lui passe entre les jambes, revient, en même temps qu'il sort une fourchette.

- Ce coup-ci, t'es bon dit-il à l'autre qui part en courant dans le couloir, vers le sas

l'homme à la fourchette le poursuit comme une panthère, lui saute sur le dos, lève la fourchette. Deux matons sont arrivés, lui bloquent le bras. Le sas s'ouvre, le dirlo déboule. Je n'ai jamais vu une charge d'hippopotame en vrai, mais c'est l'effet que ça fait. Il chope le mec par terre, le lève d'une main sans effort, le plaque au mur. Je l'ai raconté plus haut. Le reubeu, carotide comprimée, commence déjà à tourner de l'œil. Il le laisse retomber, clé au bras,

- Tu files au mitard
- Non chef, pas au mitard
- Boucle-là, mitard, prétoire. Ta conditionnelle, tu peux t'asseoir dessus

Le mec sait que c'est cuit pour lui. Le prétoire, c'est un tribunal interne, avec le ou la JAP(Juge d'Application des Peines), les matons, le dirlo. Sa seule défense va être Sonia, l'assistante. Et dans un cas de ce genre, il peut être certain de finir sa peine, s'il n' a pas une rallonge en prime.
Je demande aux gars

- Qu'est-ce qui lui a pris?
- Ils se sont traités toute la nuit.

Mehdi, le gars de la formation, a, paraît-il informé l'autre qu'il allait faire bénéficier sa mère d'expériences piquantes, d'ordre privé, et qui étaient plus ordinairement pratiquées dans la Grèce antique avec de jeunes éphèbes. Ce qui, manifestement, ne recueille assentiment ni approbation du fils de la sodomite putative.

- Il aime jouer avec le feu ou quoi, Mehdi?
Il est en train d'être recousu à l'infirmerie. 8 points à l'arcade, explosée.
- Ils sont toute une bande de son quartier en détention, il se croyait sûr de lui. Lui, c'est une taffiole, on le connaît. Il pensait pas se retrouver avec l'autre en face. L'autre, c'est un fou furieux: les flics en ont peur dans son quartier. Il a plusieurs fois pété des vitrines à coups de poings.
- merci de m'avoir stoppé, alors
- il vous aurait rien fait, il est pas suicidaire. Fou, mais lucide. Il sait que s'il touche un maton, ou vous, tous ses sursis tombent. Il partirait au moins pour 2 ans de plus

Je demande à Valence, le surnom du maton, parce qu'il y a été longtemps en poste

- C'était chaud, là, non?
- Un peu, ouais
- Il voulait vraiment le planter?
- On peut jamais dire, il est un peu barjot. Je crois qu'il voulait le marquer...
- Le marquer?
- Lui faire quelques belles marques bien visibles sur la tronche, pour pouvoir se foutre de lui après et que tout le monde voit son boulot...
- Son boulot?
- Beh ouais, son boulot.

La bagarre est confuse, pour moi, parce que les noms arrivent plus tard. Je n'ai pas compris qui a agressé qui, qui avait dit qu'il allait enculer la mère de qui... En plus, j'ai l'impression qu'il y avait un troisième gars, tout ça reste très confus à mes yeux.

Et puis je n'ai pas compris non plus : "Pour des sudistes -la plupart le sont- les endroits pour parricides et matricides." (en parlant des postes au nord, c'est ça ?)

Peut-être abusez vous des bonnes choses, chère amie. La bagarre a la relecture, me semble claire: Mehdi en formation, a passé la nuit à informer l'autre zig, marocain teigneux, qu'il allait faire bénéficier sa génitrice d'intromissions rectales. Ce qu'il semble que le gaillard, peu ouvert à ce genre de fantaisies, ait mal supporté. Je ne vois pas de troisième homme: un maton s'interpose, puis le directeur accourt en même temps que 2 matons.

Oui, certes. Et pour la phrase qui m'est encore mystérieuse ?

socque a écrit:Oui, certes. Et pour la phrase qui m'est encore mystérieuse ?

Insistante, mais charmante socque, oyez: nous autres sudistes considérons comme une disgrâce de "monter", car aller vers les terres septentrionales équivaut à une sorte de malédiction. C'est pourquoi un ami à qui l'on explique que l'on est muté dans le nord dira, soupçonneux et accablé "as tuado païre e maïre?" Tu as tué père et mère? Je pensais le folklore sudiste suffisamment répandu pour ne pas avoir besoin d'être explicité.

Merci pour l'éclaircissement !

Un autre. Tête d'indien. Pareil. Vieille pomme ridée, tout petit, tout sec. La parenté évidente entre indiens et gitans m'avait toujours interpellé, notamment avec les vieilles diseuses de bonne aventure de ma ville natale: les sœurs de Géronimo, pareil. Et lui, c'est Géronimo himself.

Petit détail perso : en lisant ceci j'ai à l'esprit le visage de Leny Ecudero.

Autrement, j'ai buté sur la même phrase que socque, pas compris d'emblée le coup des parricides/matricides.

J'aime bien lire la galerie de portraits pourvu qu'elle ne s'allonge pas trop.

Il me fait quand même l'effet d'être un peu beaucoup blindé ou chanceux ou très futé ce formateur qui a pour le moment réussi à mettre tout le monde dans sa poche, gardiens, détenus et collègues...

Désolée, Leny : Escudero

Honnêtement, tu sais, je crois que c'est Genêt qui dit quelque part que dans les vespasiennes, à Paris, qu'il fréquentait pour trouver des gitons, il avait la sensation d'être dans un aquarium, entouré de squales.
La zonzon, c'est pareil: ça exacerbe les sens, ça affûte l'intuition parce que tu réalises très bien, tout le temps, que tu es un enjeu potentiel, et que les erreurs se payent cher.
Tu as raison, c'est mimi pour l'instant. Ca va pas toujours l'être (cf Michel Jonasz, "ya rien qui dure toujours, ya rien qui soit toujours pareil, même le soleil") Mais ne déflorons pas les aventures du chevalier à la monobrosse.

Easter(Island) a écrit:Désolée, Leny : Escudero

Non, Leny Escudero a une belle tête d'espagnol, avec des traits tout à fait européens.
Mon gitan a moi, c'est vraiment ça, à cela près qu'il avait un visage moins massif et carré, plus allongé. Mais même l'éclat des yeux ressemblait à cette photo.

http://www.sonofthesouth.net/american-indians/geronimo-picture.htm

L'Administration Pénitentiaire, à travers la pyramide des surveillants, qui culmine avec le directeur, dont j'ai dis qu'il a été maton a l'ancienne mode, du temps de gars comme Mesrine ou Bontemps, installe des détenus manipulables à des fonctions leur permettant une moisson fructueuse de renseignements utiles. Presque systématiquement, à la buanderie et en cuisine, on trouve des pointeurs.
Le terme est générique en milieu carcéral, et recouvre un spectre très large de délits liés à des pratiques sexuelles déviantes, allant du touche-pipi au petit neveu ou à la petite nièce à la pénétration à l'aide d'objet contondant -en l'occurence, un tisonnier, sans doute pour raviver le feu- d'une octogénaire qui eut le front non seulement de s'en offusquer, mais encore de porter plainte. En passant par la gamme étendue des viols sur conjointe -eh oui, découvrait, éberlué, le gars qui m'en faisait part, on ne peut pas violer sa femme- il n'en revenait pas, et surtout qu'elle ait eu l'audace d'en référer à la justice-, la distrayante fantaisie des tournantes -si on va par là, la vie d'ma mère, faut mettre tout le monde en prison-, et les viols d'impulsion -[i]elle est venue boire un verre au bar, ça voulait bien dire qu'elle voulait se faire baiser, non, monsieur?-. Dans les débuts, catégorique, éducatif, je pérorais, évoquant tout à tour, dans un chatoiement que j'espérais convaincant, les lois existantes
- mais msieur, chez nous c'est pas comme ça,
- ah bon, mais vous m'avez dit que vous êtes français...
- oui, français de papiers, mais en vrai je suis algérien
- comment ça, en vrai?
- ben oui...ce qui compte, c'est ce qu'on dit au pays...
- mais vous y allez au pays?
- plus depuis longtemps
- alors quelle importance l'avis des gens du pays?
- les parents...c'est eux pour qui c'est important
puis, empruntant à la psychologie, voire à la psychanalyse, tentant de persuader l'agresseur de la violence terrifiante de son acte. Cela s'appliquait également aux auteurs de braquage, dont Flo, l 'amateur de Ferrari, qui ne s'en était pas tenu à ces plaisanteries de potache, mais s'était rapproché de manière inquiétante du grand banditisme, et avec lequel je me heurtai sur ce point à une incommunicabilité totale, et murée
- ça prend lourd quand même pour un petit hold-up
- vous savez que la jeune femme qui était au comptoir est sous traitement antidépressif avec prise d'anxiolytiques? Qu'elle est en arrêt maladie depuis le hold-up?
- n'importe quoi! J'allais rien lui faire
- ah bon, je croyais que vous aviez un 11,43...
- ben oui, et alors?
- comment, et alors? Vous mettez une arme de gros calibre sur la tête de quelqu'un et vous vous étonnez que cela puisse la choquer violemment?
- mais puisque je vous dis que je lui aurais jamais rien fait!
- et comment elle peut le savoir, elle, votre victime, que vous n'allez rien lui faire? Dans ce cas, pourquoi vous n'arrivez pas les mains dans les poches, sans armes? Ou avec un panneau qui dit: c'est un hold-up, mais le pistolet est en plastique? En plus, vous vous foutez de ma gueule, si ça avait tourné au grabuge, vous l'auriez prise en otage, comme les copains, non? Ne me prenez pas pour un con...
Il sourit, mi figue-mi raisin
- je vous prends pas pour un con...vous avez raison, évidemment.
- vous réalisez que vous avez une vision du monde de gangster, mais que pour l'immense majorité des gens au dehors, se balader avec une arme à feu n'est pas quelque chose de parfaitement normal, et encore moins se procurer de l'argent par des agressions? A propos, comment ça se fait que vous ayez des soucis pour cantiner?
- comment vous savez ça?
- Flo, ça m'emmerde qu'un garçon qui pourrait faire autre chose de sa vie que moisir en cabane ne se rende pas compte, en plus, que ce n'est pas l'argent qu'il poursuit. Je parle avec Sonia, figurez-vous, parce que vous nous préoccupez. J'ai bonne mémoire, Flo, et je compte vite. Rien qu'avec ce que je sais de vos exploits -il sourit- et il est évident que vous m'en cachez le double, ce dont je me contrefous, par le petit bout, il vous est passé plus d'un million de francs entre les mains l'année avant qu'Interpol vous pêche en Espagne, après votre évasion
- ben dites donc, vous devriez faire inspecteur du fisc...
- il n'en reste pas un centime; vous claquiez combien dans une soirée -avec une bande de parasites à vos basques, pas vrai-?
- le plus, ça a été 50 000...quelle nouba!
- vous réalisez que c'est le salaire annuel d'un ouvrier lambda pour nourrir sa famille? La question n'est pas de vous faire la morale, vous savez très bien que je m'en fous, c'est que vous vous posiez la question sur vous-même: qu'est-ce que vous voulez dire par là? Je veux dire, Flo, si vous étiez un maffieu cynique, avec l'argent de ses crimes intouchable aux Iles Caïman, je ne prendrais pas la peine de vous parler, et de toutes manières vous n'auriez jamais postulé pour entrer sur cette formation. Vous brûlez tout ce qui vous passe entre les mains, il vous faut briller, être l'hôte et le sultan: vous avez du charisme, pourquoi ne vous projetez vous pas dans un domaine où vous serez payé, et très correctement, pour ces compétences? Vous vous plaisez, ici? C'est la qualité des conversations informelles qui vous y a séduit?
- arrêtez de vous foutre de ma gueule, c'est pas sympa. C'est vrai que quand je me dis que quand toutes les affaires seront jugées, je risque d'être à plus de vingt ans, donc avec les remises, dix sûr, ça me donne envie de chialer, ou de me taillader...
- vous avez du potentiel: on va a toujours dit que vous étiez nul, je me trompe?
- qui c'est qui vous a parlé de moi? Celui-là, je l'explose...
- personne, Flo. Vous vous souvenez de l'entretien, avant la formation? Vous m'avez parlé du divorce, du beau-père avec qui ça n'allait pas. Moi, je vous affirme que vous être doué et capable de gagner très bien votre vie autrement. Par curiosité, ça donnait quoi les langues à l'école?
- Pas top
- Je vous ai entendu parler espagnol avec l'indien; vous parlez mieux que nombre de gens qui l'ont appris longuement. Vous n'avez passé que quelques mois en prison en Espagne: je vous dis que vous êtes doué. Mettez votre temps à profit pour vous meubler la tête: non seulement ça va occuper votre temps, mais vous allez commencer à comprendre des choses sur vous-même. Si vous voulez, je vous ferai une liste de bouquins...
- j'aime pas trop la lecture...
- vous croyez ne pas l'aimer. Qu'est-ce que vous avez lu qu'on ne vous a pas imposé?
- rien
- écoutez, il y a un bouquin qui parle de vous, ça vous intéressera peut-être de le lire
- vous déconnez, Philippe
- évidemment. Je veux dire que vous avez des traits communs avec le héros. Cela dit, vous verrez qu'on peut très bien exister sans attaquer de bureaux de poste
- il s'appelle comment?
- Solal, d'Albert Cohen. Vous l'avez à la bibliothèque. Lisez-le et on en reparlera, OK?
- ça roule...

Des signes commencent à se faire jour, comme les fissures d'un vieux bâtiment. Deux formations se sont déroulées, la deuxième étant passé sur le versant technique, comme je le mentionnais. Lors des réunions périodiques en cours de formation, le directeur de la MA est enchanté, le dit haut et fort au directeur du SPIP, le financeur. La prison est nickel -tu m'étonnes, je fais passer tous les mecs les uns après les autres avec les machines-.
Il y a au moins un domaine qui recueille un consensus universellement favorable, mecs en formation comme détenus lambda, c'est que les douches sont continuellement impeccables. Tous les jours à fond, karcher, monobrosse pour le sol, carrelages muraux, etc...Par ailleurs,sous couvert de pratique professionnelle, j'ai négocié avec les surveillants avec qui j'ai de bons rapports -je l'ai déjà dit, le manichéisme simpliste n'est pas de mise- pour qu'ils m'ouvrent les cellules des mecs que j'ai en formation, afin qu'ils puissent les astiquer de fond en comble. Ils en sont fiers comme des gosses, quand après plusieurs lustrages, le carrelage rouge craquelé par endroit brille comme des tomettes nourries à l'huile de lin. Ces mêmes surveillants font remonter au dirlo que les mecs sont beaucoup plus calmes, moins agressifs: la seconde session a lieu en plein été, dans la coque de béton surchauffée, poème architectural des années 70, qu'est la prison, les nuits d'insomnie dans la touffeur moite amène toujours, ordinairement, des passages à l'acte. Un peu comme la montée exponentielle des actes de violence à New-York en été. J'ai dans la formation quelques uns des gars réputés les plus gonflés et explosifs, et là, ils sont apaisés: ils se dépensent physiquement, et leur journée est cadrée.
Je bois du petit-lait à entendre le gorille -oui, du clone du bourreau turc de Midnight Express à l'hippopotame, je le vois maintenant en gorille, dans le contrejour de la salle où nous sommes, chemise tendue à exploser sur sa bedaine, poils s'échappant par les échancrures, et lui sortant des oreilles et du nez (je n'ose imaginer le dos, qu'il ne peut avoir que toisonnant, et argenté)-, se déclarer en-chan-té de la formation, du formateur, des machines, de ma responsable, du directeur du SPIP -tu parles, c'est son supérieur, heureusement qu'il le congratule-.Il n'y manque, pour faire bonne mesure, que le Garde des Sceaux. Il faudra que je le lui glisse.
Pas mécontent moi-même d'entendre exposer mes modestes mérites, qui me permettront de négocier quelques menus avantages ultérieurement, j'en profite, pendant la période mamours, pour avancer des pions et négocier, devant témoins, le droit authentifié par note de service, de douches exceptionnelles et supplémentaires, hors jours prévus, et après le boulot. C'est beaucoup plus considérable que çela n'en a l'air, puisque cela va contraindre les surveillants à beaucoup plus d'allers et retours avec leurs cliquettants affûtiaux. De tout sûr, sans la note de service, en simple verbal, macache, les mauvais coucheurs parmi eux ne respecteront pas la disposition.
Mettons nous bien d'accord: je ne suis ni Zorro, ni Zola. Les gangsters cyniques, implacables et organisés m'horrifient, et leur maintien à l'écart de leur théatre habituel me paraît de bon sens. Je suis éducateur formé en diverses approches complémentaires, dont la systémie. Je déplore de constater, comme tout observateur un tant soit peu au fait des réalités de terrain le sait, que moins on est formé, compétent, apte à utiliser des outils culturels et sociaux, plus on risque de se retrouver à l'ombre pour un délit certes, mais qui commis par un individu parfaitement inséré, serait classé sans suite. Je n'aime pas l'arbitraire, et je supporte mal qu'à la souffrance que représente la privation de liberté -ne serait-ce que par la rupture du lien familial- s'ajoutent des vexations, brimades, abus de pouvoir en tous genres qui sont la norme en milieu carcéral. Qui plus est, je ne vois pas l'intérêt pour la société d'enfermer un toxicomane dépendant pour des délits de trafics illicites sans envisager une réponse autre que pénale et, nécessairement, bornée dans le temps. Quand je peux contribuer à adoucir les conditions de vie, à plus forte raison de gars que je côtoie et avec qui j'ai un échange, voire transgresser des règles dont je n'accepte pas la logique implicite -je pense aux cassettes interdites, dont je parlais plus haut, et dont l'interdiction est absurde, puisqu'il suffit de les écouter pour s'assurer qu'elles ne contiennent rien d'autre que de la musique, je n'hésite pas à prendre parti.
Certain surveillants se désolent, comme moi, de la perte cruelle, pour une nation, de l'inventivité bouillonnante que l'on trouve chez nombre de petits délinquants, magouilleurs et autres. Appliquée à un autre objectif, ces gars seraient de petits chefs d'entreprise réactifs, enthousiastes et impliqués.
D'autres résolvent leurs problèmes d'estime d'eux-mêmes dans une relation à l'autre mortifère, fondée sur des rapports de domination, de chantage, et d'abus de pouvoir. Est-il besoin de préciser que ce type de structure mentale est fréquemment dépendant de drogues, légales pour l'alcool, illicites également?
Le petit brigadier. Il m'a haï dès la première seconde où il m'a vu. Est-ce la barbe? Est-ce parce que je souris volontiers, considérant que les gars en détention ont bien assez de motifs de se désoler, pour ne pas leur en infliger de supplémentaires en faisant la gueule? Parce que je n'ai pas d'a priori sur les personnes, ayant, moi, israélite par ma mère, eu des amitiés très profondes avec des musulmans?
Parce que je suis plus beau et grand que lui? Je ne sais. Toujours est-il que le peu de fois où j'ai affaire à lui -il fait fonction de directeur quand l'autre prend des congés, il m'agresse désagréablement, avec un ton que je ne supporterais pas longtemps au dehors. Je prends un petit air que j'ai dans ma besace, plein de sous-entendus, d'allusions, précieux et pédant, qui manifestement attise son ressentiment à mon endroit. Ma foi, comme disait un des gars dans la première session, avec un tranquille bon sens, « on vient pas en prison pour se faire des copains ».
Chaque fois que je bavarde avec un des gars -si la métempsychose est vraie, j'ai été confesseur dans une autre vie: depuis toujours, Pierre et Paul, parfaitement inconnus, viennent m'exposer leurs interrogations, et sollicitent mon avis, que, plus jeune, je m'empressai de donner, et que, sur la maturité, je diffère, les invitant à creuser eux-mêmes leur propre puits. Les gars me parlent volontiers, de manière informelle; si l'on n'aime pas les gens, il ne faut pas être travailleur social: j'aime les gens, je n'ai pas à me forcer, ce qui ne veut pas dire que j'accepte d'être leur déversoir. Mais j'aime qu'ils me parlent de petites choses, de leurs mômes, de leurs hobbies. Non seulement cela leur fait du bien, mais à travers cela, leur parole se libère, c'est informel, léger. On bavarde, appuyé au mur du couloir. C'est pas un cabinet de psy.
Cela rend fou le petit monstre: je le vois du coin de l'œil, dans la guérite du surveillant d'étage, qui parle en me désignant. En plus, il n'est pas très malin, parce que c'est Etienne, un type bien, d'une famille d'agriculteurs, qui, dès que l'autre est rentré dans le repaire qu'il occupe, à l'angle du bâtiment, vient me voir
- mais qu'est-ce que tu lui as fait? Il peut pas t'encadrer. Il veut qu'on te surveille. Je lui ai dit qu'on était payé pour surveiller les détenus, pas les formateurs. Ça lui a pas plu, c'est pour ça qu'il s'est barré
- je lui ai dit l'autre jour que c'était dommage que les châtiments corporels soient interdits sur les détenus, et que l'Administration est vraiment trop pointilleuse sur les bavures. Il a mis un bon moment à piger que je me foutais de lui...
- quand même t'es con, c'est une enflure, méfie-toi
- qu'est-ce que tu veux qu'il me fasse? Je pousse pas les mecs à une mutinerie, j'essaie de les amener à s'interroger sur eux-mêmes, et sur le sens que prend l'incarcération dans leur parcours
- c'est un facho de première bourre, on peut pas l'encadrer. Même nous, il nous casse les burnes, avec ses tableaux de service. En tous cas, fais gaffe, il est à l'affût

Alors là, c'est vraiment passionnant. Vous parvenez à intégrer à merveille récit, portraits et réflexion de fond !

Je suis un peu gênée par les références en francs, pas trop par rapport aux antécédents de Flo dont je comprends bien qu'il soit en prison depuis un moment, mais par rapport au temps présent utilisé par la suite pour parler du salaire de l'ouvrier moyen : "vous réalisez que c'est le salaire annuel d'un ouvrier lambda pour nourrir sa famille?"
Ne serait-ce pas mieux au passé ?

Ici, je trouve que la fin de la phrase ne tombe pas sous le sens en raison d'une syntaxe raccourcie ; ça se comprend mais ça pourrait être plus clair: "Est-il besoin de préciser que ce type de structure mentale est fréquemment dépendant de drogues, légales pour l'alcool, illicites également?"

Sinon, c'est bien, on voit poindre le bras de fer.

socque et easter

merci les jeunes filles, vous êtes adorables. Socque, quand même, si vous continuez, je vais être obligé de lancer une souscription sur VE pour une chaise à porteur, pour pallier la déformation de mes chevilles. Mettez vite un beau texte, que je puisse vous encenser avec enthousiasme et révérence néanmoins. Je profite de ce que je vous ai sous la plume: vous m'avez recommandé Paradis noir de l'excellent Jourde que, bien entendu, je me suis empressé de ne pas commander, le trouvant un peu cher. D'autant que des ouvrages du même me permettraient, pour un investissement modique, de voir un peu ce que le bonhomme avait à dire. J'ai donc Pays perdu, Festins secrets et la Littérature sans estomac: avez-vous lu celui-là? Outre qu'il met Richard Millet à la place qu'il mérite, les cent première pages me font rire comme cela ne m'était pas arrivé de longtemps.

easter, les références en francs viennent de ce qu'au moment où ça se passe, les francs existent encore, c'est 2001. Je vous l'accorde, le temps passe pour tout le monde...

Les trois Jourde que vous avez sont déjà très bien (si vous aimez rire, procurez-vous l'excellent Jourde et Naulleau, c'est quelque chose), et constituent un achat des plus judicieux. Je vous avais parlé d'emblée de Paradis noirs parce que ce livre est exceptionnel. Unique. Je ne puis qu'espérer que les trois en votre possession vous donneront envie de voir ce que le bougre a bien pu écrire d'encore mieux !

J'ai changé de chef. J'ai une Responsable des Actions de Formation au-dessus de moi, normal. On se voit aux bilans, point barre. Jusque-là, c'était une de ces trentenaires carriériste, portable à la main, costard près du corps, elle risque rien, elle s'affame, décolorée. Elles ont toutes un peu la même tronche, en tous cas toutes celles que je côtoie ont l'air d'être clonées de la précédente. Pas chiante spécialement, elle n'est pas stupide au point de ne pas comprendre que je rapporte pas mal de thunes à la boîte, en gérant cette formation qui tourne bien. Je lui ai montré les dents une fois ou deux, pour des trucs mineurs, elle ne m'emmerde pas. J'hérite à la place d'une fille selon mon cœur, presque trop. Une de ces idéalistes au sens noble qui a été de tous les combats difficiles des années ante70, avortement, droits des femmes, peine de mort, éducation populaire. J'aime ce type de fille, elles sont généreuses en tout, y compris au lit. Je ne sous-entends rien sur elle en disant cela, elle me devance de quelques années, et si c'est pour faire des galipettes avec une quinqua, je suis déjà équipé à la maison. En admettant que ça l'inspire. Là n'est donc pas la question. A la différence de miss technocrate bac +pas mal, c'est une vieille routière de terrain. On accroche bien, quand elle vient avec moi pour la première info collective, elle me souffle « tu me laisses pas seule » et je lui réponds « ma foi, ça te ferait des souvenirs pour tes vieux jours ». On a de l'humour dans le social.
Nouveau groupe. Je me fie à l'avis de Sonia. Elle connaît mieux que moi les enjeux. En plus, comme un fait exprès, on a à peu près le nombre de postulants qu'on peut prendre. Là, c'est un groupe avec 3 junks. Ça fait beaucoup. Je sais qu'avec les mecs ça passe souvent un peu limite, parce qu'ils vont souvent à l'infirmerie, pour le subu ou la métha, suivant le toubib. Les autres les accusent d'être des enculés de faux-culs, de prétendre se soigner en continuant à se fixer, notamment au subu. Ils sont souvent vaseux, au taf c'est pas des foudres de guerre, on dirait des papis, il ne leur manque que les charentaises.
Un profil curieux. Un mec entré inculte, moitié algérien. L'instit' le prend en remise à niveau, pour qu'il passe un petit diplôme de connaissances basiques. Il n'y a guère que lui qui va répétant que c'est pas gagné, que c'est le seul diplôme où il faut la moyenne dans 3 domaines de compétence. Les mecs le chambrent « eh m'sieur l'instit', c'est vrai qu 'avec le papier on va en fac direct? »
Mahtoub donc était réputé quasi-illettré. L'instit', très vite, trouve qu'il sort du lot en maths, coup de pot, sa passion. Le fait bosser on the side, le mec enchaîne, peinard, BEPC, puis BAC S, puis oblique vers la gestion. Quand il arrive sur le groupe, il prépare le BTS gestion.
- mais comment ça se fait que vous soyez passé au travers? Les instit' voyaient rien?
- C'est que j'ai toujours été placé...en institut, ils s'en foutaient, qu'on soit doué ou pas

Il est là pour une affaire sordide, il avait des relations sexuelles avec son gamin; il m'expliquera petit à petit qu'avant d'être placé, son père en usait ainsi avec lui; puis que dans l'institution où on l'a mis, rebelote, là c'était les éducateurs et le directeur. D'ailleurs ça a fait un méga scandale dans le département, parce que tout à coup pleins de mômes se sont mis à raconter. Les viols en série. Les humiliations quotidiennes. Les sévices corporels allant jusqu'à la bastonnade. Les infirmières et toubibs complices. Justement; en ce moment, dans la prison, il y a un des éducateurs qui abusait de lui
- vous le vivez comment?
- mal; je repense...si j'étais pas passé par ces trucs, j'aurais pas touché mon môme. Je commence à me rendre compte que c'était pas normal...ça fait deux ans que je rencontre le psy...
- aussi triste que ça soit, en prison vous vous êtes rendu compte de vos capacités
- ça, c'est sûr; en sortant, fini les tombes...

Il était employé par un marbrier qui lui faisait polir les dalles mortuaires. Mal payé, dehors par tous les temps. Il avait pris 7 ans, du fait des circonstances. Lourd quand même. Le gamin ne voulait pas porter plainte, ni être placé: il disait qu'il aimait son père. C'est le ministère public qui s'est porté partie civile. Pendant que je l'ai en formation, l'éducateur qui le violait est jugé. 5 ans dont 3 avec sursis.

- qu'est-ce que vous en pensez?
- que voulez vous que je vous dise? Je trouve ça injuste...
- vous avez absolument raison. Un acte réfléchi, organisé, exécuté par quelqu'un ayant autorité sur un mineur aurait du être sanctionné beaucoup plus lourdement que vous ne l'avez été, vous. Il est évident qu'il y a beaucoup d'implications sociétales dans cette affaire...
écoutez, je n'ai pas envie de me pourrir la vie avec ça; je vais être transféré en CD, je pourrai bosser, étudier, finir mon BTS: vous vous rendez compte , un BTS. Je savais à peine lire il y a 2 ans...
- elle est là, votre revanche. Vous pourrez retrouver votre fils. Vous aurez sans doute des choses à lui dire
- je lui écris toutes les semaines...
- il répond?
- un peu...c'est un gosse, vous savez

Le directeur me tanne depuis pas mal de temps pour qu'on s'occupe de l'escalier qui permet d'accéder à l'étage. Marches en iroko massif de 8 cms d'épaisseur, portée 3 mètres. Ça ne me chauffe ps outre mesure. Certes, c'est crade. Maintenant qu'il s'est habitué à sa thurne bien proprette, il doit penser que ça lui valoir de l'avancement si c'est plus clean que clean. Je lui explique qu'il faut décaper.

- Et alors? En quoi ça gêne, de décaper
- Que c'est des produits dangereux; Vous imaginez, avec les mouvements au milieu? (le terme de mouvement désigne tout déplacement règlementaire; douche, infirmerie, promenade. N'oublions pas qu'à ce propos, en prison, on ne va pas à l'infirmerie quand on est malade, mais quand on a un rendez-vous. Pas de rendez-vous, pas de soins. Il est donc prudent de prévoir quand on va être malade. J'ai vu des mecs grelottant de fièvre attendre 2 jours -eh oui mon pote, pas d'infirmerie les week end, viens pas nous dire que tu le sais pas)
- mais vous les tenez bien, vos gars...
- je vous suis très reconnaissant de constater mes aptitudes à la fonction de surveillant; mais il se trouve que je suis ici en qualité de formateur...
- vous voulez quoi alors? Que je vous affecte des surveillants?
- pas du tout; les gars n'ont aucune envie d'avoir l'impression d'être revenus au temps où on cassait des cailloux à Cayenne
- quoi alors?
- donnez-moi le temps de négocier avec ma boîte pour l'achat d'une ponceuse. Au moins, on élimine les produits...
- au décapant, ça marcherait mieux...
- écoutez, c'est vous qui voyez; vous me faites une décharge, et moi j'avertis ma direction
- houlà, vous voulez vous couvrir...
vous plaisantez, j'espère, Mr le directeur? Les mecs ont toujours des comptes à régler entre eux, un se prend du décapant dans les yeux et porte plainte, qui va entendre parler du pays d'après vous?
- vous...un peu...
- moi? Vous rigolez? J'aurai votre décharge. C'est vous qui allez manger, et cher. Adieu Narbonne -alors que je ne peux pas le sacquer, on dirait que lui recherche ma compagnie. Il m'a raconté ses projets de retraite ensoleillée à Narbonne..Cela dit, son préjugé favorable n'a pas que du mauvais, comme on le verra-.
bon, alors, la ponceuse...

Je mets en branle l'acquisition de l'engin. L'équipe se déploie. Premier jour, impec. C'est long, il faut mettre le bois à nu, le vernis d'origine est un putain de polyuréthane épais comme les dessous d'une religieuse espagnole. C'est crade, ça balance de la poussière partout. Éminemment toxique, comme chacun sait. Deuxième jour, à peine la ponceuse a-t-elle démarré que le petit gnome, mon copain brigadier, arrive en braillant comme un hystérique. Ça m'étonnait aussi qu'on ne l'ait pas entendu la veille: il était en repos

- qu'est-ce que c'est que ce bordel? Vous arrêtez immédiatement
- je crains que cela ne soit difficile...
- qu'est-ce que vous dites...il en bégaye de l'excitation rageuse

Je lui décoche mon sourire le plus insolent, version handicapé

- c'est Mr le Directeur qui m'a prié de bien vouloir effectuer cette remise en état
- je m'en fous...ça résonne dans mon bureau...
- je suis contrarié que vous n'approuviez pas la décision de Mr le Directeur. Je pense que le mieux est qu'il tranche lui-même

Au balcon, Etienne se marre. Le balcon domine l'escalier; il parle dans son talkie. Bruit du sas. Le dirlo déboule.

- qu'est-ce qui se passe?
- tu leur as dit de faire l'escalier?
- évidemment que je leur ai dit; tu crois qu'il vont faire ça pour le plaisir
- ça fait un potin d'enfer, je peux pas rester dans mon bureau
- ah, ça coupe ta sieste, lui lance le dirlo, décidément en veine d'humour
- ah ah
- t'as qu'à venir de l'autre côté, au greffe, jusqu'à ce qu'ils aient fini
- pas le choix, puisque tu leur donnes raison
- je leur donne pas raison, ils font ce que je leur ai demandé..

Au regard que me lance le petit monstre en passant, je comprends que là, c'est la guerre, la vraie. Mais quel abruti quand même. Qu'est-ce qu'il croyait, que le dirlo allait se défausser sur un truc qu'il a demandé?

Les ouvriers d'entretien, un artisan local et son ouvrier, sous contrat avec la prison, passe et examine en connaisseurs

- putain con, les mecs, vous êtes pas au bout...
- surtout si c'est toi qui nous aides...

L'ouvrier est un minuscule petit bonhomme qui charrie en tous lieux une caisse presque aussi grande que lui. J'aime bien le chambrer.

- t'as vérifié ta caisse tantôt, quand t 'étais dans la douche? Elle est restée un moment dans le couloir, non?
- parle pas de malheur ..Il pâlit, ouvre précipitamment, contrôle...
- de toutes façons, tu sais même pas quels outils tu as...

La hantise, c'est la disparition d'un outil. Normalement, la caisse doit être contrôlée outil par outil à l'entrée et à la sortie. Nous sommes dans le sud, j'ai la très forte présomption que le règlement s'assouplit dans les tranches horaires proches des remises à niveau anisées. J'ai vu le petit bonhomme et sa caisse « contrôlée » non pas pièce à pièce avec une liste, mais d'un coup d'œil, sans doute scannant, du surveillant de poste de contrôle. Sinon, les mecs étant farceurs, il suffirait de chourer un simple petit tournevis et le planquer ou le jeter au dehors pour déclencher des recherches infinies. Je n'ai pas beaucoup d'estime pour les deux comparses, qui bénéficient d'une rente de situation, et ne font pas grand chose, en plus de le faire mal. Quand ils réparent un chiotte qui fuit, c'est au silicone, avec du papier cul comme bourre. On peut imaginer l'efficacité de la réparation. Les gars sont donc condamnés, dans des cas de ce type, à vivre dans une odeur infecte dans la cellule, et avec une humidité de sol permanente, outre les effluves. Tout à l'avenant, électricité, sanitaire, plomberie, tout est bâclé et mal fait.

Nous avons fini l'escalier, triple vernis, il a belle allure. Le dirlo est content, il va pouvoir s'en enorgueillir.
Dans le sas, je blague avec l'aumônier. C'est un prof d'informatique qui utilise son temps libre comme visiteur, à destination des gars sans famille où qui ne connaissent personne. Brave comme le bon pain, affable, pas chiant sur la religion, les gars l'apprécient beaucoup: il s'intéresse à eux, les met en contact avec des associations plus ciblées, ou des correspondants. Il organise des distributions à Noël, pour que tout le monde ait quelque chose; c'est modeste, mais pour beaucoup, c'est la seule chose qu'ils auront.
Un des gars me demande conseil, dans la salle, pour un courrier qui lui pose problème sur une histoire de droit de visite. Il ne veut pas que ce soit lu par les matons, et me demande de poster au dehors. Normalement, je n'accepte pas, surtout une enveloppe cachetée: je dis au gars soit c'est clean, et je ne vois pas pourquoi vous avez besoin de moi, soit ça ne l'est pas, et tirez vous-mêmes les conclusions. Là, je lui dis de rédiger son truc, que j'y jetterais un œil, surtout au niveau des fautes: je le vois comme un exercice.
Quand j'arrive au contrôle, je sens tout de suite un truc bizarre. Qu'est-ce qu'il fout là le petit chef? Il n'a rien à y faire... Il attrape ma serviette -d'habitude, seuls ceux qui ne m'ont pas trop à la bonne, je dirais 1/3 des surveillants, jettent un vague coups d'œil. Les autres, rien, ils n'y touchent pas. La retourne, fait tout tomber. C'est sûr, il cherche quelque chose. Bien entendu, c'est le papelard du mec.
- c'est quoi, ça?
- un exercice de rédaction que j'ai fait faire à un des stagiaires
- vous me prenez pour un con? On va voir ce que le directeur va en dire...

Il me précède dans le couloir, brandissant son trophée, et jubilant. Je crois que c'est la première fois que je le vois sourire. Ah non, pour la victoire de St Étienne en Ligue, aussi.

- tiens, qu'est-ce que tu dis de ça
il lance d'un geste théatral le papelard sur le bureau

Le dirlo lit. Me regarde, l'air sévère.

- vous savez que c'est une faute grave, punissable pénalement...
- pardon?
- c'est un courrier de détenu que vous transmettez au dehors

Il sort le Code Pénitentiaire, sans doute non refondu depuis la IIIème République. Peut-être qu'on prévoit de m'envoyer à Cayenne. En même temps, je turbine pour essayer de piger. Soit c'est le mec que j'ai aidé qui l'a fait sur ordre, plausible. Soit j'ai été vendu par un des gars. Je ferais ma petite enquête. Si on ne me met pas avec les mecs: la formation serait moins crédible.
Effectivement, dans l'article qu'il me lit, la sanction potentielle est de 2 ans d'emprisonnement. Jackpot! Il m'indique qu'il me tiendra au courant de la suite, et qu'il est obligé de transmettre. Le petit brigadier trouve, évidemment, qu'il est un peu mou. Il l'asticote

- mais faut signaler au procureur un truc comme ça
- attendons de voir ce que dit le SPIP...

Je ne sais pas pourquoi, mais je sens qu'il me protège; peut-être qu'il n'aime pas beaucoup le petit brigadier...peut-être que les choses que je l'ai amené à faire l'ont fait cogiter un chouia.

En prison, le code est rigoureux: un détenu ne peut pas serrer la main à un surveillant. De toutes façons, il n'en ont aucune envie. Moi, je la serre indistinctement, à mes gars en premier, aux surveillants ensuite. Souvent, un gars me lance

- vous serrez la main aux matons, vous? Moi, j'aimerais mieux crever...
- eh bonhomme, je suis pas détenu, moi. Oui, je leur serre la main. Comme je la serre à à peu près tout le monde.

Pour les remises de Certificats de Fin de Stage, j'ai organisé un rituel.
Parenthèse: la charge symbolique de cette action est loin d'être anodine: au début, lors des infos avant formation, il est longuement expliqué qu'ils auront en fin de stage une attestation, mais qui n'a pas valeur de diplôme, car seuls les organismes certifiés par l'État et l'État lui-même pourrait en délivrer. C'est dit et répété plusieurs dizaines de fois en cours de stage. Néanmoins, les gars persistent à s'enquérir du « diplôme »; pour beaucoup, c'est le seul document qu'ils auront qui énonce une quelconque compétence.
Aussi par respect pour eux ai-je élaboré un document qui m'a coûté plusieurs week-ends, compte tenu de mes talents d'informaticien et des performances de mon parc informatique (un Pentium II à 166 Hz s'il m'en souvient bien, avec 64 Mo de RAM) montrant en fond le visage de l'icône, figure du Front Populaire dont se réclame l'organisme, et par dessus le descriptif de formation. Imprimé sur un très beau papier épais. C'est largement aussi joli qu'un diplôme officiel, et plutôt plus. Ma chef, quand elle l'a vu, m'a demandé si j'étais fou

- mais...tu sais qu'il n'a aucune valeur officielle ce certificat. Tu pouvais juste taper 3 lignes...
- pour toi il n'en a pas; ils sont à Bac – 10, eux: c'est probablement la seule fois qu'ils auront quelque chose qui s'apparente à un diplôme

En tout cas, je sais que j'ai tapé juste: les mecs l'ont tous précieusement dans un classeur, et plusieurs l'ont encadré dans leur cellule. Un des surveillants me dit

- qu'est-ce que tu leur a mis sur ton papelard? Que c'est eux qui ont la plus longue? -l'humour maton est inépuisable-. Ils arrivent tous avec pour le montrer à leur copine...
ah ouais? Eh bien, tant mieux: ils ont réussi quelque chose...

J'en reviens à la délivrance des certificats; j'ai fait venir ma chef, la fausse blondinette. Ça se passe en la chapelle, au-dessus de la salle de formation. J'ai négocié avec le dirlo pour pouvoir amener boissons, cacahuètes, petits gâteaux. J'ai demandé au dirlo de venir remettre les certificats. Il se retrouve donc dans un happening surréaliste où après que j'explique les tenants et les aboutissants de la formation, il leur remet à chacun, nominativement, son parchemin. C'est une de ces journées aisées, où tout est léger: je lance à l'assistance

- les gars ne vous étonnez pas si Mr le Directeur vous fait la bise, c'est comme pour la Légion d'Honneur...

Les mecs se bidonnent, directeur compris, qui leur serre à tous la main, en les regardant dans les yeux. Comme je le disais plus haut, c'est formellement interdit par le règlement.

Je n'entends pas parler de mon incartade; le petit brigadier m'évite. J'ai été au nouvelles concernant la fuite, apparemment c'est le gars que j'ai aidé qui avait expliqué à un autre, une balance, que je l'aidais à rédiger un courrier compliqué. Je lui sonne un peu les cloches, pas tant parce que je lui en veux, mais parce qu'il n'est pas très futé. Il s'excuse beaucoup, mais ne comprend visiblement pas très bien ce qui ne va pas.
A quelques jours de là, bilan de fin de formation. Ce coup-ci, coup de théatre, le directeur explique à ma nouvelle chef, la bagarreuse féministe, qu'il lui paraît difficile que je sois réaffecté sur la prochaine formation, car les surveillants demandent que je sois remplacé. C'est évidemment un pieux mensonge, je ne comprends pas pourquoi ce type que je trouve toujours assez imbuvable me protège. D'autant que, très tranquillement, j'ai expliqué à ma chef ce qui s'était passé, avant que nous allions au bilan. Elle comprend parfaitement, me demande si je veux bosser sur un autre site. Je lui réponds que pour moi ça va, j'ai vu suffisamment du milieu carcéral durant ces deux années.
Et je pars quelques jours en vacances.

Eh bien, voilà que vous me faites regretter mon départ loin d'Internet... Je vais devoir attendre plus d'un mois pour connaître la suite ! Chapeau bas pour l'ensemble.

Passionant.

(un bémol pour le premier texte, où le type me semble un peu trop benêt.)

j'ai pensé à un reportage vu il y a quelques mois dans "envoyé spécial". un reportage sur la vie en détention filmée par les détenus eux même ( évidement c'est formellement interdit...mais les mecs ont quand même réussi à faire entrer une caméra dans leur cellule... je te laisse imaginer le vecteur...)

quel con, j'ai oublié le titre... je vais essayer de retrouver tout ça sur internet.
je crois que le parralèle pourrait être interressant.

silene82 a écrit:
easter, les références en francs viennent de ce qu'au moment où ça se passe, les francs existent encore, c'est 2001. Je vous l'accorde, le temps passe pour tout le monde...

j'entends bien. Je trouve juste que la phrase qui suit devrait être au passé "c'était le salaire moyen, etc."

Pause vacances alors ?

Je ne sais pas si c'est dû à une erreur de conjugaison mais je ne comprends pas cette phrase, après "je ferai(s) ma petite enquête" :

Soit j'ai été vendu par un des gars. Je ferais ma petite enquête. Si on ne me met pas avec les mecs: la formation serait moins crédible.

Easter(Island) a écrit:Soit j'ai été vendu par un des gars. Je ferai ma petite enquête. Si on ne me met pas avec les mecs: la formation serait moins crédible.[/i]

Le dirlo m'a lu la sanction prévue qui est pénale: je risque deux ans d'emprisonnement. La formation serait donc difficile à gérer en étant moi-même sous les verrous.

Il serait surprenant que je retravaille, tout au moins dans l'immédiat, en milieu carcéral.

- oh Valence, c'est quoi qu'ça s'est passé avec le formateur? Y paraît que le bricard y l'a embrouillé?
- ben va lui demander...
- il paraît qu'il s'est fait serrer parce qu'il arrangeait un mec du bas en lui corrigeant un courrier...
- j'en sais rien j'te dis...
- zy va, comment t'y es...tu veux rien lâcher; putain, c'est pas pour faire chier. Mon codétenu il dit qu'il était cool le mec...
- un peu trop, en tout cas pour le bricard
- n'empêche vous étiez bien contents de comment la zonzon elle était propre avec son équipe...
- bof, tu sais, nous...c'est vous plutôt...
- putain, rien qu'les douches, ça se voit: c'est revenu autant pire qu'avant. Et en bas des fenêtres, avec ces bâtard d'enculés de leur mère d'au-dessus, avec leurs merdes qu'ils balancent, ya à nouveau des rats. Tu les as pas vus les putains de ratasses, yen a y sont gros comme des chats...
- c'est clair que ça se voit, maintenant que c'est plus fait...
- le bricard, je parie qu'il est toujours derrière vous pour les yoyos, vu que de son bureau qu'on dirait un mirador, il voit toutes les fenêtres. Cui-là, j'suis sûr, il pourrait, il nous tirerait dessus à la 30-30 quand on envoie un yoyo. Toi t'es pas chiant...
- si je commence à essayer d'empêcher les yoyos, j'ai pas fini...
- toi, t'as des années de détention, t'as été partout, t'as fait quoi comme zonzons?
- Valence...
- ça on sait, c'est pour ça que les mecs t'appellent Valence...
- Reims, Chartres, Châteauroux, Grenoble, Beauvais, Laon...
- putain, tout ça...
- c'est les jeunes surveillants qui font du zèle, quand ils sortent de l'école; les mecs comme moi, ils se font plus chier à casser les burnes au mecs: on essayerait de bloquer le chichon, on gagnerait quoi? Des mecs sur les nerfs qui se bastonneraient deux fois plus. T'as vu la dernière castagne, où le gitous a presque tué l'autre avec la boule de pétanque qu'il avait dans la chaussette?
- ouais, j'étais pas loin; vous, vous rentrez pas beaucoup dans la cour...
- pourquoi tu veux qu'on rentre?
j'sais pas moi...si ça castagne...
- moi j'y vais si ça castagne
- ouais, c'est vrai; tes collègues, pas trop...Le pire du pire, tu sais pas qu'est-ce que c'est? C'est quand ya l'autre bâtard au contrôle les jours de parloir; T'sais qu'est-ce qu'il a fait à ma mère? Il lui a fait enlever son soutien-gorge parce que ça sonnait au portique. J'te jure, je sors, je le plante, l'enculé de sa race. Qu'est-ce qui croit qu'ma mère elle va cacher? Juste elle m'amène le couscous au parloir...
- et ta sœur le chichon, c'est ça?
- t'es malin, toi...en attendant tu me fais pas chier retour de parloir; la fouille tranquille, pas à poil écarte les fesses...les matons qui font ça, ils se rendent pas compte qu'un jour ou l'autre il leur arrive des bricoles, ni vu ni connu; genre leur clébard crève, ils savent pas pourquoi...
- allez arrête tes conneries...
- c'est quoi l'embrouille qu'ya eu hier aux douches?
- c'est le nouveau, il s'est mis à poil dans la douche...
- il est barge ce mec, il sait pas qu'il faut garder le caleçon...moi, même mon codétenu je me fous pas à poil devant lui
- ouais, on sait bien que vous vous foutez pas à poil entre vous, les reubeus; les blacks non plus; mais les français, c'est normal...
- faut qu'y respecte....
- dans les vestiaires, au rugby, tout le monde prend la douche ensemble à poil. Et alors? Qu'est-ce tu crois, toi? Qu'on essaye de me faire le coup de la savonnette?
- C'est sûr que bâti comme t'es, le mec qui s'embrouille avec toi, il risque de morfler; c'est qui qui est de garde ce soir?
- Panetier...
- cool...à partir de 11h il est beurré; c'est vrai qu'ils ont trouvé une puce dans la cellule à Mattéo?
- ouais...
- putain, prétoire, dur pour lui; il va prendre une rallonge ce con, juste il allait sortir...j'espère qu'il va pas déprimer...c'est comme ça qu'on se taillade...
- ouais, fait que vous lui expliquiez; nous, il nous écoute pas, il croit qu'on veut le niquer...
- écoute, t'es maton, OK, en attendant, dans les matons ya des enculés de première, mais toi tu fais pas chier, tu comprends qu'on est pas des animaux, que c'est déjà pas évident d'être à 3 dans la cellule...
- bon, j'y vais...calme un peu sur le bédo, ya une inspection dans les couloirs tout à l'heure, tâche que ça sente pas trop, sinon je passe pour le mec qui tolère tout...
- OK, pas de souci.....

Une boule de pétanque dans la chaussette ? !!! Ah bon ?

Je continue à m'instruire. Et me demande quelle direction on va prendre.

Silène, récent converti à P. Jourde, je te mets deux liens ici vers le blog d'un mien ami presqu'intarissable, presqu'incollable sur le sujet :
http://hublots.over-blog.com/article-27594659.html
http://hublots.over-blog.com/article-33293919.html

Easter(Island) a écrit:Une boule de pétanque dans la chaussette ? !!! Ah bon ?

Je continue à m'instruire. Et me demande quelle direction on va prendre.

Je crains, chère Easter, que ce ne soit fini: l'épisode s'intitulait épilogue. Certes, je pourrais, comme l'inoxydable Charles, Trenet de son patronyme, prolonger les adieux. Jack Lang, également, est une caution possible.
Mais je crois qu'il y a une moment où il faut boucler.
Pour la boule sus-mentionnée, c'est une ingénieuse réédition de la masse d'armes chère à Richard Coeur de Lion, couplée avec le propulseur des aborigènes: on peut cogner ou lancer. Les gitans, peuple inventif, préfèrent casser les genoux des adversaires avec cet instrument: ce qui montre leur magnanimité, un infirme gagnant mieux sa vie en mendiant, dans leur logique, qu'un mort.

Easter(Island) a écrit:Silène, récent converti à P. Jourde, je te mets deux liens ici vers le blog d'un mien ami presqu'intarissable, presqu'incollable sur le sujet :
http://hublots.over-blog.com/article-27594659.html
http://hublots.over-blog.com/article-33293919.html

Chère amie, je trouve que cela fait beaucoup de conversions en peu de temps: Ba me dépeint en frère Silène, usant sa bure en génuflexions; pour un parpaillot de souche israélite, c'est pour le moins surprenant. Et maintenant Jourde. Confessons les choses: je suis converti à tout ce qui tient la route; quand de surcroît c'est un auteur comme Jourde qui règle leur compte aux ridicules précieux et aux baudruches médiatisées avec une causticité et un allant délectable, il est difficile de n'y pas souscrire.
Mais je ne saisis pas le lien avec le texte ci dessus.

en vrac :

-je m'inquiète juste de la voluminosité de la chose, dans la chaussette...
-donc, c'est fini, comme ça ? Oups, pas vu "épilogue".
-aucun rapport avec le texte ci-dessous, juste une bonne façon de m'assurer que ces liens ne seraint pas enfouis dans la virtualité vélienne.

Easter(Island) a écrit:en vrac : -je m'inquiète juste de la voluminosité de la chose, dans la chaussette...
-donc, c'est fini, comme ça ? Oups, pas vu "épilogue".

oui, c'est volumineux; mais tu auras compris que la chaussette, ils ne l'ont pas au pied, mais dans la poche. C'est l'accélération donnée à la boule qui est recherchée dans cet intéressante trouvaille.
Il ne t'aura pas échappé non plus qu'en dehors des amazones, tristement mutilées pour le bon motif, les Malabares guerrières du Kerala, la reine Pomaré assommant à poings nus les combattants qui ne se cognaient pas assez fort à son goût, nos compagnes pratiquent assez peu le détournement pensé de cette manière : la testostérone suscite une remarquable fécondité dans l'élaboration d'objets contondants. La majeure partie du génie humain, depuis néanderthal, se concentre dans les moyens efficaces de réduire ou annihiler l'adversaire. Les prisons, avec leurs modestes moyens, entendent tenir leur rang.