TRAVAIL : Le crabe de la Contre-Escarpe
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Yali
Mériam
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Charles
Loupbleu
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TRAVAIL : Le crabe de la Contre-Escarpe
Avec mes excuses pour le retard...
Les après-midi de Mai sont bien faites pour vous donner le cafard. Les jupes des étudiantes vous fichent la nostalgie d'une jeunesse qu'on raconte dans les séries américaines et qui n'existe pas. Les petits cadres qui passent en costard et mallette rêvent déjà des vacances dans les îles avec les filles locales alanguies, en bikini, à l'open bar de l'hôtel de la page 34 du catalogue "Nouvelle Frontière". Et quelques alcoolos font miroiter l'anis qu'on leur sert dans des verres à double fond.
J'en suis à mon huitième.
Faut dire que depuis que j'ai touché ma prime de licenciement, j'ai les moyens de me détruire au Ricard. Puis j'ai des excuses. Mon dernier boulot, c'était pirate suicidaire. Après avoir naufragé les concurrents, ça avait consisté à me saborder moi-même : j'avais rassemblé des dossiers, tout transféré à un Roumain qui oeuvrait près de la mer noire, dans un patelin nommé Mamaïa. Mamaïa ! Ca ne s'invente pas, non ?
Il y avait une continuité. Je m'étais fait couler, je persévérais dans l'humide.
C'est pour ça, je crois, que j'ai mis du temps à m'apercevoir qu'il y avait un crabe sur le trottoir d'en face. Un tourteau qui faisait la manche. Il avait posé ses deux grosses pinces sur une coupelle en fer, et les gens y laissent parfois tomber leur monnaie. Je sentais qu'il me lançait des regards malveillants. Peut-être parce qu'à la table à côté, des saoulards avaient entonné "ah, le petit vin blanc !". Fallait le comprendre, ça devait lui rappeler des souvenirs de court-bouillon. Comme disait mon vieux : on n'apprivoise pas un crabe avec de la mayonnaise. Mamaïa !...
Le Roumain à qui j'avais abandonné mon boulot avait en charge de le transférer à un Chinois. Lequel le passerait peut-être à un Indien. Lequel le concèderait sans doute à un Brésilien, lequel l'octroierai probablement à un Malien, lequel, un jour, le délocaliserait éventuellement à un Martien... Résultat : j'avais envoyé mon boulot en vacances, faire le tour du monde à ma place. C'était ça le mouvement. Le cercle vicieux. Et à force de ce remue-ménage, on finissait même par trouver des tourteaux qui mendiaient rue de la Contre-Escarpe.
Je me suis pris de pitié, je me suis rapproché du crustacé en zig-zag, gageant que mon ébriété passerait pour de la compassion, quand j'ai entendu :
- Sac à vin !
J'ai regardé autour de moi, et j'ai aperçu ce sale clochard, le visage esquinté, qui a continué avant que je reprenne mon souffle :
- Trogne d'ivrogne !
- Vous vous êtes vu ? je lui ai rétorqué.
- Barrique à pattes !
-Mais ... Mais pourquoi vous m'insultez ?
Gling, une pièce a résonné dans la coupelle, puis une autre.
Je me suis retourné vers le crabe qui n'avait rien dit, même pas merci.
- Pourquoi vous faîtes ça, pourquoi vous m'insultez ?
- C'est mon taff, mec.
- Hein ?
- C'est ma méthode. J'insulte les gens.
- Et ils vous donnent du fric ?
- Ceux que j'insulte, non. Mais les autres... Parce que je vais vous dire, la plupart du temps, ils disent rien, mais ils en pensent pas moins. C'est comme ça !
Et puis il m'a expliqué que trois ou quatre fois, on lui avait cassé la gueule, et qu'avec les dommages et intérêts, ça lui rapportait presque le double. Infaillible. Je suis resté épaté un moment à côté de lui. Et puis doucement, c'est monté en moi, de façon irrépressible, et quand j'en ai vu passer un, je lui ai lancé :
- Obsédé sexuel !
Et comme le petit cadre continuait sa route j'ai continué:
- Obsédé ! T'es en train de penser aux Tahitiennes du club en bikini, hein ? Espèce de pervers !
et j'ai fini par :
- Colonialiste !
Et gling. La coupelle s'est remplie comme par miracle. La clochard m'a fait un clin d'oeil, et peut-être que le tourteau aussi.
- C'est pas croyable, ça marche !
- Je t'avais dit...
- Excuse-moi mais y a un truc que j'ai pas compris.
Et en chuchotant, pour que le crustacé ne m'entende pas je lui ai demandé :
- Le Crabe. Il fout quoi, là, le crabe ?
- Tu veux savoir pourquoi j'ai mis un crabe ? il m'a répondu. Mamaïa ! Ben le crabe, c'est juste parce que le homard, c'était trop cher.
TRAVAIL : Le crabe de la Contre-Escarpe
Les après-midi de Mai sont bien faites pour vous donner le cafard. Les jupes des étudiantes vous fichent la nostalgie d'une jeunesse qu'on raconte dans les séries américaines et qui n'existe pas. Les petits cadres qui passent en costard et mallette rêvent déjà des vacances dans les îles avec les filles locales alanguies, en bikini, à l'open bar de l'hôtel de la page 34 du catalogue "Nouvelle Frontière". Et quelques alcoolos font miroiter l'anis qu'on leur sert dans des verres à double fond.
J'en suis à mon huitième.
Faut dire que depuis que j'ai touché ma prime de licenciement, j'ai les moyens de me détruire au Ricard. Puis j'ai des excuses. Mon dernier boulot, c'était pirate suicidaire. Après avoir naufragé les concurrents, ça avait consisté à me saborder moi-même : j'avais rassemblé des dossiers, tout transféré à un Roumain qui oeuvrait près de la mer noire, dans un patelin nommé Mamaïa. Mamaïa ! Ca ne s'invente pas, non ?
Il y avait une continuité. Je m'étais fait couler, je persévérais dans l'humide.
C'est pour ça, je crois, que j'ai mis du temps à m'apercevoir qu'il y avait un crabe sur le trottoir d'en face. Un tourteau qui faisait la manche. Il avait posé ses deux grosses pinces sur une coupelle en fer, et les gens y laissent parfois tomber leur monnaie. Je sentais qu'il me lançait des regards malveillants. Peut-être parce qu'à la table à côté, des saoulards avaient entonné "ah, le petit vin blanc !". Fallait le comprendre, ça devait lui rappeler des souvenirs de court-bouillon. Comme disait mon vieux : on n'apprivoise pas un crabe avec de la mayonnaise. Mamaïa !...
Le Roumain à qui j'avais abandonné mon boulot avait en charge de le transférer à un Chinois. Lequel le passerait peut-être à un Indien. Lequel le concèderait sans doute à un Brésilien, lequel l'octroierai probablement à un Malien, lequel, un jour, le délocaliserait éventuellement à un Martien... Résultat : j'avais envoyé mon boulot en vacances, faire le tour du monde à ma place. C'était ça le mouvement. Le cercle vicieux. Et à force de ce remue-ménage, on finissait même par trouver des tourteaux qui mendiaient rue de la Contre-Escarpe.
Je me suis pris de pitié, je me suis rapproché du crustacé en zig-zag, gageant que mon ébriété passerait pour de la compassion, quand j'ai entendu :
- Sac à vin !
J'ai regardé autour de moi, et j'ai aperçu ce sale clochard, le visage esquinté, qui a continué avant que je reprenne mon souffle :
- Trogne d'ivrogne !
- Vous vous êtes vu ? je lui ai rétorqué.
- Barrique à pattes !
-Mais ... Mais pourquoi vous m'insultez ?
Gling, une pièce a résonné dans la coupelle, puis une autre.
Je me suis retourné vers le crabe qui n'avait rien dit, même pas merci.
- Pourquoi vous faîtes ça, pourquoi vous m'insultez ?
- C'est mon taff, mec.
- Hein ?
- C'est ma méthode. J'insulte les gens.
- Et ils vous donnent du fric ?
- Ceux que j'insulte, non. Mais les autres... Parce que je vais vous dire, la plupart du temps, ils disent rien, mais ils en pensent pas moins. C'est comme ça !
Et puis il m'a expliqué que trois ou quatre fois, on lui avait cassé la gueule, et qu'avec les dommages et intérêts, ça lui rapportait presque le double. Infaillible. Je suis resté épaté un moment à côté de lui. Et puis doucement, c'est monté en moi, de façon irrépressible, et quand j'en ai vu passer un, je lui ai lancé :
- Obsédé sexuel !
Et comme le petit cadre continuait sa route j'ai continué:
- Obsédé ! T'es en train de penser aux Tahitiennes du club en bikini, hein ? Espèce de pervers !
et j'ai fini par :
- Colonialiste !
Et gling. La coupelle s'est remplie comme par miracle. La clochard m'a fait un clin d'oeil, et peut-être que le tourteau aussi.
- C'est pas croyable, ça marche !
- Je t'avais dit...
- Excuse-moi mais y a un truc que j'ai pas compris.
Et en chuchotant, pour que le crustacé ne m'entende pas je lui ai demandé :
- Le Crabe. Il fout quoi, là, le crabe ?
- Tu veux savoir pourquoi j'ai mis un crabe ? il m'a répondu. Mamaïa ! Ben le crabe, c'est juste parce que le homard, c'était trop cher.
Loupbleu- Nombre de messages : 5838
Age : 52
Localisation : loupbleu@vosecrits.com
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: TRAVAIL : Le crabe de la Contre-Escarpe
j'ai eu un peu de mal à comprendre qui était en présence dans le passage narrateur / clochard / crabe ... Après relecture et déductions, j'ai tout compris.
Sinon, on te sent un peu moins en forme qu'à l'habitude, l'humeur semble moins gaie et du coup, l'ensemble, surtout le début, m'a semblé un peu "forcé". Un peu du style, je plaisante comme à l'habitude mais bon, j'ai pas la tête à ça ... Du coup, ça sonne un peu trop désabusé, peut être et on sourit un peu moins. Mais ça reste sympa à lire tout de même.
Sinon, on te sent un peu moins en forme qu'à l'habitude, l'humeur semble moins gaie et du coup, l'ensemble, surtout le début, m'a semblé un peu "forcé". Un peu du style, je plaisante comme à l'habitude mais bon, j'ai pas la tête à ça ... Du coup, ça sonne un peu trop désabusé, peut être et on sourit un peu moins. Mais ça reste sympa à lire tout de même.
Charles- Nombre de messages : 6288
Age : 48
Localisation : Hte Savoie - tophiv@hotmail.com
Date d'inscription : 13/12/2005
Re: TRAVAIL : Le crabe de la Contre-Escarpe
surréaliste et bien déjanté, comme j’aime. Sinon c’est toujours très parisien, comme souvent tes textes, ancrés dans l’actualité, et capitaux, - référence à la capitale, hein ;-) -. Il y a à boire et à manger, avec ou sans mayonnaise, je veux dire que j’ai bien apprécié les dialogues et un peu moins l’explication sur le boulot qui va de pays en pays, je trouve ça assez nébuleux, j’aurais préféré carrément plus explicite ou alors éviter cette partie. Comme Charles, j’ai été un peu dérouté entre crabe et clochard, pensant un instant à une seule et même « entité ». Pas aussi rigolo qu’à l’habitude, non plus.
Pô grave le retard ! De toute façon on pardonne (presque) tout quand c’est l’Admin qui faute ;-)
Pô grave le retard ! De toute façon on pardonne (presque) tout quand c’est l’Admin qui faute ;-)
Re: TRAVAIL : Le crabe de la Contre-Escarpe
Un peu de mal pour moi à accrocher pour la partie narration (faudrait que je relise je pense, le passage "boulot transmis au Roumain qui le passe au Chinois, puis à l'Indien.... j'ai pas tout à fait saisi ce passage là.)
Par contre, tout s'arrange dès que les dialogues sont là.
Cette idée de "manche épicée d'insultes" moi ça m'a fait mourir de rire, d'autant que j'imaginais bien ça dans la réalité huhu
Bref ça bascule dans le loufoque, le rigolo, le plus léger aussi avec quand même toujours cette pointe de causticité, et comme toujours, alors, ça fonctionne parfaitement pour moi, j'adhère, j'adore ;-)
Par contre, tout s'arrange dès que les dialogues sont là.
Cette idée de "manche épicée d'insultes" moi ça m'a fait mourir de rire, d'autant que j'imaginais bien ça dans la réalité huhu
Bref ça bascule dans le loufoque, le rigolo, le plus léger aussi avec quand même toujours cette pointe de causticité, et comme toujours, alors, ça fonctionne parfaitement pour moi, j'adhère, j'adore ;-)
Mériam- Nombre de messages : 119
Date d'inscription : 13/03/2007
Re: TRAVAIL : Le crabe de la Contre-Escarpe
Je dois être en forme moi, vu que j’ai tout saisi sans relecture.
T’aurais pu pousser la déjanterie plus loin, c’est vrai qu’il en manque un peu. N’empêche j’adore le pourquoi d’un crabe :-)
T’aurais pu pousser la déjanterie plus loin, c’est vrai qu’il en manque un peu. N’empêche j’adore le pourquoi d’un crabe :-)
Yali- Nombre de messages : 8624
Age : 59
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: TRAVAIL : Le crabe de la Contre-Escarpe
La dernière phrase :0)
J'ai moins aimé que d'autres textes de toi, c'est visuel, mais je trouve le tout un peu brouillon, je m'y suis un peu perdue à vrai dire. Dans la deuxième partie c'est plus clair, plus agréable à lire donc!
J'ai moins aimé que d'autres textes de toi, c'est visuel, mais je trouve le tout un peu brouillon, je m'y suis un peu perdue à vrai dire. Dans la deuxième partie c'est plus clair, plus agréable à lire donc!
Re: TRAVAIL : Le crabe de la Contre-Escarpe
Alors, pour tout te dire, je n'ai pas encore lu tes autres textes. Cependant, celui-là me plaît bien. J'aime bien l'humour mélangé à une pointe d'amertume, voire de détresse. Je trouve qu'il n'y a rien de mieux que de rire de la fatalité, c'est une sorte de victoire (après, c'est juste une impression personnelle). Au niveau du style, je n'ai pas grand chose à dire, sinon que, comme les autres membres te l'ont fait remarquer, une partie du texte reste un peu obscure. Autrement, la légèreté et le ton un peu grinçant rendent la lecture agréable.
PS: la chute est géniale
PS: la chute est géniale
Re: TRAVAIL : Le crabe de la Contre-Escarpe
Vive la mondialisation!
J'aime beaucoup cette idée d'envoyer son travail en vacances à sa place, c'est très bien trouvé Loup!
C'est vrai que ton humour est peut-être moins vif que d'habitude mais en même temps, il est grinçant, à cause de cette amertume qui se dégage de ton texte et qui colle bien au propos. Le mal de toute une société que tu évoques là et tu le fais avec drôlerie, ça me plaît bien!
J'aime beaucoup cette idée d'envoyer son travail en vacances à sa place, c'est très bien trouvé Loup!
C'est vrai que ton humour est peut-être moins vif que d'habitude mais en même temps, il est grinçant, à cause de cette amertume qui se dégage de ton texte et qui colle bien au propos. Le mal de toute une société que tu évoques là et tu le fais avec drôlerie, ça me plaît bien!
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
TRAVAIL : Le crabe de la Contre-Escarpe
Merci Loubleu pour ce texte qui nous emmène à Paname.
Au dela de l'histoire tu as su recréer une vraie atmosphère .
et c'est cela qui m'a le plus touche.
je vais te dire moi il a un gout de rue Monge ton crabe de la Contrescarpe.
(mais ca n'engage que moi).
pw
Au dela de l'histoire tu as su recréer une vraie atmosphère .
et c'est cela qui m'a le plus touche.
je vais te dire moi il a un gout de rue Monge ton crabe de la Contrescarpe.
(mais ca n'engage que moi).
pw
Invité- Invité
Re: TRAVAIL : Le crabe de la Contre-Escarpe
Suis désolé, mais j'ai pas accroché...
ninananere- Nombre de messages : 1010
Age : 48
Localisation : A droite en haut des marches
Date d'inscription : 14/03/2007
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