Ils sont là
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outretemps
Romane
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Ils sont là
Ils sont là
(Note : Bien que le texte ne traduise qu'une infime parcelle de la réalité de ce qu'Ils ont vécu, de ce que d'autres vivent encore, j'ai souhaité y associer cette vidéo. Parce que les mots demeurent la traduction virtuelle des gestes et des actes, en ces circonstances de l'extrême.
Certaines images choquent. Il faut bien les sortir de l'ombre, si l'on veut espérer qu'un jour les hommes retrouvent leur dignité en cessant de massacrer leurs semblables)
https://www.youtube.com/watch?v=H-dpqSEGtKc
Ils sont là, chargés des temps heureux que la guerre a troublés, lourds des petits matins quand s'égrenaient les bruits familiers et l'odeur des galettes épicées. Ils sont là, ployant sous le poids des zébrures de leur terre que martyrisaient les chars, tirant avec eux les ruines de leurs maisons incendiées. Le rire des plus jeunes se tait désormais dans la cour à jamais défigurée en sa chair de poussière par le viol des muettes.
Ils sont là, égarés, à ramasser à la petite cuiller mais ils sont là, conscience en porte-drapeau de la mémoire d'un peuple, celui de leurs racines qu'ils n'abandonneront pas.
Il fallait bien finir par s'enfuir. Braver l'œil en visée, déjouer la traque, partir avec rien ou si peu, contourner les points de mire, éviter les obstacles, trouver les frontières et les traverser dans le noir d'une nuit d'exil. Apprendre à continuer vaille que vaille et tant pis si la poignée s'est rompue, tant pis si le joint de culasse a laissé une carcasse au bord de la route, tant pis le dos fourbu, le profil bas, ce froid au cœur, tant pis cette solitude, cette désolation, oui, tant pis.
Ils sont là. Ils se réveillent chaque matin d'ici. Plus rien n'est pareil. Ils marchent, ils disent des mots tragiques quelque fois, et leurs yeux balayent la ville inconnue pendant que frémit leur terre sous leur chemise. Ils sont là. Quelques poignées d'amour contre un torrent de haine, comment est-ce encore possible.
Ils sont là. Comme vous, comme moi, dans la même ville, sur les mêmes avenues, entre les mêmes portes cochères, devant les vitrines qui leur lancent les miettes en toc d'un bonheur chimérique.
Ils portent en secret les résolutions hasardeuses d'un retour au pays.
http://minilien.com/?YiBXEplPFk
Romane
(Note : Bien que le texte ne traduise qu'une infime parcelle de la réalité de ce qu'Ils ont vécu, de ce que d'autres vivent encore, j'ai souhaité y associer cette vidéo. Parce que les mots demeurent la traduction virtuelle des gestes et des actes, en ces circonstances de l'extrême.
Certaines images choquent. Il faut bien les sortir de l'ombre, si l'on veut espérer qu'un jour les hommes retrouvent leur dignité en cessant de massacrer leurs semblables)
https://www.youtube.com/watch?v=H-dpqSEGtKc
Ils sont là, chargés des temps heureux que la guerre a troublés, lourds des petits matins quand s'égrenaient les bruits familiers et l'odeur des galettes épicées. Ils sont là, ployant sous le poids des zébrures de leur terre que martyrisaient les chars, tirant avec eux les ruines de leurs maisons incendiées. Le rire des plus jeunes se tait désormais dans la cour à jamais défigurée en sa chair de poussière par le viol des muettes.
Ils sont là, égarés, à ramasser à la petite cuiller mais ils sont là, conscience en porte-drapeau de la mémoire d'un peuple, celui de leurs racines qu'ils n'abandonneront pas.
Il fallait bien finir par s'enfuir. Braver l'œil en visée, déjouer la traque, partir avec rien ou si peu, contourner les points de mire, éviter les obstacles, trouver les frontières et les traverser dans le noir d'une nuit d'exil. Apprendre à continuer vaille que vaille et tant pis si la poignée s'est rompue, tant pis si le joint de culasse a laissé une carcasse au bord de la route, tant pis le dos fourbu, le profil bas, ce froid au cœur, tant pis cette solitude, cette désolation, oui, tant pis.
Ils sont là. Ils se réveillent chaque matin d'ici. Plus rien n'est pareil. Ils marchent, ils disent des mots tragiques quelque fois, et leurs yeux balayent la ville inconnue pendant que frémit leur terre sous leur chemise. Ils sont là. Quelques poignées d'amour contre un torrent de haine, comment est-ce encore possible.
Ils sont là. Comme vous, comme moi, dans la même ville, sur les mêmes avenues, entre les mêmes portes cochères, devant les vitrines qui leur lancent les miettes en toc d'un bonheur chimérique.
Ils portent en secret les résolutions hasardeuses d'un retour au pays.
http://minilien.com/?YiBXEplPFk
Romane
Re: Ils sont là
Des passages qui font penser à d'autres temps troublés, qui disent que la guerre est intemporelle.
Je n'ai pas regardé la vidéo, je ne suis pas fan d'images, l'émotion passe pour moi plus par les mots pour créer une impression durable.
Très beau texte dont j'ai aimé la sobriété surtout, auquel je reprocherais juste la petite facilité du "viol des muettes".
Ils sont là, ils sont là, quel tristement fascinant mantra.
Je n'ai pas regardé la vidéo, je ne suis pas fan d'images, l'émotion passe pour moi plus par les mots pour créer une impression durable.
Très beau texte dont j'ai aimé la sobriété surtout, auquel je reprocherais juste la petite facilité du "viol des muettes".
Ils sont là, ils sont là, quel tristement fascinant mantra.
Invité- Invité
Re: Ils sont là
Easter(Island) a écrit:"viol des muettes"
Je me permets de réintervenir sur ce fil pour donner l'explication de l'expression ci-dessus, afin qu'elle soit comprise :
Dans leur culture, une femme violée est une femme déchue à tout point de vue, à commencer par son propre foyer, et sa famille toute entière, mais aussi carrément la communauté.
C'est pour cela que les tortionnaires se sont appliqués à violer les femmes devant témoins, de sorte d'anéantir le coeur familial.
Il est aujourd'hui extrêmement fréquent qu'au sein du couple et dans la famille toute entière, le silence soit de mise afin d'éviter la dislocation familiale. La femme évidemment se tait, et se contente de ne plus jamais se donner à son époux. Lequel bien souvent, garde aussi silence, pour les mêmes raisons, mais sait parfaitement pourquoi ils se taisent ; ils seraient bannis d'une communauté dont ils ont terriblement besoin, dans ces pays d'accueil où ils vivent d'autres traumatismes, après avoir subi ceux de la guerre.
D'où "le viol des muettes".
Merci en tout cas pour ton commentaire encourageant.
Re: Ils sont là
J'aime beaucoup votre texte, (mais n'ai pas regardé vos fils, manque total de courage). Il s'en dégage une grande tristesse, que trop justifiée, hélas!
La phrase est très belle:
Où cela? Vite, dites moi, que j'y cours m'étonner !
La dernière catastrophe va pour sûr nous déclancher en crise d'urticaire des besoins de "bonne conscience". Ca c'est sûr, on va donner! Mais ça voudra dire quoi ? Jusqu'au prochain "Novembre" ensuite, on dormira tranquille, des années durant.
La phrase est très belle:
Mais pourquoi "encore" ? Penseriez vous l'homme meilleur aujourd'hui,qu'il ne fut hier ? Qu'il ait, une seule fois retenu une leçon et tiré des conclusions? Auriez vous enregistré le moindre frémissement éthique? Trouvé une une étincelle quelconque humanité ?Quelques poignées d'amour contre un torrent de haine, comment est-ce encore possible.
Où cela? Vite, dites moi, que j'y cours m'étonner !
La dernière catastrophe va pour sûr nous déclancher en crise d'urticaire des besoins de "bonne conscience". Ca c'est sûr, on va donner! Mais ça voudra dire quoi ? Jusqu'au prochain "Novembre" ensuite, on dormira tranquille, des années durant.
outretemps- Nombre de messages : 615
Age : 77
Date d'inscription : 19/01/2008
Re: Ils sont là
Oui. Je craignais juste que le jeu évident sur les sonorités déprécie ce que tu expliques ci-dessus. Merci Romane.Romane a écrit:Easter(Island) a écrit:"viol des muettes"
Je me permets de réintervenir sur ce fil pour donner l'explication de l'expression ci-dessus, afin qu'elle soit comprise :
Dans leur culture, une femme violée est une femme déchue à tout point de vue, à commencer par son propre foyer, et sa famille toute entière, mais aussi carrément la communauté.
C'est pour cela que les tortionnaires se sont appliqués à violer les femmes devant témoins, de sorte d'anéantir le coeur familial.
Il est aujourd'hui extrêmement fréquent qu'au sein du couple et dans la famille toute entière, le silence soit de mise afin d'éviter la dislocation familiale. La femme évidemment se tait, et se contente de ne plus jamais se donner à son époux. Lequel bien souvent, garde aussi silence, pour les mêmes raisons, mais sait parfaitement pourquoi ils se taisent ; ils seraient bannis d'une communauté dont ils ont terriblement besoin, dans ces pays d'accueil où ils vivent d'autres traumatismes, après avoir subi ceux de la guerre.
D'où "le viol des muettes".
Invité- Invité
Re: Ils sont là
outretemps a écrit:La phrase est très belle:Mais pourquoi "encore" ?Quelques poignées d'amour contre un torrent de haine, comment est-ce encore possible.
Explication ici encore, juste pour cette partie. (pour le débat, je veux bien vous rejoindre sur le fil commentaire des commentaires, je ne poste ici que ce qui concerne éventuellement la compréhension du texte)
Pourquoi "encore" : parce que les requérants d'asile comme ceux dont je parle dans ce texte, se sont vus pillés par tous les moyens possibles, en plus de torturés (je vous épargnerai les détails, ils sont aussi terrifiants que pour les victimes de toutes les guerres, et bien plus ahurissants que n'importe quel film de fiction voulant traiter le sujet). Pourtant, ils sont "encore" capables d'amour, malgré la crainte que bon nombre d'entre eux ressentent : verser dans la violence, en réaction à ce qu'ils ont subi.
Le bout du bout des capacités, en somme.
Merci à vous deux, encore une fois.
Re: Ils sont là
J'aime tout particulièrement ce texte-ci. Contrairement à ce qu'on pouvait s'attendre, vu le sujet traité, on ne tombe jamais dans le pathos à en faire pleurer dans les chaumières. C'est très juste et terriblement vrai...
Le style est sobre tout en étant travaillé... personnellement, je n'ai rien à en dire si ce ne sont des éloges.
Le style est sobre tout en étant travaillé... personnellement, je n'ai rien à en dire si ce ne sont des éloges.
Invité- Invité
Dedans.
Bonjour,
Sobriété et précision, voilà ce qui me vient à l'esprit. En même temps, on peut lire en filigrane une sorte de lyrisme, mais rien d'outrancier.
J'avoue m'en être tenu au texte. Je voulais pouvoir garder un avis objectif sur lui, et donc ne me référer qu'à lui.
Je lis à droite à gauche, de temps en temps, des commentaires où on parle de sombrer ( ou pas ) dans le pathos. J'avoue ne pas trop savoir ce que ce terme recouvre mais je pose la question : comment traiter de la guerre ( ou autres absurdités typiques de Sapiens Sapiens qui se croit si malin ) sur un ton badin ? On est forcément tragique à un moment ou à un autre si on aborde tel sujet...
Alors sans trop savoir à quoi renvoie éventuellement cette notion de pathos, je dirai que vous avez traité le sujet, que vous étiez dedans. Et pour moi, c'est un compliment.
Au plaisir,
Ubik.
Sobriété et précision, voilà ce qui me vient à l'esprit. En même temps, on peut lire en filigrane une sorte de lyrisme, mais rien d'outrancier.
J'avoue m'en être tenu au texte. Je voulais pouvoir garder un avis objectif sur lui, et donc ne me référer qu'à lui.
Je lis à droite à gauche, de temps en temps, des commentaires où on parle de sombrer ( ou pas ) dans le pathos. J'avoue ne pas trop savoir ce que ce terme recouvre mais je pose la question : comment traiter de la guerre ( ou autres absurdités typiques de Sapiens Sapiens qui se croit si malin ) sur un ton badin ? On est forcément tragique à un moment ou à un autre si on aborde tel sujet...
Alors sans trop savoir à quoi renvoie éventuellement cette notion de pathos, je dirai que vous avez traité le sujet, que vous étiez dedans. Et pour moi, c'est un compliment.
Au plaisir,
Ubik.
Re: Ils sont là
Le pathos est une forme exacerbée du désir d'émouvoir systématiquement, encore et toujours, même lorsque le sujet ne s'y prête pas.
Mais ici le pari est tenu.
Mais ici le pari est tenu.
Invité- Invité
Re: Ils sont là
Le style est bien travaillé... L'histoire est touchante, personnellement, j'ai beaucoup aimé...
Re: Ils sont là
C’est une des fonctions de l’art : faire voir ce qui, le plus souvent, est inaperçu par les yeux ou la conscience. P. Klee le disait : « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible ».
Alors tu nous les montre : « ils sont là » ; alors tu indiques leur présence. A ces yeux rivés sur les vitrines au pouvoir séducteur irrésistible d’aimanter les regards, ces transparences qui n’arrêtent la vue qu’aux objets d’une consommation effrénée, promesses chimériques de bonheur, à ces yeux-là, tu leur montres. Tu leur fais voir les densités et les profondeurs d’une humanité. Tu détournes leur vision d’un monde de la perpétuelle euphorie apparente, des désinvoltures et insouciances.
Oui, ils sont là, il faut les voir, chargés du poids d’un passé ; les voir dans l’opacité de sédiments déposés par les années écoulées en bonheurs fragiles, en terreurs indicibles ; en silences douloureux.
Ils ont cette présence muette à laquelle tu donnes une parole.
Ils sont là, ceux qui ont l’esprit ailleurs, vers les temps qui ne sont plus, vers des lieux défigurés. Ils sont présents de leur absence.
Tu mets au jour la nuit qui les habite ; tu mets en lumière les ténèbres qui les ont envahis.
Tu les habilles d’un autre regard que celui de l’œil qui vise sa cible dans l’objectif d’un fusil, tu les écartes d’un point de mire vengeur et assassin, tu donnes à voir leurs nostalgies et leurs espérances, tu donnes à voir de l’humain, avec des yeux teintés d’humanité. Tu nous mets face à la douleur, d’aujourd’hui et de toujours, avec empathie, avec la force d’un refus, avec écho : pas d’oubli. Ils sont là. Et avec eux la terreur, et avec eux l’intolérable.
Je n’ai pas détourné le regard. Douloureux regard. Mais combien d’yeux pour te lire ?
Merci de ces mots, Romane, panneaux indicateurs qui tirent, avec humanité, la réalité de l’invisible.
Alors tu nous les montre : « ils sont là » ; alors tu indiques leur présence. A ces yeux rivés sur les vitrines au pouvoir séducteur irrésistible d’aimanter les regards, ces transparences qui n’arrêtent la vue qu’aux objets d’une consommation effrénée, promesses chimériques de bonheur, à ces yeux-là, tu leur montres. Tu leur fais voir les densités et les profondeurs d’une humanité. Tu détournes leur vision d’un monde de la perpétuelle euphorie apparente, des désinvoltures et insouciances.
Oui, ils sont là, il faut les voir, chargés du poids d’un passé ; les voir dans l’opacité de sédiments déposés par les années écoulées en bonheurs fragiles, en terreurs indicibles ; en silences douloureux.
Ils ont cette présence muette à laquelle tu donnes une parole.
Ils sont là, ceux qui ont l’esprit ailleurs, vers les temps qui ne sont plus, vers des lieux défigurés. Ils sont présents de leur absence.
Tu mets au jour la nuit qui les habite ; tu mets en lumière les ténèbres qui les ont envahis.
Tu les habilles d’un autre regard que celui de l’œil qui vise sa cible dans l’objectif d’un fusil, tu les écartes d’un point de mire vengeur et assassin, tu donnes à voir leurs nostalgies et leurs espérances, tu donnes à voir de l’humain, avec des yeux teintés d’humanité. Tu nous mets face à la douleur, d’aujourd’hui et de toujours, avec empathie, avec la force d’un refus, avec écho : pas d’oubli. Ils sont là. Et avec eux la terreur, et avec eux l’intolérable.
Je n’ai pas détourné le regard. Douloureux regard. Mais combien d’yeux pour te lire ?
Merci de ces mots, Romane, panneaux indicateurs qui tirent, avec humanité, la réalité de l’invisible.
Louis- Nombre de messages : 458
Age : 69
Date d'inscription : 28/10/2009
Re: Ils sont là
Je ne savais rien de l'interdit et de la déchéance sociale qui frappent les femmes violées là bas (pas si loin d'ici) : quel cauchemar !
boc21fr- Nombre de messages : 4770
Age : 54
Localisation : Grugeons, ville de culture...de vin rouge et de moutarde
Date d'inscription : 03/01/2008
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