Les pieds sur terre (version longue)
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Les pieds sur terre (version longue)
Bonsoir tout le monde.
Certains d'entre-vous doivent déjà connaître ce texte. il s'agit toutefois d'une version plus longue légèrement modifiée pour être mis en scène, un jour, peut-être.
Les pieds sur terre
Qu'est ce que j'en avais à fout' moi de mon intime conviction. J'avais ma ferme, avec toutes les terres à cultiver, et les bêtes à soigner. Mes cochons, comme ils étaient magnifiques, bien gras, bien dodus. Puis mes vaches, c'étaient de bonnes laitières. Pour mes poules, j'en avais tout un régiment. Mais attention, du premier choix, toutes aussi stupides les unes que les autres. Une fois, à la place du grain, je leur avais envoyé de la limaille de fer, juste pour voir. Et bien, j'ai vu : c'est vrai que c'est pas malin. Elles ont tout mangé. Il y en a même quelques unes qui ont crevé.
Enfin, je m'occupais, j'étais tranquille. De temps en temps, Jacques, c'est mon voisin, il passait me voir. Dans le coin, on aime pas grand monde, mais entre nous, ça allait plutôt bien. Il arrivait le soir avec la saucisse dans son sac, et moi je sortais la gnôle. On parlait un peu, on mangeait aussi, mais surtout on buvait. Qu'est ce qu'on picolait ! Mais bon, il passe plus maintenant. Il est comme les cochons, c'est rancunier qu'on dit. Encore une fois, c'est pas ma faute, c'est à cause de nonobstant. Depuis, on est fâchés. C'est comme ça.
Une fois par mois, je mettais la belle chemise, toute propre et colorée. Je me coiffais et même que je me rasais. Je me rendais comme ça en ville pour le marché. Il y avait un petit bistrot non loin de mon étalage. Lorsque j'avais tout rangé dans mon estafette, je m'enfilais quelques pastis là-bas et ça allait mieux. Après j'allais voir les filles, celles qu'on paie, évidemment. Faut pas rêver. Je me faisais plaisir et je rentrais à la maison. Mais pas les autres, je comprends pas les femmes.
Une fois j'en avais vu une. Elle tournait autour de moi. Je croyais qu'elle m'aimait, qu'elle voulait mon sexe. C'était pas mon estafette qui l'attirait quand même. Alors, je l'ai secouée à l'arrière de mon camion, sur les cagettes de patates. Mais en fait elle voulait pas. Ça m'a apporté de ces ennuis. Pas la peine de raconter, c'est trop long et trop compliqué. Pour dire comme c'était tordu cette histoire, j'ai rien compris. Enfin. Depuis cette fois là, j'ai plus jamais adressé la parole à une femme. Elles pensent pas comme nous, c'est tout.
La vie paisible, je vous dis. Bien réglée, pas de problème.
Maintenant, tout ça, c'est fini. Mes poules ? Envolées. Mes cochons ? Pft, il y en a plus, je les ai tous sacrifiés. Mes vaches ? Elles sont par là, mais je m'en fous. Quant à mes terres... Et bien ça fait déjà un bon p'tit bout de temps que je sais même plus à quoi elles ressemblent !
J'ai tout foutu en l'air. Tout seul, j'ai eu besoin de personne. Et oui. Du grand Pierre Ménard. Le plus fort, c'est que j'ai rien vu venir. Et tout ça pour quoi ? Pour du vent. Pour remplir les courants d'airs qui circulent dans ma tête, pour changer d'air, j'sais même pas. Ça vous ait jamais arrivé de vous dire que, ce que faîtes, ce que vous vivez, c'est pas vraiment vous qu'on voit ?
Pour moi c'est ça, parce que du jour où je l'ai rencontré, j'étais plus vraiment moi-même. Faut que je vous raconte comment ça s'est passé.
« C'est le soir. Jacques vient de partir et la gnôle est finie. Mais je veux m'en mettre un petit dernier avant de ranger le jambon dans le torchon, enfin, prendre un ptit verre, manière de ronfler comme y faut. Alors, je descends à la cave. Arrivé en bas, juste à côté de ma réserve d'alcool, il y a un machin qu'attire mon attention. C'est comme une grosse brique grise. J'ai jamais vu de truc comme çà. Du coup, je me dis, il y a quelqu'un qu'est venu. C'est peut être un piège. Je remonte les escaliers vite fait et je retourne en bas avec mon fusil de chasse, chargé bien sûr. Je regarde tout autour de moi : personne. Vaut mieux que le gars soit parti, sinon, tant pis pour lui. Il aurait fini comme engrais pour mes champs le type. Faut pas déconner. Aller chez les gens, boire leur gnôle et puis repartir, ça s'fait pas !
Bref. Je commence par tâter l'engin du bout de mon canon. Lorsque je tape sur le dessus, c'est tout dur. Et au milieu, l'arme s'enfonce un peu. En tout cas ç'a pas l'air bien dangereux. Alors je m'approche. Je le regarde, il est recouvert de poussière, comme si personne l'avait jamais touché. Bizarre quand même, c'est venu comment ? Je souffle dessus et je le touche du bout des doigts. C'est du cuir. Je le prends dans la main, ça s'ouvre. Dedans c'est plus de la peau de vache, mais du papier. C'est un livre ! Qu'est ce que ça fout là ? J'en ai jamais eu des trucs comme çà, moi. Faut avoir fait des études pour ça, et être un peu pédé aussi. Je regarde autour de moi, je suis tout seul. Jacques doit être chez lui en ce moment. Il va pas pas me voir, c'est sûr. Alors, je mets le bordel sous mon pull, au cas où, et je retourne dans la cuisine avec une bonne bouteille de pif.
Je me pose, je me sers un verre et j'ouvre le bidule. Je le feuillette. C'est tout pourri. Pas une seule image et écrit tout serré. Je jette un œil autour de moi. Toujours personne. Alors je commence à lire. Enfin, à essayer. J'y comprends que dalle. Pleins de mots compliqués, en gros français et tout et tout. Je suis vraiment dans un drôle de pétrin. En tout cas, ça parle ni de vache ni de cochon, ça c'est sûr. Mais je m'accroche. Tout le temps de la bouteille, j'essaye. Mais pas moyen. Et comme le vin commence à monter à la tête, je vais me coucher.
Le lendemain matin, je sors soigner les bêtes puis je retourne dans la cuisine. Il est toujours là le livre. Et là, je le regarde bien droit et je lui dit « Eh mon coco, t'es chez moi. Tu vas pas faire le malin. Je vais te lire. Tout entier. Aussi vrai que je m'appelle Ménard. » J'ai pas raison ? Il se croit pour qui ? Vous vous seriez laissé faire par un bout de papier ?
Alors je me plonge dedans. Je tourne les pages, j'essaie de comprendre, je le retourne, je prends une rasade, je le jette et je l'insulte (pour qu'y comprenne qui c'est le patron). Je me concentre tellement que je me rends pas compte des heures qui défilent. C'est alors que j'entends du bruit devant la maison. C'est mon Jacques avec son cabas sous le bras. C'est déjà la nuit !
Quand il arrive, je suis autant saoulé par la gnôle que par mes efforts. Il se pose et on commence à causer :
― Eh mon cochon, t'es tout seul ? Je t'ai entendu hurler.
― C'est pas ça, regarde c'que j'ai trouvé à côté de mon alambic.
― Mais ? C'est un livre ! Ça fout quoi ici ?
― bein je sais pas. C'était là, c'est tout.
― Tu serais pas un peu de la jaquette comme on dit toi ? Rassure moi, t'es pas pédé ?
― Ouh toi. Ouh toi ! Fais attention à ce que tu dis. Je vais te casser la tête. On est copains, mais t'es chez moi. Et on m'insulte pas ici !
― Calme toi mon Pierrot, ça va. Pardon.
Là, il commence à m'énerver, mais bon, c'est mon copain.
― Bon assieds-toi. Je te sers un coup et je te raconte.
Alors il s'assoit, et je lui raconte. À la fin il se lève pour se servir un autre verre et il me dit.
― Et bein, t'es dans de beaux draps. Je voudrais bien t'aider, mais moi les livres... je préfère les femmes, tu vois. Faut un gars qu'a fait des études pour t'aider.
― T'en connais toi ?
― Attends, j'essaie de réfléchir. Mais oui, on est cons. Y en a un qu'on connait, il est même venu ici une fois.
― Recommence pas Jacques.
― Mais non, c'est le docteur. Il a toujours un gros livre rouge dans son sac avec des mots super savants. Mais il viendra pas pour te dire ce que veut dire... je sais pas pas moi, donne m'en un de mot.
Alors, j'ouvre le livre, et j'en cherche un vachement difficile.
― Celui là, tiens ! Nonobstant, c'est quoi ce truc là ?
― Ouh là ! T'as vraiment besoin d'aide toi. Y a que l'autre intello au livre rouge qui peut te le dire.
Et là, il me vient une idée géniale.
― Jacques, t'es gaucher ou droitier ?
― Droitier comme tout le monde. Pourquoi ?
À ce moment là, je choppe un rondin de bois et je lui pète le bras gauche.
Il se met à hurler, et je lui sors :
― Calme toi mon Jacques. Tiens le coup, j'appelle le docteur.
Et mon Jacques qui hurle, il se roule par terre, il m'insulte et il crie. Finalement le docteur arrive. Il voit mon voisin le bras tordu en train de me traiter de tous les noms d'oiseaux. Moi je suis pressé, alors je lui demande : « Nonobstant, ça veut dire quoi ? ». Mais le docteur, il est futé. Je sais pas comment il a fait, mais il a tout compris. Il me traite de fou et me dit de plus jamais l'appeler. Puis il soigne mon Jacques, il le prend dans sa voiture et l'amène à l'hôpital. Et je me retrouve seul avec mon livre, pas plus avancé. Quelle histoire !
Et là, je cherche. Qui pourrait m'aider ? Le docteur, c'est sûr y voudra plus. Alors j'ai une autre idée, c'est pas le seul gars qu'a fait des études. Y en a un autre, vachement sympa en plus. Alors, je cours dans le poulailler et j'y balance de la limaille de fer. J'attends un peu, et j'appelle le vétérinaire.
Elle est pas bonne mon idée ?
Il a été gentil. Bon j'ai été plus finaud aussi. J'ai pas posé les questions de suite, mais lui, il écoutait, et il répondait. Il m'a même demandé pourquoi je lui causais de tout ça. Alors je lui ai montré le livre. Ça lui a cloué le bec. Ah ça, ça l'a surpris ! Il en revenait pas de me voir avec un truc pareil.
Faut dire qu'il a de la gueule le livre. Tein, regardez-le, admirez le...
Avec toute sa poussière qui le recouvre, on ose à peine le toucher. En plus, si on regarde un peu mieux la couverture en cuir qui craquelle tellement qu'il a vécu, on peut voir des fils dorés un peu partout. Ah ça, tu sais de suite que c'est pas les résultats du PMU que t'as entre les mains ! À le voir comme ça, tout vieux, tout épais et tout beau, il en jette. On dirait carrément un livre de recettes pour magicien.
Vous auriez vu la tête du vétérinaire. Son cou était tendu vers l'avant, ses yeux étaient tous ronds comme des phares de mobylette, son menton tombait, sa bouche en était grande ouverte, prête à gober les mouches qui passaient dans les parages, y avait même un filet de bave qui coulait depuis le coin de ses lèvres. Il était beau, tein, l'intellectuel. Il serait sorti comme ça dehors, sûr que les enfants ils auraient jeté des pierres. C'est que j'avais bien compris qu'il aurait voulu le prendre entre ses doigts rien qu'un instant. Hé hé, mais c'est mon livre ! Y a que Pierre Ménard qui le touche, et Pierre Ménard, c'est mézigue.
Bref, quand il est parti, grâce au coup des poules, j'ai pu lire la première page. Pour les suivantes, j'ai mis les cochons à contribution. Je leur ai pété les pattes. Elles ont couiné les bêtes, mais ça valait le coup. Et puis, on attire pas les mouches avec du vinaigre, on peut pas tout avoir à l'œil quand même. Après avoir vu ma porcherie, il m'a regardé bizarrement, il a répondu à mes questions et il est parti.
Le lendemain matin, j'en suis à la troisième page et je m'apprête à faire un truc avec mes vaches pour continuer à lire. Mais y a quelqu'un qui frappe à la porte. Je me lève, je vais à la porte. Et qu'est-ce que je vois ? C'est le vétérinaire qu'est de nouveau chez moi sans même que je l'appelle. Il rentre, je lui sers du café, et il me sort un autre livre. Il est énorme. J'en ai jamais vu d'aussi gros. Il m'explique comment on s'en sert, il me le donne et puis repart. C'est magique un dictionnaire ! Vous trouvez pas. ? Ça sauve la vie des vaches.
Et puis surtout, on découvre plein de mots. J'ai commencé par m'attaquer au résumé du livre, le titre, quoi. C'était « Mon intime conviction ». Alors j'ai cherché intime dans le dictionnaire. C'était entre intimation et intimé. Y en avait cinq de définitions. J'ai pris la première, c'était la plus courte. Ça disait : qui est à l'intérieur et au plus profond. Je me suis dit, ça, à coup sûr, c'est l'eau du puits. Il est vachement profond mon puits. Ensuite c'était le tour de conviction. Alors la conviction est une croyance ferme. Une ferme, je voyais bien ce que c'était, j'en ai une. Pour la croyance, j'étais pas sûr. C'était le truc de l'église et c'était pas vraiment mon fort. En résumant, mon intime conviction voulait dire mon eau du puits d'une ferme à côté d'une église. C'était n'importe quoi.
Alors, je me suis mis à utiliser ma tête, à réfléchir. C'était difficile, ça grattait à l'intérieur. Je me dis, l'eau du puits, ça va. Mais il y a « Mon » devant, donc c'est à moi. Les trucs d'église, j'y vais pas trop, par contre la ferme, ça c'est bien à moi. Alors j'oublie le curé et je garde la ferme. Et la, ça prend du sens. Mon intime conviction, c'est en fait mon eau à moi. Je sais de quoi cause le livre, ça parle de mon puits. Quand je vois l'épaisseur, je suis surpris. À moins de décrire les briques une par une, il n'y a pas de quoi en faire tout un plat, alors un livre, pensez vous. Je lui dis alors : « Maintenant, on va parler tous les deux. Je te préviens, les histoires de forage, je m'en fous. Dis moi des choses intéressantes ». Puis je me suis mis à lire.
Au début, c'était compliqué. Je cherchais tellement de mots dans le dictionnaire que je perdais le sens des phrases. Alors je m'accrochais, et, au bout d'un moment, les mots, soit je les avais déjà cherchés soit ils ressemblaient à d'autres et je les comprenais tout seul. Des pages entières défilaient sans même ouvrir le dictionnaire. Cette fois-ci, j'étais parti.
Comme une poule devant son grain, j'engloutissais les mots les uns après les autres. Sans même savoir pourquoi, j'étais aspiré par ce livre. Du coup, j'avais réorganisé ma maison. Je vivais dans la cuisine. J'y avais installé le matelas à même le sol. De toutes façons, je dormais presque plus. De mes cochons, j'en avais fait des jambons. Je les avais suspendus autour de la table. Comme ça, quand j'avais un creux, je m'arrêtais juste le temps de me couper une tranche. Et puis, il y avait la soif. Alors j'avais monté toute ma réserve d'alcool. Là, j'étais tranquille, plus besoin de bouger. Mes yeux pouvaient suivre les lignes du récit de jour comme de nuit. Là c'était intéressant, ah ça... c'était bien meilleur que des coups de bâton.
Le livre est écrit par un vieux monsieur. Il dit qu'il est dans les ténèbres de l'au-delà. J'sais pas où c'est, mais en tout cas, ç'a pas l'air d'être la fête du slip, ah ça on s'amuse pas trop, là bas. Alors, comme il a rien à faire, il écrit ses mémoires. Du coup, il raconte plein d'histoires extraordinaires qu'il a vécues. Je suis pas goïste, je peux pas garder ça pour moi, je vous amène ? Je vous en donne du rêve?
Mais faut pas être trop dur avec moi, d'accord ? Je suis qu'un paysan. Regardez mes mains. Elles sont rudes comme du bois à force de tâter la terre. Par contre, ma tête, elle, elle ne m'a jamais vraiment beaucoup servi. Quant à raconter des histoires, mis à part parler de la pluie et du beau temps avec mon Jacques, vous avez vu quelqu'un autour de moi ? Je ne parle qu'à mes bêtes. C'est tout...
Alors, quand il vivait, j'étais pas né, tout comme le père de mon père et celui de mon arrière arrière grand père. J'suis sûr que j'en oublie. À l'époque, il y avait même pas de tracteur. Les paysans, ils labouraient la terre avec les bêtes. Ils avaient la vie difficile les pauvres bougres. Les présidents, ça existait pas, les usines non plus, tout comme l'électricité. Il y avait un roi, des gouverneurs et des gens super riches qui vivaient dans des châteaux.
Souvent, ils avaient des filles belles comme le jour. C'étaient des princesses. Tout le monde voulait se marier avec elles tellement elles étaient fraîches et pures comme de l'eau de source. Alors leur père, il avait peur. Il les enfermaient dans leur chambre. Mais les prétendants, ils avaient plus d'un tour dans leur sac, à l'époque on disait des besaces. Ils avaient donc plus d'un tour dans leur besace. Je dis comme ça pour que vous vous puissiez bien imaginer, je prends bien soin de vous quand même? Vous avez vu ?
Donc, les prétendants venaient le soir avec leur viole, c'est une sorte de guitare. Ils grattaient de la corde pour créer une ambiance de miel, et ils chantaient. Mais pas n'importe quoi, attention ! C'étaient des poèmes d'amour en l'honneur de leur rayon de soleil comme ils disaient.
La princesse, comme elle était vierge, elle aimait bien tout ça. ça la faisait frétiller à l'intérieur, elle en avait le cœur tout chamboulé la gamine. Des fois, ça se finissait en un mariage heureux avec plein de princes et de princesses en gestation. Mais bien souvent, le poète, il se faisait embrocher par les gardes du château.
Notre héros, lui aussi est amoureux. Il ne vit que pour sa dulcinée comme il dit. Selon lui, c'est la plus belle des femmes. Attendez, il y a un passage où il la décrit, je vais vous le lire.
Sa beauté est surhumaine, puisqu'en sa personne se réalisent les impossibles et les chimériques (adjectif : illusoire, qualifie un projet, un rêve irréalisable) attributs dont les poètes parent leur maîtresse. Ses cheveux sont de l'or, son front des Champs élysées, ses sourcils deux arcs célestes et ses yeux deux soleils ; ses joues sont des roses, ses lèvres des branches de corail (nom masculin : en zoologie, animal des mers tropicales de l'embranchement des cnidaires, vivant en colonie et sécrétant une substance calcaire) ses dents autant de perles ; elle a la gorge de marbre, les mains d'ivoire et la blancheur de la neige...
Je m'arrête là, mais ça continue. Elle est splendide hein ? Et il parle bien le livre, vous avez vu les mots qu'il connaît ? C'est pas le premier venu...
ça me rend tout chose ce genre de description. Je deviens tout tendre, comme quand on sort d'un bain bien chaud avec la peau toute flasque et les muscles tous mous.
Mais, il n'a pas de chance, car elle ne veut pas vraiment de lui. Du coup, pour lui montrer que son courage est inégalable, il part à l'aventure défier les monstres et les gredins. Et, dès qu'il met à terre l'un d'entre eux, il l'oblige à saluer la maîtresse de son cœur tout en vantant sa beauté et le courage de son fidèle serviteur.
Ses malheurs ne s'arrêtent pas là, non, non, ce serait trop facile. Un magicien de nom de Freston le hait tellement qu'il lui en veut à mort. Il n'arrête pas de lui faire prendre des vessies pour des lanternes pendant toutes ses aventures.
Par exemple, un beau jour, en pleine campagne, il voit au loin toute une troupe de géants. Ils sont effrayants, des mètres de hauteur avec des bras à n'en plus finir qui brassent le vent pour faire peur aux gens. Et puis, il n'y en a pas qu'un. Ils sont au moins une trentaine, paisibles, un peu comme des vaches en train de brouter l'herbe dans un champ. Je suis persuadé qu'ils sont en train de digérer de l'humain au soleil sans se soucier de quoi que ce soit.
Sauf que, sauf que, vl'a not' chevalier qu'arrive.
Certains d'entre-vous doivent déjà connaître ce texte. il s'agit toutefois d'une version plus longue légèrement modifiée pour être mis en scène, un jour, peut-être.
Les pieds sur terre
Qu'est ce que j'en avais à fout' moi de mon intime conviction. J'avais ma ferme, avec toutes les terres à cultiver, et les bêtes à soigner. Mes cochons, comme ils étaient magnifiques, bien gras, bien dodus. Puis mes vaches, c'étaient de bonnes laitières. Pour mes poules, j'en avais tout un régiment. Mais attention, du premier choix, toutes aussi stupides les unes que les autres. Une fois, à la place du grain, je leur avais envoyé de la limaille de fer, juste pour voir. Et bien, j'ai vu : c'est vrai que c'est pas malin. Elles ont tout mangé. Il y en a même quelques unes qui ont crevé.
Enfin, je m'occupais, j'étais tranquille. De temps en temps, Jacques, c'est mon voisin, il passait me voir. Dans le coin, on aime pas grand monde, mais entre nous, ça allait plutôt bien. Il arrivait le soir avec la saucisse dans son sac, et moi je sortais la gnôle. On parlait un peu, on mangeait aussi, mais surtout on buvait. Qu'est ce qu'on picolait ! Mais bon, il passe plus maintenant. Il est comme les cochons, c'est rancunier qu'on dit. Encore une fois, c'est pas ma faute, c'est à cause de nonobstant. Depuis, on est fâchés. C'est comme ça.
Une fois par mois, je mettais la belle chemise, toute propre et colorée. Je me coiffais et même que je me rasais. Je me rendais comme ça en ville pour le marché. Il y avait un petit bistrot non loin de mon étalage. Lorsque j'avais tout rangé dans mon estafette, je m'enfilais quelques pastis là-bas et ça allait mieux. Après j'allais voir les filles, celles qu'on paie, évidemment. Faut pas rêver. Je me faisais plaisir et je rentrais à la maison. Mais pas les autres, je comprends pas les femmes.
Une fois j'en avais vu une. Elle tournait autour de moi. Je croyais qu'elle m'aimait, qu'elle voulait mon sexe. C'était pas mon estafette qui l'attirait quand même. Alors, je l'ai secouée à l'arrière de mon camion, sur les cagettes de patates. Mais en fait elle voulait pas. Ça m'a apporté de ces ennuis. Pas la peine de raconter, c'est trop long et trop compliqué. Pour dire comme c'était tordu cette histoire, j'ai rien compris. Enfin. Depuis cette fois là, j'ai plus jamais adressé la parole à une femme. Elles pensent pas comme nous, c'est tout.
La vie paisible, je vous dis. Bien réglée, pas de problème.
Maintenant, tout ça, c'est fini. Mes poules ? Envolées. Mes cochons ? Pft, il y en a plus, je les ai tous sacrifiés. Mes vaches ? Elles sont par là, mais je m'en fous. Quant à mes terres... Et bien ça fait déjà un bon p'tit bout de temps que je sais même plus à quoi elles ressemblent !
J'ai tout foutu en l'air. Tout seul, j'ai eu besoin de personne. Et oui. Du grand Pierre Ménard. Le plus fort, c'est que j'ai rien vu venir. Et tout ça pour quoi ? Pour du vent. Pour remplir les courants d'airs qui circulent dans ma tête, pour changer d'air, j'sais même pas. Ça vous ait jamais arrivé de vous dire que, ce que faîtes, ce que vous vivez, c'est pas vraiment vous qu'on voit ?
Pour moi c'est ça, parce que du jour où je l'ai rencontré, j'étais plus vraiment moi-même. Faut que je vous raconte comment ça s'est passé.
« C'est le soir. Jacques vient de partir et la gnôle est finie. Mais je veux m'en mettre un petit dernier avant de ranger le jambon dans le torchon, enfin, prendre un ptit verre, manière de ronfler comme y faut. Alors, je descends à la cave. Arrivé en bas, juste à côté de ma réserve d'alcool, il y a un machin qu'attire mon attention. C'est comme une grosse brique grise. J'ai jamais vu de truc comme çà. Du coup, je me dis, il y a quelqu'un qu'est venu. C'est peut être un piège. Je remonte les escaliers vite fait et je retourne en bas avec mon fusil de chasse, chargé bien sûr. Je regarde tout autour de moi : personne. Vaut mieux que le gars soit parti, sinon, tant pis pour lui. Il aurait fini comme engrais pour mes champs le type. Faut pas déconner. Aller chez les gens, boire leur gnôle et puis repartir, ça s'fait pas !
Bref. Je commence par tâter l'engin du bout de mon canon. Lorsque je tape sur le dessus, c'est tout dur. Et au milieu, l'arme s'enfonce un peu. En tout cas ç'a pas l'air bien dangereux. Alors je m'approche. Je le regarde, il est recouvert de poussière, comme si personne l'avait jamais touché. Bizarre quand même, c'est venu comment ? Je souffle dessus et je le touche du bout des doigts. C'est du cuir. Je le prends dans la main, ça s'ouvre. Dedans c'est plus de la peau de vache, mais du papier. C'est un livre ! Qu'est ce que ça fout là ? J'en ai jamais eu des trucs comme çà, moi. Faut avoir fait des études pour ça, et être un peu pédé aussi. Je regarde autour de moi, je suis tout seul. Jacques doit être chez lui en ce moment. Il va pas pas me voir, c'est sûr. Alors, je mets le bordel sous mon pull, au cas où, et je retourne dans la cuisine avec une bonne bouteille de pif.
Je me pose, je me sers un verre et j'ouvre le bidule. Je le feuillette. C'est tout pourri. Pas une seule image et écrit tout serré. Je jette un œil autour de moi. Toujours personne. Alors je commence à lire. Enfin, à essayer. J'y comprends que dalle. Pleins de mots compliqués, en gros français et tout et tout. Je suis vraiment dans un drôle de pétrin. En tout cas, ça parle ni de vache ni de cochon, ça c'est sûr. Mais je m'accroche. Tout le temps de la bouteille, j'essaye. Mais pas moyen. Et comme le vin commence à monter à la tête, je vais me coucher.
Le lendemain matin, je sors soigner les bêtes puis je retourne dans la cuisine. Il est toujours là le livre. Et là, je le regarde bien droit et je lui dit « Eh mon coco, t'es chez moi. Tu vas pas faire le malin. Je vais te lire. Tout entier. Aussi vrai que je m'appelle Ménard. » J'ai pas raison ? Il se croit pour qui ? Vous vous seriez laissé faire par un bout de papier ?
Alors je me plonge dedans. Je tourne les pages, j'essaie de comprendre, je le retourne, je prends une rasade, je le jette et je l'insulte (pour qu'y comprenne qui c'est le patron). Je me concentre tellement que je me rends pas compte des heures qui défilent. C'est alors que j'entends du bruit devant la maison. C'est mon Jacques avec son cabas sous le bras. C'est déjà la nuit !
Quand il arrive, je suis autant saoulé par la gnôle que par mes efforts. Il se pose et on commence à causer :
― Eh mon cochon, t'es tout seul ? Je t'ai entendu hurler.
― C'est pas ça, regarde c'que j'ai trouvé à côté de mon alambic.
― Mais ? C'est un livre ! Ça fout quoi ici ?
― bein je sais pas. C'était là, c'est tout.
― Tu serais pas un peu de la jaquette comme on dit toi ? Rassure moi, t'es pas pédé ?
― Ouh toi. Ouh toi ! Fais attention à ce que tu dis. Je vais te casser la tête. On est copains, mais t'es chez moi. Et on m'insulte pas ici !
― Calme toi mon Pierrot, ça va. Pardon.
Là, il commence à m'énerver, mais bon, c'est mon copain.
― Bon assieds-toi. Je te sers un coup et je te raconte.
Alors il s'assoit, et je lui raconte. À la fin il se lève pour se servir un autre verre et il me dit.
― Et bein, t'es dans de beaux draps. Je voudrais bien t'aider, mais moi les livres... je préfère les femmes, tu vois. Faut un gars qu'a fait des études pour t'aider.
― T'en connais toi ?
― Attends, j'essaie de réfléchir. Mais oui, on est cons. Y en a un qu'on connait, il est même venu ici une fois.
― Recommence pas Jacques.
― Mais non, c'est le docteur. Il a toujours un gros livre rouge dans son sac avec des mots super savants. Mais il viendra pas pour te dire ce que veut dire... je sais pas pas moi, donne m'en un de mot.
Alors, j'ouvre le livre, et j'en cherche un vachement difficile.
― Celui là, tiens ! Nonobstant, c'est quoi ce truc là ?
― Ouh là ! T'as vraiment besoin d'aide toi. Y a que l'autre intello au livre rouge qui peut te le dire.
Et là, il me vient une idée géniale.
― Jacques, t'es gaucher ou droitier ?
― Droitier comme tout le monde. Pourquoi ?
À ce moment là, je choppe un rondin de bois et je lui pète le bras gauche.
Il se met à hurler, et je lui sors :
― Calme toi mon Jacques. Tiens le coup, j'appelle le docteur.
Et mon Jacques qui hurle, il se roule par terre, il m'insulte et il crie. Finalement le docteur arrive. Il voit mon voisin le bras tordu en train de me traiter de tous les noms d'oiseaux. Moi je suis pressé, alors je lui demande : « Nonobstant, ça veut dire quoi ? ». Mais le docteur, il est futé. Je sais pas comment il a fait, mais il a tout compris. Il me traite de fou et me dit de plus jamais l'appeler. Puis il soigne mon Jacques, il le prend dans sa voiture et l'amène à l'hôpital. Et je me retrouve seul avec mon livre, pas plus avancé. Quelle histoire !
Et là, je cherche. Qui pourrait m'aider ? Le docteur, c'est sûr y voudra plus. Alors j'ai une autre idée, c'est pas le seul gars qu'a fait des études. Y en a un autre, vachement sympa en plus. Alors, je cours dans le poulailler et j'y balance de la limaille de fer. J'attends un peu, et j'appelle le vétérinaire.
Elle est pas bonne mon idée ?
Il a été gentil. Bon j'ai été plus finaud aussi. J'ai pas posé les questions de suite, mais lui, il écoutait, et il répondait. Il m'a même demandé pourquoi je lui causais de tout ça. Alors je lui ai montré le livre. Ça lui a cloué le bec. Ah ça, ça l'a surpris ! Il en revenait pas de me voir avec un truc pareil.
Faut dire qu'il a de la gueule le livre. Tein, regardez-le, admirez le...
Avec toute sa poussière qui le recouvre, on ose à peine le toucher. En plus, si on regarde un peu mieux la couverture en cuir qui craquelle tellement qu'il a vécu, on peut voir des fils dorés un peu partout. Ah ça, tu sais de suite que c'est pas les résultats du PMU que t'as entre les mains ! À le voir comme ça, tout vieux, tout épais et tout beau, il en jette. On dirait carrément un livre de recettes pour magicien.
Vous auriez vu la tête du vétérinaire. Son cou était tendu vers l'avant, ses yeux étaient tous ronds comme des phares de mobylette, son menton tombait, sa bouche en était grande ouverte, prête à gober les mouches qui passaient dans les parages, y avait même un filet de bave qui coulait depuis le coin de ses lèvres. Il était beau, tein, l'intellectuel. Il serait sorti comme ça dehors, sûr que les enfants ils auraient jeté des pierres. C'est que j'avais bien compris qu'il aurait voulu le prendre entre ses doigts rien qu'un instant. Hé hé, mais c'est mon livre ! Y a que Pierre Ménard qui le touche, et Pierre Ménard, c'est mézigue.
Bref, quand il est parti, grâce au coup des poules, j'ai pu lire la première page. Pour les suivantes, j'ai mis les cochons à contribution. Je leur ai pété les pattes. Elles ont couiné les bêtes, mais ça valait le coup. Et puis, on attire pas les mouches avec du vinaigre, on peut pas tout avoir à l'œil quand même. Après avoir vu ma porcherie, il m'a regardé bizarrement, il a répondu à mes questions et il est parti.
Le lendemain matin, j'en suis à la troisième page et je m'apprête à faire un truc avec mes vaches pour continuer à lire. Mais y a quelqu'un qui frappe à la porte. Je me lève, je vais à la porte. Et qu'est-ce que je vois ? C'est le vétérinaire qu'est de nouveau chez moi sans même que je l'appelle. Il rentre, je lui sers du café, et il me sort un autre livre. Il est énorme. J'en ai jamais vu d'aussi gros. Il m'explique comment on s'en sert, il me le donne et puis repart. C'est magique un dictionnaire ! Vous trouvez pas. ? Ça sauve la vie des vaches.
Et puis surtout, on découvre plein de mots. J'ai commencé par m'attaquer au résumé du livre, le titre, quoi. C'était « Mon intime conviction ». Alors j'ai cherché intime dans le dictionnaire. C'était entre intimation et intimé. Y en avait cinq de définitions. J'ai pris la première, c'était la plus courte. Ça disait : qui est à l'intérieur et au plus profond. Je me suis dit, ça, à coup sûr, c'est l'eau du puits. Il est vachement profond mon puits. Ensuite c'était le tour de conviction. Alors la conviction est une croyance ferme. Une ferme, je voyais bien ce que c'était, j'en ai une. Pour la croyance, j'étais pas sûr. C'était le truc de l'église et c'était pas vraiment mon fort. En résumant, mon intime conviction voulait dire mon eau du puits d'une ferme à côté d'une église. C'était n'importe quoi.
Alors, je me suis mis à utiliser ma tête, à réfléchir. C'était difficile, ça grattait à l'intérieur. Je me dis, l'eau du puits, ça va. Mais il y a « Mon » devant, donc c'est à moi. Les trucs d'église, j'y vais pas trop, par contre la ferme, ça c'est bien à moi. Alors j'oublie le curé et je garde la ferme. Et la, ça prend du sens. Mon intime conviction, c'est en fait mon eau à moi. Je sais de quoi cause le livre, ça parle de mon puits. Quand je vois l'épaisseur, je suis surpris. À moins de décrire les briques une par une, il n'y a pas de quoi en faire tout un plat, alors un livre, pensez vous. Je lui dis alors : « Maintenant, on va parler tous les deux. Je te préviens, les histoires de forage, je m'en fous. Dis moi des choses intéressantes ». Puis je me suis mis à lire.
Au début, c'était compliqué. Je cherchais tellement de mots dans le dictionnaire que je perdais le sens des phrases. Alors je m'accrochais, et, au bout d'un moment, les mots, soit je les avais déjà cherchés soit ils ressemblaient à d'autres et je les comprenais tout seul. Des pages entières défilaient sans même ouvrir le dictionnaire. Cette fois-ci, j'étais parti.
Comme une poule devant son grain, j'engloutissais les mots les uns après les autres. Sans même savoir pourquoi, j'étais aspiré par ce livre. Du coup, j'avais réorganisé ma maison. Je vivais dans la cuisine. J'y avais installé le matelas à même le sol. De toutes façons, je dormais presque plus. De mes cochons, j'en avais fait des jambons. Je les avais suspendus autour de la table. Comme ça, quand j'avais un creux, je m'arrêtais juste le temps de me couper une tranche. Et puis, il y avait la soif. Alors j'avais monté toute ma réserve d'alcool. Là, j'étais tranquille, plus besoin de bouger. Mes yeux pouvaient suivre les lignes du récit de jour comme de nuit. Là c'était intéressant, ah ça... c'était bien meilleur que des coups de bâton.
Le livre est écrit par un vieux monsieur. Il dit qu'il est dans les ténèbres de l'au-delà. J'sais pas où c'est, mais en tout cas, ç'a pas l'air d'être la fête du slip, ah ça on s'amuse pas trop, là bas. Alors, comme il a rien à faire, il écrit ses mémoires. Du coup, il raconte plein d'histoires extraordinaires qu'il a vécues. Je suis pas goïste, je peux pas garder ça pour moi, je vous amène ? Je vous en donne du rêve?
Mais faut pas être trop dur avec moi, d'accord ? Je suis qu'un paysan. Regardez mes mains. Elles sont rudes comme du bois à force de tâter la terre. Par contre, ma tête, elle, elle ne m'a jamais vraiment beaucoup servi. Quant à raconter des histoires, mis à part parler de la pluie et du beau temps avec mon Jacques, vous avez vu quelqu'un autour de moi ? Je ne parle qu'à mes bêtes. C'est tout...
Alors, quand il vivait, j'étais pas né, tout comme le père de mon père et celui de mon arrière arrière grand père. J'suis sûr que j'en oublie. À l'époque, il y avait même pas de tracteur. Les paysans, ils labouraient la terre avec les bêtes. Ils avaient la vie difficile les pauvres bougres. Les présidents, ça existait pas, les usines non plus, tout comme l'électricité. Il y avait un roi, des gouverneurs et des gens super riches qui vivaient dans des châteaux.
Souvent, ils avaient des filles belles comme le jour. C'étaient des princesses. Tout le monde voulait se marier avec elles tellement elles étaient fraîches et pures comme de l'eau de source. Alors leur père, il avait peur. Il les enfermaient dans leur chambre. Mais les prétendants, ils avaient plus d'un tour dans leur sac, à l'époque on disait des besaces. Ils avaient donc plus d'un tour dans leur besace. Je dis comme ça pour que vous vous puissiez bien imaginer, je prends bien soin de vous quand même? Vous avez vu ?
Donc, les prétendants venaient le soir avec leur viole, c'est une sorte de guitare. Ils grattaient de la corde pour créer une ambiance de miel, et ils chantaient. Mais pas n'importe quoi, attention ! C'étaient des poèmes d'amour en l'honneur de leur rayon de soleil comme ils disaient.
La princesse, comme elle était vierge, elle aimait bien tout ça. ça la faisait frétiller à l'intérieur, elle en avait le cœur tout chamboulé la gamine. Des fois, ça se finissait en un mariage heureux avec plein de princes et de princesses en gestation. Mais bien souvent, le poète, il se faisait embrocher par les gardes du château.
Notre héros, lui aussi est amoureux. Il ne vit que pour sa dulcinée comme il dit. Selon lui, c'est la plus belle des femmes. Attendez, il y a un passage où il la décrit, je vais vous le lire.
Sa beauté est surhumaine, puisqu'en sa personne se réalisent les impossibles et les chimériques (adjectif : illusoire, qualifie un projet, un rêve irréalisable) attributs dont les poètes parent leur maîtresse. Ses cheveux sont de l'or, son front des Champs élysées, ses sourcils deux arcs célestes et ses yeux deux soleils ; ses joues sont des roses, ses lèvres des branches de corail (nom masculin : en zoologie, animal des mers tropicales de l'embranchement des cnidaires, vivant en colonie et sécrétant une substance calcaire) ses dents autant de perles ; elle a la gorge de marbre, les mains d'ivoire et la blancheur de la neige...
Je m'arrête là, mais ça continue. Elle est splendide hein ? Et il parle bien le livre, vous avez vu les mots qu'il connaît ? C'est pas le premier venu...
ça me rend tout chose ce genre de description. Je deviens tout tendre, comme quand on sort d'un bain bien chaud avec la peau toute flasque et les muscles tous mous.
Mais, il n'a pas de chance, car elle ne veut pas vraiment de lui. Du coup, pour lui montrer que son courage est inégalable, il part à l'aventure défier les monstres et les gredins. Et, dès qu'il met à terre l'un d'entre eux, il l'oblige à saluer la maîtresse de son cœur tout en vantant sa beauté et le courage de son fidèle serviteur.
Ses malheurs ne s'arrêtent pas là, non, non, ce serait trop facile. Un magicien de nom de Freston le hait tellement qu'il lui en veut à mort. Il n'arrête pas de lui faire prendre des vessies pour des lanternes pendant toutes ses aventures.
Par exemple, un beau jour, en pleine campagne, il voit au loin toute une troupe de géants. Ils sont effrayants, des mètres de hauteur avec des bras à n'en plus finir qui brassent le vent pour faire peur aux gens. Et puis, il n'y en a pas qu'un. Ils sont au moins une trentaine, paisibles, un peu comme des vaches en train de brouter l'herbe dans un champ. Je suis persuadé qu'ils sont en train de digérer de l'humain au soleil sans se soucier de quoi que ce soit.
Sauf que, sauf que, vl'a not' chevalier qu'arrive.
chris- Nombre de messages : 89
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Re: Les pieds sur terre (version longue)
S'il y a bien une chose qu'il ne connaît pas, c'est bien la peur. Dès qu'il les aperçoit, il n'a qu'une seule idée en tête : aller les défier les uns après les autres pour leur faire mordre la poussière. Et, comme il suit l'ordre des chevaliers à la lettre, il n'y va pas par derrière, à la trait'. Il leur hurle dessus pour annoncer son attaque. À ce moment, le vent se lève et les géants se mettent à remuer les bras de plus en plus vite. Mais ce n'est pas ça qui va faire reculer notre chevalier. Au contraire, il réajuste son casque, replace son bouclier, pointe sa lance bien devant lui et fait galoper son fidèle cheval à tout allure en direction du premier monstre sur son chemin.
Il risque la mort, il le sait. Peut être qu'il ne reverra jamais sa belle, mais c'est pas grave. Il est fier et veut pas reculer.
Je ne sais pas vous, mais moi, lorsque j'ai lu ça pour la première fois, je n'ai pas pu m'empêcher de lui crier : « Mon noble, n'y va pas, ils vont faire de toi du pâté de chevalier en boîte ! ».
Mais il n'en faisait qu'à sa tête, il fonçait droit devant en direction de son ennemi. Moi j'avais peur pour deux, je retenais mon souffle. J'en avais même tous mes poils hérissés, comme le soir où j'avais voulu mettre les doigts dans une prise.
Comme il ne m'écoutait pas, j'ai fermé le livre et je me suis servi un bon verre pour faire passer mon tress, mais ça marchait pas non plus. J'en ai pris un second, toujours pareil. Alors, ne sachant plus quoi faire, pour la première de ma vie, je me suis mis à prier.
Ça m'a calmé un peu. Alors, je me suis replongé dans le livre. Juste à temps. Parti comme un éclair sur son cheval, il arrive devant le géant. Il le vise de sa lance, mais le monstre l'empoigne de sa main et envoie au loin monture et chevalier.
Je n'ose plus bouger, je suis tétanisé. Mais il se relève. Il a juste quelques bleus c'est tout. De mon côté, je revis, je remercie même le dieu de m'avoir écouté. Je me ressers même un verre pour fêter çà.
Mon noble ne comprend pas comment il a pu perdre la bataille si facilement. Il se retourne pour surveiller son ennemi. Et là, il comprend tout : c'est encore un coup de Freston. Freston. Vous vous souvenez ? Le maudit magicien ? Il les a tout simplement transformés en moulin à vent juste avant l'impact. Bien évidemment, mon noble, le grand, le célèbre Don Quichotte ne pouvait que se retrouver le cul par dessus terre.
Et c'est toujours comme ça. Il peut jamais se tourner les pouces, car ce Freston, il lui en fait voir de toutes les couleurs. Il n'arrête pas de le faire tourner en bourrique. Vous en voulez des exemples ?
Bon, de toutes façons, pour une fois que j'ai du monde avec qui parler, l'occasion fait le larron, comme on dit chez nous, je vais pas m'arrêter en si bon chemin.
Donc, un beau jour, alors qu'il est dans un château, il se croit en sécurité. Alors, pour une fois, il se laisse aller, il dort comme un bébé. Mais c'est sans compter sur Freston ! Il profite de son sommeil et ce satané magicien lui envoie un géant pour le découper en rondelles. Mais mon noble, c'est pas n'importe qui, il fait parti de la confrérie des chevaliers errants quand même. Il n'a même pas besoin d'ouvrir les yeux qu'il prend son épée et attaque le monstre. La bataille est terrible. Et mon noble, c'est pas le dernier pour titiller du gredin. Et tchac à droite, et ping à gauche. Un coup au dessus et, tong, la tête du géant dégringole sur le plancher tout tapissé de sang. Elle est énorme, de la taille d'une outre à vin. C'est d'ailleurs ce qu'il voit à son réveil, une outre à vin. Et le sang ? C'est plus du sang : c'est de la piquette.
Vous voyez ? Il est vraiment pas verni. En plus, comme c'est le seul qui est tarabusté par le rigolo qui fait ses tours, on le prend pour un guignol, pour un dérangé du ciboulot, pour un fou quoi.
Vous vous rendez compte ? Le plus grand des chevaliers errants de tous les temps, catalogué comme un charlot. Bon, c'est vrai que des fois, je doute un peu. Je me dis que ce sont des histoires qu'il se raconte, qu'elles n'existent pas vraiment, juste un peu dans sa tête.
Mais finalement, je m'en fiche, je me suis attaché à lui, je l'aime bien mon noble. Mais attention ! C'est pas de l'amour qui gazouille ! Ah ça non !
C'est que je vois bien que quand il commence à parler de chevalerie, il a comme un petit vélo dans la tête. Ça s'active beaucoup à l'intérieur, mais ça fait du sur place. Je veux pas le contredire. Et puis, je suis qui moi pour lui jeter la pierre ? Qui n'a jamais cherché dans le rêve un peu d'air quand on étouffe trop dans la vraie vie ?
Et lui, il rêve juste plus fort que les autres. J'me dis qu'il a seulement besoin de quelqu'un avec lui. Un peu le gros qui l'accompagne dans ses aventures.
Oh la boulette ! Oh la boulette ! Je cause, je cause et je vous sers le pâté sans vous proposer le pain, parce-que, même si mon noble, il l'avoue pas, il peut pas se passer de Sancho. Je me demande bien ce qu'il deviendrait sans ce brave type. Car, quand on choisit le métier de chevalier errant, il faut s'attendre à recevoir plus de volées que de lauriers. Et mon noble, comme il va pas avec le dos de la cuillère en aventure, il reçoit de ces raclées... de quoi décourager une mule à bouffer l'herbe du voisin.
Donc, Sancho Panza, c'est comme ça qu'il s'appelle, c'est son écuyer. Il le suit partout, et, quand mon noble va vraiment pas bien, il s'en occupe et y lui donne du courage.
C'est un paysan, enfin c'était. Car le jour où Don Quichotte part à l'aventure, il va le voir et lui propose de l'accompagner. Au début, Sancho, il est pas d'accord, car « un vaut mieux que deux tu l'auras » comme tout bon paysan il pense. Mais mon noble, en matière de rêve, il s'y connait : y lui en refile un échantillon. Et ni une ni deux, v'la Sancho du voyage. Il lui assure qu'au bout de quelques temps, il reviendra à la ferme. Mais pas une main devant une main derrière, pas du tout. Si la chance leur sourit, ce qui arrivera à un moment où à un autre, il aura le cul cousu d'or. Il sera même gouverneur d'un archipel. Gouverneur, vous vous rendez compte ? Alors il accepte. Et les voilà tous les deux partis, inséparables comme le pouce et l'index.
Quand mon noble il cause du petit gros, il a pas besoin de finir ses phrases que j'ai déjà ma petite idée de ce que va faire Sancho. C'est que, on est un peu pareils tous les deux. Bein oui, déjà, c'est un paysan, comme mezigue. Ce qui compte pour lui, c'est d'avoir le ventre plein et le gosier humide, et si possible avec du vin. Regardez. On est où ? Dans une cuisine, et autour de moi, vous voyez quoi ? Du bon jambon pour me remplir la panse, du bon vin du coin pour faire passer le solide.
Bon, Sancho, il a du mal à passer la seconde quand il réfléchit, mais il a plein de bon sens bien et des idées bien du terroir.
Quoi ? J'suis pas capable d'avoir des étincelles qui sortent de ma tête ? Et le coup de la limaille de fer pour appeler le vétérinaire, c'est pas un peu du génie ? Faut pas me prendre pour plus bête que je suis quand même.
Du coup, y a pas qu'à mon noble à qui il rend service. à moi aussi , il m'aide beaucoup. bein oui, grâce à lui, j'ai un peu trouvé ma place dans l'histoire. J'ai pas besoin de forcer mes méninges pour rentrer dans le livre. N'empêche, Comme il en a de la chance le Sancho. Tein, je donnerai bien tout ce que j'ai pour être à sa place.
Car, des fois, quand je lis, je me sens tout bizarre. Les mots raisonnent dans la tête. Ils emplissent alors le silence de ma cuisine, au point de lézarder les murs, de souffler dans les airs le plafond. Peu à peu, de ma maison, il ne reste plus rien. Et, au lieu d'être assis devant cette table, je chevauche une mule et on m'appelle Sancho.
Autour de moi, les champs s'étalent à perte de vue dans la vallée. C'est la saison des foins. Les paysans coupent l'herbe à la faux. À les voir suer comme des ânes en peine, il est évident qu'ils sont au service d'un seigneur sans cœur ni pitié. Une légère brise souffle sur mon visage. Il a plu toute la nuit dernière. Je sens l'odeur lourde de la terre fraîchement et longuement battue par un orage. Au fond, là bas, il y a une forêt, et, devant moi, mon maître, le grand Don Quichotte, ouvre la voie. Il chevauche sa monture. Plus brave que belle, cette fidèle rosse n'a plus que les os sur la peau. À chaque pas, elle balance de droite et de gauche son arrière-train tout décharné. Mon maître, lui, il est tout aussi mal en point. Mais il se tient droit comme un i, la tête haute, il regarde loin. Il porte fièrement son armure et tout son attirail. ça compte pas pour lui que tout est rouillé de partout. J'imagine même sa figure. Cabossée de tous les côtés, sous une barbe poussiéreuse, ses joues sont creusées et les dents cassées. Il pourrait faire de la peine. Mais, il suffit de croiser l'éclat de ses yeux pour l'envier de ce feu qui le porte. Plus droit que lui, il a sa lance. Elle est pointée vers le ciel, comme s'il défiait le créateur lui-même de le détourner de sa route.
Nous allons à l'aventure. D'ici peu, l'obscurité des bois va nous envelopper. Peut-être que des brigands nous attendent, ou, je sais pas moi, des monstres, prêts à nous sauter dessus. Mais c'est pas grave. Même si l'envie de fuir me serre les tripes, je suivrai mon maître. Et puis qui sait ? Peut être que c'est une princesse toute éplorée qui nous attend. Je n'ai qu'à fermer les yeux pour la voir dans un sous bois tout tapissé de fleurs. Elle est assise par terre et se tient le visage. C'est une princesse quand même. Elle est pas partie dans les bois pour qu'on la voit pleurer. C'est pudique une princesse ! Mais, dès qu'elle entend mon maître, elle lève la tête et se met debout. Sa beauté me laisse sans voix. C'est une de ces beautés insoutenable, étincelante, au point d'éblouir jusqu'au soleil, tout là haut, dans le ciel.
Vraiment, dans ces moments là, j'ai, comme qui dirait, déjà un pied dans le livre. J'ai l'impression que je n'aurais plus qu'à me laisser porter par ces lignes pour me déplacer et respirer dans cet autre monde.
Hélas, lorsque mes yeux sont trop fatigués pour suivre le récit, je dois fermer le livre, je me sens tout vidé. Je me retrouve alors assis devant ma table, dans le silence de ma solitude.
Comme vous pouvez l'imaginer, les soirées avec mon Jacques, j'y pense même plus, tout comme mes virées en ville. D'ailleurs, qu'est-ce-que je pourrais bien y faire au marché ? Je n'ai plus rien à vendre. Car il me faut bien vous l'avouer, m'occuper des terres m'ennuie. Je me suis spécialisé dans la culture de la jachère extensive comme les agriculteurs des ministères ils disent. Je produis des cailloux et du vent, pas facile à vendre sur un étalage. Quant à l'élevage, depuis les pages une et deux, il ne me reste que les vaches. Elles sont dans leur champ, je leur fous la paix. Finalement, la seule chose que je cultive, c'est moi même, en quête de mon eau profonde.
Eh, vous me prenez pour un idiot total ? Faut quand même pas jeter Mémé dans les orties ! Elle aimerait pas, ça serait un petit peu exagéré. Bien sûr qu'entre temps, le titre, je l'ai compris.
Vous voyez, si je vous dis que cette rencontre a changé ma vie, ce n'est pas un mot jeté en l'air. D'un côté, la découverte de ce bout de papier a rempli le vide de mon existence. Mais d'un autre, j'étais heureux dans ma petite réalité, je ne me posais pas de question, tout était simple. Alors que maintenant, en plus de découvrir la profondeur de mon ignorance, je me retrouve le cul entre deux chaises. Je ne sais plus si ce que je ressens, c'est du lard ou du cochon. Bein oui, j'arrive plus à séparer les deux mondes comme il faudrait.
Et ça va pas en s'améliorant. Tein, par exemple, il y a une bonne poignée de pages de cela, Sancho se fait bastonner. Et bien comme il faut. Vous savez ce qui m'est arrivé ? Et bein j'me lève et me voilà tout moulu comme si j'avais moi même reçu tous ces coups ! Ça m'inquiète.
En plus, mon maître, il fait que m'embrouiller car, dans le livre, il ne se contente pas de raconter sa vie. Il cause souvent de son intime conviction. Logique, c'est le titre. Ces passages, pfou, ils me grattent drôlement la tête. Que des mots super compliqués ! Il dit que depuis qu'il s'est retrouvé dans l'au-delà, il a un problème spatio-temporel. Il cherche sa place dans l'univers, le gars. Comme si c'était important. On a les pieds sur terre, c'est tout. Faut pas chercher midi à quatorze heures quand même, c'est pas là qui se trouve. Enfin, c'est c'que j'me disais. Mais non ! C'est pas ça qu'y croit. On se trompe. D'après lui, j'utilise les mots qu'y met parce que je peux pas mettre les miens, « le temps n'est qu'une abstraction de l'esprit (abstraction : nom féminin, privé de réalité). Ni arbre ni étoile ne s'étale en paysage, seul subsiste un ensemble immobile et immortel où chaque être n'est qu'une cellule de ce tout qu'est le présent. Et au milieu de tout cela, nous n'avons rien à faire, si ce n'est de s'exprimer, de briller, de fournir à cet univers des ondes positives. En un mot : d'être chevaleresque. »
Vachement intelligent le gars, mais il me fait de la peine. Il réfléchit trop. Il le sait mais il arrive pas à s'empêcher. Il dit que c'est l'inaction qui le rend comme ça. Car comme je vous l'ai raconté, avant, sa vie n'était qu'aventure et héroïsme comme y dit. Alors que là, il s'ennuie comme un rat mort.
Tout au long du livre, c'était comme ça, toujours pareil. Il racontait plein de trucs d'aventure, puis il retombait dans de la nostalgie. Je le voyais devant moi, avec sa figure toute triste à trop penser. Alors je lui disais : Eh Seigneur, tu veux pas un canon ? Ça te ferait du bien.
Évidemment il répondait pas. Enfin, pendant longtemps. Car, il y a quelques pages, il s'est passé un truc de fou. Je sais pas si c'était à cause de ma fatigue où bien si c'était vrai, mais j'avais l'impression qu'y me parlait. Remarque, je le comprenais. Nous étions tous les deux ensemble dans ma cuisine. Il devait s'ennuyer. Alors, même si je ne suis pas de son monde, il lui fallait de la compagnie.
Ça s'est passé comme ça. Je suivais les lignes d'un paragraphe, et tout à coup, il a écrit :
« ...Tiraillé par la faim, mon esprit s'embrumait. Alors que j'élevais mon âme en des sommets enivrants, cet amas de chair que constituait mon corps me rappelait à la terre. Mes simples et vulgaires viscères se jouaient de moi... »
Je suis peut être un peu bête et brute, mais je suis pas un mauvais bougre, çà non. Le seigneur était vraiment mal en point. Il fallait que je l'aide. Je lui ai dit :
― Bouge pas mon noble, je vais t'aider.
Je me suis levé, j'ai coupé une bonne tranchasse de jambon et je l'ai glissé dans le livre. Bien évidemment, je lui ai servi aussi un verre de vin, pour faire passer le tout. Et j'ai continué ma lecture. Pendant un moment, il continuait à délirer, mais un peu plus loin, il a mis :
« Comme les chemins de la providence peuvent être parfois insondables. Affamé, je n'ai trouvé le salut que par la générosité d'un paysan aussi simple d'esprit que bon de cœur. Il se tenait devant moi et buvait mes paroles, sans pour autant comprendre l'essence de mes propos.
J'étais à bout. Seule la volonté d'achever mon œuvre me retenait en ces lieux. Il s'approcha de moi et me fit offrande de nourriture et de vin. Non seulement mon corps se ressaisissait, mais ma volonté s'en trouva affermie. Je n'étais plus seul au monde, j'avais de nouveau un serviteur fervent... »
― Et je veux mon neveu que je suis ton fervent serviteur. Mais attention !! Simple d'esprit, j'ai pas eu besoin du dictionnaire pour comprendre, que je lui ai dit.
N'empêche, j'étais fier de moi. J'étais devenu un personnage du livre. C'est pas donné à tout le monde quand même. Bon, j'avais pas le premier rôle, plutôt celui de l'idiot, mais c'était le début.
Depuis ce jour, je me suis mis à prendre bien soin de mon patron. Tous les jours il avait droit à son jambon et à son vin. Bon, le livre, il aimait pas trop lui. Il dégoulinait de graisse et les tâches rouges ne faisaient pas vraiment joli. Mais mon noble, il avait repris du poil de la bête. Il en avait terminé avec ses jérémiades. Il était redevenu un vrai chevalier avec plein de courage. Il pouvait causer et causer sans même reprendre son souffle. Et moi, je suivais de mes yeux toutes ses histoires.
À partir de ce moment, le livre était comme écrit pour moi. On ne parlait plus d'intime conviction. Au contraire, il faisait des projets. »
Et voilà où j'en suis. Je suis assis devant ma table, j'ai la tête dans les jambons, je tape la causette avec un livre et je ne sais plus ce qui est vrai ou pas. Mais si c'était que ça. C'est que mon noble maintenant, y veut refaire une sortie comme y dit. Le plus fort, c'est qu'y veut que je l'accompagne. Je suis d'accord, je pense qu'à çà depuis qu'on se connaît. Mais je fais comment ? Il est dans un livre, et moi dans ma cuisine, les pieds sur terre.
Oh mon cochon ! Je viens de comprendre. Je l'ai trouvée mon eau profonde !
Les pieds sur terre, c'est parce que je le crois que c'est comme ça. La cuisine n'existe pas, pas plus que le temps. J'appartiens au présent, je suis dans le livre, je suis le livre.
Je sais ce que j'vais faire. Je vais préparer mon sac. J'vais y mettre une bonne dose de jambon, et bien sûr, surtout pas oublier le vin.
Puis, comme l'aurait dit mon maître, dans un moment, je quitterai cette scène qui n'existait pas. Tein, j'mettrais ma main au feu s'il m'attend pas dehors. J'le vois d'ici, il chevauche sa fidèle Rossinante, il s'impatiente, il m'attend. Et moi, et bien, j'vais monter sur mon âne et je le suivrai jusqu'au bout du monde si c'est là bas qui veut aller.
Le soleil n'a pas encore terminé sa course, foi de Sancho Panza !!!
Il risque la mort, il le sait. Peut être qu'il ne reverra jamais sa belle, mais c'est pas grave. Il est fier et veut pas reculer.
Je ne sais pas vous, mais moi, lorsque j'ai lu ça pour la première fois, je n'ai pas pu m'empêcher de lui crier : « Mon noble, n'y va pas, ils vont faire de toi du pâté de chevalier en boîte ! ».
Mais il n'en faisait qu'à sa tête, il fonçait droit devant en direction de son ennemi. Moi j'avais peur pour deux, je retenais mon souffle. J'en avais même tous mes poils hérissés, comme le soir où j'avais voulu mettre les doigts dans une prise.
Comme il ne m'écoutait pas, j'ai fermé le livre et je me suis servi un bon verre pour faire passer mon tress, mais ça marchait pas non plus. J'en ai pris un second, toujours pareil. Alors, ne sachant plus quoi faire, pour la première de ma vie, je me suis mis à prier.
Ça m'a calmé un peu. Alors, je me suis replongé dans le livre. Juste à temps. Parti comme un éclair sur son cheval, il arrive devant le géant. Il le vise de sa lance, mais le monstre l'empoigne de sa main et envoie au loin monture et chevalier.
Je n'ose plus bouger, je suis tétanisé. Mais il se relève. Il a juste quelques bleus c'est tout. De mon côté, je revis, je remercie même le dieu de m'avoir écouté. Je me ressers même un verre pour fêter çà.
Mon noble ne comprend pas comment il a pu perdre la bataille si facilement. Il se retourne pour surveiller son ennemi. Et là, il comprend tout : c'est encore un coup de Freston. Freston. Vous vous souvenez ? Le maudit magicien ? Il les a tout simplement transformés en moulin à vent juste avant l'impact. Bien évidemment, mon noble, le grand, le célèbre Don Quichotte ne pouvait que se retrouver le cul par dessus terre.
Et c'est toujours comme ça. Il peut jamais se tourner les pouces, car ce Freston, il lui en fait voir de toutes les couleurs. Il n'arrête pas de le faire tourner en bourrique. Vous en voulez des exemples ?
Bon, de toutes façons, pour une fois que j'ai du monde avec qui parler, l'occasion fait le larron, comme on dit chez nous, je vais pas m'arrêter en si bon chemin.
Donc, un beau jour, alors qu'il est dans un château, il se croit en sécurité. Alors, pour une fois, il se laisse aller, il dort comme un bébé. Mais c'est sans compter sur Freston ! Il profite de son sommeil et ce satané magicien lui envoie un géant pour le découper en rondelles. Mais mon noble, c'est pas n'importe qui, il fait parti de la confrérie des chevaliers errants quand même. Il n'a même pas besoin d'ouvrir les yeux qu'il prend son épée et attaque le monstre. La bataille est terrible. Et mon noble, c'est pas le dernier pour titiller du gredin. Et tchac à droite, et ping à gauche. Un coup au dessus et, tong, la tête du géant dégringole sur le plancher tout tapissé de sang. Elle est énorme, de la taille d'une outre à vin. C'est d'ailleurs ce qu'il voit à son réveil, une outre à vin. Et le sang ? C'est plus du sang : c'est de la piquette.
Vous voyez ? Il est vraiment pas verni. En plus, comme c'est le seul qui est tarabusté par le rigolo qui fait ses tours, on le prend pour un guignol, pour un dérangé du ciboulot, pour un fou quoi.
Vous vous rendez compte ? Le plus grand des chevaliers errants de tous les temps, catalogué comme un charlot. Bon, c'est vrai que des fois, je doute un peu. Je me dis que ce sont des histoires qu'il se raconte, qu'elles n'existent pas vraiment, juste un peu dans sa tête.
Mais finalement, je m'en fiche, je me suis attaché à lui, je l'aime bien mon noble. Mais attention ! C'est pas de l'amour qui gazouille ! Ah ça non !
C'est que je vois bien que quand il commence à parler de chevalerie, il a comme un petit vélo dans la tête. Ça s'active beaucoup à l'intérieur, mais ça fait du sur place. Je veux pas le contredire. Et puis, je suis qui moi pour lui jeter la pierre ? Qui n'a jamais cherché dans le rêve un peu d'air quand on étouffe trop dans la vraie vie ?
Et lui, il rêve juste plus fort que les autres. J'me dis qu'il a seulement besoin de quelqu'un avec lui. Un peu le gros qui l'accompagne dans ses aventures.
Oh la boulette ! Oh la boulette ! Je cause, je cause et je vous sers le pâté sans vous proposer le pain, parce-que, même si mon noble, il l'avoue pas, il peut pas se passer de Sancho. Je me demande bien ce qu'il deviendrait sans ce brave type. Car, quand on choisit le métier de chevalier errant, il faut s'attendre à recevoir plus de volées que de lauriers. Et mon noble, comme il va pas avec le dos de la cuillère en aventure, il reçoit de ces raclées... de quoi décourager une mule à bouffer l'herbe du voisin.
Donc, Sancho Panza, c'est comme ça qu'il s'appelle, c'est son écuyer. Il le suit partout, et, quand mon noble va vraiment pas bien, il s'en occupe et y lui donne du courage.
C'est un paysan, enfin c'était. Car le jour où Don Quichotte part à l'aventure, il va le voir et lui propose de l'accompagner. Au début, Sancho, il est pas d'accord, car « un vaut mieux que deux tu l'auras » comme tout bon paysan il pense. Mais mon noble, en matière de rêve, il s'y connait : y lui en refile un échantillon. Et ni une ni deux, v'la Sancho du voyage. Il lui assure qu'au bout de quelques temps, il reviendra à la ferme. Mais pas une main devant une main derrière, pas du tout. Si la chance leur sourit, ce qui arrivera à un moment où à un autre, il aura le cul cousu d'or. Il sera même gouverneur d'un archipel. Gouverneur, vous vous rendez compte ? Alors il accepte. Et les voilà tous les deux partis, inséparables comme le pouce et l'index.
Quand mon noble il cause du petit gros, il a pas besoin de finir ses phrases que j'ai déjà ma petite idée de ce que va faire Sancho. C'est que, on est un peu pareils tous les deux. Bein oui, déjà, c'est un paysan, comme mezigue. Ce qui compte pour lui, c'est d'avoir le ventre plein et le gosier humide, et si possible avec du vin. Regardez. On est où ? Dans une cuisine, et autour de moi, vous voyez quoi ? Du bon jambon pour me remplir la panse, du bon vin du coin pour faire passer le solide.
Bon, Sancho, il a du mal à passer la seconde quand il réfléchit, mais il a plein de bon sens bien et des idées bien du terroir.
Quoi ? J'suis pas capable d'avoir des étincelles qui sortent de ma tête ? Et le coup de la limaille de fer pour appeler le vétérinaire, c'est pas un peu du génie ? Faut pas me prendre pour plus bête que je suis quand même.
Du coup, y a pas qu'à mon noble à qui il rend service. à moi aussi , il m'aide beaucoup. bein oui, grâce à lui, j'ai un peu trouvé ma place dans l'histoire. J'ai pas besoin de forcer mes méninges pour rentrer dans le livre. N'empêche, Comme il en a de la chance le Sancho. Tein, je donnerai bien tout ce que j'ai pour être à sa place.
Car, des fois, quand je lis, je me sens tout bizarre. Les mots raisonnent dans la tête. Ils emplissent alors le silence de ma cuisine, au point de lézarder les murs, de souffler dans les airs le plafond. Peu à peu, de ma maison, il ne reste plus rien. Et, au lieu d'être assis devant cette table, je chevauche une mule et on m'appelle Sancho.
Autour de moi, les champs s'étalent à perte de vue dans la vallée. C'est la saison des foins. Les paysans coupent l'herbe à la faux. À les voir suer comme des ânes en peine, il est évident qu'ils sont au service d'un seigneur sans cœur ni pitié. Une légère brise souffle sur mon visage. Il a plu toute la nuit dernière. Je sens l'odeur lourde de la terre fraîchement et longuement battue par un orage. Au fond, là bas, il y a une forêt, et, devant moi, mon maître, le grand Don Quichotte, ouvre la voie. Il chevauche sa monture. Plus brave que belle, cette fidèle rosse n'a plus que les os sur la peau. À chaque pas, elle balance de droite et de gauche son arrière-train tout décharné. Mon maître, lui, il est tout aussi mal en point. Mais il se tient droit comme un i, la tête haute, il regarde loin. Il porte fièrement son armure et tout son attirail. ça compte pas pour lui que tout est rouillé de partout. J'imagine même sa figure. Cabossée de tous les côtés, sous une barbe poussiéreuse, ses joues sont creusées et les dents cassées. Il pourrait faire de la peine. Mais, il suffit de croiser l'éclat de ses yeux pour l'envier de ce feu qui le porte. Plus droit que lui, il a sa lance. Elle est pointée vers le ciel, comme s'il défiait le créateur lui-même de le détourner de sa route.
Nous allons à l'aventure. D'ici peu, l'obscurité des bois va nous envelopper. Peut-être que des brigands nous attendent, ou, je sais pas moi, des monstres, prêts à nous sauter dessus. Mais c'est pas grave. Même si l'envie de fuir me serre les tripes, je suivrai mon maître. Et puis qui sait ? Peut être que c'est une princesse toute éplorée qui nous attend. Je n'ai qu'à fermer les yeux pour la voir dans un sous bois tout tapissé de fleurs. Elle est assise par terre et se tient le visage. C'est une princesse quand même. Elle est pas partie dans les bois pour qu'on la voit pleurer. C'est pudique une princesse ! Mais, dès qu'elle entend mon maître, elle lève la tête et se met debout. Sa beauté me laisse sans voix. C'est une de ces beautés insoutenable, étincelante, au point d'éblouir jusqu'au soleil, tout là haut, dans le ciel.
Vraiment, dans ces moments là, j'ai, comme qui dirait, déjà un pied dans le livre. J'ai l'impression que je n'aurais plus qu'à me laisser porter par ces lignes pour me déplacer et respirer dans cet autre monde.
Hélas, lorsque mes yeux sont trop fatigués pour suivre le récit, je dois fermer le livre, je me sens tout vidé. Je me retrouve alors assis devant ma table, dans le silence de ma solitude.
Comme vous pouvez l'imaginer, les soirées avec mon Jacques, j'y pense même plus, tout comme mes virées en ville. D'ailleurs, qu'est-ce-que je pourrais bien y faire au marché ? Je n'ai plus rien à vendre. Car il me faut bien vous l'avouer, m'occuper des terres m'ennuie. Je me suis spécialisé dans la culture de la jachère extensive comme les agriculteurs des ministères ils disent. Je produis des cailloux et du vent, pas facile à vendre sur un étalage. Quant à l'élevage, depuis les pages une et deux, il ne me reste que les vaches. Elles sont dans leur champ, je leur fous la paix. Finalement, la seule chose que je cultive, c'est moi même, en quête de mon eau profonde.
Eh, vous me prenez pour un idiot total ? Faut quand même pas jeter Mémé dans les orties ! Elle aimerait pas, ça serait un petit peu exagéré. Bien sûr qu'entre temps, le titre, je l'ai compris.
Vous voyez, si je vous dis que cette rencontre a changé ma vie, ce n'est pas un mot jeté en l'air. D'un côté, la découverte de ce bout de papier a rempli le vide de mon existence. Mais d'un autre, j'étais heureux dans ma petite réalité, je ne me posais pas de question, tout était simple. Alors que maintenant, en plus de découvrir la profondeur de mon ignorance, je me retrouve le cul entre deux chaises. Je ne sais plus si ce que je ressens, c'est du lard ou du cochon. Bein oui, j'arrive plus à séparer les deux mondes comme il faudrait.
Et ça va pas en s'améliorant. Tein, par exemple, il y a une bonne poignée de pages de cela, Sancho se fait bastonner. Et bien comme il faut. Vous savez ce qui m'est arrivé ? Et bein j'me lève et me voilà tout moulu comme si j'avais moi même reçu tous ces coups ! Ça m'inquiète.
En plus, mon maître, il fait que m'embrouiller car, dans le livre, il ne se contente pas de raconter sa vie. Il cause souvent de son intime conviction. Logique, c'est le titre. Ces passages, pfou, ils me grattent drôlement la tête. Que des mots super compliqués ! Il dit que depuis qu'il s'est retrouvé dans l'au-delà, il a un problème spatio-temporel. Il cherche sa place dans l'univers, le gars. Comme si c'était important. On a les pieds sur terre, c'est tout. Faut pas chercher midi à quatorze heures quand même, c'est pas là qui se trouve. Enfin, c'est c'que j'me disais. Mais non ! C'est pas ça qu'y croit. On se trompe. D'après lui, j'utilise les mots qu'y met parce que je peux pas mettre les miens, « le temps n'est qu'une abstraction de l'esprit (abstraction : nom féminin, privé de réalité). Ni arbre ni étoile ne s'étale en paysage, seul subsiste un ensemble immobile et immortel où chaque être n'est qu'une cellule de ce tout qu'est le présent. Et au milieu de tout cela, nous n'avons rien à faire, si ce n'est de s'exprimer, de briller, de fournir à cet univers des ondes positives. En un mot : d'être chevaleresque. »
Vachement intelligent le gars, mais il me fait de la peine. Il réfléchit trop. Il le sait mais il arrive pas à s'empêcher. Il dit que c'est l'inaction qui le rend comme ça. Car comme je vous l'ai raconté, avant, sa vie n'était qu'aventure et héroïsme comme y dit. Alors que là, il s'ennuie comme un rat mort.
Tout au long du livre, c'était comme ça, toujours pareil. Il racontait plein de trucs d'aventure, puis il retombait dans de la nostalgie. Je le voyais devant moi, avec sa figure toute triste à trop penser. Alors je lui disais : Eh Seigneur, tu veux pas un canon ? Ça te ferait du bien.
Évidemment il répondait pas. Enfin, pendant longtemps. Car, il y a quelques pages, il s'est passé un truc de fou. Je sais pas si c'était à cause de ma fatigue où bien si c'était vrai, mais j'avais l'impression qu'y me parlait. Remarque, je le comprenais. Nous étions tous les deux ensemble dans ma cuisine. Il devait s'ennuyer. Alors, même si je ne suis pas de son monde, il lui fallait de la compagnie.
Ça s'est passé comme ça. Je suivais les lignes d'un paragraphe, et tout à coup, il a écrit :
« ...Tiraillé par la faim, mon esprit s'embrumait. Alors que j'élevais mon âme en des sommets enivrants, cet amas de chair que constituait mon corps me rappelait à la terre. Mes simples et vulgaires viscères se jouaient de moi... »
Je suis peut être un peu bête et brute, mais je suis pas un mauvais bougre, çà non. Le seigneur était vraiment mal en point. Il fallait que je l'aide. Je lui ai dit :
― Bouge pas mon noble, je vais t'aider.
Je me suis levé, j'ai coupé une bonne tranchasse de jambon et je l'ai glissé dans le livre. Bien évidemment, je lui ai servi aussi un verre de vin, pour faire passer le tout. Et j'ai continué ma lecture. Pendant un moment, il continuait à délirer, mais un peu plus loin, il a mis :
« Comme les chemins de la providence peuvent être parfois insondables. Affamé, je n'ai trouvé le salut que par la générosité d'un paysan aussi simple d'esprit que bon de cœur. Il se tenait devant moi et buvait mes paroles, sans pour autant comprendre l'essence de mes propos.
J'étais à bout. Seule la volonté d'achever mon œuvre me retenait en ces lieux. Il s'approcha de moi et me fit offrande de nourriture et de vin. Non seulement mon corps se ressaisissait, mais ma volonté s'en trouva affermie. Je n'étais plus seul au monde, j'avais de nouveau un serviteur fervent... »
― Et je veux mon neveu que je suis ton fervent serviteur. Mais attention !! Simple d'esprit, j'ai pas eu besoin du dictionnaire pour comprendre, que je lui ai dit.
N'empêche, j'étais fier de moi. J'étais devenu un personnage du livre. C'est pas donné à tout le monde quand même. Bon, j'avais pas le premier rôle, plutôt celui de l'idiot, mais c'était le début.
Depuis ce jour, je me suis mis à prendre bien soin de mon patron. Tous les jours il avait droit à son jambon et à son vin. Bon, le livre, il aimait pas trop lui. Il dégoulinait de graisse et les tâches rouges ne faisaient pas vraiment joli. Mais mon noble, il avait repris du poil de la bête. Il en avait terminé avec ses jérémiades. Il était redevenu un vrai chevalier avec plein de courage. Il pouvait causer et causer sans même reprendre son souffle. Et moi, je suivais de mes yeux toutes ses histoires.
À partir de ce moment, le livre était comme écrit pour moi. On ne parlait plus d'intime conviction. Au contraire, il faisait des projets. »
Et voilà où j'en suis. Je suis assis devant ma table, j'ai la tête dans les jambons, je tape la causette avec un livre et je ne sais plus ce qui est vrai ou pas. Mais si c'était que ça. C'est que mon noble maintenant, y veut refaire une sortie comme y dit. Le plus fort, c'est qu'y veut que je l'accompagne. Je suis d'accord, je pense qu'à çà depuis qu'on se connaît. Mais je fais comment ? Il est dans un livre, et moi dans ma cuisine, les pieds sur terre.
Oh mon cochon ! Je viens de comprendre. Je l'ai trouvée mon eau profonde !
Les pieds sur terre, c'est parce que je le crois que c'est comme ça. La cuisine n'existe pas, pas plus que le temps. J'appartiens au présent, je suis dans le livre, je suis le livre.
Je sais ce que j'vais faire. Je vais préparer mon sac. J'vais y mettre une bonne dose de jambon, et bien sûr, surtout pas oublier le vin.
Puis, comme l'aurait dit mon maître, dans un moment, je quitterai cette scène qui n'existait pas. Tein, j'mettrais ma main au feu s'il m'attend pas dehors. J'le vois d'ici, il chevauche sa fidèle Rossinante, il s'impatiente, il m'attend. Et moi, et bien, j'vais monter sur mon âne et je le suivrai jusqu'au bout du monde si c'est là bas qui veut aller.
Le soleil n'a pas encore terminé sa course, foi de Sancho Panza !!!
chris- Nombre de messages : 89
Age : 49
Date d'inscription : 25/05/2011
Re: Les pieds sur terre (version longue)
Bonsoir,
J'ai adoré le début du texte, je m'y suis plongée vraiment facilement. La lecture est agréable, le texte intéressant. Un très bon texte. Mais je dois avouer que j'ai un petit lâché lorsque Ménard commence à raconter le livre. Je suis descendue un peu voir quand ce passage terminait et je me suis rendue compte que vous le faisiez courir longtemps ce passage, ça m'a découragé. De plus, autant j'adore lorsque vous faites dire à votre personnage "Je dis comme ça pour que vous vous puissiez bien imaginer", mais le "je prends bien soin de vous quand même? Vous avez vu ?" est de trop. Je n'aime pas beaucoup les questions aux lecteurs. C'est un avis personnel ! Cela dit, je reviendrai, parce que le début m'a vraiment plu, beaucoup beaucoup !
Bien à vous,
Remus
J'ai adoré le début du texte, je m'y suis plongée vraiment facilement. La lecture est agréable, le texte intéressant. Un très bon texte. Mais je dois avouer que j'ai un petit lâché lorsque Ménard commence à raconter le livre. Je suis descendue un peu voir quand ce passage terminait et je me suis rendue compte que vous le faisiez courir longtemps ce passage, ça m'a découragé. De plus, autant j'adore lorsque vous faites dire à votre personnage "Je dis comme ça pour que vous vous puissiez bien imaginer", mais le "je prends bien soin de vous quand même? Vous avez vu ?" est de trop. Je n'aime pas beaucoup les questions aux lecteurs. C'est un avis personnel ! Cela dit, je reviendrai, parce que le début m'a vraiment plu, beaucoup beaucoup !
Bien à vous,
Remus
Remus- Nombre de messages : 2098
Age : 34
Date d'inscription : 02/01/2012
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