Tchernobyl
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Tchernobyl
Un homme vieillissant dont le sarcophage d'oublis patiemment édifié autour de son enfance se fissure... Comme celui de Tchernobyl... Il n'est sûr que d'une chose : seul lui même peut s'aider.
Attention, voyage en offenses : tourbillons – baignades interdites.
Il s'était passé des choses dont il eût mieux valu qu'elles ne fussent pas ; c'est pourquoi je ne crois pas être capable de décrire ce que l'on ressent lorsqu'on laisse une telle enfance derrière soi. Chaque fois que je me retourne, je ne perçois que chocs et cris. Mais la mémoire est un sculpteur d'une grande sagesse et, avec le temps, elle apprend à bâtir une enceinte autour de ce qui fût et ne devrait pas revenir. Néanmoins, quoique l'on fasse, un Tchernobyl ne demande qu'à irradier ; le mien s'appelle enfance et le petit garçon que j'ai en moi revient parfois me voir et me regarde de son œil mauvais. Je le chasse aussitôt mais, pugnace, sans cesse il me harcèle.
…
Je ne suis qu'un bâtard, un vulgaire plagiat, une pâle copie.
Ce nom n'est pas le mien,
Ne suis qu'un substitut,
Pas une identité ;
Un pis aller.
J'ai peur !
J'ai peur qu'un jour il n'agrandisse les fissures qui se font jour dans le sarcophage patiemment édifié, j'ai peur de donner libre cours à des émotions refoulées ; réparer les offenses subies, desserrer le corset de fer, ne se livrer qu'à soi-même demande trop d'énergie. Je me suis enfermé dans le silence et ne veux rien avoir à faire avec mes fantômes. Ils cherchent malgré tout à se faire une place au fond de ma tête et je sais que les murs bâtis autour d'eux ne suffiront pas à les contenir. Ils sont en train de m'envahir : les coups, la pension-prison et son portail immense, ses curés castrateurs, les rejets, les questions, les cahots, la haine ressentie... Tout ce noir m'absorbe et je pressens que je ne sortirai pas intact de l'épreuve.
...
Je ne suis qu'un bâtard, un être rejeté,
Un gênant homoncule ;
À tout prix l'éloigner,
L'oublier, l'effacer ;
Enfin l'émasculer.
j'entends
J'entends les insultes, je revois le couteau, ce petit d'homme entre sa mère et lui, et toujours le temps devient pâteux et se fige. L'effort pour m'en extraire me détruit un peu plus chaque fois. Mais le cerveau n'en fait qu'à sa tête et, vitesse de la lumière oblige, se rapproche de l'ombre.
...
Je suis un bâtard, un vulgaire crachat, une peine à jouir ;
À peine éjaculé et pas encore né, déjà abandonné.
Qu'est-ce qu'un spermatozoïde après tout ?
Un gamète mâle,
Un gamète mal.
le temps
Le temps m'a appris qu'il ne fallait pas se laisser acculer dans son petit destin, que le plus lourd à porter est ce que vous ignorez de vous et ce que les autres savent de vous, que toute épreuve comporte sa part de rire. Mais je suis à la fois dedans et dehors et plus j'avance, plus je suis dedans, et moins je peux m'enfuir. Je ne veux pas de cette guerre, je ne veux pas que ce parâtre, même mort, me force en silence à devenir ce qu'il croyait, que ma vie presque finie devienne toujours plus petite, que ce trou noir m'absorbe. On dit qu'un enfant est une flèche lancée vers l'avenir ; la mienne est cassée, trop vite retombée. Je veux refouler le surgissement d'un monde de ténèbres.
jadis.
Mais aujourd'hui je vais me retrouver
Car je sais que seule la mort nous définit...
Et enfermé je serai, mais par ma seule volonté.
…
J'ai peur ! J'entends le temps jadis.
Au secours ! M'aide moi…
Attention, voyage en offenses : tourbillons – baignades interdites.
Il s'était passé des choses dont il eût mieux valu qu'elles ne fussent pas ; c'est pourquoi je ne crois pas être capable de décrire ce que l'on ressent lorsqu'on laisse une telle enfance derrière soi. Chaque fois que je me retourne, je ne perçois que chocs et cris. Mais la mémoire est un sculpteur d'une grande sagesse et, avec le temps, elle apprend à bâtir une enceinte autour de ce qui fût et ne devrait pas revenir. Néanmoins, quoique l'on fasse, un Tchernobyl ne demande qu'à irradier ; le mien s'appelle enfance et le petit garçon que j'ai en moi revient parfois me voir et me regarde de son œil mauvais. Je le chasse aussitôt mais, pugnace, sans cesse il me harcèle.
…
Je ne suis qu'un bâtard, un vulgaire plagiat, une pâle copie.
Ce nom n'est pas le mien,
Ne suis qu'un substitut,
Pas une identité ;
Un pis aller.
J'ai peur !
J'ai peur qu'un jour il n'agrandisse les fissures qui se font jour dans le sarcophage patiemment édifié, j'ai peur de donner libre cours à des émotions refoulées ; réparer les offenses subies, desserrer le corset de fer, ne se livrer qu'à soi-même demande trop d'énergie. Je me suis enfermé dans le silence et ne veux rien avoir à faire avec mes fantômes. Ils cherchent malgré tout à se faire une place au fond de ma tête et je sais que les murs bâtis autour d'eux ne suffiront pas à les contenir. Ils sont en train de m'envahir : les coups, la pension-prison et son portail immense, ses curés castrateurs, les rejets, les questions, les cahots, la haine ressentie... Tout ce noir m'absorbe et je pressens que je ne sortirai pas intact de l'épreuve.
...
Je ne suis qu'un bâtard, un être rejeté,
Un gênant homoncule ;
À tout prix l'éloigner,
L'oublier, l'effacer ;
Enfin l'émasculer.
j'entends
J'entends les insultes, je revois le couteau, ce petit d'homme entre sa mère et lui, et toujours le temps devient pâteux et se fige. L'effort pour m'en extraire me détruit un peu plus chaque fois. Mais le cerveau n'en fait qu'à sa tête et, vitesse de la lumière oblige, se rapproche de l'ombre.
...
Je suis un bâtard, un vulgaire crachat, une peine à jouir ;
À peine éjaculé et pas encore né, déjà abandonné.
Qu'est-ce qu'un spermatozoïde après tout ?
Un gamète mâle,
Un gamète mal.
le temps
Le temps m'a appris qu'il ne fallait pas se laisser acculer dans son petit destin, que le plus lourd à porter est ce que vous ignorez de vous et ce que les autres savent de vous, que toute épreuve comporte sa part de rire. Mais je suis à la fois dedans et dehors et plus j'avance, plus je suis dedans, et moins je peux m'enfuir. Je ne veux pas de cette guerre, je ne veux pas que ce parâtre, même mort, me force en silence à devenir ce qu'il croyait, que ma vie presque finie devienne toujours plus petite, que ce trou noir m'absorbe. On dit qu'un enfant est une flèche lancée vers l'avenir ; la mienne est cassée, trop vite retombée. Je veux refouler le surgissement d'un monde de ténèbres.
jadis.
Mais aujourd'hui je vais me retrouver
Car je sais que seule la mort nous définit...
Et enfermé je serai, mais par ma seule volonté.
…
J'ai peur ! J'entends le temps jadis.
Au secours ! M'aide moi…
Invité- Invité
Re: Tchernobyl
Un beau texte qui navigue entre le dit et les non-dits. J’ai aimé le découpage et ces mots qui rythment les pensées, les souvenirs revenant par vagues et les peurs associées, jusqu'au "m'aide moi" final, très fort.
En revanche je trouve le premier paragraphe dommage et inutile, l’idée est parfaitement exprimée dans le corps du texte, et il dénature le plaisir de la découverte.
En revanche je trouve le premier paragraphe dommage et inutile, l’idée est parfaitement exprimée dans le corps du texte, et il dénature le plaisir de la découverte.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: Tchernobyl
D’accord avec elea pour la phrase trop explicative du début, et qui donne à savoir le propos du texte avant même qu'on en ait commencé la lecture.
Autrement, je trouve à cette composition un côté très accessible, immédiat même, évident ; et, de l'autre, elle exprime une grande pudeur, formulée parfois et à dessein de manière un peu creuse, comme si le narrateur avait voulu se livrer mais uniquement jusqu’à un certain point, une confession retenue, moins par choix que par nécessité.
Autrement, je trouve à cette composition un côté très accessible, immédiat même, évident ; et, de l'autre, elle exprime une grande pudeur, formulée parfois et à dessein de manière un peu creuse, comme si le narrateur avait voulu se livrer mais uniquement jusqu’à un certain point, une confession retenue, moins par choix que par nécessité.
Invité- Invité
Re: Tchernobyl
Un beau texte tout en force et retenue. Puissant et émouvant. La phrase introductive semble effectivement inutile.
AGANIPPE- Nombre de messages : 39
Age : 65
Date d'inscription : 10/03/2012
Eclats de miroir.
Salut,
Les deux phrases du début sont peut-être inutiles. Mais pas gênantes pour moi.
Le reste ? Oui, c'est bien mais laisse une impression de manque. Comme si le sujet était à peine effleuré. Certes, tout ça évoque un miroir brisé, dont on lirait quelques facettes. Mais peut-être pas assez à mon goût. Ce père, ou beau-père, menaçant, qu'on devine à peine. Cette mère, qu'on entrevoit...
Oui, fugitif, trop rapide.
Mais si je dis ça, c'est que le peu qui reste donne envie d'en savoir plus, c'est donc bon signe.
Dommage aussi que l'évocation de ce lieu maudit n'en reste qu'à une vague comparaison. Pour une fois que je lis ce titre... C'est lui qui m'a attiré. Je trouve ce sujet passionnant, ce qui s'est passé en Ukraine. J'ai cru lire une histoire à ce propos. Sans doute que le livre de Svetlana Alexievitch m'a marqué, trop marqué...
Enfin, Tchernobyl n'est pas une appellation d'origine contrôlée, après tout.
Frustration... Mais satisfaction aussi de ne pas avoir loupé ce texte.
Ubik.
Les deux phrases du début sont peut-être inutiles. Mais pas gênantes pour moi.
Le reste ? Oui, c'est bien mais laisse une impression de manque. Comme si le sujet était à peine effleuré. Certes, tout ça évoque un miroir brisé, dont on lirait quelques facettes. Mais peut-être pas assez à mon goût. Ce père, ou beau-père, menaçant, qu'on devine à peine. Cette mère, qu'on entrevoit...
Oui, fugitif, trop rapide.
Mais si je dis ça, c'est que le peu qui reste donne envie d'en savoir plus, c'est donc bon signe.
Dommage aussi que l'évocation de ce lieu maudit n'en reste qu'à une vague comparaison. Pour une fois que je lis ce titre... C'est lui qui m'a attiré. Je trouve ce sujet passionnant, ce qui s'est passé en Ukraine. J'ai cru lire une histoire à ce propos. Sans doute que le livre de Svetlana Alexievitch m'a marqué, trop marqué...
Enfin, Tchernobyl n'est pas une appellation d'origine contrôlée, après tout.
Frustration... Mais satisfaction aussi de ne pas avoir loupé ce texte.
Ubik.
Re : Tchernobyl
Vraiment ce texte m'enchante. Pour ma part je trouve que les 2 phrases du début sont nécessaires.
Pourquoi ? Le brio de ce texte réside dans la "métaphore filée" jusqu'au bout de son propos. Difficile ainsi de développer si loin une métaphore. Je me souviens que parfois le Clézio excelle dans cet exercice. Si Tchernobyl n'est pas cité en introduction l'écart stylistique s'estompe. La richesse de cette longue métaphore réside dans la confrontation entre une catastrophe historique, collective, avec les troubles et malaises psychologiques du narrateur. On évoque ainsi l'intime existentiel avec le monde social, industriel, mécanique. Le pathos complaisant est évité, au profit d'un propos qui nous touche alors, publiquement, historiquement, etc... Ce contrepoint est bouleversant. Tous mes remerciements moléculaires et atomiques à son auteur.
Pourquoi ? Le brio de ce texte réside dans la "métaphore filée" jusqu'au bout de son propos. Difficile ainsi de développer si loin une métaphore. Je me souviens que parfois le Clézio excelle dans cet exercice. Si Tchernobyl n'est pas cité en introduction l'écart stylistique s'estompe. La richesse de cette longue métaphore réside dans la confrontation entre une catastrophe historique, collective, avec les troubles et malaises psychologiques du narrateur. On évoque ainsi l'intime existentiel avec le monde social, industriel, mécanique. Le pathos complaisant est évité, au profit d'un propos qui nous touche alors, publiquement, historiquement, etc... Ce contrepoint est bouleversant. Tous mes remerciements moléculaires et atomiques à son auteur.
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
Re: Tchernobyl
Un drôle de texte pas drôle qui me laisse un curieux sentiment de malaise : comme un appel au secours qui se renierait...
Fort et dérangeant, en tout cas, donc sans doute un bon texte...
Je ne me sens pas en mesure de le regarder avec sérénité.
Fort et dérangeant, en tout cas, donc sans doute un bon texte...
Je ne me sens pas en mesure de le regarder avec sérénité.
Invité- Invité
Re: Tchernobyl
L'abondance des formes négatives ("ne pas" x 8, "n'... que" x 6, "ne... que", "n'... pas", "ne... rien", "pas") illustre, chez le locuteur, la difficulté extrême à trouver un équilibre. Quelques verbes pronominaux ("s'aider", "se livrer... à soi-même", "me suis enfermé", "m'en extraire", "m'enfuir", la déroutante tournure finale : "M'aide moi...") entérinent l'image d'un repli souligné par les champ lexicaux de l'enfermement ("sarcophage" x 2, "enceinte", "corset de fer", "murs", "enfermé") et de l'obscurité ("Tout ce noir", "ombre", "trou noir", "ténèbres"). Le marqueur d'intensité ("une telle enfance") et le procédé d'accumulation ("les coups, la pension-prison et son portail immense, ses curés castrateurs, les rejets, les questions, les cahots, la haine ressentie...") matérialisent le lourd tribut de l'avant. L'intervention en gras et celles en italique traduisent un état de conscience pour le moins dispersé entre vestiges d'un passé douloureux et présent introuvable. Le locuteur se montre incapable de mettre véritablement pied dans le monde, de s'y accepter en tant qu'individu (champ lexical de la falsification : "plagiat", "copie", "substitut", "homoncule", champ lexical du rebut : "bâtard" x 2, "émasculer", "crachat", "peine à jouir"). Une antithèse ("Je le chasse" / "il me harcèle") dessine les strates d'un combat, d'un combat perdu d'avance (proposition subordonnée concessive : "quoi que l'on fasse...", paradoxes : "je suis à la fois dedans et dehors", "plus j'avance, plus je suis dedans"). Deux formes superlatives ("le plus lourd à porter est ce que vous ignorez de vous", "ma vie presque finie devienne toujours plus petite") ainsi que deux hyperboles ("seule la mort", "ma seule volonté") définissent le cadre obligé d'une fin hélas trop prévisible.
Merci pour ce partage !
Merci pour ce partage !
jfmoods- Nombre de messages : 692
Age : 59
Localisation : jfmoods@yahoo.fr
Date d'inscription : 16/07/2013
re : Tchernobyl
Utilisation d'une catastrophe collective pour imager l'intime. Pourquoi pas. La métaphore est dans les deux sens. Tchernobyl recèle ton enfermement. Et ton enfermement est aussi comparable au sarcophage de Tchernobyl. L'atome (intime) de tes sentiments et l'atome de la Centrale. Cet effet de résonnance donne de l'intérêt, atomisant le sens qui ainsi nous contamine. Pas mal. merci.
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
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