Cumul de peine

Salut Y. Yo !

On n’est jamais plus seul que perdu dans la foule, pas vrai ?

T’en as déjà marre d’être seul. Tu as X raisons de chercher à rencontrer ton alter ego. Tu fonces droit sur elle, l’enjôleuse. Une relation purement sexuelle. Classée X. Fusionnelle.

Première déconvenue. Tu t’es retrouvé.
Seul .

Salut XY. Hey, man !

Tu es devenu ta propre cellule. T’en prends pour neuf mois, pas de compagnon de cellule. Les murs de ta geôle se démultiplient à l’infini. Premier battement de cœur. Première peine de prison.

D’autres suivront.
La règle de non cumul des peines ne s’appliquera pas vu que tu as été condamné à vivre.
Tu es. Plus ou moins d’accord.

Tu te prépares quand même à n’être. Peut-être qu’un avorton. Doté d’accessoires plus ou moins invalidants et d’ options indésirables : des doigts en plus, un cœur dysfonctionnel, les oreilles de ta mère, le QI du maitre nageur de la plage de Pampelune, un sida qui passait par là et maintenant par toi, une tendance à baver en te balançant d’avant en arrière, une voix de triton, que sais-je…

Parfois tu ne nais pas. C’est peut-être mieux comme ça. Pas la peine de forcer le destin. Ou alors tu nais et on peut dire que tu n’es pas. Veinard.

Accroché au sein torve d’une pauvre gosse. Une autre solitude comme toi.

Bon ok, mettons que t’es un petit veinard. Tu têtes goulument le sein d’une fille qui se réjouit d’être mère. Avant que d’être amère. La loi du baby blues. Alors tu cherches ton pouce. Ton meilleur ami en attendant mieux.

Tu as deux ans, t’es seul. Devant la télé. Tu suces goulument les images qui te sont offertes. Ton père tu le vois pas souvent, il s’est tiré. Il n’a pas supporté d’être père à perpétuité. C’est pas grave, tu es déjà fils de pub, tu apprends à formater ton temps de cerveau disponible.

Tu as trois ans tu vas à l’école. Tu ne veux pas être seul. A peine arrivé, tu noues des alliances dans la cour de récré. Pleine de petits XY qui te préviennent « tare ta gueule à la récré ». Pleine de petites XX qui te répètent « j’suis plus ta copine ». Le début du reste de ta vie.

La règle de non cumul des peines continue à ne pas s’appliquer. Les murs de ta prison se démultiplient à l’infini.

T’as quinze ans, pour ne pas être seul, tu achètes des Converse et tu converses avec ton écran d’ordinateur.

Tu as dix huit ans. A peine. Tu entres en fac.
On n’est jamais plus seul que perdu dans la foule, pas vrai ? Rien ne change jamais.
Tu en as toujours marre d’être seul. Tu as X raisons de chercher à rencontrer ton alter ego. Tu fonces droit sur elle. L’enjôleuse. Elle s’appelle X. Une relation purement sexuelle. Fusionnelle.
Premiers battements de cœur. Première peine. De cœur.
D’autres suivront. T’as peine à le croire, mais tout n’est jamais que le début de la fin. Perpétuel recommencement. Perpétuel renoncement.

Tu te révoltes. Oh à peine.

Puis tu cherches un travail , t’es dur à la peine. Tu te maries. Oh à peine. Les murs de ta prison se démultiplient à l’infini. Ta compagne de cellule en prend pour neuf mois.

Tu te prépares quand même à être. Le père d’un avorton. Doté d’accessoires plus ou moins invalidants et d’ options indésirables : des doigts en plus, un cœur dysfonctionnel, les oreilles de ta mère, le QI du maitre nageur de la plage de Pampelune, un sida qui passait par là et maintenant par lui, une tendance à baver en te balançant d’avant en arrière, une voix de triton, que sais-je…peut être un petit cœur sensible.

Tu ne ménages pas ta peine. Tu divorces. Tu te remaries. Peut-être père multirécidiviste. Peut-être père crucifié. Accident de scooter overdose suicide que sais-je ?

Tu es seul. Tu fais peine à voir. Peut-être tu fais ton coming out. Tu as Y raisons de chercher à rencontrer ton alter ego.Tu nourris ton poisson rouge YY qui tourne en rond dans son aquarium et tu écoutes Dalida en rêvant de chimères :

"Pour ne pas vivre seul
On s’fait du cinéma
On aime un souvenir
Une ombre, n’importe quoi

Pour ne pas vivre seul
On vit pour le printemps
Et quand le printemps meurt
Pour le prochain printemps"

Tu vis et tu crèves. Est-ce la peine d’en dire plus ?

Un jour la pellicule est usée, ton cœur aussi, les souvenirs s’enfuient, les saisons trépassent. Et puis c’est ton tour. Première panne de cœur. On t’enterre pour la peine. Seul. Pas de compagnon de cellule. Les tiennes se décomposent. T’en prends pour l’éternité.

Ci-git XY. C’était bien la peine.

Quel cycle infernal ! Un cursus qu'on subit, sans l'avoir voulu. Un schéma qui se reproduit à l'infini, de la venue sur terre jusqu'à la dernière pelle de terre sur la tronche.

Tu es. Plus ou moins d'accord.
Perpétuel recommencement. Perpétuel renoncement.

J'ai aimé ce texte qui fait quand même froid dans le dos.

La vie quoi ! tout simplement. Une mise en équation avec 2 variables : X et Y. Des fois, c'est bonne pioche, d'autres fois non. Comme l'a dit Iris : un cycle. Il suffit alors de pédaler.
Un bon texte, dont j'ai aimé les phrases lapidaires. La concision dans l'expression lui donne plus de force.

Quues broutilles :
- A peine : À peine
- dix huit : dix-huit

quelle verve ! j'admire et je plussoie, comme on dit par ici

en plus (je me répète) la mise en page aérée va parfaitement contre la densité du style, ce qui est heureux

ya de la pêche, ya des mots, du café noir avec un nuage d'humour en plus, ya tout là dedans

Excellent, plein de vérité, une écriture hachée et c'est vrai, on est pris dans une spirale…

La forme déconcerte un peu. Le fond nous concerne tous.
La vie, dans ce qu'elle a d'inexorable. Commenter ça ? Très délicat...
C'est le rythme je crois qui met mal à l'aise. Et c'est sans doute voulu. Me fait penser à cet endroit où les trains passent, les aiguillages sans doute, et où le balancement devient irrégulier, il a des ratés.
Texte vertigineux, plein de mises en abymes.

Ubik.

Hé ben ! Tu sais y faire pour démonter le moral des troupes. Un bon texte à mes yeux avec le martèlement des étapes successives autant qu'inévitables. Ce qui est bien c'est que cette narration factuelle n'empêche pas l'humour de pointer derrière l'écriture sèche ; de fait, le choix même de cette distance, de cette aridité ne fait que renforcer le côté drôlatiquement vain de l'existence telle qu'elle est décrite ici.

Whooouf, le coup de blues !
Non, Reb, t'es pas toute seule,
Y a le scrabble et VE...

Un texte qui rigole jaune - ou noir. ( je ne me suiciderai pas, j'aime trop le camembert !)

C'est étrange, mais ce texte ne m'a pas déprimée du tout, il a même eu l'effet inverse, ça fait deux fois que je le lis aujourd'hui, deux fois qu'il me met de bonne humeur... Cynique, mais avec quelques touches d'humour, j'adore :-))

Et la boucle est bouclée.
Pas rose ni gai ce texte, et pourtant, le rythme effréné, la vie qui défile, le tourbillon des mots et des âges, ça donne un côté enlevé, vif, et c’est ça la vie, saisie sur le vif.

Du grand art, ce texte!
Vraiment bravo, rien à redire, longueur, tension, déroulement, dosage, tout est parfaitement ajusté.
A recommander à ceux qui ne percevraient pas le côté pathético-dérisoire de nos existences...

Bonsoir Reb,

Depuis Mornington, une profondeur d'analyse et une justesse d'interprétation ...

Amicalement,
midnight

Un alphabet bouclé en trois mots ? Qu'ajouter ? Bien, très bien même.

J’aime quand tu écris comme ça rebecca, que tu contrôles.
Tu as un grand potentiel narratif, des rythmes et des formules qui séduisent.
Je n’adhère pas au fond, bien entendu, même s’il est plein de constatations justes, me manque la contrepartie heureuse qui donnerait sa force au noir.
Mais je suppose que tu n’étais pas d’humeur.